Texte intégral
À la demande du Président de la République et du Premier ministre, la ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire et le ministre de l'Europe et des affaires étrangères ont présenté, à l'ensemble des membres du Gouvernement, une communication sur les relations entre l'Union européenne et les pays du Mercosur.
Ils ont tout d'abord rappelé l'importance des liens d'amitié qui unissent l'Europe et l'Amérique latine et le besoin, dans un monde où l'ordre international et le multilatéralisme sont de plus en plus remis en cause, de forger ensemble des partenariats au service des peuples, d'assurer une diversification des échanges respectueuse de nos intérêts réciproques, comme le récent sommet entre l'Union européenne et la Communauté des Etats latino-américains et des Caraïbes l'a confirmé.
Pour autant, cela ne saurait conduire à accepter de conclure un accord que nous jugerions contraire à nos intérêts. Dans ce contexte, les deux ministres ont rappelé la position défendue par la France au sujet du projet d'accord liant le Mercosur et l'Union européenne, en discussion depuis 1999. Cette position est la même depuis l'annonce de la finalisation de la négociation par la Commission : l'accord tel qu'il a été conclu par cette dernière à Montevideo en décembre 2024 n'est pas acceptable en l'état.
Le Président de la République, le Premier ministre et les ministres ont, depuis des mois, mobilisé les Etats partageant nos réserves pour obtenir des garanties additionnelles. Nous avons ainsi adopté avec l'Italie, l'Autriche et la Hongrie en juin 2025, puis avec la Pologne en juillet 2025, des déclarations ministérielles conjointes qui ont adressé un message clair à la Commission sur notre position et sur nos attentes.
Dans ce contexte, la France a formulé trois demandes précises répondant chacune à une préoccupation spécifique :
1/ Premièrement, les filières de production agricole européennes doivent être protégées de toute déstabilisation pouvant résulter de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur. En effet, il ne serait pas acceptable que cet accord entraîne des perturbations de marché qui seraient préjudiciables aux produits agricoles sensibles. Il est donc indispensable de disposer d'un mécanisme permettant de répondre aux éventuels déséquilibres de marché et d'éviter les chutes de prix nuisibles aux producteurs européens, en cas d'importation massive de produits agricoles du Mercosur.
C'est dans ce contexte que la Commission a proposé en octobre dernier un dispositif prenant la forme d'une clause de sauvegarde spécifique, applicable aux produits agricoles et destinée à compléter l'accord. Concrètement, ce mécanisme reposerait sur trois éléments qui seraient protecteurs pour les filières agricoles françaises et européennes : (i) une surveillance fine des marchés par la Commission, non seulement à l'échelle de l'Union européenne dans son ensemble mais aussi de chaque Etat membre spécifiquement, pour détecter d'éventuelles perturbations de volume et de prix ; (ii) en cas de suspicion, y compris dans un seul pays, le lancement, sans délai, d'enquêtes formelles de la Commission pour vérifier la réalité desdites perturbations de marché tant au niveau national qu'à l'échelle de l'Union européenne ; (iii) en cas de confirmation de cette réalité, l'adoption très rapide de mesures de sauvegardes, provisoires puis définitives, permettant de bloquer les importations qui bénéficient de l'accord.
Cette proposition constitue un élément nouveau, qui montre que les préoccupations de la France et de ses partenaires sont entendues. La France s'attache en ce moment à s'assurer de la pleine opérationnalité du dispositif afin qu'il soit robuste et activable facilement et permette ainsi une protection effective des filières agricoles nationales. Elle demande que, sur cette base, la proposition de la Commission soit adoptée sans délais au Conseil et au Parlement européen.
Cette avancée est nécessaire mais pas suffisante.
2/ Deuxièmement, les produits importés doivent impérativement respecter les normes imposées aux producteurs européens pour des raisons environnementales ou liées à la santé humaine. C'est du bon sens autant qu'une exigence d'équité. Du bon sens parce que, si par exemple un pesticide ou un additif alimentaire sont interdits en Europe à cause de leurs conséquences négatives pour l'environnement ou la santé, ils doivent l'être logiquement pour tout produit qui entre sur le marché intérieur, et ce d'où qu'il vienne. C'est aussi une exigence d'équité car, si les agriculteurs européens sont les seuls à se voir imposer ces règles, ils subiront alors une concurrence déloyale de la part de leurs homologues étrangers. C'est pourquoi les agriculteurs demandent à raison que l'Union européenne traite enfin ce sujet majeur.
En conséquence, la France demande à la Commission européenne de présenter dans les plus brefs délais des propositions d'actes réglementaires sur des « mesures miroirs » relatifs aux pesticides et à l'alimentation animale, permettant de garantir l'application réciproque des normes à tous les produits agricoles, dès lors qu'ils entrent sur le marché intérieur. C'est impératif et urgent.
3/ Enfin, troisièmement, l'application des règles européennes aux produits qui entrent sur le marché européen court le risque de rester purement virtuelle si ne sont pas mis en place en même temps des mécanismes de contrôle sanitaire et de vérification robustes. C'est pourquoi il importe que les contrôles sanitaires et phytosanitaires à la fois sur les produits importés, à leur arrivée aux frontières de l'Union européenne, et dans les pays exportateurs, par des audits sur place, soient considérablement renforcés. La France attend ainsi de la Commission la présentation rapide d'un plan d'actions détaillé et des projets d'actes associés, avant la mise en place d'une « force de contrôle sanitaire », comme le Président de la République en a formulé la demande à plusieurs reprises.
C'est à l'aune des résultats obtenus sur ces trois préoccupations majeures que la France arrêtera sa position définitive sur le projet d'accord entre l'Union européenne et le Mercosur.
Le maintien du statut de grande puissance agricole de notre pays est une priorité stratégique. La France défendra donc très fermement ses intérêts agricoles, dans le cadre du projet d'accord avec le Mercosur, mais aussi dans le cadre de la prochaine Politique Agricole Commune (PAC), en cours de négociation avec la proposition de prochain cadre financier pluriannuel de l'UE pour 2028-2034. A ce titre, elle sera très attentive à ce que les moyens accordés soient à la hauteur des ambitions, refusant toute baisse des crédits alloués à la France au titre de la PAC sur la prochaine programmation, et refusera toute volonté de renationalisation de cette politique européenne essentielle, afin de préserver le caractère de politique véritablement commune de la PAC. L'enjeu de préservation des conditions de concurrence loyale et de compétitivité pour nos filières agricoles continuera d'être défendu au-delà de l'accord avec le Mercosur, notamment s'agissant des mesures liées à la disponibilité d'engrais abordables et à la protection contre les fuites de carbone.