Interview de M. Sébastien Martin, ministre délégué, chargé de l'industrie, à RMC le 6 novembre 2025, sur la plateforme d'e-commerce chinoise SHEIN, les fermetures d'usine et la désindustrialisation.

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Média : RMC

Texte intégral

SEBASTIEN MARTIN
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes le nouveau ministre chargé de l'Industrie. Je vous interroge dans un instant sur ces fermetures d'usines. Mais je voudrais d'abord vous poser la question SHEIN. SHEIN, l'industrie du textile en France depuis plusieurs années s'en plaint, et dit qu'elle l'a tuée à petit feu. Le Gouvernement a annoncé hier une procédure de suspension du site SHEIN. Enfin ?

SEBASTIEN MARTIN
Écoutez. Je crois qu'avec le cas SHEIN, tous les jours, on pense s'acheter du style, mais au final, c'est plutôt la chronique de la honte. Chaque jour, il y a un nouvel exemple : les poupées pédopornographiques, aujourd'hui, les armes à feu. Et heureusement qu'il y a des parlementaires aussi qui sont mobilisés sur la question. Et franchement, on est dans un exemple supplémentaire d'un commerce mondial, aujourd'hui, qui est marqué par un dumping de la part de la Chine et qui vise, au final, à affaiblir des pans entiers de nos industries européennes. Et vous avez cité le textile. Et je suis sûr qu'on parlera d'autres sujets après. En fait, on est face à une attaque.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est une offensive ? C'est une attaque ?

SEBASTIEN MARTIN
C'est une offensive. C'est organisé. Pour moi, c'est organisé.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, je suis tout de même surprise.

SEBASTIEN MARTIN
On prend des pans de l'industrie, les uns après les autres, et en disant : " À vous de respecter les règles de l'OMC, nous, nous ne les respectons pas ". Nous, pays asiatique, et particulièrement la Chine. Et comme ça met du temps à réagir…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais on n'est pas un peu les dindons de la farce ?

SEBASTIEN MARTIN
Écoutez. Moi, je suis fier, aujourd'hui, d'appartenir à un Gouvernement qui, sur l'acier, par exemple, a demandé à la Commission européenne de mettre en place des mesures pour protéger l'acier européen. La Commission a présenté un plan. Et maintenant, il faut que le Parlement européen l'adopte rapidement. Et la France dit : " Adoptez ce plan tel qu'il est. Ce n'est pas nécessaire d'aller faire des amendements, des sur-amendements, il faut y aller, il y a urgence ".

APOLLINE DE MALHERBE
Allons-y monsieur, parce qu'après, on n'a pas le temps.

SEBASTIEN MARTIN
On n'a pas le temps d'attendre pour protéger l'Europe. Ce n'est pas du protectionnisme. C'est de la protection pour permettre à nos industries de s'organiser et de s'armer.

APOLLINE DE MALHERBE
Et en même temps, je suis quand même toujours surprise de me dire que ça fait des années que vous en parlez, par exemple de SHEIN, à la fois sur l'angle du textile ou sur l'angle du commerce. Quand je dis " vous ", c'est les parlementaires, vous n'étiez pas encore ministre. Et il a fallu finalement avoir l'affaire des poupées, l'affaire des armes, mais vous n'avez pas réussi à les attaquer sur ce qu'ils couvrent depuis des années, c'est-à-dire une guerre commerciale, industrielle.

SEBASTIEN MARTIN
C'est vrai que parfois, quand on a envie de respecter l'État de droit, parce que d'autres n'ont pas les mêmes valeurs, ça prend plus de temps. C'est peut-être, sans doute, un peu plus long. Mais là, je crois qu'il est temps de sortir de la naïveté. Et je pense qu'on en reparlera.

APOLLINE DE MALHERBE
Suspendre ou interdire ?

SEBASTIEN MARTIN
Bah, la première étape, c'est la suspension. On a donné 48 heures. Mais je crois que vous avez observé qu'on ne parle pas que de suspension. Il y a aussi eu une saisine des tribunaux, il y a aussi une saisine de l'ARCOM, il y a aussi une saisine de la Commission européenne. Roland LESCURE est à la manoeuvre sur le sujet. Il reçoit aujourd'hui, d'ailleurs, les fournisseurs d'accès. Donc, il y a un panel d'actions qui pourront être mis en oeuvre.

APOLLINE DE MALHERBE
Et vous utiliserez toutes les actions que vous avez ?

SEBASTIEN MARTIN
On n'ouvre pas tous ces chantiers pour ne pas s'en servir.

APOLLINE DE MALHERBE
Sébastien MARTIN, selon Bercy, dont vous dépendez, la France a perdu 38 usines sur les 6 premiers mois de l'année. Il y a eu 82 fermetures, 44 ouvertures. Est-ce qu'on a perdu la bataille ?

SEBASTIEN MARTIN
C'est vrai que certains me disent " Mais tu deviens ministre de l'Industrie, sans doute pas au meilleur des moments ". Il aurait mieux fallu y être il y a 2 ou 3 ans quand, sur vos mêmes plateaux, vous interrogiez tout le monde sur les ouvertures d'usines. La situation est difficile, je ne veux pas le nier. Je veux juste quand même nuancer un tout petit peu votre chiffre, parce que les chiffres qui sont communiqués par Bercy incluent aussi les agrandissements de sites. Et quand on met les agrandissements de sites, on reste sur un solde qui est positif.

APOLLINE DE MALHERBE
En termes d'emplois ?

SEBASTIEN MARTIN
En termes de nombre d'ouvertures de sites. Ensuite, sur la durée, je rappelle, ces dernières années, on a créé 130 000 emplois industriels. On a ouvert pratiquement 500 sites industriels. Donc, certes, la situation est difficile, mais je vais les mettre en perspective. Et pourquoi les agrandissements, c'est important ? Dans mon agglomération, à Chalon, il y a Framatome qui construit 40 000 m² de bâtiments. 40 000 m² de bâtiments, c'est l'équivalent de 4 ou 5 usines qui auraient été ouvertes si c'était des établissements indépendants. Donc, comptabiliser aussi les ouvertures de sites, c'est par exemple, sur ce site-là, 400 créations d'emplois. Je pense que ça a du sens aussi, et il faut le prendre dans vos chiffres.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'il faut nationaliser NovAsco ?

SEBASTIEN MARTIN
Écoutez. La nationalisation... Par principe, nous ne sommes pas opposés à des nationalisations. D'ailleurs, on est monté au capital d'EDF récemment. Mais le sujet pour NovAsco, c'est le sujet, aujourd'hui, dont on parlait tout à l'heure, de l'acier européen. Juste un chiffre. Quand quelque chose vaut 3 en France pour faire de l'acier, il vaut aussi 3 en Inde. Il vaut 5 aux États-Unis. Et il vaut 1 en Chine. Alors, je veux bien comprendre un différentiel de prix entre la France et la Chine. Mais entre l'Inde et la Chine, le rapport de 1 à 3, ça veut dire qu'il y a un pays qui subventionne massivement, qui fait donc de la concurrence déloyale. Et c'est pour ça qu'on a engagé une action anti-dumping auprès de la Commission européenne…

APOLLINE DE MALHERBE
Ça va mettre combien de temps ?

SEBASTIEN MARTIN
Ah non.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça va être rapide ?

SEBASTIEN MARTIN
Si tout ça est voté dans les semaines qui viennent, nous, notre objectif, c'est 1er janvier. 1er janvier, mesures de protection et droits de douane au-dessus d'un certain quota d'importation, autour de 13%. Vous aurez 50% de droits de douane pour protéger notre acier.

APOLLINE DE MALHERBE
Avec une question toujours, qui est la question, à la fin, du consommateur. Cette question, elle se pose aussi pour SHEIN, puisque hier, ici même, nous avions de nombreux auditeurs qui appelaient pour dire qu'ils achetaient SHEIN, qu'ils n'avaient pas les moyens d'acheter d'autres choses.

SEBASTIEN MARTIN
Mais vous m'interrogez tout à l'heure sur la question de la désindustrialisation.

APOLLINE DE MALHERBE
Et à la fin, sur l'acier, c'est la question du coût de la voiture. C'est quand même aussi la même question.

SEBASTIEN MARTIN
Mais oui, mais la désindustrialisation, c'est aussi, derrière, une société de l'appauvrissement. Remettre en place des usines, réindustrialiser, c'est avoir des gens qui sont mieux payés. Et quand les gens sont mieux payés, il y a plus de pouvoir d'achat. Et on est peut-être moins obligés, à la fin, d'acheter du SHEIN, et qui est à l'inverse de toutes nos valeurs. À l'inverse de toutes nos valeurs. Les poupées, les armes, c'est l'inverse de toutes nos valeurs.

APOLLINE DE MALHERBE
Et une dernière question sur le secteur automobile, qui souffre en France. On l'entend régulièrement. Et on parle notamment de chômage partiel dans les sites STELLANTIS. Est-ce que l'Europe va assouplir ses règles ? Est-ce que vous allez peser sur l'assouplissement des règles et notamment des deadlines sur la vente des moteurs thermiques ?

SEBASTIEN MARTIN
Nous, notre position, elle est très claire. Il y a un marché, aujourd'hui, qui n'est pas là. Donc, il faut adapter 2035. Mais en même temps, la France, elle dit : " On veut la préférence européenne ". Parce que ça ne servira à rien d'assouplir les règles si à l'intérieur de nos véhicules... et si nos véhicules n'étaient pas fabriqués en Europe. Donc, la France se bat pour la préférence européenne pour maintenir nos emplois, maintenir nos usines en Europe, et ne pas avoir des voitures avec des logos européens dessus, mais qui seraient fabriquées ou qui viendraient avec des composants chinois.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci Sébastien MARTIN, ministre délégué auprès du ministre de l'Économie. Vous êtes en charge de l'Industrie.

SEBASTIEN MARTIN
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 novembre 2025