Texte intégral
Avant de commencer ce débat, permettez-moi d'avoir un premier moment de recueillement pour toutes les victimes des attentats terroristes du 13 novembre 2015.
Le débat sur le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne est un moment important. Notre contribution fait l'objet d'un débat budgétaire, dans lequel il faut prendre en considération les retours pour les territoires, les agriculteurs, les étudiants ou les entreprises ainsi que l'appartenance au marché intérieur. Cependant elle exprime aussi un choix politique, celui d'une France influente, qui pèse, dont la voix porte sur la scène européenne et internationale, ou d'une France qui se replie et s'affaiblit. Soyons clairs, notre pays bénéficie de son appartenance à l'Union européenne (UE).
En 2026, notre contribution est estimée à 28,8 milliards d'euros, soit 5,7 milliards de plus qu'en 2025. Cette augmentation n'est pas une dérive ; elle s'explique par la hausse des crédits de paiement proposés pour 2026, notamment sous l'effet d'un rattrapage mécanique des paiements au titre de la politique de cohésion. Pour être clairs, nous sommes toujours dans la trajectoire qui avait été votée par les États membres et les parlementaires en 2021 lors de la négociation du cadre financier pluriannuel (CFP), le budget sur sept ans de l'Union européenne. Nous assistons en ce moment à un rattrapage des décaissements de la politique de cohésion après que les États membres ont fait le choix, au cours de la première partie du cycle, de se tourner principalement vers les fonds du plan de relance, c'est-à-dire des financements extrabudgétaires.
Cette augmentation s'explique aussi par des facteurs imprévus au moment de la négociation du cadre financier pluriannuel : le soutien à l'Ukraine, le financement de la surcharge d'intérêt liée au plan de relance, ou encore la réponse au défi migratoire. Avec ma collègue Amélie de Montchalin, nous nous sommes battus pour que la Commission européenne maîtrise ses dépenses, ce qui a conduit à une hausse moins importante que ce qui avait été anticipé.
La contribution de la France au budget de l'Union européenne est essentielle à un moment où, plus que jamais, l'Union européenne doit prendre son destin en main face aux menaces extérieures et au risque de décrochage économique par rapport à la Chine ou aux États-Unis. Ce n'est pas un chèque en blanc que nous signons aujourd'hui. Soyons sérieux, l'Europe est un levier d'action, pas un fardeau. Ceux qui prétendent le contraire ne proposent rien d'autre que l'isolement et la pente glissante vers le Frexit.
Mesdames et messieurs les députés, parler du budget européen, c'est d'abord parler de la vie des Français.
Pour la deuxième année consécutive, la France est le premier bénéficiaire du budget de l'Union à hauteur de 16,5 milliards. Vous le savez, nous restons de loin le premier bénéficiaire de la politique agricole commune (PAC) avec près de 9,5 milliards de retours par an. Elle garantit le revenu de nos agriculteurs et notre souveraineté alimentaire. Nos régions bénéficient aussi de la politique de cohésion : près de 18 milliards leur sont consacrés entre 2021 et 2027. Cette politique permet par exemple la rénovation thermique des corons verts de Douai ou encore le financement de la maison de santé de Dammarie-les-Lys où je me suis rendu récemment. Quand certains prétendent que l'Europe ne fait rien, je réponds : " Regardez vos territoires ! "
Nous avons également bénéficié du plan de relance à hauteur de 9 milliards en 2024. Il a permis par exemple de financer l'insertion de 430 000 jeunes dans la vie professionnelle, la rénovation énergétique de 40 000 logements, l'agrandissement du centre hospitalier de Dijon ou encore l'électrification d'usines agroalimentaires.
Enfin, nous en parlons peu, mais avec 12,6 milliards d'investissements en 2024, la France était le premier pays bénéficiaire des financements de la Banque européenne d'investissement (BEI). Très concrètement, ces financements ont permis par exemple, la création de plus de 750 emplois dans une gigafactory près de Douai.
Au total, plus de 38 milliards ont été investis sur notre territoire en 2024 en provenance de différentes sources de l'Union européenne. Je tiens à souligner que nos retours sont également en amélioration -? nous l'avions annoncé lors des débats l'an dernier - passant de 10% l'année dernière à 11% cette année. C'est la preuve que les efforts du gouvernement portent leurs fruits depuis la création de la cellule de mobilisation des fonds européens pour nos territoires, nos universités et nos centres de recherche.
Toutefois, l'apport de l'Europe à la France n'est pas qu'un bilan budgétaire. Ainsi, l'appartenance au marché intérieur triple le commerce bilatéral entre deux États membres, de sorte que 55% de nos exportations vont vers nos partenaires européens. Nos agriculteurs sont exportateurs en Europe.
Notre contribution sert aussi nos intérêts dans une Europe qui protège et assume sa puissance. Face à la guerre d'agression russe, soutenir l'Ukraine, c'est assurer la sécurité de tous les Européens. Nous renforçons notre défense. La voix de la France porte : regardez la défense européenne, avec le nouvel instrument Safe (Sécurité pour l'action en Europe), doté de 150 milliards pour réaliser des prêts et apporter un soutien à la coopération industrielle, selon le principe de la préférence européenne que la France a défendu pendant toute la négociation, d'après lequel l'argent du contribuable européen doit servir les intérêts de l'Europe et soutenir l'industrie européenne. La sécurité passe aussi par le contrôle de nos frontières. Frontex et les infrastructures migratoires bénéficient ainsi d'un soutien budgétaire renforcé.
L'indépendance n'est pas le repli, tel est le sens de notre ambition de souveraineté industrielle et technologique. Dans la défense, le numérique, l'agriculture, les semi-conducteurs, la santé, l'énergie : dans tous ces secteurs, la France s'efforce de réduire sa dépendance vis-à-vis de ses partenaires européens.
En juillet dernier, la Commission européenne a présenté sa proposition pour le prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034. La définition de ce cadre est l'occasion de débattre de nos priorités et de la relation financière de la France avec l'Union européenne.
Je m'attache personnellement, en tant que ministre responsable de cette négociation au Conseil, à défendre les intérêts de la France : ceux de nos territoires, de nos agriculteurs, de nos entreprises. Nous défendrons également la création de nouvelles ressources propres pour ne pas alourdir nos contributions nationales. Le gouvernement sera au rendez-vous, avec la plus grande exigence. Ma porte est d'ores et déjà ouverte aux propositions de tous les parlementaires.
Dans ce monde conflictuel et dangereux, le choix n'est pas entre plus ou moins d'Europe, mais entre l'Europe puissance et le repli impuissant. Autoriser ce prélèvement, c'est donner à la France les moyens de peser, d'influencer et d'agir pour nos concitoyens. C'est aussi être à la hauteur de la parole de notre pays.
(…)
Je dois regarder les notes que j'ai prises, car j'avoue avoir un peu de mal à distinguer les arguments du Rassemblement national et ceux de La France insoumise. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. -? Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Monsieur le rapporteur spécial Tanguy, vous avez utilisé le terme « mensonge d'État ». Vous y allez un peu fort : ce n'est pas parce que vous n'avez rien compris que c'est un mensonge d'État ! (" Ah " sur les bancs du groupe RN.)
Selon vous, 500 milliards de fonds n'ont pas été décaissés par l'Union européenne. Soyons clairs : les fonds du plan de relance ou les fonds du budget européen qui n'auraient pas été décaissés donnent lieu à une compensation, soit sous la forme d'un remboursement moins important de la part des États membres -? c'est le cas du plan de relance NextGenerationEU, le plan de relance covid -, soit par le fait que la Commission européenne n'appelle pas les fonds lors du prélèvement sur recettes.
C'est précisément pour cela que nous avons un ressaut cette année : c'est le retard de décaissement sur les fonds de cohésion qui explique l'augmentation. Cependant, au cours des années précédentes, le non-décaissement des fonds de cohésion a donné lieu à un prélèvement sur recettes moins important -? de plusieurs milliards.
Ensuite, vous avez évoqué le rabais. Soyons clairs, la négociation menée par la ministre de l'action et des comptes publics et moi-même pour réduire la hausse des dépenses de la Commission européenne a en effet entraîné une hausse du prélèvement sur recettes moins importante que prévu cette année. Toutefois, il s'agit d'une négociation collective, pas d'un rabais bilatéral entre la France et l'Union européenne.
Vous demandez un rabais : ce sont des choses qui se négocient au moment du cadre financier pluriannuel, pas d'année en année. La négociation que nous avons menée cette année visait à faire en sorte que la Commission européenne maîtrise ses augmentations de dépenses, pour que les vingt-sept États membres -? les vingt-sept - puissent voir leurs prélèvements sur recettes contenus. C'est ce que nous avons obtenu, pas par des foucades, pas par des coups de menton, mais par la négociation -? la diplomatie - avec nos partenaires européens.
Monsieur le président Coquerel, vous avez mentionné vous aussi les rabais. Je ne peux pas vous laisser dire que l'Allemagne bénéficierait de rabais et que la France ne bénéficierait de rien. Nous sommes le premier bénéficiaire du budget européen, du plan de relance et des investissements de la Banque européenne d'investissement sur notre territoire, et le premier bénéficiaire de la PAC. Tous ces fonds vont à nos agriculteurs, nos entreprises, nos chercheurs, nos étudiants -? dans le cadre du programme Erasmus - et nos régions, qui bénéficient de la politique de cohésion.
L'Allemagne paie 38 milliards de prélèvement sur recettes -? contre 28,8 milliards pour la France - et présente un solde net -? après rabais - de 19 milliards. Je le répète, la France est le premier bénéficiaire. Vous pouvez parler de rabais : vous êtes dans la continuité de vos illustres prédécesseurs, Margaret Thatcher et Boris Johnson, sur ce sujet, monsieur Coquerel. C'est la pente glissante vers le Frexit -? la sortie de l'Union européenne, il faut le dire clairement.
Monsieur le député Maurel, il est bien sûr possible de questionner la politique européenne et nous le faisons quotidiennement. Prenons l'exemple du cadre financier pluriannuel. Nous avons été extrêmement clairs, avec ma collègue Annie Genevard et le premier ministre, pour dire que la copie présentée par la Commission européenne sur la politique agricole commune était inacceptable. Nous allons donc nous battre pour préserver ce qui fait la spécificité de la PAC et les montants qui y sont associés.
Autre exemple : nous nous battons pour demander des clauses de sauvegarde face à la concurrence déloyale de la Chine sur l'acier et des mesures tarifaires face à ses surcapacités de production de véhicules électriques. Après ce débat dans l'hémicycle, je vais échanger avec des partenaires européens, qui ne sont pas membres de l'Union européenne, qui nous demandent de les inclure dans les clauses de sauvegarde afin de pouvoir bénéficier des mesures de protection du marché intérieur européen.
De même, dans le domaine de la défense, nous avons exigé le respect du principe de préférence européenne. C'est parce que la voix de la France porte et que nous sommes influents que nous avons pu imposer l'idée que l'argent du contribuable européen puisse soutenir l'autonomie de l'industrie de défense européenne et française et réduire ainsi la dépendance vis-à-vis des États-Unis.
Madame la députée Karamanli, je vous remercie d'avoir abordé la question des ressources propres, car elle est absolument fondamentale. Elle sera au cœur du prochain débat sur le cadre financier pluriannuel. L'Union européenne a besoin de ressources propres, car son financement ne peut reposer uniquement sur les contributions nationales. Vous avez mentionné la taxe carbone aux frontières, on pourrait aussi parler de la taxe sur les grandes entreprises du numérique. C'est une priorité pour la France.
Madame la députée Dalloz, vous avez évoqué d'autres priorités qui nous sont chères et qui doivent être au cœur des débats européens. Je pense par exemple à la réduction de la bureaucratie. Nous y travaillons en ce moment avec nos partenaires européens à travers la directive omnibus sur la simplification. Je pense aussi au renforcement de nos outils de contrôle aux frontières et de lutte contre l'immigration irrégulière ou encore à la protection commerciale de l'Union européenne face à la concurrence déloyale des États-Unis et de la Chine.
Ces ambitions sont portées par la France dans le débat européen, mais elles ne pourront l'être en s'isolant ou par la menace et le chantage. Elles le seront par la diplomatie, en construisant des coalitions et en exprimant une voix forte et ambitieuse pour l'Europe. C'est ce que nous faisons.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 24 novembre 2025