Interview de M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, à France Inter le 28 novembre 2025, sur le budget pour 2026, le prix de l'électricité, la taxe foncière, la plateforme chinoise d'e-commerce SHEIN, ArcelorMittal et les voitures électriques.

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Média : France Inter

Texte intégral

ROLAND LESCURE
Bonjour. Bonjour à tous les deux.

BENJAMIN DUHAMEL
Bonjour.

FLORENCE PARACUELLOS
Merci d'être avec nous ce matin dans un moment de grande instabilité politique qui pèse sur l'économie. On a beaucoup de sujets à aborder avec vous. La plateforme chinoise, SHEIN, au tribunal aujourd'hui, la taxe foncière, ce plan qu'on nous annonce pour faire baisser les prix de l'électricité. Mais d'abord, le budget et cet introuvable compromis. Hier soir, les sénateurs ont rétabli la réforme des retraites. Ils vont aujourd'hui voter un budget de la Sécurité sociale qui ressemble au texte initial du Gouvernement. Alors au fond, Roland LESCURE, les sénateurs font ce que vous auriez voulu. Vous les remerciez ?

ROLAND LESCURE
Un détail près, et ce n'est pas un petit détail, c'est, vous l'avez dit, la réforme des retraites. Le Gouvernement a souhaité inscrire dans le texte la suspension de la réforme des retraites comme un gage de volonté d'un compromis. Moi, je suis convaincu que si on doit pouvoir se mettre d'accord sur ce qu'on appelle les comptes de la Sécu, le PLFSS, c'est quoi ? C'est les comptes de la Sécu. Si on n'est pas capable de se mettre d'accord sur les comptes de la Sécu, ça va être compliqué de se mettre d'accord sur le reste. Et donc on a ce qu'on appelle une commission mixte paritaire aujourd'hui où les sénateurs et les députés vont tenter de se mettre d'accord. J'espère qu'ils vont le faire.

FLORENCE PARACUELLOS
Mais sauf qu'on a deux copies radicalement différentes entre l'Assemblée et le Sénat.

ROLAND LESCURE
Exactement. Et si ce n'est pas le cas, la procédure budgétaire est très claire. C'est l'Assemblée qui aura le dernier mot. Et j'espère bien que ce dernier mot sera positif, qu'on arrivera à voter un budget de la Sécu parce que, au fond, d'abord c'est notre quotidien à tous et à toutes, et je suis persuadé qu'on est capable de trouver un compromis autour de ça. Ensuite, il y aura le budget de l'État, ce qu'on appelle le projet de loi de finances. Mais commençons déjà par nous mettre d'accord sur les comptes de la Sécu, je suis sûr que c'est possible.

BENJAMIN DUHAMEL
Roland LESCURE, ceux qui nous écoutent ce matin sans doute ont du mal à comprendre ce qui se passe autour de ce budget, puisque Florence le disait, des copies radicalement différentes. La dernière fois qu'il y a eu un vote à l'Assemblée nationale, une partie du budget de l'État a été rejetée. 404 voix contre, seulement une voix pour. Est-ce que ce matin, vous pouvez nous donner un seul argument qui permettrait de laisser à penser que la France aura un budget voté d'ici au 31 décembre ?

ROLAND LESCURE
Mais d'abord, il y a eu un vote avant celui auquel vous faites référence sur le projet de loi de financement de la Sécu qui a été positif. Donc il y a aujourd'hui une majorité de l'Assemblée pour voter un budget de la Sécu, puis il y a une large majorité de l'Assemblée pour rejeter un budget qui n'est clairement pas celui dont les députés veulent. On l'a dit, on l'a redit, dans ce budget il y avait à peu près tout et n'importe quoi, notamment en termes de hausse d'impôts votée par les Insoumis d'un côté et le RN de l'autre, qui n'avait aucun sens. Donc on sait, on connaît maintenant le budget que l'Assemblée ne veut pas. Le défi des quatre semaines qui viennent, trois semaines qui viennent, c'est de se mettre d'accord sur un budget dont l'Assemblée veut. Là aussi, moi je suis persuadé que c'est possible, dans tous les États du monde on y arrive, ça prend du temps, ça prend des compromis, il faut faire des pas les uns vers les autres.

BENJAMIN DUHAMEL
Et vous voyez les positions, Roland LESCURE, des uns et des autres. Vous pensez vraiment à la possibilité que ça se termine sur un vote ?

ROLAND LESCURE
Mais bien sûr, j'y crois. Pourquoi ? Parce qu'on est dans une négociation. Quand vous négociez, vous exprimez des convictions. Mais ensuite, je ne vais pas... allez, si, je vais le faire. Je vais citer Mao ZEDONG. Quand il y a une volonté, il y a un chemin. Aujourd'hui, moi, je vois qu'il y a une majorité de l'Assemblée nationale qui est prête à faire ces compromis. On n'a pas l'habitude en France, donc c'est un peu dur, ça fait un peu mal, y compris à nous d'ailleurs.

BENJAMIN DUHAMEL
Le ministre de l'Economie et des Finances qui cite sur France Inter Mao ZEDONG, ça, je pense que ça fait partie du bingo qu'on peut cocher. Juste sur les scénarios possibles. Ils sont assez simples. Soit le budget est voté. S'il ne l'est pas, pour qu'il y ait un budget, soit il y a des ordonnances, soit il y a un 49.3, soit il y a ce qu'on appelle une loi spéciale. Et de plus en plus, cette hypothèse d'une loi spéciale monte. Une loi spéciale, ça veut dire reconduire d'une année sur l'autre le budget de cette année. Vous avez par exemple Bruno RETAILLEAU, le patron des Républicains, qui vous dit : " Entre un mauvais budget et une loi spéciale, moi je préfère une loi spéciale ". Est-ce qu'à la fin, ce n'est pas un moindre mal de se dire, on va reconduire d'une année sur l'autre ?

ROLAND LESCURE
Bon, deux choses là-dessus. Un, moi je ne souhaite pas écrire la fin du film avant qu'il soit tourné, et on est en train de le tourner. Mais je vais quand même répondre à votre question. Je reste persuadé qu'on peut avoir un budget et que ce budget, il ne sera peut-être pas idéal ni pour Bruno RETAILLEAU, ni pour Olivier FAURE, mais ce sera un budget de compromis qui permettra de converger. La loi spéciale, ce n'est pas la formule magique ou la solution à tous nos problèmes. Pourquoi ? Parce que vous l'avez dit, la loi spéciale, ça consiste à en fait reprolonger le budget de 25 en 26. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que si on veut financer, par exemple, l'effort de défense, ce n'est pas possible. On a prévu plus de 6 milliards d'Euros pour financer notre effort de défense. On l'a vu avec Pierre HASKI tout à l'heure, on est dans un monde quand même très compliqué. Ce n'est pas possible. Les petits colis. Vous savez que j'ai beaucoup travaillé au niveau européen pour convaincre le fait que la franchise de taxes sur les petits colis de SHEIN et d'autres, c'est terminé. Ça, on l'a voté. On a voté une taxe sur les petits colis. Et s'il y a la loi spéciale, il n'y a pas de taxes sur les petits colis. Donc la loi spéciale, on l'a connue l'année dernière.

BENJAMIN DUHAMEL
Oui. Et au Gouvernement, vous nous expliquiez que ça allait être épouvantable, que les cartes vitales allaient arrêter de fonctionner, disait Elisabeth BORNE. À la fin, l'économie française s'en est remise d'une loi spéciale.

ROLAND LESCURE
Oui. Enfin ça nous a coûté un peu d'argent au passage, des milliards d'Euros. La loi spéciale s'est reculée pour mieux sauter.

FLORENCE PARACUELLOS
C'est surtout qu'il faut rediscuter. De toute façon, il faut bien trouver un accord derrière.

ROLAND LESCURE
Exactement. J'allais y venir. Merci. C'est reculer pour mieux sauter. Parce que vous prolongez le budget pendant un mois, deux mois, trois mois. Mais in fine, ce budget-là, il ne tient pas un an. Parce qu'il faut financer des dépenses nouvelles. Il faut financer le financement de la dette. Et donc il faut reprendre les discussions budgétaires avec un budget forcément dégradé. Donc voilà. On a les moyens…

BENJAMIN DUHAMEL
Est-ce que ce serait un danger pour l'économie française qu'il y ait une loi spéciale ?

ROLAND LESCURE
En tout cas, ce que je peux vous dire, c'est que si on a un budget voté, Sécu et État, ce sera une bonne nouvelle pour l'économie française. Parce qu'aujourd'hui, on a des incertitudes politiques qui génèrent des inquiétudes économiques. Il faut les lever. La croissance, pour l'instant, elle est bonne. Il faut que ça reste comme ça.

FLORENCE PARACUELLOS
Alors ça aussi, c'est le budget, le budget des ménages. Roland LESCURE, le Premier ministre vous a demandé de plancher sur des scénarios de baisse des prix de l'électricité. On l'a appris hier soir. On parle des prix que paient les Français, les entreprises. De quoi s'agit-il ?

ROLAND LESCURE
Alors d'abord, vous savez qu'aujourd'hui, l'électricité en France est 40% moins chère que de l'autre côté du Rhin. C'est moins cher qu'ailleurs en Europe. Pourquoi ? Parce qu'il y a 50 ans, il y a des leaders politiques qui ont décidé de lancer un grand plan d'investissement dans les centrales nucléaires qui nous permet aujourd'hui d'avoir l'électricité la plus décarbonée d'Europe et la moins chère d'Europe.

FLORENCE PARACUELLOS
Donc pourquoi encore baisser ?

ROLAND LESCURE
Donc la première chose que me demande le Premier ministre, c'est de lui faire des propositions pour continuer ces engagements. On appelle ça la programmation pluriannuelle de l'énergie. C'est un peu technique, mais qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire quel est le grand plan d'investissement qu'on a envie de faire dans les mois, trimestres, années qui viennent, pour financer des nouveaux réacteurs nucléaires, pour financer des énergies renouvelables ? Parce que ça, c'est la seule garantie de prix d'électricité faible dans les décennies qui viennent.

BENJAMIN DUHAMEL
Mais ça, Roland LESCURE, ça prend du temps.

ROLAND LESCURE
Exactement.

BENJAMIN DUHAMEL
Là ce que vous dit Sébastien LECORNU, est-ce qu'il y a, pour ceux qui nous écoutent ce matin, une perspective à court terme de baisse des prix de l'électricité ?

ROLAND LESCURE
Ce que me dit le Premier ministre, c'est deux choses. Un, il faut travailler sur ce grand plan à long terme, c'est la seule manière. Et deux, il faut éviter les formules magiques. J'ai vu que le Rassemblement national votait une baisse de la TVA sur l'électricité, ça coûte une fortune, ça ne sert à rien. Et donc de regarder de manière sérieuse des amendements qui aujourd'hui tournent, il y en a au Sénat, il y en a à l'Assemblée, pour baisser ce qu'on appelle les Assises sur l'électricité.

BENJAMIN DUHAMEL
Qui sont des formes de taxes, oui.

ROLAND LESCURE
Qui sont des formes de taxes, mais je dirais, ça, c'est directement l'État qui le prend. S'il voulait baisser, c'est une baisse de la facture. Le problème qu'on a, et comme sur toutes les mesures qui sont bonnes à regarder, c'est comment on finance. Moi, devant chaque plus, je veux un moins. Et donc il faut qu'on trouve les manières de financer de potentielles baisses de taxes de manière à potentiellement baisser les factures de l'énergie. Moi, je le dis depuis le début, je suis un peu le garant du cadre. On a parlé d'un déficit inférieur à 5%. Je ne fais pas ça pour me faire plaisir. Je fais ça parce que si on n'est pas en dessous de 5%, on ne sera pas en dessous de 3% en 2029. On n'arrivera pas à financer nos priorités stratégiques. Il faut qu'on arrête d'augmenter la dette publique française.

BENJAMIN DUHAMEL
Et donc vous n'excluez pas de baisser les taxes sur l'électricité ?

ROLAND LESCURE
Moi, d'abord, quand le Premier ministre me demande de regarder quelque chose en général, je le fais. Et puis évidemment, il y a des amendements aujourd'hui parlementaires. Vous savez que la discussion parlementaire est plus importante que jamais. Évidemment, on les analyse.

FLORENCE PARACUELLOS
Alors il y a une autre question au sujet du portefeuille des Français, c'est la taxe foncière. Elle doit augmenter pour plus de 7 millions de logements. Votre collègue, ministre Vincent JEANBRUN, hier, a dit que le Gouvernement souhaitait suspendre cette augmentation. Est-ce que vous pouvez nous dire, ce matin, qu'il n'y aura pas d'augmentation de la taxe foncière en 2026 ?

ROLAND LESCURE
D'abord, il y a beaucoup de bêtises qui ont été dites sur cette mesure, qui est avant tout une mesure technique. On actualise les bases, on le fait tous les ans et c'est là que cette année…

BENJAMIN DUHAMEL
Ce qui aboutit à ce qu'elle augmente pour 7 millions de gens.

ROLAND LESCURE
Ce qui aboutit à ce qu'elle baisse pour certains et elle augmente pour d'autres. Et je le répète, j'espère que tout le monde en est conscient, la taxe foncière, elle ne vient pas dans ma poche. Elle est dans la poche des collectivités locales. Et donc pour voir la manière dont on fait évoluer cette mesure, on consulte les collectivités locales. Elles viennent aujourd'hui à Bercy. Elles vont nous dire si, stop ou encore, elles veulent ou elles ne veulent pas. Et on en tirera les conséquences. Mais aujourd'hui, ce n'est pas l'État qui cherche à faire les poches des Français. Il adapte, techniquement, comme tous les ans, une mesure qui va dans les poches, si je puis dire, des collectivités locales. Si elles n'en veulent pas, clairement…

BENJAMIN DUHAMEL
Donc suspension ?

ROLAND LESCURE
Ben, on va écouter les collectivités locales. Moi, je ne décide pas à leur place. Donc si elles souhaitent la suspendre, je pense qu'on les écoutera, oui.

BENJAMIN DUHAMEL
Encore un mot, rapidement, Roland LESCURE, avant de retrouver Frédéric au standard, sur cette proposition des Socialistes au Sénat, qui veulent instaurer un emprunt obligatoire. C'est une révélation de nos confrères des Echos, pour les 20 000 foyers les plus riches. Ce qui permettrait à l'État de lever 5 à 6 milliards d'Euros. Est-ce que ça, c'est une bonne idée, un emprunt forcé, pour les plus aisés ? Ah, je vous vois lever les sourcils en studio.

ROLAND LESCURE
Non, mais je lève les sourcils, pourquoi ? Parce que, si vous voulez, le ministre des Finances, quand il se lève le matin, il a quand même pas mal de problèmes à régler. Heureusement, il y en a un qui ne lui pose pas de problème, c'est le financement de la dette. Je peux vous annoncer qu'on a complété, cette semaine, le financement de nos dettes publiques pour l'année 2025. Plus de 300 milliards d'Euros qui sont passés sur les marchés. Aujourd'hui, les gens continuent à prêter à la France, et c'est tant mieux.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc pas besoin d'un emprunt forcé ?

ROLAND LESCURE
Donc a priori, pas besoin d'un emprunt, qui plus est forcé. Que les Socialistes soient nostalgiques des années MITTERRAND, je le comprends, la dernière fois qu'on a fait ça, c'était le Gouvernement MAUROY, en 83. Qu'on puisse examiner toutes les formes, je dirais, créatives, innovantes, de financement de la dette de l'État, pourquoi pas ? Mais attention, aujourd'hui, je n'ai pas de problème de financement. Je ne compte pas en avoir l'année prochaine, non plus.

FLORENCE PARACUELLOS
Un prêt à tout zéro, ça ne vous intéresse pas ?

ROLAND LESCURE
Surtout s'il est forcé, je pense que ça ne donnerait pas forcément un message très positif.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc pas d'emprunt forcé. Voilà la position du ministre de l'Économie et des Finances.

ROLAND LESCURE
Effectivement, pas d'emprunt forcé.

FLORENCE PARACUELLOS
Alors Roland LESCURE, on en vient à SHEIN. La plateforme au tribunal, à 11h ce matin, a signé... Ah bah oui, on devait prendre un auditeur.

BENJAMIN DUHAMEL
Oui. Frédéric est au standard.

FLORENCE PARACUELLOS
On parle de SHEIN après, alors. On a Frédéric. Bonjour Frédéric, bienvenue. J'ai failli vous oublier, pardonnez-moi.

FREDERIC, AUDITEUR
Il n'y a pas de mal. Bonjour. Roland LESCURE, bonjour.

ROLAND LESCURE
Bonjour.

FREDERIC
Ne pensez-vous pas qu'en renonçant à ses responsabilités, je pense à l'abandon du 49.3, et en ayant renoncé à organiser lui-même des compromis en amont sur un programme, ne pensez-vous pas que le Gouvernement, en fin de compte, cherche à faire retomber sur les parlementaires la responsabilité d'un échec annoncé sur le vote du budget, en fin de compte, à la responsabilité de la crise économique que nous vivons, et qui incombe bien entendu à votre camp et à la gestion, à votre gestion depuis au moins sept ans ?

ROLAND LESCURE
D'abord, merci pour votre question, parce qu'elle est assez pertinente. On a changé de méthode. Non, mais c'est vrai, parce que ça peut surprendre. Pendant deux ans, on déresponsabilisait les parlementaires. On leur disait : " Votez ce que vous voulez, de toute façon, c'est nous qui choisissons, on va vous faire un 49.3, et puis stop, ou encore, vous décidez si vous maintenez le Gouvernement ou pas ". Là, on a inversé la responsabilité. Et donc vous avez raison, on partage la responsabilité d'un budget avec les parlementaires. C'est la moindre des choses dans une démocratie parlementaire. S'ils ne souhaitent pas faire de compromis, le Premier ministre a été très clair, ce sera tant pis pour eux, et tant pis pour nous.

BENJAMIN DUHAMEL
Oui, mais pardon Roland LESCURE, ce que dit aussi Frédéric, c'est, est-ce que ce n'était pas une erreur de se priver du 49.3 ? Est-ce que l'idée de se dire : " Un 49.3, on se met d'accord avec les Socialistes d'un compromis, ce n'est pas une meilleure idée pour assumer d'avoir un budget ? "

ROLAND LESCURE
Alors on nous l'a reproché suffisamment, pendant deux ans et demi. Madame 49.3, la pauvre Elisabeth BORNE, qui a quand même gouverné la France pendant deux ans du mieux possible, l'année dernière, le 49.3 sur le budget, c'était une demande des Socialistes. Nous, on souhaite continuer à débattre un budget sans 49.3. On y fait gré. Et on dit : " OK. Banco. On y va ". Ça complique le débat, c'est vrai. Mais je pense que ça le rend plus légitime, plus juste, plus responsable.

BENJAMIN DUHAMEL
Pas de 49.3. Roland LESCURE, parlons de la plateforme SHEIN, au tribunal à 11h ce matin, puisque vous avez assigné cette plateforme après l'affaire des poupées pédopornographiques et des armes vendues qui étaient en vente sur son site. Vous demandez une suspension de trois mois avant une réouverture éventuelle sous condition. À quoi ça sert, cette assignation ? Est-ce que vous attendez vraiment de la justice qu'elle suspende la plateforme pendant trois mois ?

ROLAND LESCURE
Ça sert, j'allais dire, au minimum à marquer le coup. Ils ont dépassé les bornes.

ROLAND LESCURE
Vous l'avez dit, on a vendu n'importe quoi sur une plateforme : des poupées pédopornographiques, des armes interdites. Ils ont dépassé les bornes. Et en plus, ils nous ont montré qu'ils étaient incapables de contrôler ce qu'on appelle leur place de marché.

BENJAMIN DUHAMEL
Sauf qu'ils ont retiré ce qu'on appelle la marketplace, c'est-à-dire précisément ces objets non-vestimentaires qui posaient plus de problèmes.

ROLAND LESCURE
Exactement, ils ont reconnu qu'ils étaient incapables de contrôler ce qu'ils vendaient sur leur marché. Vous imaginez un marché à Paris ou à Bourgoin-Jallieu où le vendeur vous dirait « Ecoutez, excusez-moi, je vous vends des trucs interdits mais je ne savais pas, on me les a mis dans mon camion. »

BENJAMIN DUHAMEL
Donc il faut quand même fermer la plateforme ?

ROLAND LESCURE
En tout cas, c'est ce que, nous, on demande, effectivement.

FLORENCE PARACUELLOS
Mais ça sert à quoi de suspendre trois mois ? Enfin, je veux dire pourquoi faire ?

ROLAND LESCURE
Trois mois, le temps qu'ils montrent qu'ils sont capables de contrôler ce qu'ils vendent sur cette plateforme. Aujourd'hui, on fait feu de tout bois. J'ai parlé d'attaques sur les petits colis, j'ai parlé du changement du règlement européen. Mais la moindre des choses, c'est que quand on vend des choses interdites, on prenne le temps de s'assurer que ce ne sera plus le cas.

FLORENCE PARACUELLOS
Alors c'est SHEIN, mais pas seulement, puisqu'on nous informe ce matin que l'État porte plainte contre AliExpress et JOOM, deux autres plateformes, pour le même motif : la vente de poupées pédopornographiques.

ROLAND LESCURE
Bien sûr. Ce qu'on a décidé de faire, au fond, j'allais dire que c'est presque idiot à le dire, mais il faut le dire quand même, c'est d'appliquer la loi. Quand vous vendez des choses interdites, on demande votre suspension. C'est le juge qui décidera. Au juge de décider. Mais le rôle du Gouvernement, c'est quand même d'appliquer la loi. On l'applique en France, on l'applique en Europe également. On a saisi la Commission européenne. On change la taxation de ce qu'on appelle les petits colis pour éviter qu'il y ait des avantages indus. Bref, on fait feu de tout bois pour que ces plateformes se comportent comme les autres commerçants.

BENJAMIN DUHAMEL
Juste sur SHEIN, Michel-Edouard LECLERC dit : " c'est le bal des aveugles ". Il dénonce une forme d'hypocrisie. Pour ceux qui nous écoutent et qui peut-être pensaient faire leurs achats de Noël sur le site SHEIN, là vous leur dites : " Si jamais la justice décide de vous suivre, ça ne sera pas possible. " Et là je ne parle évidemment pas à des produits comme les poupées pédopornographiques ou comme les armes. Je parle du textile…

ROLAND LESCURE
Oui pour Noël ou pour ailleurs, ce n'est pas terrible. Non mais j'entends l'argument pouvoir d'achat. Ces plateformes permettent d'avoir accès à des produits pas chers. J'allais dire que ça fait partie du commerce moderne. Ça ne peut pas se faire à n'importe quel prix. Je pense que vos auditeurs comprennent que si le prix à payer pour acheter des t-shirts à 1 Euro pour Noël, c'est qu'on se retrouve dans le Far West où on vend tout et n'importe quoi à des ados, à des jeunes adultes parce que ceux qui vont sur SHEIN, ce sont plutôt des jeunes.

FLORENCE PARACUELLOS
Oui mais alors 2 Euros sur les petits colis, pardon, mais ce n'est pas hyper suivi…

ROLAND LESCURE
On a d'abord mis ça en place au niveau français. Si on avait mis le plus tout seul, les petits colis seraient rentrés par ailleurs. Mais surtout, j'ai obtenu qu'au niveau européen, on accélère dès 2026 une réglementation qu'on avait prévue en 2028 qui était d'arrêter la franchise douanière, donc de pouvoir mettre une taxe plus importante en Europe. On agit en Français, on agit en Européen.

FLORENCE PARACUELLOS
Roland LESCURE, il y a un autre sujet de souveraineté en ce moment sur lequel vous êtes focalisé, puisque le géant de l'e-commerce chinois JD.com pourrait devenir le deuxième actionnaire du groupe FNAC DARTY, qui est le premier vendeur de livres en France. Face aux risques stratégiques notamment concernant les données clients du groupe, vous avez activé à Bercy ce qu'on appelle la procédure de contrôle des investissements étrangers en France. Le groupe chinois a dû déposer une demande d'autorisation préalable. Est-ce que vous allez lui accorder cette entrée au capital de FNAC DARTY ? Est-ce que la souveraineté française est en danger dans cette affaire ?

ROLAND LESCURE
En tout cas, FNAC ce n'est pas un commerçant comme un autre. Vous l'avez dit, ce sont des biens culturels. Et on est très sensibles en France, peut-être plus qu'ailleurs, à cette exception culturelle. Moi j'ai échangé avec le groupe JD, qui intervient de manière indirecte dans FNAC. Ils ont acheté une entreprise en Allemagne qui elle-même est actionnaire de FNAC. Un, pour les sensibiliser au caractère culturel du commerçant en question et deux, pour poser des conditions. Ils les ont acceptées. Ces conditions sont très simples. Ils vont rester un actionnaire à 20 et quelques pourcents dormants, aucun droit de gouvernance, aucun impact sur la gestion de l'entreprise. En fait, FNAC.com demain, ce sera la même chose que FNAC.com hier, on passe d'un actionnaire allemand à un actionnaire chinois, qui n'aura aucun impact ni sur la gestion et la gouvernance. Et ils l'ont bien compris en fait. Autant il y a des plateformes avec lesquelles on a des débats parfois un peu conflictuels, là je reconnais qu'on est capable d'attirer des investisseurs qui comprennent ce que c'est que la France et qui jouent le jeu.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc vous allez leur donner cette autorisation ?

ROLAND LESCURE
Et donc s'ils jouent le jeu, évidemment la France serait ouverte à ceux qui jouent le jeu. On n'est pas un pays qui est en train de se refermer. Ce n'est pas à n'importe quel prix. On a nos conditions, quand on les respecte, on garde la porte ouverte, et j'allais dire c'est tant mieux.

BENJAMIN DUHAMEL
Roland LESCURE, demain sera examinée à l'Assemblée nationale la niche parlementaire de La France insoumise, c'est-à-dire une succession de textes à leur initiative. Il y aura notamment une proposition de loi pour nationaliser ArcelorMittal en France. ARCELOR qui produit deux tiers de de l'acier français. Cette nationalisation coûterait à peu près trois milliards d'Euros. Est-ce que c'est une solution pour sauver l'acier français quand on voit que l'entreprise ArcelorMittal s'est, ces dernières années, progressivement désengagée d'un certain nombre de sites industriels ?

ROLAND LESCURE
Non mais ces trois milliards d'Euros c'est surtout un énorme écran de fumée. Pour garder une aciérie en France et en Europe, d'abord un, il faut se protéger contre les invasions de produits, en l'occurrence venant de Chine, qui sont du véritable dumping. Nous on a obtenu que la commission lance une enquête et augmente les tarifs douaniers sur l'acier. Ça c'est bien. Deux, il faut que l'acier se décarbone. Ces deux milliards d'investissements, qui va payer ça ? C'est encore l'État français. Donc on va faire un chèque de trois milliards qui ne changera rien à la compétitivité de l'acier européen. On va remettre deux milliards pour décarboner. Tout ça sans changer quoi que ce soit à ce qui se passe aujourd'hui et aux défis majeurs de l'acier. C'est un écran de fumée…

BENJAMIN DUHAMEL
Pardon Roland LESCURE, mais quand on regarde d'autres exemples européens, vous avez en Grande-Bretagne des hauts fourneaux qui ont été mis sous tutelle par l'État. Il s'est passé la même chose en Italie, il y a un an. En Italie, ce n'est pas exactement un Gouvernement communiste, puisque c'est le Gouvernement de Giorgia MELONI qui a décidé de mettre sous tutelle le site de Tarente, qui est d'ailleurs aussi la propriété d'ArcelorMittal. Quand vous avez des exemples comme ça autour de vous, il n'y a qu'en France que ce n'est pas possible de prendre le contrôle de d'aciérie pour protéger l'acier français ?

ROLAND LESCURE
Je vous rappelle quand même que c'est le Gouvernement Edouard PHILIPPE qui avait nationalisé les chantiers de l'Atlantique. Non, aujourd'hui, le problème ce n'est pas un problème de capital, c'est un problème de compétitivité. Et ce n'est pas parce que l'État va faire un chèque de 3 milliards qui, en passant, il faudra financer quelque part, qu'on va changer la compétitivité.
Aujourd'hui, on a un aciériste global qui reste investi en France, qui souhaite décarboner ses fours, qu'on accompagne dans cet effort. J'allais dire, c'est très bien, continuons. Moi, je préfère effectivement des aciéries compétitives à l'international, plutôt que des aciéries nationalisées, qu'on va éteindre petit à petit, parce qu'on n'aura pas les moyens d'investir dans leur avenir. En fait, c'est un vrai schisme de fond avec La France insoumise. On n'est pas d'accord sur la manière de gérer l'économie, et ça, je l'assume totalement.

FLORENCE PARACUELLOS
Puisqu'on parle industrie, on a une question de Pierrick à Lyon. Bonjour Pierrick, bienvenue. Vous avez une question à poser sur une des grandes filières de l'industrie française.

PIERRICK, AUDITEUR
Oui, bonjour la Grande Matinale, et bonjour monsieur Roland LESCURE.

ROLAND LESCURE
Bonjour.

PIERRICK
Donc voilà, je voulais vous interroger sur l'avenir de la filière hydrogène automobile.

ROLAND LESCURE
Donc, en juillet, STELLANTIS a annoncé l'arrêt brutal de ses projets hydrogène, descendre dans une grande incertitude l'entreprise SYMBIO qui fabrique des piles à hydrogène à Lyon, qui a construit une gigafactory pour subvenir aux commandes de ce grand constructeur automobile. Et donc, suite à l'arrêt de ce programme, cette nouvelle laisse dans une grande incertitude les 530 employés de l'entreprise. Et je voulais vous interroger sur la position de l'État français. Qu'est-ce que vous comptez faire pour assurer la souveraineté industrielle de la France et de la filière hydrogène dans un contexte, que je rappelle, qui est assez compliqué pour l'automobile ?

FLORENCE PARACUELLOS
Merci Pierrick.

ROLAND LESCURE
Merci Pierrick. D'abord, un, sur SYMBIO, on travaille avec les actionnaires pour s'assurer qu'on assure la pérennité du site. On y reviendra, j'espère, très bientôt. Mais plus généralement sur l'hydrogène, vous avez raison, il y avait un peu un mirage qui semble s'estomper, et donc il faut se focaliser sur ce qui marche dans l'hydrogène. Ce qui marche dans l'hydrogène, c'est ce qu'on appelle la mobilité lourde, les camions, les trains, c'est l'industrie. On parlait d'ArcelorMittal tout à l'heure. On a les moyens de remplacer le charbon qui permet de faire de l'acier par de l'hydrogène.

FLORENCE PARACUELLOS
Et donc pas la voiture ?

ROLAND LESCURE
Il faut investir. La voiture à hydrogène… Déjà, moi je veux qu'on continue à soutenir la voiture électrique. Et je peux vous l'annoncer, on prolonge le bonus automobile l'année prochaine. Il sera même augmenté. Si vous achetez un véhicule électrique fait en France, fait en Europe, vous avez jusqu'à 5 700 Euros de prime. Ça, il faut continuer à le faire.

BENJAMIN DUHAMEL
Ça c'est une annonce ce matin.

ROLAND LESCURE
C'est une annonce ce matin.

BENJAMIN DUHAMEL
Vous augmentez le bonus pour les voitures électriques.

ROLAND LESCURE
Le bonus pour les voitures électriques est maintenu en 2026. Il est même augmenté.

FLORENCE PARACUELLOS
Augmenter de combien ?

ROLAND LESCURE
Jusqu'à 5 700 Euros, donc un peu plus de 1 000 Euros par véhicule. Ça dépend de votre revenu. Donc je ne vais pas rentrer dans le détail des paramètres. Mais aujourd'hui, le véhicule électrique le plus vendu en France, c'est une RENAULT 5 faite à Douai. Soyons-en fiers et continuons à accompagner ce qu'on appelle l'électrification des usages, de manière à ce qu'on continue à investir dans l'électricité décarbonée, pas chère, et faite en France.

BENJAMIN DUHAMEL
Roland LESCURE, juste avant de vous poser une question sur le service militaire, puisque nos auditeurs connaissent bien Mao ZEDONG et autres, ils nous font remarquer, et ils ont raison, que quand il y a une volonté, il y a un chemin. Ce n'est pas Mao ZEDONG, mais c'est... Alors Olivier nous dit LENINE, et Hubert nous dit qu'en fait c'est une situation qui est attribuée à tort à LENINE, mais qu'en fait on la doit à William HAZLITT. Voilà, " when there's a will, there's a way ".

ROLAND LESCURE
Je la prends.

BENJAMIN DUHAMEL
Où il y a une volonté, il y a un chemin. Une question sur le service militaire, puisque Emmanuel MACRON, demain, devrait annoncer un service militaire volontaire, avec un dispositif qui devrait monter en puissance, 10 000 personnes d'abord, 50 000 par an. Combien ça va coûter ?

ROLAND LESCURE
Ça dépend du chemin que vous mentionnez, donc là il y aura un chemin et une volonté. Mais moi j'ai fait le service militaire, en 1987, ça ne me rajeunit pas. On est dans un exercice totalement différent là. On souhaite que des gens qui sont dans la société civile, pour certains d'entre eux des compétences réelles, en technologie, en intelligence artificielle, ou peut-être en mécanique, puissent contribuer au développement de notre armée, puissent s'impliquer de manière temporaire et volontaire, c'est important dans le développement de notre armée, pour à la fois qu'on fasse nation, et qu'on soit en lien avec notre armée, et puis qu'on continue à développer, je dirais, une armée compétitive, forte, et capable de faire face aux défis d'aujourd'hui, ils sont énormes.

BENJAMIN DUHAMEL
Les coûts estimés, ça pourrait être jusqu'à 2 milliards d'Euros par an ? On parlait il y a quelques instants de la possibilité de nationaliser ArcelorMittal, c'est-à-dire 3 milliards d'Euros. Est-ce qu'on a les moyens de dépenser jusqu'à 2 milliards d'Euros par an pour mettre en place un service militaire volontaire ?

ROLAND LESCURE
En tout cas, ce dont je suis convaincu, c'est qu'il faut qu'on choisisse nos priorités, et qu'aujourd'hui la priorité, une des priorités importantes en tout cas, c'est la défense nationale. On est face à un monde géopolitique complètement bouleversé, on a un vrai risque aux portes de l'Europe, avec la Russie qui a envahi l'Ukraine, il faut qu'on soit fort. C'est aussi un sujet économique, c'est aussi un projet de développement de notre industrie de défense, mais c'est avant tout un enjeu de souveraineté et de protection. On est là, c'est le rôle majeur de l'État pour protéger nos concitoyens.

FLORENCE PARACUELLOS
Merci, merci Roland LESCURE, ministre de l'Économie et des Finances.

ROLAND LESCURE
Merci à vous.

BENJAMIN DUHAMEL
Vous reviendrez pour citer les lignes Mao ZEDONG ou…

ROLAND LESCURE
Je trouverais une citation de Mao ZEDONG.

FLORENCE PARACUELLOS
Votre père était journaliste à l'Humanité.

ROLAND LESCURE
C'est vrai, c'est vrai. Le pauvre, s'il savait, je ne pense pas qu'il serait très fier de son fils.

FLORENCE PARACUELLOS
Merci, merci monsieur le ministre.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 novembre 2025