Texte intégral
Madame, monsieur le ministre,
Monsieur le président de l'Académie Goncourt,
Mesdames et messieurs les académiciens qui sont présents avec nous ce soir,
Mesdames et messieurs les rectrices et recteurs,
Mesdames et messieurs en vos grades et qualités, chers amis.
Alors, on aurait pu se retrouver ce soir, d'abord pour fêter l'anniversaire de la ministre de la Culture. Bon anniversaire, madame la ministre. Merci à tous. Donc, très bon anniversaire. Mais l'honnêteté m'oblige à vous dire que cette réunion avait une autre finalité. Mais c'est une occasion ainsi saisie.
Je me souviens qu'on était là, plus exactement là-bas, en 2018. Vous étiez déjà, Enrique, à nos côtés. Je me souviens des académiciens et académiciennes déjà présents pour les 30 ans de ce prix devenu majeur, le Goncourt des lycéens. Il y avait à nos côtés Bernard Pivot, votre prédécesseur, qui était là, alors président de l'Académie Goncourt. Je voudrais ce soir lui rendre aussi un hommage particulier parce qu'il a, en tout cas pour des générations comme la mienne, éduqué à la gourmandise des mots, l'amour des livres et cette générosité du lecteur boulimique. Je dois dire que, voilà, j'ai toujours une pensée pour lui quand je vois des auteurs heureux comme vous ce soir. Nous sommes très heureux de vous accueillir à nouveau à l'Élysée ce soir.
Je veux féliciter avant toute chose, alors Madame la présidente du jury, mais les 2 000 élèves qui y participent, et la mobilisation absolument formidable de tout le réseau, remercier leurs professeurs dans plus d'une cinquantaine de lycées, y compris d'ailleurs à l'étranger. Remercier évidemment tous les rectorats ici présents et remercier l'ensemble des partenaires publics et privés. Le président de la FNAC s'est exprimé. Tous ceux qui accompagnent et tous ceux qui donnent beaucoup de temps et de dévouement pour que ce magnifique projet puisse exister. Merci à tous et toutes parce qu'on tient à ce prix. Vous l'avez dit, il est magnifique. Je ne ferai pas le classement pour dire si c'est le plus beau ou le moins beau. J'ai déjà assez d'ennuis. Mais c'est un magnifique prix.
En tout cas, je veux ici rendre hommage à tous les finalistes : Paul Gasnier, David Deneufgermain, Laurent Mauvignier, David Thomas et évidemment Nathacha Appanah. Applaudissements. Alors, je dois dire que je suis très heureux que ce soit vous ce soir pour plusieurs raisons. Je ne serai pas exhaustif étant un de vos lecteurs, mais j'en ai quelques-unes que je voudrais convoquer. Je sais combien votre éditeur, ici présent à nos côtés, cher Antoine, est aussi heureux. Il est heureux parce qu'il a eu une bonne nouvelle ces derniers jours en célébrant la libération d'un de ses écrivains. Je veux ici saluer la mobilisation, la mobilisation d'Antoine Gallimard et l'intelligence avec laquelle il a soutenu Boualem Sansal pour sa libération. Merci infiniment de ça.
Et il est heureux, ce soir, d'avoir un de ces auteurs qui est récompensé. Mon épouse comme moi-même, nous vous lisons, vous le savez. On a déjà eu l'occasion d'en parler. Mais vous avoir ce soir, dit beaucoup de ce qu'est la littérature française. D'abord parce que vous êtes une écrivaine mauricienne. J'étais il y a quelques jours à l'île Maurice pour une visite d'État qui avait été reportée. C'est incroyable quand même que des lycéennes et des lycéens, je voudrais que vous mesuriez ça, disent le livre que j'ai préféré en langue française, c'est de cette femme, Nathacha Appanah, qui est née à l'île Maurice. Parce que l'île Maurice, c'est quand même une drôle d'histoire avec la France. Ça a été une colonie. Puis les Anglais nous l'ont pris. Vous imaginez, pendant des décennies, ça a été quand même dirigé par des Anglais. Ça parlait anglais. Les Mauriciens ont choisi le français d'une manière totalement décomplexée. C'est d'ailleurs sans doute un des pays le plus francophone au monde. C'est un témoignage magnifique d'une histoire complètement réinventée.
Donc, la langue française, c'est quelque chose de très spécial à Maurice. Évidemment, des écrivains magnifiques, certains devenus Nobel de littérature qui participent, je pense évidemment à Monsieur Le Clézio. Mais vous avoir là ce soir, ça dit beaucoup de ce qu'est la francophonie. C'est-à-dire un rapport à la langue qui est décentré, qui n'est pas simplement la France. Mais la langue française appartient, appartient à ceux qui l'ont parfois héritée ou ceux qui l'ont décidé de la reconquérir. Donc, c'est une très grande chance. Vous n'êtes pas simplement une écrivaine française, mais de francophonie, de langue française et de l'océan Indien. Vous avez écrit des livres absolument magnifiques sur justement cette région où nous sommes aussi comme France à travers nos territoires. La Réunion et Mayotte. Je vous recommande, pour ceux qui n'auraient lu que le livre de cette année, beaucoup des autres livres de Nathacha Appanah, Tropique de la violence ou d'autres, qui sont des livres magnifiques sur les Comores, Mayotte et des vies traversées et un peu avec ce style que vous avez pu voir dans ce récit singulier qui est comme toujours un murmure, un chant un peu entêtant qui vient de cet océan Indien où il y a toujours un mystère qui est là et on ne sait pas si on est en Afrique, encore, dans l'Inde, déjà, en tout cas dans cet espace qui traverse des cultures, des langues, des rythmes qui sont si différents.
Avec le livre que vous avez choisi, que vous avez célébré, La nuit au cœur, vous êtes, et c'est une autre raison pour laquelle je trouve ce livre et ce prix a beaucoup de sens aujourd'hui, vous attaquez évidemment, je ne sais pas s'il faut dire un sujet, mais un drame auquel nous sommes confrontés dans nos sociétés qui a pris un tour, un tour singulier, qui est celui des féminicides, des violences faites aux femmes. Vous donnez ce prix le lendemain de cette journée, malheureusement, dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes. D'ailleurs, dans une actualité terrible, parce que vous avez peut-être vu ces derniers jours les féminicides multiples qu'on a eus, et ça fait huit ans qu'on a mis cette cause comme grande cause, qu'on s'est battus, qu'on a fait des états généraux, beaucoup de choses ont changé. Je veux vraiment saluer les magistrates et magistrats, les forces de police, nos enseignants qui ont beaucoup fait sur ce sujet, mais qui est toujours à conquérir et qui n'est jamais terminé.
Mais je dois dire que quand on vous lit, il ne peut pas y avoir une personne qui ne peut pas réaliser ou vivre le drame, l'horreur de l'emprise de la violence absolue, de ces violences, parce qu'elles sont multiples. Quand on voit ce que vit Chahinez, quand on lit, ces trois voix de femmes. C'est la force de la littérature. C'est que ça va au-delà de tous les discours, de toutes les descriptions, même de tous les films. Il y a la puissance d'une intimité, d'un drame qui se joue et qu'on voit se jouer, et qui est à la fois magnifique et bouleversant, et qui, je crois, pour cette cause qui est essentielle, contribuera beaucoup. Je voulais vous dire ma gratitude aussi de cela, ma gratitude à l'égard de tout le jury d'avoir choisi ce prix.
Donc, pour toutes ces raisons, je suis très heureux de vous avoir ce soir ici, du choix que vous avez fait collectivement et de pouvoir récompenser Nathacha Appanah et cette nuit au cœur. Puis, je voudrais juste vous dire deux choses de plus sur les livres. Parce que ce Goncourt des lycéens permet de dire l'importance de la lecture, de la littérature, évidemment dans nos lycées, mais au-delà. Le combat que nous voulons continuer de mener pour la lecture, c'est un combat encore plus important qu'hier. Beaucoup de gratitude à l'égard du ministre qui l'a vraiment remis au cœur du projet qu'on porte. Mais être sûr qu'à l'école primaire, on enseigne bien la lecture et l'écriture, entre autres, c'est un combat essentiel. Je sais combien nos recteurs, de nos enseignants sont mobilisés pour cela. Parce que ça ouvre à des continents complètement cachés. Mais la lecture, la découverte de la littérature dans notre école, nos collèges, nos lycées, la place que jouent les arts et la culture sont absolument essentielles pour l'émancipation de tous nos enfants et nos adolescents.
Cher Emmanuel, l'éducation artistique et culturelle, on l'a mis au cœur de notre éducation depuis quelques années. On a un épicentre à Guingamp. Ça dit tout, d'ailleurs, du combat qu'on mène. On a transformé une prison pour en faire le cœur de l'éducation artistique et culturelle. Je veux remercier vraiment toutes nos rectrices, nos recteurs et tous les enseignants qui sont là de porter ce combat. Parce que découvrir un livre, lire à voix haute, en classe ou dans des ateliers, faire du théâtre, découvrir le cinéma, découvrir l'histoire de l'art, c'est essentiel pour la vie. Ce n'est pas juste une heure de plus. C'est trouver un sens à ce que l'on vit chaque jour. C'est sortir d'une solitude. C'est en effet faire des républicaines et des républicains et pouvoir bâtir sa vie. Parfois, ça sauve des vies, la littérature. Et en tout cas, ça permet de devenir quelqu'un d'autre.
Pour toutes ces raisons, je veux dire aux lycéennes et aux lycéens combien c'est important de lire, de découvrir et combien, à travers ce Goncourt des lycéens, on dit aussi, et c'est le choix qui a été fait aussi par le jury du Goncourt, et j'en remercie les académiciennes, les académiciens, cher Philippe, cher Président, la confiance qu'on a dans les lycéennes et les lycéens de faire ce choix. Donc, on ne lâchera rien pour ce qui est de la lecture, de la littérature, de l'art dans notre enseignement parce que c'est un rôle essentiel. Mais c'est aussi vrai pour les adultes. Parce que le combat qu'on mène, qu'on continue de mener, c'est un combat qu'on, avec la ministre de la Culture, avec le CNL, avec toutes celles et ceux qui aiment le livre et évidemment nos éditrices, nos éditeurs, nos libraires auxquels je pense, évidemment les grandes enseignes comme tous nos libraires indépendants, qui est clé.
Regardez dans toutes nos sociétés, malheureusement, la lecture recule. On avait peur très longtemps du livre numérique. On disait il y aura moins de livres. Ce n'était pas si vrai en fait. On avait trouvé un point d'équilibre. Mais ce qui est plus inquiétant ces dernières années, c'est que la lecture recule. Parce que le temps d'attention recule, parce que quelque chose est en train de se passer d'une société qui regarde juste des messages rapides en 140 signes ou des vidéos très très courtes qu'on fait défiler sur l'écran. Je voudrais vous inviter à résister à ça. Pas pour dire que ce monde-là n'est pas bien ou qu'il y aurait un monde d'hier qui serait mieux. Parce que ça, c'est le monde de demain. En vrai. Parce que plus vous vous habituez à faire défiler ces vidéos très courtes ou à lire ces messages, plus vous vous habituez à ne plus porter d'attention à un texte qui vous permet de bouger. Vous ne bougez pas quand vous voyez ces vidéos. Vous recevez. Vous êtes passif. Vous ne voyagez pas. C'est des émotions très rapides qui viennent se bousculer. D'ailleurs, c'est d'autres gens qui vous poussent ces vidéos ou ces textes. C'est un algorithme. C'est des choix qui sont faits par ailleurs. C'est créé de l'excitation. Ce ne sont pas de véritables émotions qu'on construit par la compréhension intime que je peux sortir de ma solitude parce que quelqu'un d'autre a mis des mots sur ce que je vis. Parce que quelqu'un d'autre me fait découvrir un paysage que je croyais avoir connu. Parce que quelqu'un d'autre m'ouvre à une délibération, un argument qui me fait comprendre le monde comme je ne l'avais pas encore compris. Il n'y a que la littérature, les essais, que le livre qui permet cela.
Donc, sauver, résister, sauver ce temps de lecture chaque jour pour les adolescents, les jeunes, les adultes, c'est en quelque sorte un acte de résistance à la passivité et à la vraie solitude à laquelle vous renvoient ces réseaux sociaux. Ce qui me frappe dans le monde où on vit aujourd'hui, qui en fait n'arrive plus vraiment à s'entendre, où on est de plus en plus séparés, où vous voyez qu'on va aux extrêmes, où c'est un fracas permanent, c'est comme un choc des solitudes parce qu'on est chacun renvoyé à la littérature. La littérature, c'est une parole silencieuse qui nous relie. Le livre, c'est quelque chose qui crée du commun entre un auteur, une autrice et ses lecteurs et entre les lecteurs eux-mêmes et qui vous sort de votre solitude. Donc, ce n'est pas simplement résister, mais c'est la condition pour être heureux.
Je vous le dis avec beaucoup de force de conviction parce ça rejoint un peu un combat qu'on est en train de conduire, mais si on veut continuer d'être le pays des Lumières, si on veut continuer d'être au service d'une certaine idée de l'humanité et d'être des démocraties fortes, on a besoin des livres et on a besoin de lire. C'est très important. C'est même vital.
Je ne serai pas plus long, mais vous m'avez permis de partager juste ça avec vous et je voulais vous dire ma gratitude pour que vous ayez pris le temps de lire ces livres. La gratitude à l'égard de tous les écrivains qui ont participé, de tous les lycéens et lycéens qui ont lu, des auteurs ici présents, de leurs éditeurs, des libraires ici présents et de vous, cher Nathacha. Bravo. Félicitations.
Vive la littérature, vive la République et vive la France.