Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, en réponse à des questions de lecteurs du groupe EBRA , sur le cyberharcèlement, la dépendance aux réseaux sociaux, la désinformation, l'ingérence étrangère et l'éducation aux médias, à Mirecourt le 28 novembre 2025.

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Circonstance : Déplacement à Mirecourt dans le département des Vosges

Texte intégral

Sophie GOURMELEN

Merci beaucoup. Monsieur le président de la République, chères lectrices, chers lecteurs, Mesdames et Messieurs, bienvenue à Mirecourt dans l'Espace Robert Flambeau. Monsieur le Président, permettez-moi de vous dire combien votre venue ici nous touche. Votre présence dans une petite ville des Vosges n'est pas un geste anodin, même si elle a demandé un peu de créativité à nos équipes, que je tiens à remercier ici. C'est la preuve concrète que vous choisissez d'aller à la rencontre des Français, partout où ils vivent. Cela compte pour nos territoires, pour nos lecteurs et pour nos journaux, qui racontent leur quotidien tout au long de l'année. Merci sincèrement d'être ici.

Je veux aussi saluer chaleureusement nos lectrices et nos lecteurs — je me tourne ici — venus parfois de très loin, dans l'ensemble des régions couvertes par les 9 titres du groupe EBRA. Nous avons des gens qui sont venus de Strasbourg, de Lyon, de Grenoble, de Dijon. Votre présence dit beaucoup. La presse régionale rassemble des citoyens attentifs et engagés qui veulent comprendre le monde et participer activement au débat public. C'est une vraie force pour notre démocratie.

Les sujets que nous abordons aujourd'hui, le cyberharcèlement, la dépendance aux réseaux sociaux, la désinformation, l'ingérence étrangère, l'éducation aux médias, sont au cœur des préoccupations de nos lecteurs. Nous avons sélectionné une douzaine de témoins directement touchés dans leur vie quotidienne, et cette rencontre vous offre, Monsieur le Président, un échange direct et franc avec celles et ceux qui vivent ces transformations, parfois avec inquiétude, mais souvent avec grande lucidité. C'est aussi pour nos lectrices et nos lecteurs l'occasion d'être entendus et d'obtenir des réponses sur la manière de prévenir les dangers des réseaux sociaux lorsqu'ils ne sont ni encadrés, ni suffisamment compris.

Le groupe EBRA souhaite prendre pleinement part à cette réflexion collective. C'est pourquoi nous allons créer un think-tank, que nous allons appeler Informations et démocratie, un lieu indépendant, ancré dans les territoires, pour analyser, comprendre, proposer. Notre ambition est simple, contribuer à notre place à une société mieux informée, plus sereine et plus confiante. C'est pour nous la continuité naturelle de notre raison d'être, renforcer les liens de proximité et de confiance dans nos régions. Je veux également revenir sur un engagement qui fait la singularité du groupe EBRA en France. Nous avons renouvelé la certification Journalism Trust Initiative, JTI. Le groupe EBRA est aujourd'hui le seul groupe de presse français à disposer de ce label. C'est un process exigeant qui nous oblige à être exemplaires dans le traitement de l'information. Elle constitue une reconnaissance internationale du professionnalisme de nos journalistes et de la rigueur de nos rédactions. Adossée au sérieux et à l'indépendance de Reporters Sans Frontières, cette certification envoie un message clair à nos lecteurs et à nos annonceurs. Nous faisons ce que nous disons, et nous le faisons en toute transparence. Dans un environnement qui est saturé de contenus, où les fausses informations circulent plus vite que les vraies, cette exigence n'est pas seulement une promesse, mais c'est un devoir démocratique.

La presse régionale quotidienne a une mission unique, relier, expliquer, rendre visibles les réalités du terrain. Ce qui se vit dans les villages, dans les villes moyennes, dans les quartiers, ne doit jamais rester dans l'ombre. Notre rôle, Monsieur le Président, est aussi de créer les conditions d'un dialogue sincère entre les citoyens et ceux qui décident. Merci à vous, Monsieur le Président, d'avoir accepté cet échange. Merci pour votre disponibilité, pour votre écoute et pour cette attention qui est portée à nos territoires. Merci à vous tous, lectrices et lecteurs, pour votre confiance. Je vous propose maintenant de passer à ce pour quoi nous sommes tous réunis ici, place aux échanges et place au débat. Merci beaucoup.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Merci Madame la Directrice générale pour vos mots et merci à la Commune de Mirecourt et aux dirigeants de Flambeau de nous accueillir. Merci Mesdames et Messieurs d'être là. Comme vous l'avez rappelé, je sais que plusieurs d'entre vous viennent parfois de loin pour pouvoir avoir cet échange. Je ne vais pas faire de discours d'ouverture, parce que je pense que c'est l'échange qui compte avant tout.

Moi, j'ai commencé ça depuis plusieurs semaines avec plusieurs titres de presse quotidienne régionale, parce que je considère que le moment que nous sommes en train de vivre, qu'il s'agisse d'ailleurs de l'impact des réseaux sociaux ou de l'intelligence artificielle, on y reviendra sans doute dans nos discussions, sur à la fois nos jeunes et sur le fonctionnement de nos démocraties, arrivent à un point qui suppose de, en quelque sorte, bâtir du consensus sur la lecture qu'on en a et essayer de construire des décisions collectives. En fait, les décisions, ça ne peut pas simplement être une loi, un décret qui est pris depuis Paris ou des changements de règles européennes, parce qu'il y a une partie de tout ça qui dépend aussi de l'Europe, depuis Bruxelles, ça ne peut fonctionner que si on est tous d'accord sur le constat, en tout cas une majorité d'entre nous, parce que c'est une forme de mobilisation, de sursaut de la nation qu'il faut. Mais quelque chose est en train de se passer dans le fonctionnement de nos démocraties qui part de travers, si je devais le dire de manière la plus simple possible.

J'ai été un peu surpris, depuis qu'on a commencé ce débat, je dois bien le dire, de parfois lire ou avoir des commentaires dans la presse nationale ou dans la télévision pour dire que tout ça n'avait pas grand intérêt. C'est bizarre. Comme s'il fallait, au fond, que des débats sur les plateaux nationaux où deux experts sur un plateau national purgeaient le débat, c'était ça qui est intéressant. Moi, ça m'intéresse plus sur ce sujet, dans le moment qu'on vit, d'écouter les Françaises et les Français partout sur le territoire national. Je remercie la presse quotidienne régionale de porter ce combat et de le faire, je dirais, contre vents et marées, et même si ce n'est pas à la mode chez certains, parce qu'il se trouve que d'Épinal à Saint-Dié, en allant jusqu'à Grenoble, et comme vous l'avez dit, tout votre ressort, vous avez des choses à dire, vous vivez des choses, ça m'intéresse de les entendre et j'ai envie qu'on débatte, donc je ne serai pas plus long.

Animateur

Merci à vous, Monsieur le président de la République. Alors, nous avons deux heures maintenant pour échanger. Pour cette première séquence sur la désinformation qui s'intitulera " Désinformation et ingérence étrangère ".

Intervenant

Bonjour Monsieur le Président, merci d'être ici. Bonjour à tous. Vous l'avez dit, on commence sur les ingérences étrangères et la désinformation. C'est un sujet sur lequel vous intervenez vraiment régulièrement et vous avez notamment souvent alerté sur les risques démocratiques que ça implique. Le constat n'est donc pas nouveau, mais il s'aggrave. Face à cela, on ne part pas de rien. Vous allez sans doute parler de VIGINUM. Je précise, c'est le service public de vigilance et de protection numérique contre les ingérences étrangères. Il existe depuis 4 ans.

Certes, il existe, mais ça n'a pas empêché, malgré tout, près de 150 sites d'information d'être créés en France rien qu'entre janvier et juin. Alors, face à ces entreprises de désinformation orchestrées de l'étranger, nous, presse quotidienne régionale, nous nous sommes longtemps crus un peu épargnés. Épargnés parce que nous sommes proches du terrain, nous sommes proches des gens, proches des réalités locales, mais c'est précisément justement parce que nous sommes tout ça que nous sommes devenus des cibles de la part des ingérences. Donc pour en parler, je ne vais pas laisser la parole dans un premier temps à un des lecteurs et ils seront nombreux à prendre la parole ensuite. Je vais laisser la parole à un journaliste à Vosges Matin, il a écrit une vaste enquête sur ce sujet-là qui a été publiée dans sur surtout dans tous nos journaux il y a 48 heures.

Intervenant

Bonjour Monsieur le Président, bonjour tout le monde. Oui, on a réalisé une enquête sur ce sujet. Comme le dit Nathalie, 150 faux sites qui reprennent les codes de la presse régionale, c'est assez édifiant, le constat est édifiant, et ce, malgré VIGINUM. Alors moi, ma question, elle sera toute simple. Vous avez mis en place, il y a 4 ans, des moyens d'action pour lutter contre tout ça et malgré tout, l'État semble débordé par la situation et complètement impuissant. On va prendre l'exemple d'un site plus local qui s'appelle Vosges en ligne, qui a été créé en début d'année, je crois. Aujourd'hui, il a disparu, puisque je pense qu'il a été signalé qu'il a disparu depuis notre enquête. Il n'est plus accessible, mais nos recherches ont permis de démontrer qu'il n'avait fallu que quelques heures via ChatGPT et une douzaine d'euros pour le créer à l'étranger, qu'il était hébergé dans un data center en Islande, qu'il avait été référencé par une entreprise… une société d'Angleterre basée à Londres. On voit à quel point il est aisé de créer un faux site d'actualité et de faire circuler de fausses informations sur la toile. Donc ma question est très simple, au vu de ce constat, quel moyen concret pourrait être, selon vous, mis en place pour l'empêcher de renaître sous une autre appellation dans quelques jours, dans quelques heures même ? Voilà. Merci.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Alors, c'est un énorme sujet et on n'en a pas forcément conscience. Mais en effet, les réseaux sociaux et l'intelligence artificielle, d'ailleurs maintenant aussi, qui vient s'ajouter, sont utilisés par des puissances étrangères pour venir déstabiliser nos démocraties. Alors là, vous avez cité un cas, je ne sais pas par qui c'est signé derrière. En tout cas, il y a des éléments pour montrer que ça vient de l'étranger et que c'est plutôt pour nous déstabiliser. Par exemple, il y a quelques mois, il y a eu une fausse information. Là, ce n'était pas un faux site qui a circulé, mais c'était donc des fausses informations qui disaient qu'on avait envoyé 1 000 légionnaires sur le front en Ukraine. Vous l'avez peut-être d'ailleurs lu, peut-être à un moment cru. Tout ça a été totalement faux, mais ça a circulé, ça a été vu des millions de fois.

Le meilleur exemple pour voir le risque qu'on court, c'est ce qui s'est passé en Roumanie, où des élections ont été annulées au premier tour, avec une technique qui ressemble un peu à ce que vous venez de décrire et ce que vous avez dénoncé. C'est-à-dire qu'en Roumanie, les pro-russes, aidés par la Russie, ont mis en place pendant des mois méthodiquement des faux comptes. Ils ont identifié d'abord les gens qui étaient vulnérables aux fausses informations, parce que ça ne marche pas auprès de tout le monde. Il y a une forme de vulnérabilité. Donc les gens qui s'intéressaient aux médecines parallèles, les gens qui s'intéressaient aux religions — ça ne veut pas dire que tout le monde peut croire des bêtises quand on va regarder ces sites-là — mais ça crée des prédispositions. En tout cas, ils avaient identifié ça comme des zones possibles, et puis les informations locales.

Ils ont créé méthodiquement pendant des mois des faux comptes, des fausses pages, des milliers et des milliers de fausses pages, mais ils ont du coup attiré des gens. Et puis, quand la campagne a été lancée, le candidat qui était soutenu et poussé par les pro-russes, eh bien, a commencé à faire des réseaux qui renvoyaient à ces faux comptes. Et ça a créé une boucle virale qui fait qu'il a eu un succès absolument fou et a été poussé par tout cela, ce qui a évidemment faussé le fonctionnement démocratique.

Donc tout ça pour vous dire qu'on n'est pas en train de parler de fictions, de choses qui ne sont pas possibles. Ça s'est passé dans une grande démocratie de l'Union européenne, ce que je vous dis. Et donc il est clair que ça va se passer, en tout cas, ils essaieront des choses lors des échéances électorales, comme ils l'ont fait là pour la Russie. Alors qu'est-ce qu'on fait face à ça ? En effet, ça a été dit, on a créé une agence qui est VIGINUM, et donc qui regarde, qui relaie, qui fait des enquêtes, et maintenant, on sort l'information. Dès qu'on a l'information établie, on a un dialogue avec les sites. Comment on peut faire, et quelle est notre action, et qu'est-ce qui a sans doute — je vérifierai parce que je ne connais pas le cas exact que vous avez cité — mais qu'est-ce qu'on fait face à ces sites ? La seule chose qu'on peut faire légalement aujourd'hui, on va regarder tous ces faux sites et on dit que ça ne correspond pas aux conditions générales d'utilisation, et on leur demande le retrait. C'est d'ailleurs ce que font les équipes de VIGINUM, et elles demandent le retrait de ces sites, toutes ces informations, quand elles sont identifiées comme étant de l'ingérence. Simplement, c'est extrêmement long, compliqué, lent. Et donc on voit bien qu'on est dans une phase, et c'est ce qu'on est en train de préparer, où on va devoir durcir.

Donc ce qu'on veut mettre en place, et on l'a un peu fait avec les premières directives, la directive sur les services numériques qui a été poussée par la France en 2022 lors de notre présidence, puis adoptée quelques mois plus tard, c'est de mettre en place un vrai système de responsabilité des plateformes. Le seul moyen de pouvoir être très réactif et éviter de subir, comme vous l'avez dit, c'est que les hébergeurs ou les plateformes aient une responsabilité lorsqu'elles laissent prospérer ou des fausses informations ou des faux sites qui sont le fruit d'ingérences, comme d'ailleurs vous l'êtes. En tant que titre de presse, s'il y avait une fausse information qui était poussée dans un des titres du groupe EBRA ou une ingérence, je vous demanderais de la retirer ou le VIGINUM, et si ça n'était pas fait, on mettra en cause votre responsabilité. Ce n'est pas le cas aujourd'hui pour ces sites-là.

Donc, 1) ça existe et ce que vous avez décrit montre, 2) on sait maintenant l'attribuer, c'est-à-dire on arrive quand même la plupart du temps à remonter à des puissances. J'ai cité la Russie qui est la plus agressive, mais ce n'est pas la seule. On pourra y revenir. 3) On arrive à agir, mais vraiment, c'est une bataille des équipes au quotidien. 4) Maintenant, on va devoir industrialiser, donc on met beaucoup plus de moyens. On en met aussi pour alerter toutes et tous face à ce risque-là, et puis pour mettre un système de responsabilité des plateformes et des réseaux pour qu'ils retirent beaucoup plus vite, et s'ils ne retirent pas, pour qu'eux-mêmes fassent la chasse et qu'ils aient une responsabilité quand ils laissent prospérer ces ingérences.

Intervenante

Monsieur le Président, bonjour. Comme expliqué, je travaille dans la communication. Donc je suis au fait des réseaux sociaux quotidiennement et je suis surtout de nationalité roumaine et française. Donc il y a pile un an, il y a eu l'annulation du premier tour des élections roumaines par la Cour constitutionnelle, ce qui est historique et ce qui a créé au cœur de la diaspora roumaine une forte mobilisation dont j'ai fait partie. On a eu beaucoup d'inquiétudes au vu du passif de notre pays, qui a connu quand même un régime communiste très sévère il y a encore peu de temps. La Roumanie est un pays proche de la France et ma question, vous y avez déjà un petit peu répondu, mais c'est de savoir, à l'approche des municipales et des présidentielles l'année prochaine, comment on peut se prémunir et ne pas revivre l'expérience qu'a vécue la Roumanie ou même la Moldavie ?

Emmanuel MACRON

Merci. Alors, j'ai commencé à y répondre. La Roumanie a fait un retour d'expérience. Il y a un rapport très complet qui a été fait par la Roumanie, qu'elle a partagé avec nous, ce qui me permet de vous dire ce que je viens d'expliquer avec le travail méthodique qui a été fait avant par, je dirais, largement les Russes et les pro-russes. La Moldavie a eu aussi son élection avec beaucoup d'interférences et d'ingérences de la part de la Russie qui a essayé de manipuler. Le système le plus organisé qu'on ait vu, c'est clairement celui qu'il y a eu en Roumanie, parce qu'il a été fait sur à la fois de la fausse information sur les réseaux, mais beaucoup de comptes relais, et donc, en quelque sorte, ils ont créé une nébuleuse et ensuite, ils ont accéléré.

En Moldavie, ça a été beaucoup des fausses informations qui ont été poussées par des comptes. Donc la manière de s'y préparer, c'est 1) de renforcer le dispositif, ce qu'on fait avec VIGINUM, 2) c'est de rendre publiques les choses. C'est-à-dire que dans une démocratie, on est tous et toutes des anticorps aux ingérences, normalement, quand on sait qu'on est victime de ça, quand on sait qu'on peut être exposé à ça. C'est pour ça que toute leur stratégie, d'abord, repose sur des gens qui sont un peu plus faibles ou crédules, qu'ils identifient. Mais nous tous, si on est lucide et qu'on le sait, qu'on sait que le risque existe, on fait plus attention, on est plus vigilants. Ça, c'est très important, et c'est pour moi aussi l'importance de nos débats. C'est que ça crée de la vigilance parce qu'on devient conscient. Il y a honnêtement un ou deux ans, je crois que personne, on aurait eu le débat dans une salle comme ça aujourd'hui, allez, il y a deux ans, personne n'aurait dit : ça peut arriver. Personne. Et je dirais même, je remonterais à juste avant 2022, ce n'est quand même pas à Mathusalem, avant le déclenchement de la guerre d'agression russe en Ukraine, où on avait beaucoup moins d'ingérences, beaucoup moins de guerres informationnelles poussées par la Russie. Vous m'auriez dit : il est fou ou il est parano. Mais aujourd'hui, c'est vraiment une réalité. Donc notre vigilance, c'est d'abord quelque chose qui nous protège.

Ensuite, on va sortir, en début d'année prochaine, un travail très complet qui a été fait sur ce sujet, piloté par, justement, VIGINUM et le Secrétariat général à la défense et la sécurité nationale, et qui a piloté avec les meilleurs experts cela. On va pousser aussi tous les experts de tous les think tanks, les universitaires, à expliquer comment ce risque existe. Troisièmement, on met en place des systèmes où on débranche beaucoup plus vite, comme je l'ai dit, c'est-à-dire, on crée une responsabilité des plateformes.

Il y a un autre combat qui est lié à ça. Enfin, il y a deux choses, moi, que je considère comme très importantes dans ce combat et qui doivent être ici soulignées. La première, c'est le sujet des faux comptes, ce qu'on appelle les bots, les trolls. Vous avez peut-être entendu parler de ça,  mais vous ne les voyez pas. C'est-à-dire que quand vous avez un message qui est fortement relié, vous vous dites : oh là là, il y a quand même eu 2 millions de personnes qui l'ont soutenu. Quand du coup ce message ou cette information finit par devenir virale, quand ensuite, elle devient parfois une forme d'information, en tout cas un fait social, qui est du coup repris par la presse légitimement, parce qu'ils disent, il y a quand même 2,5 millions de gens qui ont poussé ça. Vous ne savez pas dire aujourd'hui si ce sont 2 millions de personnes, vous savez que ce sont 2 millions de comptes, mais vous ne savez pas dire si ce sont des gens réels derrière ces comptes. Alors, il y a des gens qui s'amusent à ça pour des raisons commerciales, parfois politiques, mais il y a beaucoup de gens qui utilisent ça pour des raisons géopolitiques. Ceux qui font de l'ingérence, et dans le cas de la Roumanie, ça a été très identifié, il y avait des fermes à trolls massives, et donc vous avez eu des millions de faux comptes qui ont été mobilisés. On doit exiger de ces réseaux sociaux le fait qu'ils s'assurent, qu'ils garantissent que derrière chaque compte, il y ait une personne réelle.

Une autre question, on y reviendra peut-être dans le débat, est celle de l'anonymat. Mais à tout le moins, on a besoin de savoir s'il y a quelqu'un en vrai ou pas. Et s'il n'y a pas quelqu'un en vrai, on voit bien qu'il fausse les échanges, il fausse la démocratie. Il le fausse quand on a un sujet d'ingérence, mais même quand on va échanger avec quelqu'un sur un compte tel ou tel, si c'est un faux compte, ça change tout, s'il n'y a pas une personne réelle derrière. Donc ça, c'est quelque chose qu'on va exiger, on va se battre. C'est un combat qu'on va devoir mener au niveau européen. Et il est absolument clé.

La deuxième, c'est dans les périodes électorales, on ne doit plus permettre l'achat de pages d'informations. Là, je fais peut-être une petite parenthèse, si vous m'autorisez juste une minute, parce que quand on parle de tout ça, on va revenir, je pense, sur tous les sujets qui traitent des réseaux sociaux, je pense que collectivement, on ne doit jamais oublier de quoi on parle. Je pense que cette petite clarification est importante pour nous tous. C'est-à-dire que quand je veux m'informer, je vais regarder un journal à la télévision. On a des gens qui sont payés pour ça. Il y a une contribution publique, il y a un modèle économique derrière. Ou je vais acheter un titre de presse, régional ou national, je paye pour être informé. Puis après, les journaux vont compléter cette rémunération par ce qu'ils touchent, par des annonces légales ou de la publicité. Mais il y a un modèle économique. Je paye pour être informé, je fais une démarche auprès de gens professionnels.

Les réseaux sociaux, quand on s'informe dessus, est-ce que c'est fait pour vous informer ? Non. Les réseaux sociaux sont faits pour quoi ? Ils sont faits pour vous attirer, créer de l'excitation chez vous pour vendre des pages de publicité individualisées. C'est ça, le modèle économique. C'est pour ça que l'infrastructure que constituent ces réseaux sociaux, et je ne dis pas que c'est bien ou mal, parce que ça permet de faire plein de choses super, d'alerter, d'échanger, etc., mais c'est une infrastructure qui est, aujourd'hui, créée, dont le modèle économique, il n'est pas non-profit, comme on dit en bon français, ce n'est pas caritatif. C'est un modèle économique qui repose sur la vente de publicités individualisées, parce qu'en fait, ils vont collecter des données sur vous pour pouvoir dire à tel annonceur : j'ai quelqu'un qui aime bien ce type de produit ou qui est orienté, je vais pouvoir lui pousser vos publicités. C'est beaucoup mieux que de les afficher ou d'ailleurs de les mettre dans la presse. C'est pour ça qu'on a perdu plein d'argent dans notre modèle de presse à cause de ça. Donc, c'est ça, il faut comprendre que le but de ces réseaux sociaux, ce n'est pas que vous ayez une délibération, que vous soyez informés. Leur but, c'est que vous y alliez un maximum de temps, c'est de créer donc le maximum d'excitation pour avoir le maximum d'informations et pouvoir vous pousser le maximum de pages de publicité.

Une fois qu'on a compris ça, on comprend que, dans l'ordre des choses, l'argumentation, c'est le moins intéressant pour les réseaux sociaux. Parce que quand je change une argumentation, ça ne crée pas de l'énervement, de l'excitation. Je m'informe, c'est très bien, puis je repars. L'émotion, c'est mieux parce que ça va créer plus de trafic. Mais l'émotion négative, c'est encore mieux, parce que c'est celle qui va... donc la rage, la colère, etc. Regardez quand on est sur un réseau social, qu'est-ce qui marche, c'est ça, ou ce qui est addictif et que les algorithmes repèrent.

Donc n'oublions jamais dans nos discussions que quand on parle des réseaux sociaux, et je dis ça, ça peut être un truc formidable, les réseaux sociaux aussi, mais on parle de quelque chose qui est structuré pour créer plutôt de la dépendance, de l'excitation, et donc plutôt des émotions négatives, parce qu'ils gagnent leur argent en vous poussant de la publicité individualisée. Une fois qu'on a compris ce biais, on se dit, ce n'est sans doute pas là qu'il faut s'informer prioritairement, et on voit bien que ce biais est une vulnérabilité par rapport aux ingérences étrangères, parce que si j'achète massivement des pages ou des comptes ou des informations que je peux pousser, parce que je peux aussi avoir des choses sponsorisées sur ces réseaux, en période électorale, eh bien, je peux pénétrer totalement dans l'espace informationnel. Et donc, au-delà de ce qu'on s'est dit, la transparence et l'interdiction des trolls et des faux comptes, et l'interdiction en période électorale de toute publicité rémunérée, page rémunérée ou contenu poussé sont clés.

Intervenant

Monsieur le Président, bonjour. J'ai, en effet, publié récemment un livre qui s'appelle « Foules ressentimentales » vous parliez de la colère et du ressentiment tout à l'heure, pardon. Vous avez déclaré, je crois hier, la nécessité de réintroduire un service militaire sur la base du volontariat pour nos jeunes. En effet, vous anticipez un conflit, comme le chef de l'état-major l'a fait la fois dernière, un conflit possible avec des puissances étrangères, et en ce sens-là, on peut saluer cette initiative. À côté des armées militaires, désormais, il y a des armées de trolls. Vous l'avez dit, des fermes à trolls, des usines à trolls, qui font de l'ingérence. Ça a été le cas pendant la crise des Gilets jaunes, vous étiez déjà président de la République. Ça a été le cas certainement aussi relativement à nos positions stratégiques en Afrique, les Russes et certainement les Chinois ont eu affaire à cela. C'est assez grave parce que ça vise à nuire à notre cohésion nationale et parfois même peut-être à la dissoudre ou à la détruire.

Vous avez dit tout à l'heure que c'est très long d'anticiper ça. Par exemple, pour les attentats, pour parler de quelque chose de très tragique, vous avez des services qui anticipent les attentats, mais vous avez aussi des troupes d'intervention qui, en cas d'urgence, peuvent intervenir. Ma question est un peu dramatique, si je puis dire, mais si on se propose deux scénarii catastrophiques dont Madame parlait tout à l'heure. Les élections de mars 2026, les municipales, les élections d'avril-mai des présidentielles en 2027, qu'est-ce que l'État peut faire en toute urgence, par exemple, s'il y a une vague de désinformation massive et si, comme vous dites, le travail d'anticipation est extrêmement long ? A-t-on les capacités d'intervenir urgemment en cas de désinformation massive et de, comment dirais-je, d'ingérence et d'attaque de notre souveraineté nationale ?

Intervenant

Bonjour Monsieur le Président. Alors, justement, moi, j'ai 18 ans et ça veut dire que cette année, j'ai acquis le droit de vote, et donc je voudrais participer à cette démocratie et à travers notamment des témoignages et surtout des observations que j'ai pu avoir à l'université et plus généralement, sur ma tranche d'âge, mes camarades, etc., c'est que j'ai remarqué qu'il y avait une certaine information que les jeunes avaient qui est complètement différente de celle des autres générations, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, on ne s'informe que par les réseaux sociaux.

Mais le problème des réseaux sociaux, c'est qu'ils sont conditionnés par les algorithmes. Ce qui veut dire qu'aujourd'hui, quand on a un point de vue politique, une opinion qui arrive sur les réseaux sociaux, elle suit ce parcours algorithmique qui fait qu'on va être renfermé dans cette bulle algorithmique et qu'une fois qu'on a eu une certaine idéologie que le réseau social, en particulier, a détectée, elle va nous renfermer dans cette bulle et nous conforter dans notre idée.

Et donc ces observations, je les ai faites parce que je vois que j'ai des camarades qui sont complètement enfermés, en fait, dans l'idée que, par exemple, ils ont ces points de vue politiques sans avoir eu une contradiction, et donc sans avoir vraiment vécu le pluralisme qu'on peut avoir sur les médias conventionnels. Ma question est assez simple, c'est de savoir si vous êtes favorable ou non à cette idée d'imposer aux plateformes des réseaux sociaux une certaine sérendipité algorithmique, c'est-à-dire un hasard positif pour les utilisateurs, principalement pour les jeunes qui n'ont pas forcément cette habitude de s'informer par autre chose que par les réseaux sociaux, et donc imposer à ces plateformes finalement une logique de contre-algorithmique qui obligerait finalement ces plateformes à un pluralisme par rapport aux idées qui sont données sur ces plateformes ?

Emmanuel MACRON

Alors, il y a deux choses différentes dont on parle. Je pense qu'il faut les distinguer pour la clarté de nos débats. Il y a le fonctionnement, au fond, des réseaux sociaux eux-mêmes dans notre démocratie, et il y a la question des ingérences qui, là, supposent qu'il y a une puissance étrangère qui les utilise. Parce que ce que vous venez de décrire, ça touche un peu à ce que j'évoquais tout à l'heure, c'est le fonctionnement même, au fond, des réseaux sociaux et de l'état de notre démocratie avec les réseaux sociaux. Je n'ai pas besoin des Russes pour avoir le problème que vous venez de décrire, au fond.

On voit bien qu'on a une forme d'un peu de dégénérescence du fonctionnement de nos démocraties par ce qui est en train de se passer. Parce que, comme je l'évoquais, les réseaux sociaux ne sont pas conçus, et leur modèle économique n'a rien à voir avec le fait d'informer et de mener un débat démocratique. Ils ne sont pas faits pour ça. Donc le problème, c'est que maintenant, on a en particulier chez les jeunes, de plus en plus de jeunes qui vont sur ces réseaux pour s'informer, et on a de plus en plus d'entre nous qui y passons beaucoup de temps et qui, de fait, nous y informons. En tout cas, on est confronté à des contenus, qu'on aille les chercher ou pas.

Donc ça a bien un impact sur la démocratie, parce que la démocratie, c'est quoi ? C'est, certes, des élections, on choisit son maire, son député, son président, mais c'est aussi se forger des opinions libres, rationnelles, pour pouvoir prendre cette décision. Et on délègue de plus en plus la forge de ces opinions, la fabrique de ces opinions, à notre interaction avec ces réseaux sociaux. Et quand vous avez des jeunes qui, à près de 50 % dans votre classe d'âge, vont s'informer sur les réseaux sociaux, même s'ils n'ont pas totalement confiance, quand vous avez des jeunes moins de 18 ans qui passent en moyenne par jour plus de 4 heures sur ces réseaux, vous voyez bien qu'on doit quand même s'en occuper, on ne peut pas laisser cette jungle prospérer comme ça. Et donc qu'est-ce qui se passe ? Comme je le disais d'abord, le modèle économique de ces réseaux, c'est plutôt créer de l'excitation, de la dépendance. Donc ce n'est pas de l'information.

Mais si on va un cran plus loin par rapport à ce que vous venez de dire, les réseaux, mécaniquement aussi, ils nous enferment dans des bulles. C'est-à-dire là où dans une démocratie, pour fonctionner, il faut plutôt créer du commun, ce qui est un peu cette salle, ce que vous faites, ce que font nos maires, nos élus quand ils rassemblent, ce que fait la presse quotidienne ou hebdomadaire quand elle rassemble ses lecteurs. Vous pouvez avoir des affinités parce que vous lisez les mêmes titres de presse. Mais il est vraisemblable que si je faisais un sondage aujourd'hui, vous êtes dans des professions différentes et vous pensez sans doute très différemment sur beaucoup de sujets. C'est une chance, parce que c'est comme ça qu'on crée du commun.

Mais si vous allez uniquement vous informer ou échanger sur les plateformes, sur vos réseaux sociaux, très vite, vous êtes influencés par tous les gens qui vous suivent. Et si ce que vous dites ne leur plaît pas, ils vont se désabonner de votre compte, ils arrêtent de vous suivre, ou vous les bloquez parce qu'ils vous ont insultés trois fois. Donc vous allez être poussés par les gens les plus extrêmes qui pensent comme vous. Puis vous, vous allez suivre les comptes aussi qui vous amènent.

Le mécanisme qu'on voit est un mécanisme qui pousse totalement vers les extrêmes, qui enferme avec des gens qui pensent comme nous sur nos certitudes. C'est pour ça qu'on a de plus en plus de complotismes dans le monde où on vit, parce qu'on a de plus en plus de gens. Je veux dire, si je suis dans une bulle où, à longueur de journée, je pense et je suis avec des gens qui pensent que le vaccin est une très mauvaise chose, il est vraisemblable qu'au bout de 15 jours, on se sera bien persuadés entre nous que le vaccin est vraiment très dangereux. Si dans mon groupe, il n'y a aucun virologue, aucun médecin, aucun scientifique, aucun spécialiste, ce n'est pas le débat le plus éclairé de la Terre, mais on se sera bien remonté le bourrichon. Puis après, le groupe va gonfler, puis on va être 200, 500 à bien penser que c'est la pire des choses. C'est exactement ce qui se passe. Donc ça nous enferme dans des bulles cognitives et ça nous pousse aux extrêmes. Et ça, c'est dangereux.

Donc ça, c'est un autre problème qu'on a avec l'infrastructure de ces réseaux. On voit bien que d'abord, il faut de plus en plus former nos jeunes et nos moins jeunes à quand même s'informer en dehors et préparer le débat démocratique en dehors de ces réseaux. Ça, je pense que c'est une mesure de salubrité publique de dire qu'on a besoin, pour que la démocratie fonctionne, de remettre de la délibération, de l'échange, physique, et de le faire à travers le rôle qu'ont nos élus locaux et nationaux, en réinventant peut-être des formes, en utilisant des plateformes totalement sincères, et en le faisant avec nos titres. Donc il faut un peu ralentir le fonctionnement démocratique, lui redonner de la proximité du physique. Ça, j'en suis convaincu, parce que c'est la chose qui va permettre un peu de refroidir le moteur, sinon, ça part dans tous les sens.

La deuxième chose, ce serait, vous l'avez dit, la question des algorithmes. Et là, pour que ce soit clair pour tout le monde, l'algorithme, c'est en quelque sorte le rédacteur en chef de la plateforme ou du réseau. C'est-à-dire, chaque jour dans vos quotidiens, il y a un rédacteur ou une rédactrice en chef avec la rédaction qui va dire, on met ça en une, qui va pousser, hiérarchiser des contenus et vous les pousser, et qui va faire qu'on mettra cette information avant telle autre et peut-être qu'on choisira de ne pas en mettre certaines. Eh bien, vous avez un super rédacteur en chef, individualisé, quand vous ouvrez vos réseaux sociaux, qui s'appelle l'algorithme. Il n'existe pas physiquement, mais il est fait précisément pour les raisons que j'évoquais tout à l'heure. Il est fait pour que vous soyez de plus en plus dépendants, parce qu'il regarde vos réactions tous les jours. Donc, il va vous pousser ce que vous aimez, il va vous pousser ce qui vous fait le plus réagir, parce qu'il le voit et il le mesure, ce qui va lui créer le plus d'excitation, parce qu'il va pousser ce qui va lui permettre de vendre beaucoup mieux, parce que c'est ça, son but, son modèle.

Avant de savoir si on peut faire un contre-algorithme, ce que, nous, on va se battre pour faire au niveau européen, c'est d'avoir la transparence des algorithmes à l'égard de tous, parce que ça va créer un débat public, et évidemment à l'égard des autorités de régulation. Parce que moi, je ne sais pas dire aujourd'hui les biais de l'algorithme qu'il y a dans X ou de l'algorithme qu'il y a chez TikTok. Mais je sais qu'il y a des biais, c'est-à-dire que ça fonctionne de travers. Il y a aujourd'hui des chercheurs qui, par exemple, l'ont très bien montré. Ils travaillent dans une start-up française qui s'appelle Arlequin, mais ce sont des chercheurs académiques, Monsieur Micheron avec ses collègues. Ils ont montré que quand vous créez, ils l'ont fait en séquençant, en mettant des comptes totalement neutres avec des caractéristiques différentes, et ils ouvrèrent des comptes différents sur TikTok. Un jeune, quelle que soit sa caractéristique qui va sur TikTok, au bout de 4 à 5 vidéos scrollées, il est exposé à une vidéo de contenu salafiste. Parce que la plateforme a repéré que ça créait de l'excitation, manifestement. En tout cas, qu'on arrivait à attraper des jeunes par ce biais-là et le pousser. C'est un biais énorme, c'est un énorme problème. Donc, on est en train de le régler avec eux. Mais ça, parce qu'on a fait le test sur ce sujet. Mais on a besoin d'avoir de la transparence. Quel est le biais qu'il y a derrière ces plateformes ? Qu'est-ce qu'ils poussent ? Donc ça, c'est un point très important qu'on va justement pousser avant les élections pour le faire.

Mais en parallèle de ça, de toutes ces mesures, et beaucoup demandent d'être faites au niveau européen, la clé, c'est ce qu'on se dit là. Parce que ce qu'on se dit là, j'espère avoir touché quelques-uns d'entre vous, vous repartirez avec plus de méfiance ou de vigilance sur les réseaux. C'est cette bataille qu'il faut mener avant les élections. Et dans ce cadre-là, les trolls, jouent un rôle extrêmement important. Donc, qu'est-ce qu'on peut faire avant nos élections ? Ce que j'ai commencé à dire. On va monter la posture. Donc d'abord, on la monte avec VIGINUM, mais avec aussi le Quai d'Orsay, qui, de plus en plus, eh bien, justement, pousse des informations, fait ce que les techniciens appellent, pardon de cet anglicisme, mais du pre-bunking, c'est-à-dire qu'ils préparent les esprits à cette vigilance. Donc, quand on identifie les choses ou qu'on les anticipe, on pousse nous-mêmes l'information en disant : attention, ceci va arriver, pour que les gens y soient moins sensibles.

Ensuite, on a mis plus de moyens encore pour identifier ces faux comptes et les faire retirer et les contrer. Enfin, on va se battre, et ça, il faut changer la règle, pour les interdire, parce que c'est la base de tout. Ce n'est pas normal qu'on ait ces armées cachées, parce qu'on laisse sur notre territoire national. Et ce qu'il faut bien voir, c'est qu'en fait, c'est une guerre informationnelle et cognitive, parce que c'est une guerre pour pousser des fausses informations, et par exemple, dans le cas de la Russie, pour saper la confiance dans l'effort qu'on est en train de faire et la légitimité de ce qu'on fait aux côtés des Ukrainiens. Mais derrière, c'est une guerre pour nous diviser, nous affaiblir et rendre un peu maboule, si je puis dire, la démocratie. Parfois, ils y arrivent. Donc c'est vraiment d'appuyer là-dessus. Ça, il faut l'interdire.

Sophie GOURMELEN

Merci, Monsieur le Président.

Animateur

Merci à vous, Monsieur le Président. Merci, Nathalie et à notre témoin, que nous pouvons applaudir, s'il vous plaît. Il nous reste encore 3 séquences, 3 thématiques en un peu plus d'une heure maintenant. Et je vais inviter donc Georges Bosi, qui est à mes côtés, Georges Bosi, qui est rédacteur en chef adjoint au Dauphiné Libéré. Et votre séquence, Georges, concerne la lutte contre le cyberharcèlement.

Animateur

Merci. Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour à toutes et à tous. Quelques chiffres très rapidement publiés par l'INSEE en octobre dernier, le 10 précisément. En 2024, le harcèlement en ligne représentait 35% des délits de harcèlement. Au collège, on va en parler, 21% des élèves déclaraient avoir reçu des insultes en ligne, c'est 15% au lycée. Entre 2016 et 2024, le nombre de victimes de harcèlement sexuel numérique a été multiplié par 6. Alors, je vais avoir deux petites séquences dans cette séquence, si vous voulez bien, Monsieur le Président. Dans un premier temps, deux témoins vont vous poser une question, puis, nous évoquerons – vous avez parlé de l'IA – une forme de cyberharcèlement avec usurpation d'images très extrême.

Alors, dans un premier temps, je vais m'adresser à Annabelle Guichard. Bonjour, Annabelle. Rebonjour, Annabelle. Ce sera mieux avec le micro. Vous venez de Côte-d'Or, Annabelle. Votre fils a été victime de harcèlement au collège et dans la communauté des jeux vidéo. C'est important de le préciser.

Intervenante

Oui.

Animateur

Et j'ajoute que vous avez créé en mai dernier l'association « La Voix du Harcèlement ». Nous vous écoutons.

Intervenante

Tout à fait. Monsieur le Président, bonjour. Je suis proche aidante, donc je me bats au quotidien pour le respect des droits et des intérêts de mes enfants. L'événement déclencheur de la création de mon association, " La Voix du Harcèlement ", a été une question que mon fils m'a posée quand il a été harcelé en 2023 : " Maman, si les adultes du collège qui sont censés me protéger ne le font pas, je fais quoi pour me défendre ? " Effectivement, il y a les plateformes, 3018, le 3020, mais les choses ne vont pas assez vite, pas assez loin. On fait un signalement et le lendemain, on fait quoi ? On renvoie nos enfants dans l'arène, continuer de se faire harceler ? Ce n'est pas possible. C'était juste quelque chose qui n'était pas envisageable pour moi. En tant que maman, voir son enfant souffrir, ce n'est juste pas possible.

Aujourd'hui, les plateformes de jeux en ligne deviennent aussi un lieu de cyberharcèlement, tout comme certains groupes WhatsApp de classe, où les choses peuvent vite dégénérer. Du coup, ma question est simple : quelle échéance vous donnez-vous pour rendre ces plateformes numériques plus sûres et ainsi garantir la santé mentale de nos enfants ?

Animateur

Merci, Annabelle. On va écouter Mattéo Jacques, maintenant. Mattéo Jacques, vous avez 22 ans, vous venez de Sélestat. Vous avez été victime de harcèlement au collège et au lycée. Je précise, parce que vous avez tenté par deux fois de mettre fin à vos jours. Nous vous écoutons.

Intervenant

Merci, Georges. Monsieur le Président, chaque année, 600 000 élèves souffrent en silence : isolement, violence verbale et physique, cyberharcèlement. Le harcèlement scolaire est aujourd'hui le fléau de la jeunesse et c'est inacceptable. Les coups, les humiliations, les insultes. Jusqu'à la maison, je les ai vécues. Mes bras, ma gorge se souviennent de ces tentatives de suicide. Pour moi, le harcèlement, c'est hier, aujourd'hui et demain. Les stigmates, eux, c'est l'histoire de ma vie. Ce que je tiens dans ma main ici, c'est un livre de 6 pages. Ce livre, il a été écrit par mon harceleur lorsque j'étais au lycée. Il a été écrit sur son ordinateur scolaire et envoyé à tous mes camarades. Monsieur le Président, comment on peut expliquer ça ? Comment un outil scolaire peut servir à faire souffrir ? Que dire à un jeune qui, comme moi, souffre ou a souffert ?

La Suède a trouvé une bonne partie de la solution, c'est un des pionniers ici en Europe. Comment faire au maximum aussi pour faire respecter le plan pHARe ? On a quelque chose de mis en place, mais comment faire pour que ça soit automatique ? Et pourquoi pas sanctionner les établissements qui ne le mettent pas en place ? Et action, prévention vont-ils devenir nos maîtres mots ? Je vous ai écrit une lettre, j'espère pouvoir vous la remettre.

Animateur

Merci, Mathéo. Monsieur le Président.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup, merci pour vos témoignages, Monsieur, et puis Madame pour votre fils. Je pense que tout le monde a ressenti l'extrême douleur qu'il y avait et chez l'un et chez l'autre. Le harcèlement, pour en dire un mot, et une fois que j'ai dit ça, on a encore évidemment beaucoup trop de cas de harcèlement et qu'à chaque fois qu'on a un enfant ou un adolescent qui continue d'être harcelé dans notre pays, c'est quelque chose de laquelle on ne doit et on ne peut pas s'habituer. Il y a eu quand même un réveil collectif ces dernières années. Et ce que vous avez vécu, je ne sais pas durant quelles années c'était.

Intervenant

C'était en 6e, 5e et en terminale.

Emmanuel MACRON

Et j'ai compris que c'était en 2023 pour votre fils. Et en parlant de tout ça, d'ailleurs, je pense au jeune Lucas aussi, qui a mis fin à ses jours, non loin d'ici, et dont la maman continue de mener aussi ce combat. C'était il y a un peu plus de deux ans.

Et donc on arrive à des drames, et de toute façon, on arrive aussi... même sans que ça aille au drame, malheureusement le plus terrible qui est la tentative de suicide ou le suicide, à des déscolarisations et à une souffrance que rien ne peut justifier parce que l'école doit être le lieu où on apprend, où on gagne la confiance en soi et où on apprend aussi la bienveillance. Donc la bataille contre le harcèlement, pour moi, elle est clé.

Dès 2018, on a lancé le programme pHAre, comme vous l'avez dit. Ça met du temps, trop de temps à se déployer, parce que sans doute, on se cachait aussi un peu ça. En tout cas, c'était un peu un continent caché de notre Éducation nationale, il faut bien le dire. Et donc, je crois que ces dernières années, on a beaucoup progressé collectivement, je le dis avec le maximum d'humilité, de reconnaissance à l'égard des communautés enseignantes et pédagogiques. Alors oui, vous trouvez toujours tel ou tel établissement, on l'a parfois vu dans l'actualité récente, qui ne l'implique pas totalement, qui ne le fait pas assez. Donc maintenant, les rectorats ont pour instruction d'être extrêmement durs, de passer en revue. Mais pour que ce soit clair pour tout le monde, on a mis en place ces programmes qui forment les enseignants, mais aussi le reste de la communauté pédagogique, donc les conseillers pédagogiques, tous ceux qui sont au contact de nos enfants ou de nos adolescents. On sensibilise davantage les familles. Donc, on a créé une vigilance pour voir les signaux faibles. Et on a aussi responsabilisé les enfants et les adolescents avec des ambassadeurs dans chaque niveau, qui permettent justement de prévenir cela. Est-ce que ça fait un système totalement parfait ? Non. Mais on l'a beaucoup amélioré, on a accru les capteurs.

À côté de ça, ces toutes dernières années, on a changé plusieurs choses, on a renforcé les contrôles, et on a créé, dans le code pénal, maintenant, on a défini ce qu'est le harcèlement. Et donc on peut aller chercher les auteurs de harcèlement, ce qui n'était pas le cas jusque-là. Et on a, sur le harcèlement et le harcèlement en ligne, changé un peu la donne, c'est-à-dire que maintenant, ce sont les harceleurs qui sont éloignés. Et par rapport à ce que vous disiez, qui est tout à fait juste, pendant très longtemps, en fait, on conseillait aux parents qui avaient un enfant harcelé de quitter l'établissement quand ça ne marchait plus. Maintenant, on a mis dans les règles le fait que quand on a identifié justement un harceleur dans un établissement, la responsabilité du rectorat, de la communauté pédagogique, c'est d'éloigner ce jeune. Une fois que j'ai dit ça, il faut l'éloigner, mais il faut aussi l'accompagner, parce que souvent, derrière un jeune qui harcèle, on a quelqu'un qui n'est pas bien dans sa tête non plus. Je le dis, c'est très dur pour vous d'entendre ce que je dis, mais ce n'est pas normal de faire ce que vous avez dit. Ça me choque autant que vous, mais ça veut dire que vous avez eu quelqu'un qui avait votre âge, qui a fait quelque chose de terrible, qui vous a blessé jusqu'au pire, mais ça veut dire que c'est quelqu'un qui a sans doute lui-même une énorme souffrance. Donc, nous aussi, notre responsabilité, c'est de prendre et d'essayer de traiter la famille et le jeune. Mais aujourd'hui, on a ces politiques d'éloignement.

Et sur le cyberharcèlement, on a mis en place un dispositif qui fait que quand il y a ce cyberharcèlement qui est identifié, on oblige à fermer le compte pendant X mois, et s'il y a des récidives, à complètement sortir de la plateforme. Donc ça, on a amélioré les choses. Est-ce que c'est parfait ? Non. Parce que le relais, vous l'avez très bien dit en citant deux choses, Madame, c'est les boucles de messagerie et les jeux vidéos qui sont un peu à la marge des réseaux sociaux, ce n'est pas les réseaux sociaux, mais il se passe aussi quelque chose. Et donc là, on a besoin maintenant de durcir là-dessus. C'est ce qu'on est en train de préparer, et ça m'est beaucoup revenu dans les débats qu'on a menés, avec des choses qu'il ne faut pas négliger, y compris pour des jeunes qui peuvent être en détresse. Alors c'est à la bordure du harcèlement, mais d'autres choses, c'est qu'aujourd'hui, ces boucles de messagerie – dont on pouvait se dire " ce ne sont pas vraiment les réseaux sociaux, il ne faut pas toucher " - elles ont des agents IA dedans.

Quand vous allez sur WhatsApp, pour ne citer qu'eux, avec un prestataire qui ne coopère plus du tout avec nous, c'est le pire. Il ne coopère à rien, donc quand on lui demande de retirer des infos, Meta, rien. Ils ont mis leur agent d'IA, c'est-à-dire que vous avez un agent conversationnel. Peut-être que vous l'utilisez, d'ailleurs, quand vous allez sur votre WhatsApp, vous lui demandez des choses, des informations. Des jeunes de 10 ou 11 ans à qui on a laissé le WhatsApp en disant : " je ferme les réseaux sociaux, mais je mets le WhatsApp ", ils parlent. Regardez ce qu'ils échangent avec l'agent. Parce que comme ils sont anthropomorphiques, ces agents, ils peuvent les amener assez loin. Et là, on n'a aucun regard. Je ferme cette parenthèse.

Mais en tout cas, on a sur ces messageries et sur les jeux vidéo aussi du harcèlement qui se met. Et donc là, qu'est-ce qu'on va continuer de faire ? De durcir, d'abord de les attraper par nos règles, d'appliquer maintenant. Parce qu'on va prendre des circulaires pénales pour appliquer ce qu'on a mis en place – c'est-à-dire cette responsabilité, la qualification pénale – et aller chercher les plateformes dans leur responsabilité quand elles ne retirent pas les contenus et qu'elles ne stoppent pas, puisqu'on a mis dans la loi le retrait. Et donc, on va l'appliquer aussi aux jeux vidéo et aux messageries. C'est un combat, une fois que j'ai dit ça, vous voyez, ces dernières années, c'est à la fois de la formation, de la prévention et de la répression. Mais on a besoin d'avoir une société de la bienveillance qui s'installe. J'ai compris que je suis trop long.

Animateur

Merci, Monsieur le Président. C'est un très court témoignage que je vous propose d'écouter. Rebonjour, Anna.

Intervenante

Rebonjour.

Animateur

Anna Baracetti, vous venez de Grenoble, vous avez fait beaucoup de route, vous avez 34 ans, vous êtes italienne, ça s'entend, et vous êtes assistante d'un professeur en situation de handicap, donc vous êtes au milieu scolaire. Vous exercez au lycée Stendhal de Grenoble et votre histoire, elle est incroyable et effrayante à la fois. Vous avez été harcelée par un collègue qui n'a pas accepté que vous lui disiez non.

Intervenante

Non, il a cru qu'il pouvait avoir une histoire avec moi, il a commencé à m'envoyer énormément de messages et il était condamné une première fois en septembre.

Animateur

Il était condamné, mais je crois que ça n'a pas servi à grand-chose.

Intervenante

Non, il a créé un faux compte sur Instagram pour me dérober des photos qu'il a modifiées avec l'IA.

Animateur

Et il les a modifiées de quelle manière ?

Intervenante

Pour créer des photos et des vidéos porno.

Animateur

Alors, il a fait un faux compte à votre nom, c'est-à-dire que ces photos et ces vidéos étaient visibles partout et partout, y compris potentiellement par vos élèves.

Intervenante

Oui, il avait mis mon nom, ma profession et un appel à me contacter pour avoir des relations sexuelles. Tout le monde pouvait les voir, ma famille, mes amis, et oui, peut-être mes élèves, j'avais tellement peur qu'ils retrouvent ces sites.

Animateur

Alors, comme le pire n'est jamais décevant, il a été condamné pendant le procès, son attitude vous a complètement choqué.

Intervenante

Il ne se sentait pas coupable, il n'avait pas peur parce que c'était seulement l'Internet, ce n'était pas grave.

Animateur

Très bien, posez votre question au Président. Merci Anna.

Intervenante

Bonjour Monsieur le Président, merci d'être là. Je voudrais savoir quelles mesures seraient envisageables pour empêcher les cyber harceleurs de se cacher derrière des identités multiples et pour qu'ils soient plus durement condamnés.

Emmanuel MACRON

Il a été éloigné de l'établissement ?

Intervenante

Oui, seulement un an, mais oui, après la condamnation, il a continué à travailler depuis février. Et c'est seulement depuis le 5 novembre qu'il a arrêté de travailler dans l'école.

Animateur

Merci, Anna. Monsieur le Président.

Emmanuel MACRON

Merci. Je pense que tout le monde est édifié par ce que vous vivez et ce que vous dites. En l'espèce, ce que vous vivez, c'est d'abord quelqu'un qui vous harcèle personnellement, et ça, vous avez répondu parce que vous êtes adultes et que vous avez utilisé la loi, il a été éloigné de l'établissement. Donc, je dirais que sur ce volet-là, ce qui s'est traité, ce qu'il y a derrière, surtout dans ce que vous dites – et qui suppose une action plus vigoureuse et rapide – c'est quand quelqu'un, soit en utilisant les réseaux sociaux, soit en utilisant les réseaux sociaux et l'intelligence artificielle, dans votre cas, diffuse des fausses informations et des informations qui sont attentatoires à votre dignité. C'est ça, le sujet. Et là, on a un problème, aujourd'hui, c'est qu'on est très lent.

Et donc, il n'y a pas plus tard que cette semaine, j'ai tenu un Conseil de défense sur la lutte informationnelle où j'ai demandé qu'on aide, justement, un travail qui me soit rendu d'ici la fin d'année, parce qu'on a beaucoup de choses qui existent. Mais qui existent, par exemple, dans le domaine politique, on peut faire un référé fausses informations quand il y a une fausse information sur quelqu'un. En 48 heures, le juge peut obliger la plateforme à retirer parce que ça va toucher à la sincérité du scrutin. On l'a utilisé une fois en 2019, une fois. Donc, on voit bien qu'on n'utilise pas cette loi.

Mais dans la vie de tous les jours, moi, je mesure totalement ce que vous vivez, il se trouve que je ne vais pas m'étendre ici, mais j'ai été personnellement, ou mon épouse encore plus que moi, confrontée au même genre de choses, on est totalement démunis. C'est-à-dire que ça prend un temps fou, ça continue, les gens le voient, il y a des fadas pour penser que c'est vrai, et puis, ça vous mine. Et là, on n'a aucun moyen de saisir le juge. Et donc, ce vers quoi il faut qu'on aille, c'est de mettre vraiment en place un système, je ne veux pas dire technique, mais qui s'appelle de référé. C'est-à-dire, vous dites là, vous voyez bien qu'il y a un truc : c'est en train de me bouffer la vie, ce n'est pas possible, je suis prof, c'est devant mes élèves, je vous demande de statuer en 48 heures et de l'obliger à fermer et derrière de l'emmener devant le procès, mais de l'obliger à fermer. Et donc, on doit, nous, durcir notre loi vis-à-vis des gens qui font ça. Et de durcir, et c'est toujours la même chose, la responsabilité des réseaux, parce qu'aujourd'hui, ils s'en lavent les mains. Ils n'ont aucune responsabilité. Et donc, ils doivent avoir une responsabilité de type éditorial, parce que quand ils poussent sur leur réseau, leur plateforme, des gens qui font ça, dont ils le savent, s'ils ne les retirent pas, ça doit être leur faute. Donc, c'est ça, les deux choses. Un référé pour aller vite et un système de responsabilité des plateformes. Mais de tout cœur avec vous.

Intervenante

Merci, merci beaucoup.

Animateur

Monsieur le Président, je pense que la question suivante aurait été de leur part : à quelle échéance pensez-vous que ce soit possible ?

Emmanuel MACRON

Le plus vite possible. Ce que je dis là sur le référé, c'est du droit national français. La responsabilité des plateformes, c'est du droit européen. On a un début de responsabilité de plateforme avec cette fameuse directive qu'on appelle DSA sur les services numériques. On a plusieurs cas qui sont poussés. On les priorise, mais on a des affaires... On est très actifs, nous, en France, mais on a des affaires qui, depuis 2 ans, sont devant la Commission. Donc c'est trop, trop lent. Mais donc ça, c'est une poussée qu'on va faire au niveau européen en engageant. Parce que ce que vous vivez, on a des citoyens européens partout dans le monde qui le vivent, pardon, pas partout dans le monde, partout sur le continent européen, dans les 27 pays de l'Union européenne. Donc, on en a.

Simplement, ce débat ne monte pas, et il faut bien le dire. Beaucoup ont peur au niveau de la Commission et des États membres de le mener parce que vous avez une offensive en ce moment américaine contre l'application de cette directive sur les services et sur les marchés numériques, parce que ce sont les grandes compagnies qui sont derrière l'administration américaine et elles demandent même à ce qu'on enlève ces directives. Donc là, on a un vrai combat géopolitique à mener. Ce n'est pas l'ingérence russe, c'est là clairement américain, parce que ces plateformes-là, elles ne veulent pas qu'on vienne les ennuyer, pour rester poli. Elles veulent continuer de faire le maximum d'argent sans avoir aucune responsabilité. Et nous, on veut se battre là-dessus. Donc ça, c'est vraiment un combat européen. Donc, le référé, c'est français, le plus vite possible. Ce que je viens de dire sur la responsabilité des plateformes, c'est le droit européen qu'il faut pousser.

Animateur

Merci beaucoup, Monsieur le Président.

Animateur

Et merci à vous, Georges BOSI. On peut également applaudir, s'il vous plaît, nos témoins. Notre troisième thématique va aborder un sujet qui a déjà été évoqué, M. le Président. On va continuer à approfondir justement sur ce sujet, c'est comment protéger les plus jeunes. Et je vais inviter à venir me rejoindre Sandrine Chabert, qui est rédactrice en chef adjointe au Progrès.

Animatrice

Bonjour Monsieur le Président, bonjour à toutes et à tous. Alors effectivement, on va aborder cette question qui nous préoccupe tous, comment protéger nos jeunes, nos enfants face aux dangers, face à la « jungle », pour reprendre vos mots, des réseaux sociaux. On sait qu'il y a 45% des enfants de moins de 13 ans qui, aujourd'hui, utilisent les réseaux sociaux, alors qu'en théorie, l'accès leur est interdit. On sait qu'il y a 55% des 15-17 ans qui, eux, disent avoir été confrontés souvent à des contenus choquants. Ça, ce sont des chiffres issus d'une étude récente de l'ARCOM.

Moi, j'ajouterais un autre chiffre, et je pense qu'il fera consensus, c'est que 100% des parents sont inquiets de ce qui se passe sur les réseaux. Ils savent qu'ils ne peuvent pas vraiment protéger leurs enfants. Ils ne savent pas réellement combien de temps passent leurs enfants sur les réseaux. Ça c'est clair. Ils ne savent pas exactement ce qu'ils y publient également et ils ne savent pas du tout les contenus auxquels leurs enfants, malgré eux, sont exposés. Ce sont les fameux algorithmes totalement opaques dont vous parliez. Face à cela, on sait que nos enfants ne sont pas armés, qu'ils sont vulnérables, et nous, les parents, on ne sait pas vraiment comment les protéger. Je pense que ça, ça va faire écho aux témoignages de Benoît Leroy qu'on va écouter. Benoît, vous êtes médecin généraliste à Épinal, vous avez 42 ans, et vous m'avez confié avoir pris une claque, très forte claque récemment. Il s'est passé quelque chose auquel vous ne vous attendiez pas. On vous écoute, racontez-nous.

Intervenant

Merci Sandrine. Monsieur le Président, bonjour à tous. Effectivement, ma belle-fille, qui est actuellement collégienne, a reçu, on en a parlé tout à l'heure, sur le groupe WhatsApp de sa classe, une vidéo avec une de ses camarades en train de pratiquer un acte sexuel. Cette vidéo a été ensuite diffusée à l'ensemble des groupes WhatsApp du collège immédiatement. Heureusement, le collège a extrêmement bien réagi et la vidéo a été supprimée dans les heures qui ont suivi. Mais malheureusement, le mal était fait et plus de la moitié du collège a vu cette vidéo et le soir, notre belle-fille est rentrée complètement catastrophée.

Alors que nous pensions, nous, en tant que parents assez responsables, on a interdit tous les réseaux sociaux à nos enfants, on a simplement autorisé WhatsApp pour les groupes de classe et pour discuter avec la famille. On a été confronté effectivement à quelque chose pour lequel nous n'étions absolument pas préparés, alors que nous pensions être extrêmement vigilants. Vous l'avez dit tout à l'heure, j'ai l'impression qu'au niveau des enfants, la prévention se passe plutôt bien. Et ma petite-fille à l'école primaire, dès l'école primaire, ils ont des sensibilisations au collège et les enfants ambassadeurs. En revanche, j'ai une question par rapport aux parents. J'ai l'impression quand même que la prévention au niveau des parents ne se fait pas forcément très bien et qu'il y a une lacune à ce niveau-là.

Et ma question, est — alors en tant que professionnel de santé, j'estime avoir une responsabilité dans la prévention des parents — mais ma question est de savoir quel est le rôle de l'État dans cette prévention, que peuvent faire des parents vis-à-vis des risques des réseaux sociaux par rapport à nos enfants et comment organiser cette prévention ?

Emmanuel MACRON

Alors, la prévention, c'est d'abord l'information pour les parents qui sont des citoyens. Et ensuite, c'est de beaucoup mieux les associer dans ce travail avec la communauté pédagogique, et donc, l'établissement. C'est vrai qu'on a laissé, vous l'avez d'ailleurs dit, les parents un peu seuls ces dernières années, parce que ce phénomène est quand même arrivé assez vite, en tout cas, s'est développé. Et je dirais que depuis 2015, il y a une forme d'accélération. C'est à peu près la période où tout ça se diffuse, se démocratise et où on a des réseaux sociaux qui rentrent dans nos vies. C'est à peu près ça, ça fait 10 ans. Et il y a une autre accélération, c'est la période Covid, où en vrai, on a tous été plongés dans une forme de solitude, celle du confinement, d'inquiétude, et où le temps d'écran chez les adultes comme chez les jeunes a beaucoup augmenté. C'est un peu les deux dates pour moi, 2015-2020, qui sont des tournants et qui font que ça a quand même pas mal changé. Quelque chose s'est passé dans nos sociétés.

Et depuis 2020, c'est vrai qu'on est reparti comme si de rien n'était. C'est un peu pour ça que j'ai voulu qu'on lance tout ça. On voit bien qu'on est quand même reparti de travers. Alors, en parallèle, on a essayé de mieux comprendre. On a demandé des rapports scientifiques et autres qui ont été rendus publics. Et j'ai demandé un rapport en 2022 à Monsieur Bronner, qui est un spécialiste du sujet, un très grand sociologue qui a fait un rapport sur, justement, les lumières à l'âge du numérique pour montrer l'impact que ça avait sur le fonctionnement démocratique. Et puis, il m'a été rendu l'année dernière un rapport fait par des scientifiques, là, plutôt, dans différents champs, sur l'impact des écrans et des réseaux sociaux sur nos jeunes, ce qu'on avait appelé la Commission écran, qui a été un moment important parce que c'est là où il y a eu une convergence scientifique. Il y avait beaucoup de désaccords entre les spécialistes pour savoir l'impact que ça avait. Et on a repassé un cap parce que ces derniers mois, il y a eu des universitaires un peu de tous les pays qui ont quand même produit des travaux. Qu'est-ce que je peux vous dire aujourd'hui pour préparer les parents et qu'est-ce qu'on va lancer ? Mais ces débats en font partie. C'est des débats de prévention qu'on est en train de faire aussi.

La première chose, on sait que pour un enfant avant 3 ans, l'écran est mauvais. On dit ça, on est tous d'accord. Prenez le train demain. Dites-moi si, dans un TGV ou un TER, vous n'avez pas vu beaucoup de parents, parfois sous la pression d'ailleurs du collectif, qui ne mettaient pas un écran à un enfant de 2 ans pour qu'il se calme. Ça, c'est une catastrophe. On sait qu'il faut au maximum éviter, si on le peut, avant 6 ans. On est en train de revoir, même si la France avait moins fait le bouger que beaucoup de pays dans le nord de l'Europe, le tout-écran est mauvais en termes pédagogiques. Et il est clair qu'avant 15-16 ans, les réseaux sociaux ne sont pas une bonne chose. Parce qu'à la fois, on n'a pas consolidé suffisamment sur le plan affectif, sur le plan émotionnel et sur le plan cognitif les choses. En fait, le cerveau n'est pas terminé, n'est pas mûr pour être exposé à ça. Et on peut le documenter assez facilement, c'est que cette génération malheureusement à laquelle on a laissé accès à peu à tout. On a vu une flambée du harcèlement en ligne qui a renforcé le harcèlement physique, mais on a vu une flambée des troubles du comportement alimentaire. Beaucoup de jeunes filles étant confrontées à la vision justement de corps idyllique par ces réseaux, etc., une flambée des formes de violence ou de désocialisation. On a beaucoup trop de jeunes qui, par les réseaux sociaux, accèdent à des contenus pornographiques. Et donc, on peut se battre tous les jours pour dire : l'égalité femmes-hommes est clé pour nous, le respect de la femme, la lutte contre les violences. On a de plus en plus de nos jeunes par rapport à nos générations dont l'éveil, si je puis dire, à la conscience affective, sentimentale, se fait par les réseaux et la pornographie en ligne. On a une flambée de solitude et, au fond, un problème de santé mentale de nos jeunes. Même si on n'arrive pas à faire vraiment un lien de cause à effet, on a clairement un lien de corrélation. Et donc, pour moi, la clé de tout ça, c'est qu'on doit prendre ces réseaux. Donc, 1) il faut avoir beaucoup plus l'école et la petite enfance avec nous. Maintenant, c'est fait, ce sont ces règles qu'on met en place. C'est pour ça qu'on a sorti le portable du collège maintenant dans tous les collèges à la rentrée dernière, qu'on va sans doute l'élargir au lycée à la rentrée prochaine avec le ministre. Il est en train de regarder ça. Et on prévient maintenant, on engage avec les parents sur ces sujets, dans les réunions parents-profs, et on va lancer une grande campagne nationale de communication et de prévention à l'égard des parents. Mais les parents, si on veut les engager, il faut pouvoir leur dire ce qu'est un consensus scientifique, c'est celui que je vous donne, et il faut leur dire, vous avez un rôle à jouer parce qu'aussi, on vous donne une norme. Et la dernière, on va peut-être y revenir, mais c'est de dire, avant 15 ans, il ne faut pas exposer les enfants devant les réseaux. Et donc, on va interdire les réseaux sociaux avant 15 ans. Pour que ça marche vraiment, il faut que les parents jouent le jeu. Mais on va donner aux parents une norme. Jusqu'à présent, il n'y en avait pas vraiment, parce qu'on n'en sait plus aujourd'hui.

Intervenant

C'est la majorité numérique que vous défendez, c'est ça ?

Emmanuel MACRON

Oui. Mais je ne sais pas s'il y a des questions de lecteurs là-dessus.

Intervenant

Pas exactement là-dessus.

Emmanuel MACRON

Alors, je peux vous le dire en deux mots, si vous voulez que je détaille. Mais je pense que la question de Monsieur était, à mon avis, aussi très importante, parce qu'en partant de la prévention, tout ce qu'on se dit ne marche que si les familles adhèrent. Parce qu'on peut dire, on va interdire les écrans avant 15 ans, il faut que les familles jouent le jeu. Alors moi, je pense qu'elles joueront le jeu. Aujourd'hui, les familles, elles n'ont pas de normes. On ne leur a rien dit, on les a laissées se débrouiller toutes seules. Mais on a progressivement, ça s'est fait il y a quelques décennies, interdit le vin pour les mineurs. Il y a 60 ans, on servait du vin aux gosses. On l'a interdit. Il y a peut-être toujours des gens qui servent de la bière aux nourrissons, mais à mon avis, ce n'est pas la majorité aujourd'hui dans le pays, parce que quand on donne une norme aux familles, elles savent que ce n'est pas bon pour leurs enfants, elles ne vont pas le faire. Bon, il faut bien dire qu'on n'a pas jusqu'alors porté un discours qui consistait à dire que c'était mauvais en soi. Là, maintenant, on le sait, on l'a établi, donc on va dire et on va porter cette règle. Comment on va le faire ensuite dans la loi ?

De deux manières. D'abord, on a — c'est pour ça que ça a pris du temps après la commission écrans — l'été dernier, il y a quelques mois, la Commission européenne, suite à nos questions et nos demandes, nous a donné des lignes directrices de cette fameuse directive sur les services numériques, et elle a dit : " oui, vous avez la possibilité de demander la vérification de l'âge. " C'est exactement ce qu'on avait utilisé sur les sites pornographiques. Pour interdire les sites pornographiques aux moins de 18 ans, on leur a imposé la vérification de l'âge. Ça a été une grande bataille. Maintenant, c'est fait en France et dans beaucoup de pays européens. Elle nous a dit : " vous pouvez le faire de manière plus large pour les réseaux sociaux. " Donc ça, on l'a. C'est une compétence européenne. OK. Et ensuite, elle dit : " c'est à chaque État de définir sa majorité numérique. " Donc ça, ça va être une loi nationale qui va définir la majorité numérique. Nous, on va proposer 15 ans. Et on va pouvoir activer ces moyens techniques qui existent pour dire : 15 ans, c'est la majorité numérique, donc on vous demande à vos plateformes, quand les gens s'inscrivent, de vérifier l'âge par différentes techniques et de bloquer l'accès à votre réseau à quelqu'un qui aurait moins de 15 ans. C'est comme ça qu'on va le mettre en place. Donc c'est ça. C'est une loi nationale, pour être très précis. Donc ça, les délais peuvent être raisonnables, parce qu'on a obtenu ce qu'on veut obtenir de niveau européen, qui est la vérification obligatoire.

Intervenant

Bonjour Monsieur le Président, bonjour à tous. Je suis professeure de ventes depuis un peu moins de 5 ans. J'interviens dans différents établissements pour former un peu plus de 50 jeunes chaque semaine. J'ai fait un constat dans ces différents établissements, les jeunes sont vraiment dépendants d'abord de leur téléphone portable, puis des réseaux sociaux puisqu'ils utilisent comme moyen le téléphone portable pour accéder aux réseaux sociaux. Et malheureusement, en vente et commerce, on est dans l'obligation d'utiliser des ordinateurs et des téléphones pour s'adapter à l'évolution des méthodes de vente sur le marché. Dans l'école où j'exerce actuellement, il y a un dispositif qui a été mis en place. Il consiste à récupérer les téléphones portables pour les ranger dans un casier qui est fermé à clé. Mais ces jeunes trouvent quand même le moyen de contourner le dispositif. Nous avons des jeunes qui ont deux téléphones portables, qui en disposent un, qui conservent le second, d'autres qui mettent discrètement la coque de téléphone et qui conservent le téléphone, et d'autres qui nous font croire qu'ils n'ont pas leur téléphone, mais il est bien rangé dans un cartable. Difficile pour nous de faire la fouille, puisque nous sommes quand même limités. Il faut respecter ses élèves. Donc, on voit bien une réelle dépendance. Donc ma question est : quelle stratégie éducative et préventive prévoyez-vous pour lutter contre la dépendance aux réseaux sociaux chez les jeunes ?

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Ce que vous décrivez, je crois que beaucoup d'enseignants l'ont vu et on le voit, ça rejoint ce que je viens d'évoquer. Alors, ça crée une dépendance et on a, en fond, une crise de l'attention, ce qui est terrible pour apprendre et pour vivre en société et échanger. Cette crise de l'attention, elle est due à quoi ? Beaucoup de ces jeunes sont sur les réseaux, y compris à la maison. Donc ils ne lisent plus, ils ne se posent plus sur un texte, non, etc. La moyenne pour ces jeunes, elle est de 4h20 par jour sur les réseaux. 4h20 par jour. Et du coup, on a beaucoup de jeunes, ça arrive, moi, j'en ai vu même qui m'expliquaient ça et ce qu'ils avaient vécu, bah ils sont devenus addicts, ils sont dépendants. C'est comme une drogue, parce qu'il y a ce phénomène de l'algorithme que j'évoquais.

Et donc, vous avez des jeunes qui arrivent épuisés en cours et qui, après, en effet, ont besoin d'être sur leur téléphone pour vérifier, échanger, aller sur les réseaux. Mais c'est vraiment une crise de l'attention et donc, de l'apprentissage, de la possibilité d'apprendre. Donc, d'abord, première chose, c'est la prévention des familles, des profs. Et la bataille qu'on est en train de remettre, on n'a jamais lâché, mais en avant, sur la lecture qui est clé, parce que c'est l'antidote absolu. Comme je dis à beaucoup de ces jeunes, que vous alliez sur les réseaux, mais encore plus sur l'IA, c'est une ode à la lecture, l'intelligence artificielle, parce qu'une intelligence artificielle, c'est juste un supercalculateur qui a lu beaucoup de livres. Donc, plutôt que de dépendre de lui, lisez vous-même un maximum de livres, ça vous rendra plus intelligents et autonomes, et ça vous débarrassera de ce truc.

Je ferme cette parenthèse, là aussi. Donc, c'est la prévention, c'est expliquer, c'est les accompagner. C'est ensuite faire ressortir qu'on est malheureux quand on est en situation de dépendance. Quelle qu'elle soit, on n'est pas bien. Et la troisième chose, c'est l'interdiction qui l'accompagne. Et donc la stratégie, c'est interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans. Et on va beaucoup mieux préparer les jeunes à cela, ce qui fait qu'on aura, c'est ce qu'on croit profondément, moins de comportements addictifs. Puis la deuxième chose, c'est l'interdiction assumée du portable. Je pense que vos jeunes sont plutôt lycéens, donc le portable n'est pas interdit. Donc comme c'est que l'établissement qui fait, il y a moins de consensus. On l'avait fait dans les collèges de manière expérimentale. On l'a généralisé, donc, en septembre dernier. Les retours qu'on a, je parle sous le contrôle, s'il y a des enseignants ici et des rectorats, c'est que ça marche plutôt bien, parce que comme c'est une interdiction nationale, c'est assumé. Alors, il y a des techniques diverses, il y en a qui ont mis des casiers, il y en a qui disent que c'est interdit de la cloche à la cloche. Mais en tout cas, ça, maintenant, on l'installe. Plus de portable au collège. Vous aurez du coup des jeunes qui, quand même, ont été habitués à autre chose. Et à partir de la rentrée prochaine, on veut faire plus de portables au lycée pour vraiment aller au bout de cette démarche et dire : ce n'est pas le lieu où vous devez faire ça, c'est le lieu où vous apprenez et puis, c'est le lieu où vous échangez. Parce que sinon, je vous défie d'aller en cours de récréation dans un lycée à la seconde. Vous pouvez avoir des jeunes, parfois les adultes ne sont pas mieux. Regardez les transports en commun ou autre qui sont la tête comme ça à 2 mètres. Il n'y a plus aucune interaction, il n'y a plus d'humanité. Et donc, je pense, c'est à la fois prévention, accompagnement et interdiction. Et on va le faire au niveau national.

Intervenant

J'aimerais rebondir sur votre mesure qui consiste à interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Je pense que c'est peut-être une méthode radicale qui pourrait avoir des conséquences à long terme par rapport à ce que je perçois, moi, avec les jeunes. Ça pourrait créer une frustration. Certains pourraient, par exemple, utiliser des méthodes contournées pour accéder à ces réseaux sociaux. On le voit, par exemple, avec l'alcool. La restriction n'a pas empêché les jeunes d'être alcooliques, de consommer l'alcool, des mineurs. Donc, ça veut dire que si on met en place une mesure radicale pour les moins de 15 ans, ils vont certainement s'allier à des jeunes de plus de 16 ans, 18 ans, pour accéder aux réseaux sociaux. Est-ce que cette mesure radicale est efficace ? Est-ce que ce ne serait pas un peu risqué ?

Emmanuel MACRON

Mais en vrai, si j'avais des réseaux sociaux qui coopèrent, je pourrais leur dire, faites des contenus pour les jeunes. Ils ne coopèrent pas. Ce n'est pas leur intérêt, ils ne le feront pas. Et ça va nous prendre des années, et je pense qu'on n'y arrivera pas. Ce que vous dites est tout à fait vrai. Mais d'abord, la première vertu de l'interdit, c'est de dire : on sait que c'est mauvais. Moi, ma responsabilité, c'est d'abord d'aller jusqu'au bout. On sait que c'est mauvais pour un jeune avant 15 ans. Il y a même des scientifiques qui disent avant 16 ans. Si je sais que c'est mauvais, est-ce que je suis bien inspiré de le laisser ? Non. 2) je donne une norme. Donc toutes les familles qui sont prêtes, qui disent : « on m'a dit que c'est mauvais, les scientifiques le disent, le Gouvernement français, le législateur français dit que c'est mauvais, on va voter une loi », là, je peux vous dire qu'une écrasante majorité des familles, elles diront : " non, on va le respecter. " Et c'est tout à fait vrai. Il y a malgré tout des gens qui essaieront de contourner. Mais est-ce que ce sera la majorité ? Non. Et ils vont progressivement réfléchir.

Vous avez pris la très bonne comparaison avec l'alcool. Aujourd'hui, combien de jeunes de 14 ans sont alcooliques ou boivent ? C'est très, très, très minoritaire. C'est tout petit. Alors, c'est des jeunes qui, parfois, d'ailleurs, sont laissés... La plupart du temps des jeunes qui sont dans des familles éclatées, des jeunes qui sont dans des situations familiales très dures. Mais sincèrement, je ne connais pas beaucoup de familles qui font boire leurs enfants. Je n'en connais pas. Avant l'âge, il y en a qui peut-être déroge, qui commence à 16 ans pour faire goûter tel ou tel alcool, ou dans les fêtes de famille. Mais on l'a tous pris. Il y a 50 ans, quand il n'y a pas d'interdiction qui était passée, enfin, ça a commencé sous Mendes, je peux vous dire que c'était très jeune. Donc ça marche. Et je ne peux pas, en sachant ça, en ayant un consensus, dire : on laisse les familles sans normes. Donc est-ce que ce sera 100% du jour au lendemain ? Non, parce qu'on ne va pas mettre un contrôle social derrière chacun. Mais enfin, comme il y aura une vérification d'identité, il faudra que l'adulte ou un majeur de la famille aille ouvrir le compte ou la plateforme pour que le jeune y aille. Il y en aura, vous avez raison. Mais je pense quand même qu'on aura avancé dans la bonne direction et qu'on aura engagé un maximum de jeunes. Un maximum. Et de ce qu'on a fait pour l'alcool comme ce qu'on a fait pour le tabac, comparaison n'est pas raison, bah il faut le faire pour les réseaux. Et c'est la même chose que ce que vous avez dit sur l'alcool. Il y a des jeunes, très jeunes parfois, qui fument. Et c'est interdit. On leur fait comprendre. Donc, on ne passera pas à zéro. Mais je pense que c'est la méthode la plus efficace si on considère, et c'est ce que maintenant nous disent les scientifiques, que c'est un vrai risque. Et c'est un risque affectif, émotionnel et cognitif. C'est ça qu'il faut comprendre. C'est-à-dire que ça change la manière de se comporter avec les autres, les réseaux sociaux. Ça change la manière d'évoluer en société. Et ça change la manière d'apprendre et ça l'abîme. Donc, pour toutes ces raisons, je crois vraiment qu'il faut le faire.

Intervenant

Alors, on a eu un dernier témoignage d'enseignante, vous avez 44 ans, vous êtes professeure d'histoire-géographie dans un collège rural du Nord-Isère. Vous, l'impact de la surexposition aux écrans dont parlait le Président, vous le constatez au quotidien et vous avez mené un exercice intéressant avec vos élèves pour qu'ils en prennent conscience. Vous pouvez nous expliquer ?

Intervenant

Bonjour, Monsieur le président de la République, et en tout cas, merci pour cet échange qui est très constructif, où beaucoup de sujets ont déjà été abordés. Donc je vais peut-être des fois reprendre certaines choses évoquées. Mes collégiens passent énormément de temps sur les réseaux sociaux avec les conséquences que l'on connaît, les troubles du sommeil, des difficultés de concentration. C'est vrai qu'avec des réseaux comme TikTok où les vidéos défilent en permanence, on constate en classe qu'il faut varier les activités très fréquemment. Et puis des formes de cyberharcèlement, comme Anna nous l'a aussi évoqué. J'ai mené une petite expérience dans plusieurs classes en leur demandant de consulter le paramètre « Bien-être numérique » de leur téléphone et de noter le temps qu'ils passent en ligne sur les médias sociaux. Et cette démarche, comme vous l'avez dit, en moyenne 4h20, c'est ça, les a amenés à réfléchir sur leur consommation excessive de contenus, parfois violents, discriminatoires ou diffamatoires. Ils ont également pris conscience qu'ils accordent souvent une confiance excessive à ce qu'ils voient, notamment aux contenus générés par l'intelligence artificielle, sans avoir le recul nécessaire pour les analyser de manière critique. Face à ces constats, je pense qu'il est devenu essentiel de renforcer la formation à l'IA, tant pour les enseignants que pour l'ensemble de la société, je vois aussi autour de nous, afin d'aider nos adolescents à devenir des citoyens éclairés. En parallèle, il serait judicieux de limiter l'utilisation de l'IA dans le cadre scolaire pour préserver l'effort intellectuel de nos élèves quand tout est accessible en un clic. Je constate que je n'ai pas mal de collègues, notamment au lycée, qui ne donnent plus de travail maison parce qu'ils ont l'impression de corriger l'IA. Et ça, c'est vrai que ça pose de plus en plus de problèmes. Ça remet en cause nos fonctionnements, nos façons de travailler, d'évaluer. Pourrait-on envisager un logo pour signaler l'usage de l'IA ou à l'inverse utiliser l'IA pour repérer et limiter les contenus inappropriés et enfin mettre en place une sorte de contrôle parental sur l'utilisation de l'IA pour nos enfants ? Merci beaucoup pour votre écoute et merci à tous les lecteurs ici présents.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Je pense que vous venez d'illustrer parfaitement un des travaux de prévention qu'on évoquait pour les jeunes, c'est-à-dire de leur montrer les conséquences et le temps, je dirais, gâchés, volé par les réseaux sociaux lorsqu'on les sensibilise. Je voudrais faire deux remarques par rapport à ce que vous avez dit. La première, c'est qu'au-delà de tout ce que j'ai pu dire et ce qu'on se dit depuis tout à l'heure, la consommation quotidienne, abusive de vidéos que ce soit, sur des réseaux sociaux, sur des sites de jeux vidéo ou des jeux vidéo en réseau, parce que c'est un phénomène qui est lié, et a de liens massifs, elle insensibilise à la violence et à l'excès. C'est un des problèmes qu'on a pour notre fonctionnement collectif démocratique. Je me permets d'insister sur ce point parce qu'on l'a moins évoqué depuis tout à l'heure.

On a parlé des bulles cognitives, on a parlé des ingérences. Mais comme je vous ai dit que ça poussait beaucoup d'émotions négatives, beaucoup de contenus violents, c'est les vidéos auxquelles vous êtes exposés sur des TikTok ou autres, et ça désinhibe la violence, y compris langagière. On le voit bien, la structuration de notre espace informationnel par les réseaux chez les jeunes, mais même chez les moins jeunes, a fait dériver nos référentiels langagiers vers beaucoup plus d'excès ou de violence. Ces dernières années, ça a profondément dérivé. Or, la démocratie n'existe que s'il y a du respect qui va avec. Mais ça insensibilise, et en particulier les plus jeunes, à la violence et aux actes qui sont les plus brutaux. Je voudrais le lier à quelque chose qu'on a collectivement vécu à l'été 2023, les fameuses émeutes, après la mort du jeune Nahel. Ces émeutes, elles ont été faites par des très jeunes, dans tous les quartiers où s'est arrivé. Beaucoup de gens ont essayé de l'expliquer, puis après, le débat public s'est un peu désintéressé de ce sujet. Certains disaient : " c'est tous des immigrés, donc c'est ça, le problème, on vous l'avait bien dit ". D'autres disaient : " c'est le contraire ", puis on s'est arrêtés là. C'est dommage.

C'était des très jeunes. À 90%, c'était des enfants de familles monoparentales, en grande difficulté, ou d'enfants issus de l'aide sociale de l'enfance, donc isolés. Mais ils avaient une caractéristique : tous étaient surexposés. Quand on regarde les verbatims, ils se sont organisés avec les réseaux sociaux pour aller sur les sites et ils ont fait des trucs qui étaient fous, qu'on n'avait quasiment jamais vus. Ils ont brûlé des écoles, des gymnases, des bibliothèques, des trucs de sport faits pour eux, parce qu'il y a une forme de déréalisation de la violence qui se fait à travers ces réseaux. Je le dis juste pour rajouter, pour qu'on prenne bien conscience de ce qui se passe chez les très jeunes avec les réseaux, surtout quand la structure familiale ou parentale est très affaiblie.

Maintenant, pour aller sur votre point et ajouter sur l'IA, oui, il faut prendre deux choses sur l'IA. Premièrement, en encadrer l'usage et l'accès. C'est pour ça que je parlais des agents IA. Le dialogue qu'on a commencé, c'est, d'abord qu'ils soient bien identifiés, qui soient moins, je ne veux pas être technique, mais anthropomorphiques, c'est-à-dire que ces agents sont émotionnellement trop proches de nous. Il y a de plus en plus des gens, et pas forcément que des jeunes, qui, quand ils vont sur leur IA, ont l'impression de parler à un ami et font des confidences d'amis. Ça devient dangereux. En tout cas, c'est un sujet, parce qu'on se fait avoir. Ça, c'est quelque chose qu'il faut mieux encadrer. Après, les contenus qui ressortent de l'IA, il faut pouvoir mieux les identifier. C'est une bataille qu'on est en train de commencer à mener au niveau européen pour les images comme les contenus écrits, qu'ils soient identifiés, que c'est de l'IA. C'est tout un travail qui commence, mais qu'on mène au niveau européen pour avoir cette identification et le séparer.

Maintenant, pour nos enfants, l'éducation et l'IA, je pense à plusieurs choses. D'abord, il faut continuer à garder l'apprentissage et la sanctuariser, et l'IA ne le remplace pas. C'est pour ça que le devoir sur table reste quelque chose de clé. À cet égard, le contrôle continu sur table qu'on a mis en place au lycée, toutes ces choses-là, ce sont des bonnes pratiques, parce que ce n'est pas l'IA qui pourra le remplacer. La deuxième chose, c'est qu'on a besoin de préparer au lycée à utiliser l'IA, mais l'utiliser de manière saine et pas d'en dépendre. La troisième chose, c'est qu'on a des programmes de recherche avec l'INRIA, le Collège de France et d'autres, sur comment utiliser l'IA pour un accompagnement individuel. Parce que l'IA peut être utilisée pour de bonnes choses, c'est aider à apprendre et comprendre et avoir, en quelque sorte, une forme de tuteur personnalisé. Ça ne peut se faire que sous la supervision du prof, si je puis dire, et en symbiose avec le prof et les parents. Aujourd'hui, on a parfois des utilisations abusives, mais je pense qu'on aurait tort de cesser de demander des devoirs à la maison, et surtout de moins faire de devoirs sur table, parce que là, ce n'est pas l'IA qui peut le faire à la place.

Animateur

Merci à vous. La quatrième et dernière thématique que nous allons évoquer est sur l'éducation aux médias pour tous.

Intervenant

Bonjour à tous. Monsieur le Président, chères lectrices, chers lecteurs, au sein du groupe EBRA, l'éducation aux médias et à l'information est une priorité. Aujourd'hui même, vendredi, se termine " Journaliste d'un jour ", une grosse opération menée depuis plus de 30 ans par l'Alsace et les DNA et qui concerne, en une semaine, plus de 600 lycéens. Il y a quelques jours, c'est un campus transfrontalier en 4 langues qui s'est tenu à Metz, porté par le Républicain Lorrain, l'Est Républicain et Vosges Matin. Dans les deux cas, les jeunes participants ont pu créer des contenus journalistiques, par l'écrit, par l'image et la vidéo, et découvrir comment se construit une information fiable et vérifiée. Partout dans le groupe se tiennent des ateliers d'éducation aux médias, pour les publics scolaires, les jeunes, mais aussi les moins jeunes.

Et en parlant des moins jeunes, elle fait partie de cette génération dont on a documenté qu'elle véhiculait 7 fois plus de fakes news que les 18-25 ans. Elle a participé à un atelier d'éducation aux médias que nos titres proposent et elle va nous partager son expérience. Anna, à vous.

Intervenante

Je pense être la doyenne de cette assemblée. Mon seul mérite, c'est d'avoir participé à une formation sur les fakes news. C'est très important parce que c'était une sensibilisation faite au senior et elle a été très appréciée par tout le monde. Moi, personnellement, ce qui me terrifie le plus, c'est les ingérences étrangères et la désinformation politique. Parce que, quelque part, j'ai l'impression que la guerre a commencé.

Si je peux vous dire encore quelque chose qui n'a rien à voir avec le sujet qui nous occupe : je voulais vous dire que les français sont très inquiets et qu'il est urgent de faire en sorte de les rassurer et de leur redonner de l'espoir, car il en manque terriblement.

Emmanuel MACRON

Merci d'avoir fait cette formation. Ce que vous avez dit est très juste, c'est que quand on regarde les comptes qui véhiculent le plus de fausses informations, on a plutôt des comptes de personnes qui ont plus de 60 ans, qui sont les plus sensibles. Ça se comprend assez bien, parce que c'est une génération qui a été formée à lire de la presse et donc à croire ce qu'elle lit. C'est un peu impensable de penser qu'on est dans une jungle où n'importe qui peut écrire n'importe quoi. C'est une réalité. Comme la technologie a changé très vite et que les pratiques ont changé avec elle, il y a une forme, si je puis dire, de vulnérabilité aux fausses informations. Donc, je pense que les programmes que vous menez sont très importants et je vous en remercie. Il y a un rôle de l'Éducation nationale, mais il y a un rôle à travers toutes les éducations pour former aux médias. C'est un peu le travail de prévention, comme on se l'est dit. Le docteur l'a dit tout à l'heure avec sa casquette scientifique. Mais c'est de la prévention démocratique de lutter contre les fakes news.

La deuxième remarque, je ne veux pas avoir des mots qui sont trop anxiogènes, mais il y a une guerre informationnelle aujourd'hui qui est menée par des puissances étrangères. Je crois qu'il faut qu'on ait conscience de ça. Maintenant, il n'y a pas que ça, il y a aussi des dysfonctionnements de notre propre société qui sont à l'œuvre. Depuis tout à l'heure, vous voyez, on parle, il y a les deux. Mais ça crée des vulnérabilités qui créent cela. Sur votre dernier point, vous savez, je suis là où je suis depuis maintenant plus de 8 ans, et donc je vois notre société évoluer, ce qu'on peut faire et comment on peut avancer. J'ai essayé depuis 8 ans de faire de mon mieux pour que notre pays avance et que notre Europe se tienne. On est dans un moment qui peut troubler beaucoup de gens. Il faut essayer tout simplement de poser le jeu. Je pense qu'on ne peut pas rassurer de manière un peu naïve ou très simple nos compatriotes. Je me permets de vous le dire. Parce qu'on est dans un moment de grande bascule, et si je puis dire, d'incertitude. Ce qu'on vit tous, c'est un peu l'expérience que beaucoup de choses qui étaient des certitudes s'effondrent. Il faut essayer de reprendre un à un, ce que j'essaie modestement de faire les choses, et d'y aller avec un maximum de volonté.

Il faut garder un peu d'inquiétude parce qu'il y en a une partie qui sont légitimes. Je ne veux pas rassurer de manière béate ou en prenant les françaises et les français, pas de manière sérieuse. Je pense que l'inquiétude que vous décrivez, elle est d'abord liée à la situation géopolitique qui fait peur. Face à ça, j'ai essayé, je peux vous le redire ici, de dire : " on n'a pas à avoir peur à l'excès. Mais il y a des risques qui sont là, géopolitiques, qui se sont réveillés. Si on est honnête, la guerre est revenue sur le sol européen, et c'est une des grandes inquiétudes qu'on peut avoir. Je pense que depuis 2022, on a raison d'avoir cette inquiétude-là. Est-ce que je pense demain qu'on sera attaqué par la Russie ? Non. Mais je pense que d'abord, il y a une guerre informationnelle, hybride, comme on dit, mais nous devons nous préparer. Ce risque qui existe, qui peut nourrir de l'inquiétude, la peur, qui parfois, quand il est exagéré, ou qu'on dit, " le Président, va-t-en-guerre ", la bonne réponse, c'est de dire non. Il faut regarder ce risque en face de nous, il faut s'y préparer et donc être plus fort. Ça, c'est sur la partie militaire.

Ensuite, moi, je pense qu'on est un pays, et ça peut peut-être vous rassurer, beaucoup plus fort qu'on ne le dit chaque jour. Le message que j'aurai, c'est : ne nous sous-estimons pas et ne nous divisons pas. Ne nous sous-estimons pas parce qu'il y a plein de défis, il y a plein de choses qu'on doit régler. On voit les difficultés par la fragmentation politique du moment. On est beaucoup plus fort qu'on ne le croit ou qu'on ne se le dit à nous-mêmes. C'est un grand pays, la France. On est solide, on a des infrastructures solides, des institutions solides, une force énergétique, économique. On a des services publics parmi les plus solides d'Europe. Il faut qu'on regarde aussi cette solidité, même s'il y a des tas de choses à améliorer.

Le dernier message pour rassurer, c'est de garder l'unité. Ce que j'ai fait hier avec l'annonce du service national qu'on reprend, ce qu'on veut refaire avec l'investissement dans notre école, ce qu'on fait là sur les réseaux sociaux, qui sont une très grande source d'inquiétude pour les gens, parce que les réseaux sociaux inquiètent les gens parce qu'ils s'y nourrissent, et pour toutes les raisons que j'évoque depuis tout à l'heure, ça nourrit de l'inquiétude. En se réappropriant, en retrouvant le contrôle de ces réseaux sociaux, on peut aussi aider à rassurer. Mon point, c'est préparons-nous et soyons forts sur le plan géopolitique, militaire et technologique. N'ayons pas peur, mais préparons-nous. C'est comme ça, d'ailleurs, qu'on surmontera la peur qui peut exister ou l'inquiétude. La deuxième chose, ne nous sous-estimons pas. On a des tas de choses à améliorer, des tas de choses à faire, mais on est un très grand pays, on peut aller de l'avant, et je le dis pour nos jeunes. La troisième chose, ne nous divisons pas. Continuons de bâtir l'école, le service national, la reprise en main des réseaux pour rester un pays uni. Ces 3 messages-là sont ceux qui, je pense, peuvent nous permettre d'avancer. Je l'espère, en tout cas.

Intervenant

Bonjour, Monsieur le Président. Il y a un constat, c'est que nous, nous représentons encore une génération ancienne qui avait un appétit, une soif d'aller s'informer auprès des journaux en version écrite. C'était presque un besoin. La génération actuelle, quand on leur demande dans les classes, aucun, mais vraiment aucun, ne va vers les journaux écrits en premier rang. Éventuellement, quand ils sont en week-end chez les grands-parents, à peu près 20 à 30% d'une classe dit : " ah oui, on les a vus chez les grands-parents ". Les voir, ce n'est pas les pratiquer. Mais il ne faut pas leur enlever quoi que ce soit, ils sont effectivement en besoin d'informations, ils sont très en recherche de critiques, et ils sont extrêmement curieux. Ce n'est pas du tout de les critiquer. On constate que quand on les met en action, quand on casse le quatrième mur de la salle de classe comme au théâtre, quand ils vont vers d'autres situations, comme par exemple dans le cas de « Journaliste d'un jour », ils sont pétillants d'esprit, d'initiative.

Le thème de cette année, c'était " Vive la diversité ". Les élèves que j'ai pu encadrer mardi dernier, dans le cadre de cette opération, ont fait des projets, des articles de très haute qualité. C'est très gratifiant de voir ce qu'ils sont amenés à produire. J'ai aussi pu organiser de très nombreuses rencontres in situ au lycée avec un certain nombre de témoins, que ce soit des journalistes, des gens de " Cartooning for Peace ", ou des rescapés de la Shoah comme Ginette KOLINKA. C'est ce qui leur reste. Le programme est indispensable, mais il faut le pas de côté, l'expérience supplémentaire.

Donc, comment faire pour augmenter plus que ça n'est encore possible actuellement, des initiatives qui les mettront en contact avec les journalistes, avec les médias ?  Qui leur montrera que rien n'est donné, que tout est issu d'un travail de très longue haleine, d'un travail qui coûte de l'argent. Ma deuxième question aussi, c'est que le cerveau met à peu près 25 ans à être formé. Quand on intervient dans ces jeunes années de formation au lycée avec des écrans, il y a quelque chose qui se perd. D'ailleurs, il y a une étude du MIT qui a été faite récemment qui dit que les usages de l'IA littéralement éteignent des zones de cerveau et il faut 2 à 4 mois d'abandon de l'IA pour qu'elle se réallume. Ça montre toute la problématique. Ma question par rapport à cette formation du cerveau, ne pourrait-on pas envisager l'abandon des manuels numériques avant l'université ? Ne pourrait-on pas aussi envisager de rebooster à nouveau le pass culture ? Je pense à la possibilité de s'abonner à des journaux en matière écrite. Quand j'ai fait un sondage auprès des élèves, les seules ressources qu'ils pouvaient avoir dans les ressources de journaux, c'étaient des journaux numériques.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. D'abord, l'éducation aux médias, en tout cas à la vie civique, puisque c'est aussi ça dont on parle, elle se fait par les enseignants et c'est là aussi où notre école joue un rôle essentiel et je vous remercie et je vous dis ma gratitude de voir à la fois l'enthousiasme, on le ressent que vous avez le rôle que vous jouez auprès de vos élèves. Ce pas de côté, en fait, il est très dépendant des profs, des enseignants. Je veux dire aussi l'engagement de nos enseignants pour emmener les élèves à voir ces expériences, c'est-à-dire voir des grands témoins de l'histoire, aller sur un site pour comprendre les choses ou prendre ce sentier buissonnier qui est ce qui restera. Vous avez parfaitement raison.

Donc un, c'est consolider notre école, consolider nos enseignants, consolider la formation des enseignants, qui est pour moi le grand chantier qu'on doit mener dans le temps qui vient. Ensuite, c'est donner les instruments aux enseignants. Moi, je suis un grand défenseur du pass culture qui permet de faire ça, en lien justement avec nos libraires et autres, et il faut absolument le garder. Trois, c'est en effet, c'est en lien avec ce que j'évoquais, garder la culture de l'écrit et de l'écriture. Et je pense que... Enfin, je ne pense pas, il est plutôt prouvé scientifiquement que continuer à écrire à la main, continuer à lire des livres, avec la discursivité que ça crée, éveille l'esprit et permet de garder des compétences, en effet, cognitives, qui sont très importantes, et que le tout-écran n'est pas bon. En vrai, c'est une question d'équilibre. Et ça, c'est à l'école de le faire.

Alors, j'ai noté le point sur le manuel numérique, je ne sais pas vous répondre, parce que je n'ai pas regardé ce point et je ne sais pas s'il y a un consensus. Je suis plutôt d'accord intuitivement avec vous, mais je ne veux pas vous dire de bêtises. Par contre, je pense que c'est la bonne approche. Donc oui, on a besoin de garder dans notre école, si je puis dire, un modèle mixte le plus longtemps possible et donc de protéger ce rapport à l'écrit, au physique. Mais je voudrais faire un autre point qui est au moins aussi important, me semble-t-il, dans le lien aux médias et à l'information, c'est de faire comprendre, d'inciter, d'encourager nos jeunes à aller vers des titres de presse qui soient d'ailleurs physiques, papiers, parce que c'est le distinguo qu'on vient de faire, ou numériques, mais déjà d'aller vers un site d'un journal ou d'un média avec des journalistes n'est pas la même chose que d'aller sur tel ou tel site qui ne vous est pas familier, qui n'est pas connu, qui n'est pas reconnu comme un site d'information pour s'informer. Et ça, je pense que c'est très important.

Ce qui fait le lien avec ce que vous avez dit au début et qui est un sujet très délicat, qui est celui d'un label et qui est aussi une manière de lutter contre ce que vous avez montré dans votre enquête. Parce qu'on peut vous tromper, on peut créer un faux site d'information. Et je crois qu'on est quand même, il faut être lucide, quand on a un journal avec une rédaction, il y a depuis nos lois du XIXe siècle sur la presse, une responsabilité de cette rédaction. C'est-à-dire que les informations qu'on vous donne à lire, ce que vous avez à connaître par les journaux, il y a quelqu'un qui est responsable. Donc si c'est faux, si ça met en cause votre dignité, si c'est une information fausse, on peut demander à ce que ce soit rectifié, on a un droit de réponse, et puis on peut demander à ce que ce soit corrigé. On peut même aller pénaliser, donc aller devant le juge pour punir la rédaction.

C'est quand même la grande différence avec ce dont on parle depuis tout à l'heure. Un réseau social, ce n'est pas du tout le cas et un faux site d'information, ce n'est pas le cas. Ce fondement, il faut le comprendre parce que c'est un garant en soi du fait que les gens qui travaillent dans un titre de presse, ils ont une déontologie et ils doivent vérifier cette information. C'est ce qui fait que cette information, elle sera fiable et donc ça a une valeur. Ça, je pense qu'il faut l'éduquer, il faut le transmettre, il faut le rappeler aussi, parce qu'on a tendance à le perdre de vue. Mais c'est aussi pour ça que je crois que ça a beaucoup de valeur que les rédactions elles-mêmes, en quelque sorte, renforcent ce muscle.

Ce que vous avez fait, puisque vous l'avez dit tout à l'heure avec, justement, la labellisation que vous avez adoptée par la méthodologie que Reporters sans frontières avait mise en place, c'est aussi un point important de qualité. Parce que si on laisse l'espace informationnel de manière totalement indifférenciée, le lecteur est un peu perdu, parce qu'il a l'impression parfois d'être dans un journal. Là, vous garantissez que vos journalistes ont une déontologie, une méthodologie de travail, et donc vont vérifier. Je dis ça, c'est important, parce que ce n'est pas l'État qui doit vérifier. Si c'est l'État qui doit vérifier, ce n'est pas mieux que le système où on vit aujourd'hui. Parce que là, ça devient une dictature. Mais il faut que les journalistes garantissent à leurs lecteurs qu'eux ont vérifiés avec une déontologie, dont ils sont les garants entre eux, et une méthodologie qui est bâtie entre eux et garantie par des tiers, des pairs. Ça, c'est très important, et ça, je pense, c'est clé, et c'est aussi important que la différence entre le numérique et le physique.

Sophie GOURMELEN

Juste pour prolonger la question sur le pass culture, il est maintenu, certes. Les établissements attendent d'en savoir plus.

Emmanuel MACRON

Vous avez compris d'où je parlais. Le président de la République que je suis, qui a voulu ce pass-culture porté, défendu, j'y crois à fond, dans sa part. Il y a une part individuelle et une part collective qui est dans la main des profs. Vous avez une Assemblée nationale qui est fragmentée, si je puis dire, divisée, qui est en train de bâtir des consensus. Ce n'est pas moi qui suis à l'œuvre dans cette affaire. J'adorerais qu'elle puisse sortir un budget qui le préserve, parce que je pense que c'est une très bonne chose pour nos jeunes et pour les profs. Voilà.

Animateur

Merci. Alors, on va poursuivre avec les élèves du collège Dolmaire, un collège qui ne vous est pas inconnu, puisqu'en 2018, vous y êtes rendu. C'est un établissement qui place l'éducation aux médias et à l'information au cœur de ses prérogatives. Les élèves contribuent d'ailleurs depuis trois ans à un journal en partenariat avec nos journaux, mais aussi avec la Maison pour la Science de Lorraine et la Fondation La Main à la Patte, dont l'objectif vise à mettre sous les projecteurs les filières scientifiques et les initiatives. Alors, ces élèves, ils sont avec nous, ils sont aussi accompagnés d'un des enseignants, et chacun ont une question à vous poser.

Intervenant

Monsieur le Président. Je vais rebondir sur l'idée de repousser l'âge des réseaux sociaux à 15 ans. Et donc ma question c'est, serait-il possible de bloquer certains contenus pouvant être choquants plutôt que de repousser l'âge à 15 ans ?

Intervenant

Donc bonjour Monsieur le Président, comment faire pour trouver des informations vraies sur Internet sans se faire manipuler ?

Intervenant

Bonjour, Monsieur le Président. Les élèves ont participé à une très belle activité dans un laboratoire avec quatre chercheurs où l'objectif était de faire des équipes sur des sujets différents mais connexes afin d'essayer de trouver la vérité sur un problème local. Ce problème était un problème de pollution, celui que nous avons choisi. L'intelligence artificielle consomme de l'énergie, consomme de l'électricité et consomme de l'eau. Et cette intelligence artificielle, nous l'utilisons très souvent à notre insu ou quand on le veut. D'où ma question. Comment conjuguer apparente facilité des intelligences artificielles et son impact environnemental croissant dans nos usages au quotidien.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Alors, sur ta première question, c'est en fait assez dur et ce n'est pas très opérant de retirer les contenus parce qu'on n'a pas tellement de moyens sur les réseaux sociaux pour le faire.

Aujourd'hui, tous les jours, on essaie de faire retirer des contenus. On a obtenu de hautes luttes de retirer les contenus terroristes. Et c'est appliqué par certaines plateformes, il y en a encore, malheureusement, ce n'est pas fait. Normalement, elles n'ont pas le droit de mettre des contenus qui sont à caractère raciste ou antisémite. Et on peut activer une plateforme qui s'appelle Pharos pour les faire retirer quand il y a de tels contenus. C'est très dur, très lent, et ce n'est pas toujours fait parce qu'en fait, les plateformes, elles ne modèrent pas, comme on dit. C'est-à-dire, elles ne mettent pas assez de moyens pour le faire. Et donc, on a essayé toutes ces dernières années, moi, ça fait huit ans que, au moins une fois par an, j'ai fait venir tous ces réseaux sociaux, ces plateformes, pour aller dans le sens de ce que tu disais. Je n'ai jamais obtenu de résultats crédibles et elles vont plutôt dans l'autre sens aujourd'hui. Donc, en fait, ce n'est pas opérant. On n'arrivera pas. Ce n'est pas efficace de juste retirer des contenus. Ça, c'est le premier point.

Le deuxième point, c'est qu'en fait, le consensus scientifique, c'est plutôt de dire, au-delà de certains contenus, c'est le fait même de passer autant de temps devant un écran et sur ces réseaux qui n'est pas bon avant 15 ans. C'est la dépendance que ça crée. C'est le mécanisme même de dépendance qui est lié à ces fameux algorithmes dont je parle depuis tout à l'heure, ce qu'on va pousser. Et même si c'était que des vidéos de chatons ou de je ne sais pas quoi, ce n'est pas génial de passer 4h20 à regarder des vidéos de chatons. Tu vois ? Ce n'est pas super bon pour le développement affectif, cognitif. Donc ce n'est pas qu'une question de contenu. En vrai, jusqu'à 15 ans, il faut essayer beaucoup plus d'être dans les rapports humains qui créent de la bienveillance. C'est le visage de l'autre, le regard de l'autre, le monde réel. Parce que je n'ai pas consolidé mon rapport au réel et je ne peux pas passer trop de temps sur un monde qui est en fait un monde un peu irréel, celui des vidéos ou des messages. Tu vois, j'ai un peu répondu à la question, mais donc c'est mieux d'aller quand même dans ce sens-là. Ça peut paraître un effort très important, moi, je ne crois pas, parce que toutes les générations qui ont vécu sans, elles n'ont pas vécu dans le malheur. Et donc, ça va juste un peu changer les choses, mais je pense pour le bien, et ça va apprendre aussi à les utiliser.

Ensuite, en fait c'est ce qu'on écrivait sur comment avoir une info vraie et ne pas être manipulé. D'abord, je ne voudrais pas que vous rentriez dans un monde de défiance absolue. Si je te dis quelque chose, normalement, en soi, je ne le fais pas pour te mentir et toi non plus avec moi. Donc ça, c'est hyper important. On est dans une société où on cherche à avoir de la confiance. Ce qui est vrai, c'est que dans la jungle, dans l'immensité d'Internet, tu n'es pas toujours sûr. Quand tu ne connais pas les gens, tu ne sais pas. Donc le mieux, c'est d'aller sur des sites dédiés à l'information pour s'informer et donc de rechercher les titres de presse, les journaux locaux ou nationaux, ou spécialisés, mais qui sont faits par des gens dont c'est le métier d'informer. C'est comme ça que tu as une garantie, c'est ce qu'on disait, parce que tu as derrière ça non pas des gens comme nous, si je puis dire, sauf quelques exceptions dans cette salle, c'est-à-dire des gens qui vont avoir un avis ou qui vont donner leur regard du monde, même si peut-être, on a raison ou tort, ou peut-être que c'est vrai, mais tu as la garantie d'avoir une information qui est faite par des journalistes. C'est-à-dire des gens dont c'est le métier, qui ont été formés pour ça, et qui ont une déontologie, qui ont donc vérifié cette information. Donc c'est d'aller sur des sites d'information vrais et connus.

Et puis sur votre question, professeur, qui est sur un autre champ qui est l'intelligence artificielle, je ne voudrais d'abord pas donner le sentiment qu'on doit être technophobe. Les réseaux sociaux, l'intelligence artificielle, les innovations technologiques, c'est une formidable chose. Simplement, je le dis, rappelant nos vieux maîtres : " Science sans conscience n'est que ruine de l'homme ". Donc ce qu'on dit depuis tout à l'heure, c'est simplement nos vieux préceptes de l'humanisme de la Renaissance, c'est super l'innovation, c'est super la science et ses innovations, mais il faut y remettre de la conscience, donc la mettre au service de l'humanité. Mais donc c'est une très bonne chose d'avoir de l'IA. L'IA, on en utilise partout. Qu'est-ce que c'est l'intelligence artificielle ? C'est une machine apprenante avec des capacités de calcul énormes. Et donc, il ne faut pas se tromper, là, on en parle beaucoup parce qu'on a une machine apprenante qui fait du langage. C'est ce qu'on appelle l'IA générative. Le Chat, ChatGPT, etc.

Mais vous utilisez de l'intelligence artificielle, en fait, en permanence. Dès que vous vous repérez sur un moteur de recherche, dès que vous utilisez quelque chose qui vous guide sur votre voiture, etc. C'est vrai que ça consomme. Et donc, il y a deux réponses à ça, c'est d'avoir les modèles qui soient le plus sobre, et c'est tout ce qu'on essaie de nous développer dans notre stratégie de l'intelligence artificielle. Si Mistral et son modèle qui s'appelle Le Chat est meilleur à nos yeux que les autres, c'est d'abord parce qu'il est européen, c'est vrai, et français, mais c'est aussi parce qu'il est plus sobre, c'est-à-dire qu'il utilise moins de capacités de calcul pour faire son travail. Et donc, il y a une possibilité de faire la même chose sans envoyer des filets partout. Donc sobriété.

Et deux, c'est de produire l'énergie la plus décarbonée pour le servir. Et c'est ce que, là pour le coup, la France a un énorme avantage. C'est pour ça que je pense qu'on est fait pour être aussi une grande nation de l'IA parce qu'on a des chercheurs et des entreprises qui développent des modèles beaucoup plus sobres que les super gros modèles de calcul massif anglo-saxons, et que nous, contrairement aux États-Unis, on produit l'électricité la plus décarbonée et pilotable d'Europe, parce qu'on a du nucléaire, du renouvelable et de la sobriété énergétique. On a une grosse base installée de nucléaire.

Animatrice

Pour finir, je vous propose d'échanger avec trois lycéens. Ils sont tous les trois engagés, élus, au sein du Conseil de vie lycéenne du lycée Vuillaume, tout près d'ici.

Intervenante

Monsieur le Président. Ma question aujourd'hui, c'est comment on peut garantir que les victimes du cyberharcèlement soient mieux accompagnées, que ce soit juridiquement ou psychologiquement, alors qu'on voit qu'il y a de moins en moins de moyens dans la santé publique et que surtout, financièrement, ça pose beaucoup de problèmes à beaucoup de familles.

Emmanuel MACRON

Oui, alors d'abord, il faut faire attention, quels que soient les débats qu'on entend. Il n'y a pas moins d'argent dans la santé publique. Il y a eu un investissement massif. Les budgets, même s'il y a des désaccords, les gens débattent à l'Assemblée en ce moment. C'est sur la nature de la hausse. Mais le budget en santé, il augmente. Et d'ailleurs, il n'y a pas un schéma où il peut baisser, parce qu'on a une population qui vieillit. Mais il y en a qui veulent le faire augmenter plus, d'autres moins, d'autres ceci ou cela. Mais il augmente. Et moi, j'avais pris des décisions avant Covid, j'en ai pris à la sortie du Covid avec ce qu'on a appelé " le Ségur ", d'augmentation historique même de rémunération. Je dis ça, il faut faire attention, parce qu'on n'est pas un pays qui baisse les dépenses de santé ou d'éducation. Ce sont des postes qui augmentent. Ça, c'est un point.

Ensuite, le cyberharcèlement, ça rejoint la discussion qu'on avait tout à l'heure. C'est, 1) nous on doit être beaucoup plus fort sur la prévention, ce qu'on fait à l'école et avec les familles. 2) on a amélioré les choses sur la riposte, donc la répression, le pénal, l'éloignement de ceux qui harcèlent. 3) on va continuer l'accompagnement. Et ça, c'est le message qui est aussi envoyé au rectorat, avec la communauté pédagogique, et les profs font un très gros travail pour accompagner les familles et les élèves qui ont subi ça, parce qu'on veut garder les élèves dans l'école où ils l'ont subi, mais plutôt éloigner ceux qui harcèlent. Et c'est un investissement qu'on fait sur la partie santé mentale et accompagnement des jeunes. Donc ça, on ne baissera pas le pavillon. Et j'espère que les débats qui suivront nous permettront de sanctuariser ces moyens.

Intervenante

Donc les parents de ces victimes et ces victimes peuvent espérer trouver plus tard peut-être une plus grande diversité de solutions à leurs problèmes, à cette violence qu'on retrouve sur les réseaux sociaux ?

Emmanuel MACRON

Alors ça, c'est une question plus large qui est un peu ce dont on parle depuis tout à l'heure. Je pense que la bonne réponse, c'est de remettre en quelque sorte de la discipline, du calme, du respect, de la bienveillance dans les réseaux sociaux. C'est pour ça qu'il faut d'abord en protéger les plus jeunes. Il faut, à l'école, remettre la bienveillance au cœur de la mission. C'est tout ce qu'on a fait ces dernières années, chez les plus petits en particulier. L'apprentissage de la bienveillance, qui est un élément clé, et avoir une société collectivement qui se calme, je l'espère. La réponse n'est pas univoque et elle n'est pas uniquement dans ma main.

Intervenante

Vous appréhendez aujourd'hui les problématiques liées à l'usage des réseaux sociaux dans une perspective d'interdiction de leur accès aux moins de 15 ans. Ne pensez-vous pas qu'il serait plus pertinent, au contraire, d'éduquer dès le plus jeune âge au libre arbitre et à l'usage raisonné et responsable des outils numériques ?

Intervenant

Bonjour, Monsieur le Président. Nous avons toutes et tous conscience de l'importance des algorithmes dans l'accès aux contenus numériques. Comment envisagez-vous de contraindre davantage juridiquement les plateformes à modifier de façon plus vertueuse leur algorithme, mais aussi d'asseoir un contrôle avancé des contenus circulant sur les réseaux ?

Emmanuel MACRON

Alors, j'allais dire sur la première question, conformément à ma pratique habituelle, je dirais en même temps. Non, je ne les opposerai pas. En vrai, on sait maintenant que l'éducation au libre arbitre, etc., n'est pas suffisante. Ça rejoint ce que je disais. D'abord, la surexposition aux réseaux, aux écrans, elle est mauvaise, et pas simplement quand on est exposé à de mauvaises informations. Elle est mauvaise par le temps qu'elle vous prend, par le temps supprimé de sport, de lecture, de vie, si je puis dire, sociale, merci. Et donc, ce n'est pas uniquement la capacité à se protéger des fausses informations, c'est beaucoup plus large. Ensuite, le cerveau n'y est pas prêt à cet âge-là. Il y a maintenant un consensus de plus en plus fort. Ça éveille plus tôt des troubles, c'est mauvais.

Donc, ce n'est pas simplement l'enseignement du libre arbitre qui peut me conduire à dire qu'il faut laisser ouvert. C'est un consensus scientifique et une expérience qu'on a ces dernières années qui me conduit à vous dire : jusqu'à l'âge de 15 ans, ce n'est pas une bonne chose. Il faut plutôt refroidir, être moins sur les écrans, la technologie, mais il faut vous apprendre à l'utiliser. Et là où vous avez tout à fait raison, c'est en même temps qu'il faut faire les deux. Ce n'est pas parce qu'on l'interdit qu'il faille vous laisser dans le brouillard complet, c'est qu'il faut qu'on vous apprenne à utiliser ces instruments, il faut qu'on vous éveille sur les formidables opportunités et les risques qu'il peut y avoir, et qu'on vous dote de votre libre arbitre.

Après, simplement, on parle de 15 ans, et je veux remettre les choses aussi en ordre, c'est-à-dire que j'entends parfois, dans le débat public, libre arbitre, esprit critique, c'est très important, mais c'est à un certain âge. Il faut d'abord enseigner et transmettre des connaissances solides. Et en vrai, dans ce monde, et ça rejoint la question sur l'inquiétude de Madame tout à l'heure, le monde nous inquiète.

J'ai essayé d'apporter quelques réponses à échelle humaine, mais il nous inquiète aussi parce qu'on a l'impression qu'il n'y a plus rien de sûr. Tout est en train un peu de se désagréger. Et donc, on a aussi besoin, pour les plus jeunes, de dire qu'on doit transmettre des connaissances et des certitudes, c'est-à-dire des choses robustes et solides. Et on peut s'orienter dans le monde, on peut commencer à douter, à avoir de l'esprit critique et libre, quand on a un socle de connaissances. Et ça, c'est très important, y compris pour le bien-être de chacun. Parce que si on vit dans le doute et le brouillard permanents, on ne peut pas être heureux, on ne peut pas être stable. Et donc l'école, c'est d'abord transmettre des savoirs, des connaissances. C'est le rôle de la société à l'égard des plus jeunes. C'est ensuite apprendre à douter intelligemment.

L'esprit critique, mais il faut un certain âge. Moi, j'ai appris Descartes, mais je savais d'abord compter. Il m'a appris à douter sur deux et deux, mais enfin, j'avais d'abord bien appris les tables de multiplication. Donc, je ne suis pas non plus dans une société où il faut douter de tout avant d'avoir appris le début d'une idée. Donc, il faut faire transmission des connaissances, libre arbitre, esprit critique et protection face aux réseaux sociaux pour vous sauver du temps. Au fond, du temps de construction de soi-même jusqu'à l'âge de 15 ans, et après d'en avoir la bonne pratique.

Sur les algorithmes, c'est assez difficile de leur demander d'évoluer dans le bon sens parce qu'on ne sait pas comment ils fonctionnent aujourd'hui, c'est une boîte noire. Donc, ce qu'on doit demander à ces réseaux sociaux, c'est la transparence sur leurs algorithmes, et après d'être dans un dialogue. Alors soit c'est la transparence absolue, c'est-à-dire vous les rendez publics auprès de tout le monde, ce qui est le plus simple, soit c'est au moins la transparence à l'égard de régulateurs qui pourront regarder et à ce moment-là, donner des orientations en disant : vous devez corriger ceci ou cela, vous avez un problème. Aujourd'hui, on ne peut faire que des tests de bon fonctionnement ou dysfonctionnement des algorithmes. Ce que je disais tout à l'heure sur TikTok, c'est un test empirique, mais on n'a pas de vue sur l'algorithme. Donc moi, je veux me battre pour qu'on ait la transparence de l'algorithme, ce qui est la seule chose qui permettra d'être sûr que c'est sincère, soit public, soit auprès des régulateurs de ces plateformes.

Animateur

Merci, Monsieur le Président. Merci à nos témoins, nos collégiens, nos lycéens et nos journalistes, qu'on peut également applaudir, s'il vous plaît. Et je vais céder la parole à Madame la Présidente Sophie GOURMELEN pour clôturer ce face-à-face avec Monsieur le Président de la République.

Sophie GOURMELEN

Merci pour la qualité des échanges et merci pour les témoignages qui étaient parfois extrêmement touchants, très intimes. Et je crois qu'aucune plateforme n'aurait été capable de faire ce débat comme celui qui a été fait aujourd'hui. Donc, merci aussi aux journalistes qui ont préparé cet entretien et qui ont fait en sorte que ce que vous avez entendu, Monsieur le Président, ce sont des propos qui sont précis, clairs, détaillés et qui vous ont permis d'avoir un état de la préoccupation des Français et des Françaises, en tout cas de nos lecteurs et de nos lectrices.

On voit à quel point les journaux sont importants et j'espère que les gens qui sont dans la salle ici aujourd'hui continueront à nous lire longtemps, à nous acheter aussi. Et c'est vrai que pour nous, groupe de presse, l'écosystème dans lequel nous sommes, avec les plateformes qui pillent nos contenus et qui utilisent de plus en plus les fausses informations, vous l'avez dit vous-même, pour faire venir des usages de plus en plus importants, ça détruit de la valeur et la valeur de nos contenus aujourd'hui est de moins en moins importante. On n'arrive plus à faire payer, en tout cas auprès des jeunes, l'information. C'est très difficile, mais on a beaucoup de créativité, beaucoup d'envie et on y croit beaucoup.

Donc, avec l'ensemble en tout cas des titres du groupe EBRA, on va s'attacher à faire en sorte que les journaux durent encore très longtemps et qu'on puisse, comme aujourd'hui, continuer à faire des débats de cette qualité. En tout cas, merci pour votre présence.

Animateur

Merci à vous, Madame la Présidente, Sophie GOURMELEN et Monsieur le Président de la République. Nous vous laissons clôturer cette matinée Face aux lecteurs du groupe EBRA.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Écoutez, d'abord, merci à nouveau au groupe EBRA, Madame la présidente, pour l'accueil, et merci aux rédactions qui ont été mobilisées, aux journalistes qui ont préparé et animé ces débats, et à vous toutes et tous, Mesdames et Messieurs, qui avez pris la peine de venir, d'échanger. J'espère que ça vous aura éclairé sur quelques aspects ou en tout cas fait réfléchir. Moi, j'ai pris note aussi de beaucoup d'idées, de commentaires et de questions ou de suggestions qui ont été faites.

Mais au fond, ce que nous avons fait ce matin, enfin, la pratique, je dirais, indépendamment même du sujet ou du fond, elle illustre l'importance de la délibération. Et ce n'est pas la même chose qu'échanger des avis sur une plateforme qui deviennent assez vite des invectives. Et donc on voit bien l'importance, au fond, pour qu'une démocratie fonctionne, elle a besoin d'informations fiables et claires, et donc elle a besoin d'une presse libre, indépendante et professionnelle. Elle a besoin de moments de délibération. Ils sont organisés par la presse, ils le sont dans nos villes et villages, ils doivent l'être au niveau national, et c'est un travail collectif qui est important pour pouvoir gérer nos accords et nos désaccords, mais être sûrs qu'on a du commun.

Et je voudrais, moi, juste terminer avec ce point-là. Je pense qu'on est dans une société des générations qui a de formidables opportunités. Il ne faut pas se tromper. Je ne voudrais pas que vous partiez avec une vision catastrophiste du monde où on vit. C'est un moment d'accélération technologique qui est porteur d'opportunités inédites, et on veut les saisir dans la santé, dans l'énergie, etc. Et on a une chance de... pouvoir être connecté avec le savoir, avec le bout du monde, et d'accélérer, d'avoir des percées scientifiques absolument inédites. Simplement, il faut reprendre le contrôle pour notre vie démocratique et pour nos enfants. Et je crois que c'est ce travail-là qu'on a à faire, qui est un travail juste d'équilibre et, au fond, de conscience collective. Et il faut le faire pour éviter que notre société ne parte un peu dans tous les sens. C'est-à-dire se renferme vers moi, c'est ce qui m'inquiète le plus dans ce moment de formidables opportunités, c'est qu'il y a une solitude croissante dans notre société et une baisse de la capacité à discuter. Et elle est un peu liée au sujet qu'on évoque depuis tout à l'heure.

Et donc, si on veut remettre du commun, il faut retrouver les voies et moyens de le faire et donc reprendre le contrôle de ces instruments technologiques pour être sûrs qu'ils sont à notre service, mais qu'ils ne fassent pas muter, si je puis dire, notre manière d'être ensemble et d'être une démocratie forte, et qu'ils ne donnent pas des opportunités inédites à des adversaires ou des ennemis qui voudraient nous abattre. Mais tout ça, ça veut juste dire reprendre le contrôle de notre vie démocratique et de nos vies. C'est possible si on en a la conscience collective et qu'on le décide. C'est, je crois, le travail que nous devons faire, et il est important. Il est important pour l'indépendance de la nation et il est important pour le bien-être de notre démocratie et pour le bien-être de nos jeunes. Donc, c'est une formidable mission, mais on peut tous la relever uniquement ensemble. Voilà ce à quoi je crois et voilà un peu de ce qu'on a fait ce matin collectivement. Et donc derrière ça, pour vous donner la transparence, je vais finir ces débats en région. Il y aura un moment où je rendrai compte au niveau national. Et puis, on fera sans doute des textes de loi à l'échelle nationale, donc là, assez vite, au premier trimestre 2026, on les lancera.

Et puis, on va lancer une série d'initiatives européennes, elles prennent toujours un peu plus de temps, mais au même moment, pour essayer d'avoir le maximum de retours dans l'année 2026 en particulier, parce que sur les questions d'ingérence ou autres, on a quelques échéances à venir où il faut qu'on soit encore mieux armés. Et voilà pour que vous compreniez l'avancée et se dire que tout ce qu'on s'est dit ce matin aussi va donner lieu à un agenda de décision et d'action. Merci beaucoup en tout cas à toutes et tous.

Animateur

C'est nous qui vous remercions, Monsieur le Président de la République. On peut encore une fois applaudir, s'il vous plaît, Mesdames, Messieurs, et qui va devoir nous quitter maintenant dans quelques instants. Monsieur le Président, qu'on peut remercier encore une fois et applaudir chaleureusement, s'il vous plaît.

28 novembre 2025 - Seul le prononcé fait foi
Face aux lecteurs du groupe EBRA à Mirecourt.
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Sophie GOURMELEN

Merci beaucoup. Monsieur le président de la République, chères lectrices, chers lecteurs, Mesdames et Messieurs, bienvenue à Mirecourt dans l'Espace Robert Flambeau. Monsieur le Président, permettez-moi de vous dire combien votre venue ici nous touche. Votre présence dans une petite ville des Vosges n'est pas un geste anodin, même si elle a demandé un peu de créativité à nos équipes, que je tiens à remercier ici. C'est la preuve concrète que vous choisissez d'aller à la rencontre des Français, partout où ils vivent. Cela compte pour nos territoires, pour nos lecteurs et pour nos journaux, qui racontent leur quotidien tout au long de l'année. Merci sincèrement d'être ici.

Je veux aussi saluer chaleureusement nos lectrices et nos lecteurs — je me tourne ici — venus parfois de très loin, dans l'ensemble des régions couvertes par les 9 titres du groupe EBRA. Nous avons des gens qui sont venus de Strasbourg, de Lyon, de Grenoble, de Dijon. Votre présence dit beaucoup. La presse régionale rassemble des citoyens attentifs et engagés qui veulent comprendre le monde et participer activement au débat public. C'est une vraie force pour notre démocratie.

Les sujets que nous abordons aujourd'hui, le cyberharcèlement, la dépendance aux réseaux sociaux, la désinformation, l'ingérence étrangère, l'éducation aux médias, sont au cœur des préoccupations de nos lecteurs. Nous avons sélectionné une douzaine de témoins directement touchés dans leur vie quotidienne, et cette rencontre vous offre, Monsieur le Président, un échange direct et franc avec celles et ceux qui vivent ces transformations, parfois avec inquiétude, mais souvent avec grande lucidité. C'est aussi pour nos lectrices et nos lecteurs l'occasion d'être entendus et d'obtenir des réponses sur la manière de prévenir les dangers des réseaux sociaux lorsqu'ils ne sont ni encadrés, ni suffisamment compris.

Le groupe EBRA souhaite prendre pleinement part à cette réflexion collective. C'est pourquoi nous allons créer un think-tank, que nous allons appeler Informations et démocratie, un lieu indépendant, ancré dans les territoires, pour analyser, comprendre, proposer. Notre ambition est simple, contribuer à notre place à une société mieux informée, plus sereine et plus confiante. C'est pour nous la continuité naturelle de notre raison d'être, renforcer les liens de proximité et de confiance dans nos régions. Je veux également revenir sur un engagement qui fait la singularité du groupe EBRA en France. Nous avons renouvelé la certification Journalism Trust Initiative, JTI. Le groupe EBRA est aujourd'hui le seul groupe de presse français à disposer de ce label. C'est un process exigeant qui nous oblige à être exemplaires dans le traitement de l'information. Elle constitue une reconnaissance internationale du professionnalisme de nos journalistes et de la rigueur de nos rédactions. Adossée au sérieux et à l'indépendance de Reporters Sans Frontières, cette certification envoie un message clair à nos lecteurs et à nos annonceurs. Nous faisons ce que nous disons, et nous le faisons en toute transparence. Dans un environnement qui est saturé de contenus, où les fausses informations circulent plus vite que les vraies, cette exigence n'est pas seulement une promesse, mais c'est un devoir démocratique.

La presse régionale quotidienne a une mission unique, relier, expliquer, rendre visibles les réalités du terrain. Ce qui se vit dans les villages, dans les villes moyennes, dans les quartiers, ne doit jamais rester dans l'ombre. Notre rôle, Monsieur le Président, est aussi de créer les conditions d'un dialogue sincère entre les citoyens et ceux qui décident. Merci à vous, Monsieur le Président, d'avoir accepté cet échange. Merci pour votre disponibilité, pour votre écoute et pour cette attention qui est portée à nos territoires. Merci à vous tous, lectrices et lecteurs, pour votre confiance. Je vous propose maintenant de passer à ce pour quoi nous sommes tous réunis ici, place aux échanges et place au débat. Merci beaucoup.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Merci Madame la Directrice générale pour vos mots et merci à la Commune de Mirecourt et aux dirigeants de Flambeau de nous accueillir. Merci Mesdames et Messieurs d'être là. Comme vous l'avez rappelé, je sais que plusieurs d'entre vous viennent parfois de loin pour pouvoir avoir cet échange. Je ne vais pas faire de discours d'ouverture, parce que je pense que c'est l'échange qui compte avant tout.

Moi, j'ai commencé ça depuis plusieurs semaines avec plusieurs titres de presse quotidienne régionale, parce que je considère que le moment que nous sommes en train de vivre, qu'il s'agisse d'ailleurs de l'impact des réseaux sociaux ou de l'intelligence artificielle, on y reviendra sans doute dans nos discussions, sur à la fois nos jeunes et sur le fonctionnement de nos démocraties, arrivent à un point qui suppose de, en quelque sorte, bâtir du consensus sur la lecture qu'on en a et essayer de construire des décisions collectives. En fait, les décisions, ça ne peut pas simplement être une loi, un décret qui est pris depuis Paris ou des changements de règles européennes, parce qu'il y a une partie de tout ça qui dépend aussi de l'Europe, depuis Bruxelles, ça ne peut fonctionner que si on est tous d'accord sur le constat, en tout cas une majorité d'entre nous, parce que c'est une forme de mobilisation, de sursaut de la nation qu'il faut. Mais quelque chose est en train de se passer dans le fonctionnement de nos démocraties qui part de travers, si je devais le dire de manière la plus simple possible.

J'ai été un peu surpris, depuis qu'on a commencé ce débat, je dois bien le dire, de parfois lire ou avoir des commentaires dans la presse nationale ou dans la télévision pour dire que tout ça n'avait pas grand intérêt. C'est bizarre. Comme s'il fallait, au fond, que des débats sur les plateaux nationaux où deux experts sur un plateau national purgeaient le débat, c'était ça qui est intéressant. Moi, ça m'intéresse plus sur ce sujet, dans le moment qu'on vit, d'écouter les Françaises et les Français partout sur le territoire national. Je remercie la presse quotidienne régionale de porter ce combat et de le faire, je dirais, contre vents et marées, et même si ce n'est pas à la mode chez certains, parce qu'il se trouve que d'Épinal à Saint-Dié, en allant jusqu'à Grenoble, et comme vous l'avez dit, tout votre ressort, vous avez des choses à dire, vous vivez des choses, ça m'intéresse de les entendre et j'ai envie qu'on débatte, donc je ne serai pas plus long.

Animateur

Merci à vous, Monsieur le président de la République. Alors, nous avons deux heures maintenant pour échanger. Pour cette première séquence sur la désinformation qui s'intitulera « Désinformation et ingérence étrangère ».

Intervenant

Bonjour Monsieur le Président, merci d'être ici. Bonjour à tous. Vous l'avez dit, on commence sur les ingérences étrangères et la désinformation. C'est un sujet sur lequel vous intervenez vraiment régulièrement et vous avez notamment souvent alerté sur les risques démocratiques que ça implique. Le constat n'est donc pas nouveau, mais il s'aggrave. Face à cela, on ne part pas de rien. Vous allez sans doute parler de VIGINUM. Je précise, c'est le service public de vigilance et de protection numérique contre les ingérences étrangères. Il existe depuis 4 ans.

Certes, il existe, mais ça n'a pas empêché, malgré tout, près de 150 sites d'information d'être créés en France rien qu'entre janvier et juin. Alors, face à ces entreprises de désinformation orchestrées de l'étranger, nous, presse quotidienne régionale, nous nous sommes longtemps crus un peu épargnés. Épargnés parce que nous sommes proches du terrain, nous sommes proches des gens, proches des réalités locales, mais c'est précisément justement parce que nous sommes tout ça que nous sommes devenus des cibles de la part des ingérences. Donc pour en parler, je ne vais pas laisser la parole dans un premier temps à un des lecteurs et ils seront nombreux à prendre la parole ensuite. Je vais laisser la parole à un journaliste à Vosges Matin, il a écrit une vaste enquête sur ce sujet-là qui a été publiée dans sur surtout dans tous nos journaux il y a 48 heures.

Intervenant

Bonjour Monsieur le Président, bonjour tout le monde. Oui, on a réalisé une enquête sur ce sujet. Comme le dit Nathalie, 150 faux sites qui reprennent les codes de la presse régionale, c'est assez édifiant, le constat est édifiant, et ce, malgré VIGINUM. Alors moi, ma question, elle sera toute simple. Vous avez mis en place, il y a 4 ans, des moyens d'action pour lutter contre tout ça et malgré tout, l'État semble débordé par la situation et complètement impuissant. On va prendre l'exemple d'un site plus local qui s'appelle Vosges en ligne, qui a été créé en début d'année, je crois. Aujourd'hui, il a disparu, puisque je pense qu'il a été signalé qu'il a disparu depuis notre enquête. Il n'est plus accessible, mais nos recherches ont permis de démontrer qu'il n'avait fallu que quelques heures via ChatGPT et une douzaine d'euros pour le créer à l'étranger, qu'il était hébergé dans un data center en Islande, qu'il avait été référencé par une entreprise… une société d'Angleterre basée à Londres. On voit à quel point il est aisé de créer un faux site d'actualité et de faire circuler de fausses informations sur la toile. Donc ma question est très simple, au vu de ce constat, quel moyen concret pourrait être, selon vous, mis en place pour l'empêcher de renaître sous une autre appellation dans quelques jours, dans quelques heures même ? Voilà. Merci.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Alors, c'est un énorme sujet et on n'en a pas forcément conscience. Mais en effet, les réseaux sociaux et l'intelligence artificielle, d'ailleurs maintenant aussi, qui vient s'ajouter, sont utilisés par des puissances étrangères pour venir déstabiliser nos démocraties. Alors là, vous avez cité un cas, je ne sais pas par qui c'est signé derrière. En tout cas, il y a des éléments pour montrer que ça vient de l'étranger et que c'est plutôt pour nous déstabiliser. Par exemple, il y a quelques mois, il y a eu une fausse information. Là, ce n'était pas un faux site qui a circulé, mais c'était donc des fausses informations qui disaient qu'on avait envoyé 1 000 légionnaires sur le front en Ukraine. Vous l'avez peut-être d'ailleurs lu, peut-être à un moment cru. Tout ça a été totalement faux, mais ça a circulé, ça a été vu des millions de fois.

Le meilleur exemple pour voir le risque qu'on court, c'est ce qui s'est passé en Roumanie, où des élections ont été annulées au premier tour, avec une technique qui ressemble un peu à ce que vous venez de décrire et ce que vous avez dénoncé. C'est-à-dire qu'en Roumanie, les pro-russes, aidés par la Russie, ont mis en place pendant des mois méthodiquement des faux comptes. Ils ont identifié d'abord les gens qui étaient vulnérables aux fausses informations, parce que ça ne marche pas auprès de tout le monde. Il y a une forme de vulnérabilité. Donc les gens qui s'intéressaient aux médecines parallèles, les gens qui s'intéressaient aux religions — ça ne veut pas dire que tout le monde peut croire des bêtises quand on va regarder ces sites-là — mais ça crée des prédispositions. En tout cas, ils avaient identifié ça comme des zones possibles, et puis les informations locales.

Ils ont créé méthodiquement pendant des mois des faux comptes, des fausses pages, des milliers et des milliers de fausses pages, mais ils ont du coup attiré des gens. Et puis, quand la campagne a été lancée, le candidat qui était soutenu et poussé par les pro-russes, eh bien, a commencé à faire des réseaux qui renvoyaient à ces faux comptes. Et ça a créé une boucle virale qui fait qu'il a eu un succès absolument fou et a été poussé par tout cela, ce qui a évidemment faussé le fonctionnement démocratique.

Donc tout ça pour vous dire qu'on n'est pas en train de parler de fictions, de choses qui ne sont pas possibles. Ça s'est passé dans une grande démocratie de l'Union européenne, ce que je vous dis. Et donc il est clair que ça va se passer, en tout cas, ils essaieront des choses lors des échéances électorales, comme ils l'ont fait là pour la Russie. Alors qu'est-ce qu'on fait face à ça ? En effet, ça a été dit, on a créé une agence qui est VIGINUM, et donc qui regarde, qui relaie, qui fait des enquêtes, et maintenant, on sort l'information. Dès qu'on a l'information établie, on a un dialogue avec les sites. Comment on peut faire, et quelle est notre action, et qu'est-ce qui a sans doute — je vérifierai parce que je ne connais pas le cas exact que vous avez cité — mais qu'est-ce qu'on fait face à ces sites ? La seule chose qu'on peut faire légalement aujourd'hui, on va regarder tous ces faux sites et on dit que ça ne correspond pas aux conditions générales d'utilisation, et on leur demande le retrait. C'est d'ailleurs ce que font les équipes de VIGINUM, et elles demandent le retrait de ces sites, toutes ces informations, quand elles sont identifiées comme étant de l'ingérence. Simplement, c'est extrêmement long, compliqué, lent. Et donc on voit bien qu'on est dans une phase, et c'est ce qu'on est en train de préparer, où on va devoir durcir.

Donc ce qu'on veut mettre en place, et on l'a un peu fait avec les premières directives, la directive sur les services numériques qui a été poussée par la France en 2022 lors de notre présidence, puis adoptée quelques mois plus tard, c'est de mettre en place un vrai système de responsabilité des plateformes. Le seul moyen de pouvoir être très réactif et éviter de subir, comme vous l'avez dit, c'est que les hébergeurs ou les plateformes aient une responsabilité lorsqu'elles laissent prospérer ou des fausses informations ou des faux sites qui sont le fruit d'ingérences, comme d'ailleurs vous l'êtes. En tant que titre de presse, s'il y avait une fausse information qui était poussée dans un des titres du groupe EBRA ou une ingérence, je vous demanderais de la retirer ou le VIGINUM, et si ça n'était pas fait, on mettra en cause votre responsabilité. Ce n'est pas le cas aujourd'hui pour ces sites-là.

Donc, 1) ça existe et ce que vous avez décrit montre, 2) on sait maintenant l'attribuer, c'est-à-dire on arrive quand même la plupart du temps à remonter à des puissances. J'ai cité la Russie qui est la plus agressive, mais ce n'est pas la seule. On pourra y revenir. 3) On arrive à agir, mais vraiment, c'est une bataille des équipes au quotidien. 4) Maintenant, on va devoir industrialiser, donc on met beaucoup plus de moyens. On en met aussi pour alerter toutes et tous face à ce risque-là, et puis pour mettre un système de responsabilité des plateformes et des réseaux pour qu'ils retirent beaucoup plus vite, et s'ils ne retirent pas, pour qu'eux-mêmes fassent la chasse et qu'ils aient une responsabilité quand ils laissent prospérer ces ingérences.

Intervenante

Monsieur le Président, bonjour. Comme expliqué, je travaille dans la communication. Donc je suis au fait des réseaux sociaux quotidiennement et je suis surtout de nationalité roumaine et française. Donc il y a pile un an, il y a eu l'annulation du premier tour des élections roumaines par la Cour constitutionnelle, ce qui est historique et ce qui a créé au cœur de la diaspora roumaine une forte mobilisation dont j'ai fait partie. On a eu beaucoup d'inquiétudes au vu du passif de notre pays, qui a connu quand même un régime communiste très sévère il y a encore peu de temps. La Roumanie est un pays proche de la France et ma question, vous y avez déjà un petit peu répondu, mais c'est de savoir, à l'approche des municipales et des présidentielles l'année prochaine, comment on peut se prémunir et ne pas revivre l'expérience qu'a vécue la Roumanie ou même la Moldavie ?

Emmanuel MACRON

Merci. Alors, j'ai commencé à y répondre. La Roumanie a fait un retour d'expérience. Il y a un rapport très complet qui a été fait par la Roumanie, qu'elle a partagé avec nous, ce qui me permet de vous dire ce que je viens d'expliquer avec le travail méthodique qui a été fait avant par, je dirais, largement les Russes et les pro-russes. La Moldavie a eu aussi son élection avec beaucoup d'interférences et d'ingérences de la part de la Russie qui a essayé de manipuler. Le système le plus organisé qu'on ait vu, c'est clairement celui qu'il y a eu en Roumanie, parce qu'il a été fait sur à la fois de la fausse information sur les réseaux, mais beaucoup de comptes relais, et donc, en quelque sorte, ils ont créé une nébuleuse et ensuite, ils ont accéléré.

En Moldavie, ça a été beaucoup des fausses informations qui ont été poussées par des comptes. Donc la manière de s'y préparer, c'est 1) de renforcer le dispositif, ce qu'on fait avec VIGINUM, 2) c'est de rendre publiques les choses. C'est-à-dire que dans une démocratie, on est tous et toutes des anticorps aux ingérences, normalement, quand on sait qu'on est victime de ça, quand on sait qu'on peut être exposé à ça. C'est pour ça que toute leur stratégie, d'abord, repose sur des gens qui sont un peu plus faibles ou crédules, qu'ils identifient. Mais nous tous, si on est lucide et qu'on le sait, qu'on sait que le risque existe, on fait plus attention, on est plus vigilants. Ça, c'est très important, et c'est pour moi aussi l'importance de nos débats. C'est que ça crée de la vigilance parce qu'on devient conscient. Il y a honnêtement un ou deux ans, je crois que personne, on aurait eu le débat dans une salle comme ça aujourd'hui, allez, il y a deux ans, personne n'aurait dit : ça peut arriver. Personne. Et je dirais même, je remonterais à juste avant 2022, ce n'est quand même pas à Mathusalem, avant le déclenchement de la guerre d'agression russe en Ukraine, où on avait beaucoup moins d'ingérences, beaucoup moins de guerres informationnelles poussées par la Russie. Vous m'auriez dit : il est fou ou il est parano. Mais aujourd'hui, c'est vraiment une réalité. Donc notre vigilance, c'est d'abord quelque chose qui nous protège.

Ensuite, on va sortir, en début d'année prochaine, un travail très complet qui a été fait sur ce sujet, piloté par, justement, VIGINUM et le Secrétariat général à la défense et la sécurité nationale, et qui a piloté avec les meilleurs experts cela. On va pousser aussi tous les experts de tous les think tanks, les universitaires, à expliquer comment ce risque existe. Troisièmement, on met en place des systèmes où on débranche beaucoup plus vite, comme je l'ai dit, c'est-à-dire, on crée une responsabilité des plateformes.

Il y a un autre combat qui est lié à ça. Enfin, il y a deux choses, moi, que je considère comme très importantes dans ce combat et qui doivent être ici soulignées. La première, c'est le sujet des faux comptes, ce qu'on appelle les bots, les trolls. Vous avez peut-être entendu parler de ça,  mais vous ne les voyez pas. C'est-à-dire que quand vous avez un message qui est fortement relié, vous vous dites : oh là là, il y a quand même eu 2 millions de personnes qui l'ont soutenu. Quand du coup ce message ou cette information finit par devenir virale, quand ensuite, elle devient parfois une forme d'information, en tout cas un fait social, qui est du coup repris par la presse légitimement, parce qu'ils disent, il y a quand même 2,5 millions de gens qui ont poussé ça. Vous ne savez pas dire aujourd'hui si ce sont 2 millions de personnes, vous savez que ce sont 2 millions de comptes, mais vous ne savez pas dire si ce sont des gens réels derrière ces comptes. Alors, il y a des gens qui s'amusent à ça pour des raisons commerciales, parfois politiques, mais il y a beaucoup de gens qui utilisent ça pour des raisons géopolitiques. Ceux qui font de l'ingérence, et dans le cas de la Roumanie, ça a été très identifié, il y avait des fermes à trolls massives, et donc vous avez eu des millions de faux comptes qui ont été mobilisés. On doit exiger de ces réseaux sociaux le fait qu'ils s'assurent, qu'ils garantissent que derrière chaque compte, il y ait une personne réelle.

Une autre question, on y reviendra peut-être dans le débat, est celle de l'anonymat. Mais à tout le moins, on a besoin de savoir s'il y a quelqu'un en vrai ou pas. Et s'il n'y a pas quelqu'un en vrai, on voit bien qu'il fausse les échanges, il fausse la démocratie. Il le fausse quand on a un sujet d'ingérence, mais même quand on va échanger avec quelqu'un sur un compte tel ou tel, si c'est un faux compte, ça change tout, s'il n'y a pas une personne réelle derrière. Donc ça, c'est quelque chose qu'on va exiger, on va se battre. C'est un combat qu'on va devoir mener au niveau européen. Et il est absolument clé.

La deuxième, c'est dans les périodes électorales, on ne doit plus permettre l'achat de pages d'informations. Là, je fais peut-être une petite parenthèse, si vous m'autorisez juste une minute, parce que quand on parle de tout ça, on va revenir, je pense, sur tous les sujets qui traitent des réseaux sociaux, je pense que collectivement, on ne doit jamais oublier de quoi on parle. Je pense que cette petite clarification est importante pour nous tous. C'est-à-dire que quand je veux m'informer, je vais regarder un journal à la télévision. On a des gens qui sont payés pour ça. Il y a une contribution publique, il y a un modèle économique derrière. Ou je vais acheter un titre de presse, régional ou national, je paye pour être informé. Puis après, les journaux vont compléter cette rémunération par ce qu'ils touchent, par des annonces légales ou de la publicité. Mais il y a un modèle économique. Je paye pour être informé, je fais une démarche auprès de gens professionnels.

Les réseaux sociaux, quand on s'informe dessus, est-ce que c'est fait pour vous informer ? Non. Les réseaux sociaux sont faits pour quoi ? Ils sont faits pour vous attirer, créer de l'excitation chez vous pour vendre des pages de publicité individualisées. C'est ça, le modèle économique. C'est pour ça que l'infrastructure que constituent ces réseaux sociaux, et je ne dis pas que c'est bien ou mal, parce que ça permet de faire plein de choses super, d'alerter, d'échanger, etc., mais c'est une infrastructure qui est, aujourd'hui, créée, dont le modèle économique, il n'est pas non-profit, comme on dit en bon français, ce n'est pas caritatif. C'est un modèle économique qui repose sur la vente de publicités individualisées, parce qu'en fait, ils vont collecter des données sur vous pour pouvoir dire à tel annonceur : j'ai quelqu'un qui aime bien ce type de produit ou qui est orienté, je vais pouvoir lui pousser vos publicités. C'est beaucoup mieux que de les afficher ou d'ailleurs de les mettre dans la presse. C'est pour ça qu'on a perdu plein d'argent dans notre modèle de presse à cause de ça. Donc, c'est ça, il faut comprendre que le but de ces réseaux sociaux, ce n'est pas que vous ayez une délibération, que vous soyez informés. Leur but, c'est que vous y alliez un maximum de temps, c'est de créer donc le maximum d'excitation pour avoir le maximum d'informations et pouvoir vous pousser le maximum de pages de publicité.

Une fois qu'on a compris ça, on comprend que, dans l'ordre des choses, l'argumentation, c'est le moins intéressant pour les réseaux sociaux. Parce que quand je change une argumentation, ça ne crée pas de l'énervement, de l'excitation. Je m'informe, c'est très bien, puis je repars. L'émotion, c'est mieux parce que ça va créer plus de trafic. Mais l'émotion négative, c'est encore mieux, parce que c'est celle qui va... donc la rage, la colère, etc. Regardez quand on est sur un réseau social, qu'est-ce qui marche, c'est ça, ou ce qui est addictif et que les algorithmes repèrent.

Donc n'oublions jamais dans nos discussions que quand on parle des réseaux sociaux, et je dis ça, ça peut être un truc formidable, les réseaux sociaux aussi, mais on parle de quelque chose qui est structuré pour créer plutôt de la dépendance, de l'excitation, et donc plutôt des émotions négatives, parce qu'ils gagnent leur argent en vous poussant de la publicité individualisée. Une fois qu'on a compris ce biais, on se dit, ce n'est sans doute pas là qu'il faut s'informer prioritairement, et on voit bien que ce biais est une vulnérabilité par rapport aux ingérences étrangères, parce que si j'achète massivement des pages ou des comptes ou des informations que je peux pousser, parce que je peux aussi avoir des choses sponsorisées sur ces réseaux, en période électorale, eh bien, je peux pénétrer totalement dans l'espace informationnel. Et donc, au-delà de ce qu'on s'est dit, la transparence et l'interdiction des trolls et des faux comptes, et l'interdiction en période électorale de toute publicité rémunérée, page rémunérée ou contenu poussé sont clés.

Intervenant

Monsieur le Président, bonjour. J'ai, en effet, publié récemment un livre qui s'appelle « Foules ressentimentales » vous parliez de la colère et du ressentiment tout à l'heure, pardon. Vous avez déclaré, je crois hier, la nécessité de réintroduire un service militaire sur la base du volontariat pour nos jeunes. En effet, vous anticipez un conflit, comme le chef de l'état-major l'a fait la fois dernière, un conflit possible avec des puissances étrangères, et en ce sens-là, on peut saluer cette initiative. À côté des armées militaires, désormais, il y a des armées de trolls. Vous l'avez dit, des fermes à trolls, des usines à trolls, qui font de l'ingérence. Ça a été le cas pendant la crise des Gilets jaunes, vous étiez déjà président de la République. Ça a été le cas certainement aussi relativement à nos positions stratégiques en Afrique, les Russes et certainement les Chinois ont eu affaire à cela. C'est assez grave parce que ça vise à nuire à notre cohésion nationale et parfois même peut-être à la dissoudre ou à la détruire.

Vous avez dit tout à l'heure que c'est très long d'anticiper ça. Par exemple, pour les attentats, pour parler de quelque chose de très tragique, vous avez des services qui anticipent les attentats, mais vous avez aussi des troupes d'intervention qui, en cas d'urgence, peuvent intervenir. Ma question est un peu dramatique, si je puis dire, mais si on se propose deux scénarii catastrophiques dont Madame parlait tout à l'heure. Les élections de mars 2026, les municipales, les élections d'avril-mai des présidentielles en 2027, qu'est-ce que l'État peut faire en toute urgence, par exemple, s'il y a une vague de désinformation massive et si, comme vous dites, le travail d'anticipation est extrêmement long ? A-t-on les capacités d'intervenir urgemment en cas de désinformation massive et de, comment dirais-je, d'ingérence et d'attaque de notre souveraineté nationale ?

Intervenant

Bonjour Monsieur le Président. Alors, justement, moi, j'ai 18 ans et ça veut dire que cette année, j'ai acquis le droit de vote, et donc je voudrais participer à cette démocratie et à travers notamment des témoignages et surtout des observations que j'ai pu avoir à l'université et plus généralement, sur ma tranche d'âge, mes camarades, etc., c'est que j'ai remarqué qu'il y avait une certaine information que les jeunes avaient qui est complètement différente de celle des autres générations, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, on ne s'informe que par les réseaux sociaux.

Mais le problème des réseaux sociaux, c'est qu'ils sont conditionnés par les algorithmes. Ce qui veut dire qu'aujourd'hui, quand on a un point de vue politique, une opinion qui arrive sur les réseaux sociaux, elle suit ce parcours algorithmique qui fait qu'on va être renfermé dans cette bulle algorithmique et qu'une fois qu'on a eu une certaine idéologie que le réseau social, en particulier, a détectée, elle va nous renfermer dans cette bulle et nous conforter dans notre idée.

Et donc ces observations, je les ai faites parce que je vois que j'ai des camarades qui sont complètement enfermés, en fait, dans l'idée que, par exemple, ils ont ces points de vue politiques sans avoir eu une contradiction, et donc sans avoir vraiment vécu le pluralisme qu'on peut avoir sur les médias conventionnels. Ma question est assez simple, c'est de savoir si vous êtes favorable ou non à cette idée d'imposer aux plateformes des réseaux sociaux une certaine sérendipité algorithmique, c'est-à-dire un hasard positif pour les utilisateurs, principalement pour les jeunes qui n'ont pas forcément cette habitude de s'informer par autre chose que par les réseaux sociaux, et donc imposer à ces plateformes finalement une logique de contre-algorithmique qui obligerait finalement ces plateformes à un pluralisme par rapport aux idées qui sont données sur ces plateformes ?

Emmanuel MACRON

Alors, il y a deux choses différentes dont on parle. Je pense qu'il faut les distinguer pour la clarté de nos débats. Il y a le fonctionnement, au fond, des réseaux sociaux eux-mêmes dans notre démocratie, et il y a la question des ingérences qui, là, supposent qu'il y a une puissance étrangère qui les utilise. Parce que ce que vous venez de décrire, ça touche un peu à ce que j'évoquais tout à l'heure, c'est le fonctionnement même, au fond, des réseaux sociaux et de l'état de notre démocratie avec les réseaux sociaux. Je n'ai pas besoin des Russes pour avoir le problème que vous venez de décrire, au fond.

On voit bien qu'on a une forme d'un peu de dégénérescence du fonctionnement de nos démocraties par ce qui est en train de se passer. Parce que, comme je l'évoquais, les réseaux sociaux ne sont pas conçus, et leur modèle économique n'a rien à voir avec le fait d'informer et de mener un débat démocratique. Ils ne sont pas faits pour ça. Donc le problème, c'est que maintenant, on a en particulier chez les jeunes, de plus en plus de jeunes qui vont sur ces réseaux pour s'informer, et on a de plus en plus d'entre nous qui y passons beaucoup de temps et qui, de fait, nous y informons. En tout cas, on est confronté à des contenus, qu'on aille les chercher ou pas.

Donc ça a bien un impact sur la démocratie, parce que la démocratie, c'est quoi ? C'est, certes, des élections, on choisit son maire, son député, son président, mais c'est aussi se forger des opinions libres, rationnelles, pour pouvoir prendre cette décision. Et on délègue de plus en plus la forge de ces opinions, la fabrique de ces opinions, à notre interaction avec ces réseaux sociaux. Et quand vous avez des jeunes qui, à près de 50 % dans votre classe d'âge, vont s'informer sur les réseaux sociaux, même s'ils n'ont pas totalement confiance, quand vous avez des jeunes moins de 18 ans qui passent en moyenne par jour plus de 4 heures sur ces réseaux, vous voyez bien qu'on doit quand même s'en occuper, on ne peut pas laisser cette jungle prospérer comme ça. Et donc qu'est-ce qui se passe ? Comme je le disais d'abord, le modèle économique de ces réseaux, c'est plutôt créer de l'excitation, de la dépendance. Donc ce n'est pas de l'information.

Mais si on va un cran plus loin par rapport à ce que vous venez de dire, les réseaux, mécaniquement aussi, ils nous enferment dans des bulles. C'est-à-dire là où dans une démocratie, pour fonctionner, il faut plutôt créer du commun, ce qui est un peu cette salle, ce que vous faites, ce que font nos maires, nos élus quand ils rassemblent, ce que fait la presse quotidienne ou hebdomadaire quand elle rassemble ses lecteurs. Vous pouvez avoir des affinités parce que vous lisez les mêmes titres de presse. Mais il est vraisemblable que si je faisais un sondage aujourd'hui, vous êtes dans des professions différentes et vous pensez sans doute très différemment sur beaucoup de sujets. C'est une chance, parce que c'est comme ça qu'on crée du commun.

Mais si vous allez uniquement vous informer ou échanger sur les plateformes, sur vos réseaux sociaux, très vite, vous êtes influencés par tous les gens qui vous suivent. Et si ce que vous dites ne leur plaît pas, ils vont se désabonner de votre compte, ils arrêtent de vous suivre, ou vous les bloquez parce qu'ils vous ont insultés trois fois. Donc vous allez être poussés par les gens les plus extrêmes qui pensent comme vous. Puis vous, vous allez suivre les comptes aussi qui vous amènent.

Le mécanisme qu'on voit est un mécanisme qui pousse totalement vers les extrêmes, qui enferme avec des gens qui pensent comme nous sur nos certitudes. C'est pour ça qu'on a de plus en plus de complotismes dans le monde où on vit, parce qu'on a de plus en plus de gens. Je veux dire, si je suis dans une bulle où, à longueur de journée, je pense et je suis avec des gens qui pensent que le vaccin est une très mauvaise chose, il est vraisemblable qu'au bout de 15 jours, on se sera bien persuadés entre nous que le vaccin est vraiment très dangereux. Si dans mon groupe, il n'y a aucun virologue, aucun médecin, aucun scientifique, aucun spécialiste, ce n'est pas le débat le plus éclairé de la Terre, mais on se sera bien remonté le bourrichon. Puis après, le groupe va gonfler, puis on va être 200, 500 à bien penser que c'est la pire des choses. C'est exactement ce qui se passe. Donc ça nous enferme dans des bulles cognitives et ça nous pousse aux extrêmes. Et ça, c'est dangereux.

Donc ça, c'est un autre problème qu'on a avec l'infrastructure de ces réseaux. On voit bien que d'abord, il faut de plus en plus former nos jeunes et nos moins jeunes à quand même s'informer en dehors et préparer le débat démocratique en dehors de ces réseaux. Ça, je pense que c'est une mesure de salubrité publique de dire qu'on a besoin, pour que la démocratie fonctionne, de remettre de la délibération, de l'échange, physique, et de le faire à travers le rôle qu'ont nos élus locaux et nationaux, en réinventant peut-être des formes, en utilisant des plateformes totalement sincères, et en le faisant avec nos titres. Donc il faut un peu ralentir le fonctionnement démocratique, lui redonner de la proximité du physique. Ça, j'en suis convaincu, parce que c'est la chose qui va permettre un peu de refroidir le moteur, sinon, ça part dans tous les sens.

La deuxième chose, ce serait, vous l'avez dit, la question des algorithmes. Et là, pour que ce soit clair pour tout le monde, l'algorithme, c'est en quelque sorte le rédacteur en chef de la plateforme ou du réseau. C'est-à-dire, chaque jour dans vos quotidiens, il y a un rédacteur ou une rédactrice en chef avec la rédaction qui va dire, on met ça en une, qui va pousser, hiérarchiser des contenus et vous les pousser, et qui va faire qu'on mettra cette information avant telle autre et peut-être qu'on choisira de ne pas en mettre certaines. Eh bien, vous avez un super rédacteur en chef, individualisé, quand vous ouvrez vos réseaux sociaux, qui s'appelle l'algorithme. Il n'existe pas physiquement, mais il est fait précisément pour les raisons que j'évoquais tout à l'heure. Il est fait pour que vous soyez de plus en plus dépendants, parce qu'il regarde vos réactions tous les jours. Donc, il va vous pousser ce que vous aimez, il va vous pousser ce qui vous fait le plus réagir, parce qu'il le voit et il le mesure, ce qui va lui créer le plus d'excitation, parce qu'il va pousser ce qui va lui permettre de vendre beaucoup mieux, parce que c'est ça, son but, son modèle.

Avant de savoir si on peut faire un contre-algorithme, ce que, nous, on va se battre pour faire au niveau européen, c'est d'avoir la transparence des algorithmes à l'égard de tous, parce que ça va créer un débat public, et évidemment à l'égard des autorités de régulation. Parce que moi, je ne sais pas dire aujourd'hui les biais de l'algorithme qu'il y a dans X ou de l'algorithme qu'il y a chez TikTok. Mais je sais qu'il y a des biais, c'est-à-dire que ça fonctionne de travers. Il y a aujourd'hui des chercheurs qui, par exemple, l'ont très bien montré. Ils travaillent dans une start-up française qui s'appelle Arlequin, mais ce sont des chercheurs académiques, Monsieur Micheron avec ses collègues. Ils ont montré que quand vous créez, ils l'ont fait en séquençant, en mettant des comptes totalement neutres avec des caractéristiques différentes, et ils ouvrèrent des comptes différents sur TikTok. Un jeune, quelle que soit sa caractéristique qui va sur TikTok, au bout de 4 à 5 vidéos scrollées, il est exposé à une vidéo de contenu salafiste. Parce que la plateforme a repéré que ça créait de l'excitation, manifestement. En tout cas, qu'on arrivait à attraper des jeunes par ce biais-là et le pousser. C'est un biais énorme, c'est un énorme problème. Donc, on est en train de le régler avec eux. Mais ça, parce qu'on a fait le test sur ce sujet. Mais on a besoin d'avoir de la transparence. Quel est le biais qu'il y a derrière ces plateformes ? Qu'est-ce qu'ils poussent ? Donc ça, c'est un point très important qu'on va justement pousser avant les élections pour le faire.

Mais en parallèle de ça, de toutes ces mesures, et beaucoup demandent d'être faites au niveau européen, la clé, c'est ce qu'on se dit là. Parce que ce qu'on se dit là, j'espère avoir touché quelques-uns d'entre vous, vous repartirez avec plus de méfiance ou de vigilance sur les réseaux. C'est cette bataille qu'il faut mener avant les élections. Et dans ce cadre-là, les trolls, jouent un rôle extrêmement important. Donc, qu'est-ce qu'on peut faire avant nos élections ? Ce que j'ai commencé à dire. On va monter la posture. Donc d'abord, on la monte avec VIGINUM, mais avec aussi le Quai d'Orsay, qui, de plus en plus, eh bien, justement, pousse des informations, fait ce que les techniciens appellent, pardon de cet anglicisme, mais du pre-bunking, c'est-à-dire qu'ils préparent les esprits à cette vigilance. Donc, quand on identifie les choses ou qu'on les anticipe, on pousse nous-mêmes l'information en disant : attention, ceci va arriver, pour que les gens y soient moins sensibles.

Ensuite, on a mis plus de moyens encore pour identifier ces faux comptes et les faire retirer et les contrer. Enfin, on va se battre, et ça, il faut changer la règle, pour les interdire, parce que c'est la base de tout. Ce n'est pas normal qu'on ait ces armées cachées, parce qu'on laisse sur notre territoire national. Et ce qu'il faut bien voir, c'est qu'en fait, c'est une guerre informationnelle et cognitive, parce que c'est une guerre pour pousser des fausses informations, et par exemple, dans le cas de la Russie, pour saper la confiance dans l'effort qu'on est en train de faire et la légitimité de ce qu'on fait aux côtés des Ukrainiens. Mais derrière, c'est une guerre pour nous diviser, nous affaiblir et rendre un peu maboule, si je puis dire, la démocratie. Parfois, ils y arrivent. Donc c'est vraiment d'appuyer là-dessus. Ça, il faut l'interdire.

Sophie GOURMELEN

Merci, Monsieur le Président.

Animateur

Merci à vous, Monsieur le Président. Merci, Nathalie et à notre témoin, que nous pouvons applaudir, s'il vous plaît. Il nous reste encore 3 séquences, 3 thématiques en un peu plus d'une heure maintenant. Et je vais inviter donc Georges Bosi, qui est à mes côtés, Georges Bosi, qui est rédacteur en chef adjoint au Dauphiné Libéré. Et votre séquence, Georges, concerne la lutte contre le cyberharcèlement.

Animateur

Merci. Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour à toutes et à tous. Quelques chiffres très rapidement publiés par l'INSEE en octobre dernier, le 10 précisément. En 2024, le harcèlement en ligne représentait 35% des délits de harcèlement. Au collège, on va en parler, 21% des élèves déclaraient avoir reçu des insultes en ligne, c'est 15 % au lycée. Entre 2016 et 2024, le nombre de victimes de harcèlement sexuel numérique a été multiplié par 6. Alors, je vais avoir deux petites séquences dans cette séquence, si vous voulez bien, Monsieur le Président. Dans un premier temps, deux témoins vont vous poser une question, puis, nous évoquerons – vous avez parlé de l'IA – une forme de cyberharcèlement avec usurpation d'images très extrême.

Alors, dans un premier temps, je vais m'adresser à Annabelle Guichard. Bonjour, Annabelle. Rebonjour, Annabelle. Ce sera mieux avec le micro. Vous venez de Côte-d'Or, Annabelle. Votre fils a été victime de harcèlement au collège et dans la communauté des jeux vidéo. C'est important de le préciser.

Intervenante

Oui.

Animateur

Et j'ajoute que vous avez créé en mai dernier l'association « La Voix du Harcèlement ». Nous vous écoutons.

Intervenante

Tout à fait. Monsieur le Président, bonjour. Je suis proche aidante, donc je me bats au quotidien pour le respect des droits et des intérêts de mes enfants. L'événement déclencheur de la création de mon association, " La Voix du Harcèlement ", a été une question que mon fils m'a posée quand il a été harcelé en 2023 : " Maman, si les adultes du collège qui sont censés me protéger ne le font pas, je fais quoi pour me défendre ? " Effectivement, il y a les plateformes, 3018, le 3020, mais les choses ne vont pas assez vite, pas assez loin. On fait un signalement et le lendemain, on fait quoi ? On renvoie nos enfants dans l'arène, continuer de se faire harceler ? Ce n'est pas possible. C'était juste quelque chose qui n'était pas envisageable pour moi. En tant que maman, voir son enfant souffrir, ce n'est juste pas possible.

Aujourd'hui, les plateformes de jeux en ligne deviennent aussi un lieu de cyberharcèlement, tout comme certains groupes WhatsApp de classe, où les choses peuvent vite dégénérer. Du coup, ma question est simple : quelle échéance vous donnez-vous pour rendre ces plateformes numériques plus sûres et ainsi garantir la santé mentale de nos enfants ?

Animateur

Merci, Annabelle. On va écouter Mattéo Jacques, maintenant. Mattéo Jacques, vous avez 22 ans, vous venez de Sélestat. Vous avez été victime de harcèlement au collège et au lycée. Je précise, parce que vous avez tenté par deux fois de mettre fin à vos jours. Nous vous écoutons.

Intervenant

Merci, Georges. Monsieur le Président, chaque année, 600 000 élèves souffrent en silence : isolement, violence verbale et physique, cyberharcèlement. Le harcèlement scolaire est aujourd'hui le fléau de la jeunesse et c'est inacceptable. Les coups, les humiliations, les insultes. Jusqu'à la maison, je les ai vécues. Mes bras, ma gorge se souviennent de ces tentatives de suicide. Pour moi, le harcèlement, c'est hier, aujourd'hui et demain. Les stigmates, eux, c'est l'histoire de ma vie. Ce que je tiens dans ma main ici, c'est un livre de 6 pages. Ce livre, il a été écrit par mon harceleur lorsque j'étais au lycée. Il a été écrit sur son ordinateur scolaire et envoyé à tous mes camarades. Monsieur le Président, comment on peut expliquer ça ? Comment un outil scolaire peut servir à faire souffrir ? Que dire à un jeune qui, comme moi, souffre ou a souffert ?

La Suède a trouvé une bonne partie de la solution, c'est un des pionniers ici en Europe. Comment faire au maximum aussi pour faire respecter le plan pHARe ? On a quelque chose de mis en place, mais comment faire pour que ça soit automatique ? Et pourquoi pas sanctionner les établissements qui ne le mettent pas en place ? Et action, prévention vont-ils devenir nos maîtres mots ? Je vous ai écrit une lettre, j'espère pouvoir vous la remettre.

Animateur

Merci, Mathéo. Monsieur le Président.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup, merci pour vos témoignages, Monsieur, et puis Madame pour votre fils. Je pense que tout le monde a ressenti l'extrême douleur qu'il y avait et chez l'un et chez l'autre. Le harcèlement, pour en dire un mot, et une fois que j'ai dit ça, on a encore évidemment beaucoup trop de cas de harcèlement et qu'à chaque fois qu'on a un enfant ou un adolescent qui continue d'être harcelé dans notre pays, c'est quelque chose de laquelle on ne doit et on ne peut pas s'habituer. Il y a eu quand même un réveil collectif ces dernières années. Et ce que vous avez vécu, je ne sais pas durant quelles années c'était.

Intervenant

C'était en 6e, 5e et en terminale.

Emmanuel MACRON

Et j'ai compris que c'était en 2023 pour votre fils. Et en parlant de tout ça, d'ailleurs, je pense au jeune Lucas aussi, qui a mis fin à ses jours, non loin d'ici, et dont la maman continue de mener aussi ce combat. C'était il y a un peu plus de deux ans.

Et donc on arrive à des drames, et de toute façon, on arrive aussi... même sans que ça aille au drame, malheureusement le plus terrible qui est la tentative de suicide ou le suicide, à des déscolarisations et à une souffrance que rien ne peut justifier parce que l'école doit être le lieu où on apprend, où on gagne la confiance en soi et où on apprend aussi la bienveillance. Donc la bataille contre le harcèlement, pour moi, elle est clé.

Dès 2018, on a lancé le programme pHAre, comme vous l'avez dit. Ça met du temps, trop de temps à se déployer, parce que sans doute, on se cachait aussi un peu ça. En tout cas, c'était un peu un continent caché de notre Éducation nationale, il faut bien le dire. Et donc, je crois que ces dernières années, on a beaucoup progressé collectivement, je le dis avec le maximum d'humilité, de reconnaissance à l'égard des communautés enseignantes et pédagogiques. Alors oui, vous trouvez toujours tel ou tel établissement, on l'a parfois vu dans l'actualité récente, qui ne l'implique pas totalement, qui ne le fait pas assez. Donc maintenant, les rectorats ont pour instruction d'être extrêmement durs, de passer en revue. Mais pour que ce soit clair pour tout le monde, on a mis en place ces programmes qui forment les enseignants, mais aussi le reste de la communauté pédagogique, donc les conseillers pédagogiques, tous ceux qui sont au contact de nos enfants ou de nos adolescents. On sensibilise davantage les familles. Donc, on a créé une vigilance pour voir les signaux faibles. Et on a aussi responsabilisé les enfants et les adolescents avec des ambassadeurs dans chaque niveau, qui permettent justement de prévenir cela. Est-ce que ça fait un système totalement parfait ? Non. Mais on l'a beaucoup amélioré, on a accru les capteurs.

À côté de ça, ces toutes dernières années, on a changé plusieurs choses, on a renforcé les contrôles, et on a créé, dans le code pénal, maintenant, on a défini ce qu'est le harcèlement. Et donc on peut aller chercher les auteurs de harcèlement, ce qui n'était pas le cas jusque-là. Et on a, sur le harcèlement et le harcèlement en ligne, changé un peu la donne, c'est-à-dire que maintenant, ce sont les harceleurs qui sont éloignés. Et par rapport à ce que vous disiez, qui est tout à fait juste, pendant très longtemps, en fait, on conseillait aux parents qui avaient un enfant harcelé de quitter l'établissement quand ça ne marchait plus. Maintenant, on a mis dans les règles le fait que quand on a identifié justement un harceleur dans un établissement, la responsabilité du rectorat, de la communauté pédagogique, c'est d'éloigner ce jeune. Une fois que j'ai dit ça, il faut l'éloigner, mais il faut aussi l'accompagner, parce que souvent, derrière un jeune qui harcèle, on a quelqu'un qui n'est pas bien dans sa tête non plus. Je le dis, c'est très dur pour vous d'entendre ce que je dis, mais ce n'est pas normal de faire ce que vous avez dit. Ça me choque autant que vous, mais ça veut dire que vous avez eu quelqu'un qui avait votre âge, qui a fait quelque chose de terrible, qui vous a blessé jusqu'au pire, mais ça veut dire que c'est quelqu'un qui a sans doute lui-même une énorme souffrance. Donc, nous aussi, notre responsabilité, c'est de prendre et d'essayer de traiter la famille et le jeune. Mais aujourd'hui, on a ces politiques d'éloignement.

Et sur le cyberharcèlement, on a mis en place un dispositif qui fait que quand il y a ce cyberharcèlement qui est identifié, on oblige à fermer le compte pendant X mois, et s'il y a des récidives, à complètement sortir de la plateforme. Donc ça, on a amélioré les choses. Est-ce que c'est parfait ? Non. Parce que le relais, vous l'avez très bien dit en citant deux choses, Madame, c'est les boucles de messagerie et les jeux vidéos qui sont un peu à la marge des réseaux sociaux, ce n'est pas les réseaux sociaux, mais il se passe aussi quelque chose. Et donc là, on a besoin maintenant de durcir là-dessus. C'est ce qu'on est en train de préparer, et ça m'est beaucoup revenu dans les débats qu'on a menés, avec des choses qu'il ne faut pas négliger, y compris pour des jeunes qui peuvent être en détresse. Alors c'est à la bordure du harcèlement, mais d'autres choses, c'est qu'aujourd'hui, ces boucles de messagerie – dont on pouvait se dire " ce ne sont pas vraiment les réseaux sociaux, il ne faut pas toucher " - elles ont des agents IA dedans.

Quand vous allez sur WhatsApp, pour ne citer qu'eux, avec un prestataire qui ne coopère plus du tout avec nous, c'est le pire. Il ne coopère à rien, donc quand on lui demande de retirer des infos, Meta, rien. Ils ont mis leur agent d'IA, c'est-à-dire que vous avez un agent conversationnel. Peut-être que vous l'utilisez, d'ailleurs, quand vous allez sur votre WhatsApp, vous lui demandez des choses, des informations. Des jeunes de 10 ou 11 ans à qui on a laissé le WhatsApp en disant : " je ferme les réseaux sociaux, mais je mets le WhatsApp ", ils parlent. Regardez ce qu'ils échangent avec l'agent. Parce que comme ils sont anthropomorphiques, ces agents, ils peuvent les amener assez loin. Et là, on n'a aucun regard. Je ferme cette parenthèse.

Mais en tout cas, on a sur ces messageries et sur les jeux vidéo aussi du harcèlement qui se met. Et donc là, qu'est-ce qu'on va continuer de faire ? De durcir, d'abord de les attraper par nos règles, d'appliquer maintenant. Parce qu'on va prendre des circulaires pénales pour appliquer ce qu'on a mis en place – c'est-à-dire cette responsabilité, la qualification pénale – et aller chercher les plateformes dans leur responsabilité quand elles ne retirent pas les contenus et qu'elles ne stoppent pas, puisqu'on a mis dans la loi le retrait. Et donc, on va l'appliquer aussi aux jeux vidéo et aux messageries. C'est un combat, une fois que j'ai dit ça, vous voyez, ces dernières années, c'est à la fois de la formation, de la prévention et de la répression. Mais on a besoin d'avoir une société de la bienveillance qui s'installe. J'ai compris que je suis trop long.

Animateur

Merci, Monsieur le Président. C'est un très court témoignage que je vous propose d'écouter. Rebonjour, Anna.

Intervenante

Rebonjour.

Animateur

Anna Baracetti, vous venez de Grenoble, vous avez fait beaucoup de route, vous avez 34 ans, vous êtes italienne, ça s'entend, et vous êtes assistante d'un professeur en situation de handicap, donc vous êtes au milieu scolaire. Vous exercez au lycée Stendhal de Grenoble et votre histoire, elle est incroyable et effrayante à la fois. Vous avez été harcelée par un collègue qui n'a pas accepté que vous lui disiez non.

Intervenante

Non, il a cru qu'il pouvait avoir une histoire avec moi, il a commencé à m'envoyer énormément de messages et il était condamné une première fois en septembre.

Animateur

Il était condamné, mais je crois que ça n'a pas servi à grand-chose.

Intervenante

Non, il a créé un faux compte sur Instagram pour me dérober des photos qu'il a modifiées avec l'IA.

Animateur

Et il les a modifiées de quelle manière ?

Intervenante

Pour créer des photos et des vidéos porno.

Animateur

Alors, il a fait un faux compte à votre nom, c'est-à-dire que ces photos et ces vidéos étaient visibles partout et partout, y compris potentiellement par vos élèves.

Intervenante

Oui, il avait mis mon nom, ma profession et un appel à me contacter pour avoir des relations sexuelles. Tout le monde pouvait les voir, ma famille, mes amis, et oui, peut-être mes élèves, j'avais tellement peur qu'ils retrouvent ces sites.

Animateur

Alors, comme le pire n'est jamais décevant, il a été condamné pendant le procès, son attitude vous a complètement choqué.

Intervenante

Il ne se sentait pas coupable, il n'avait pas peur parce que c'était seulement l'Internet, ce n'était pas grave.

Animateur

Très bien, posez votre question au Président. Merci Anna.

Intervenante

Bonjour Monsieur le Président, merci d'être là. Je voudrais savoir quelles mesures seraient envisageables pour empêcher les cyber harceleurs de se cacher derrière des identités multiples et pour qu'ils soient plus durement condamnés.

Emmanuel MACRON

Il a été éloigné de l'établissement ?

Intervenante

Oui, seulement un an, mais oui, après la condamnation, il a continué à travailler depuis février. Et c'est seulement depuis le 5 novembre qu'il a arrêté de travailler dans l'école.

Animateur

Merci, Anna. Monsieur le Président.

Emmanuel MACRON

Merci. Je pense que tout le monde est édifié par ce que vous vivez et ce que vous dites. En l'espèce, ce que vous vivez, c'est d'abord quelqu'un qui vous harcèle personnellement, et ça, vous avez répondu parce que vous êtes adultes et que vous avez utilisé la loi, il a été éloigné de l'établissement. Donc, je dirais que sur ce volet-là, ce qui s'est traité, ce qu'il y a derrière, surtout dans ce que vous dites – et qui suppose une action plus vigoureuse et rapide – c'est quand quelqu'un, soit en utilisant les réseaux sociaux, soit en utilisant les réseaux sociaux et l'intelligence artificielle, dans votre cas, diffuse des fausses informations et des informations qui sont attentatoires à votre dignité. C'est ça, le sujet. Et là, on a un problème, aujourd'hui, c'est qu'on est très lent.

Et donc, il n'y a pas plus tard que cette semaine, j'ai tenu un Conseil de défense sur la lutte informationnelle où j'ai demandé qu'on aide, justement, un travail qui me soit rendu d'ici la fin d'année, parce qu'on a beaucoup de choses qui existent. Mais qui existent, par exemple, dans le domaine politique, on peut faire un référé fausses informations quand il y a une fausse information sur quelqu'un. En 48 heures, le juge peut obliger la plateforme à retirer parce que ça va toucher à la sincérité du scrutin. On l'a utilisé une fois en 2019, une fois. Donc, on voit bien qu'on n'utilise pas cette loi.

Mais dans la vie de tous les jours, moi, je mesure totalement ce que vous vivez, il se trouve que je ne vais pas m'étendre ici, mais j'ai été personnellement, ou mon épouse encore plus que moi, confrontée au même genre de choses, on est totalement démunis. C'est-à-dire que ça prend un temps fou, ça continue, les gens le voient, il y a des fadas pour penser que c'est vrai, et puis, ça vous mine. Et là, on n'a aucun moyen de saisir le juge. Et donc, ce vers quoi il faut qu'on aille, c'est de mettre vraiment en place un système, je ne veux pas dire technique, mais qui s'appelle de référé. C'est-à-dire, vous dites là, vous voyez bien qu'il y a un truc : c'est en train de me bouffer la vie, ce n'est pas possible, je suis prof, c'est devant mes élèves, je vous demande de statuer en 48 heures et de l'obliger à fermer et derrière de l'emmener devant le procès, mais de l'obliger à fermer. Et donc, on doit, nous, durcir notre loi vis-à-vis des gens qui font ça. Et de durcir, et c'est toujours la même chose, la responsabilité des réseaux, parce qu'aujourd'hui, ils s'en lavent les mains. Ils n'ont aucune responsabilité. Et donc, ils doivent avoir une responsabilité de type éditorial, parce que quand ils poussent sur leur réseau, leur plateforme, des gens qui font ça, dont ils le savent, s'ils ne les retirent pas, ça doit être leur faute. Donc, c'est ça, les deux choses. Un référé pour aller vite et un système de responsabilité des plateformes. Mais de tout cœur avec vous.

Intervenante

Merci, merci beaucoup.

Animateur

Monsieur le Président, je pense que la question suivante aurait été de leur part : à quelle échéance pensez-vous que ce soit possible ?

Emmanuel MACRON

Le plus vite possible. Ce que je dis là sur le référé, c'est du droit national français. La responsabilité des plateformes, c'est du droit européen. On a un début de responsabilité de plateforme avec cette fameuse directive qu'on appelle DSA sur les services numériques. On a plusieurs cas qui sont poussés. On les priorise, mais on a des affaires... On est très actifs, nous, en France, mais on a des affaires qui, depuis 2 ans, sont devant la Commission. Donc c'est trop, trop lent. Mais donc ça, c'est une poussée qu'on va faire au niveau européen en engageant. Parce que ce que vous vivez, on a des citoyens européens partout dans le monde qui le vivent, pardon, pas partout dans le monde, partout sur le continent européen, dans les 27 pays de l'Union européenne. Donc, on en a.

Simplement, ce débat ne monte pas, et il faut bien le dire. Beaucoup ont peur au niveau de la Commission et des États membres de le mener parce que vous avez une offensive en ce moment américaine contre l'application de cette directive sur les services et sur les marchés numériques, parce que ce sont les grandes compagnies qui sont derrière l'administration américaine et elles demandent même à ce qu'on enlève ces directives. Donc là, on a un vrai combat géopolitique à mener. Ce n'est pas l'ingérence russe, c'est là clairement américain, parce que ces plateformes-là, elles ne veulent pas qu'on vienne les ennuyer, pour rester poli. Elles veulent continuer de faire le maximum d'argent sans avoir aucune responsabilité. Et nous, on veut se battre là-dessus. Donc ça, c'est vraiment un combat européen. Donc, le référé, c'est français, le plus vite possible. Ce que je viens de dire sur la responsabilité des plateformes, c'est le droit européen qu'il faut pousser.

Animateur

Merci beaucoup, Monsieur le Président.

Animateur

Et merci à vous, Georges BOSI. On peut également applaudir, s'il vous plaît, nos témoins. Notre troisième thématique va aborder un sujet qui a déjà été évoqué, M. le Président. On va continuer à approfondir justement sur ce sujet, c'est comment protéger les plus jeunes. Et je vais inviter à venir me rejoindre Sandrine Chabert, qui est rédactrice en chef adjointe au Progrès.

Animatrice

Bonjour Monsieur le Président, bonjour à toutes et à tous. Alors effectivement, on va aborder cette question qui nous préoccupe tous, comment protéger nos jeunes, nos enfants face aux dangers, face à la " jungle ", pour reprendre vos mots, des réseaux sociaux. On sait qu'il y a 45% des enfants de moins de 13 ans qui, aujourd'hui, utilisent les réseaux sociaux, alors qu'en théorie, l'accès leur est interdit. On sait qu'il y a 55% des 15-17 ans qui, eux, disent avoir été confrontés souvent à des contenus choquants. Ça, ce sont des chiffres issus d'une étude récente de l'ARCOM.

Moi, j'ajouterais un autre chiffre, et je pense qu'il fera consensus, c'est que 100% des parents sont inquiets de ce qui se passe sur les réseaux. Ils savent qu'ils ne peuvent pas vraiment protéger leurs enfants. Ils ne savent pas réellement combien de temps passent leurs enfants sur les réseaux. Ça c'est clair. Ils ne savent pas exactement ce qu'ils y publient également et ils ne savent pas du tout les contenus auxquels leurs enfants, malgré eux, sont exposés. Ce sont les fameux algorithmes totalement opaques dont vous parliez. Face à cela, on sait que nos enfants ne sont pas armés, qu'ils sont vulnérables, et nous, les parents, on ne sait pas vraiment comment les protéger. Je pense que ça, ça va faire écho aux témoignages de Benoît Leroy qu'on va écouter. Benoît, vous êtes médecin généraliste à Épinal, vous avez 42 ans, et vous m'avez confié avoir pris une claque, très forte claque récemment. Il s'est passé quelque chose auquel vous ne vous attendiez pas. On vous écoute, racontez-nous.

Intervenant

Merci Sandrine. Monsieur le Président, bonjour à tous. Effectivement, ma belle-fille, qui est actuellement collégienne, a reçu, on en a parlé tout à l'heure, sur le groupe WhatsApp de sa classe, une vidéo avec une de ses camarades en train de pratiquer un acte sexuel. Cette vidéo a été ensuite diffusée à l'ensemble des groupes WhatsApp du collège immédiatement. Heureusement, le collège a extrêmement bien réagi et la vidéo a été supprimée dans les heures qui ont suivi. Mais malheureusement, le mal était fait et plus de la moitié du collège a vu cette vidéo et le soir, notre belle-fille est rentrée complètement catastrophée.

Alors que nous pensions, nous, en tant que parents assez responsables, on a interdit tous les réseaux sociaux à nos enfants, on a simplement autorisé WhatsApp pour les groupes de classe et pour discuter avec la famille. On a été confronté effectivement à quelque chose pour lequel nous n'étions absolument pas préparés, alors que nous pensions être extrêmement vigilants. Vous l'avez dit tout à l'heure, j'ai l'impression qu'au niveau des enfants, la prévention se passe plutôt bien. Et ma petite-fille à l'école primaire, dès l'école primaire, ils ont des sensibilisations au collège et les enfants ambassadeurs. En revanche, j'ai une question par rapport aux parents. J'ai l'impression quand même que la prévention au niveau des parents ne se fait pas forcément très bien et qu'il y a une lacune à ce niveau-là.

Et ma question, est — alors en tant que professionnel de santé, j'estime avoir une responsabilité dans la prévention des parents — mais ma question est de savoir quel est le rôle de l'État dans cette prévention, que peuvent faire des parents vis-à-vis des risques des réseaux sociaux par rapport à nos enfants et comment organiser cette prévention ?

Emmanuel MACRON

Alors, la prévention, c'est d'abord l'information pour les parents qui sont des citoyens. Et ensuite, c'est de beaucoup mieux les associer dans ce travail avec la communauté pédagogique, et donc, l'établissement. C'est vrai qu'on a laissé, vous l'avez d'ailleurs dit, les parents un peu seuls ces dernières années, parce que ce phénomène est quand même arrivé assez vite, en tout cas, s'est développé. Et je dirais que depuis 2015, il y a une forme d'accélération. C'est à peu près la période où tout ça se diffuse, se démocratise et où on a des réseaux sociaux qui rentrent dans nos vies. C'est à peu près ça, ça fait 10 ans. Et il y a une autre accélération, c'est la période Covid, où en vrai, on a tous été plongés dans une forme de solitude, celle du confinement, d'inquiétude, et où le temps d'écran chez les adultes comme chez les jeunes a beaucoup augmenté. C'est un peu les deux dates pour moi, 2015-2020, qui sont des tournants et qui font que ça a quand même pas mal changé. Quelque chose s'est passé dans nos sociétés.

Et depuis 2020, c'est vrai qu'on est reparti comme si de rien n'était. C'est un peu pour ça que j'ai voulu qu'on lance tout ça. On voit bien qu'on est quand même reparti de travers. Alors, en parallèle, on a essayé de mieux comprendre. On a demandé des rapports scientifiques et autres qui ont été rendus publics. Et j'ai demandé un rapport en 2022 à Monsieur Bronner, qui est un spécialiste du sujet, un très grand sociologue qui a fait un rapport sur, justement, les lumières à l'âge du numérique pour montrer l'impact que ça avait sur le fonctionnement démocratique. Et puis, il m'a été rendu l'année dernière un rapport fait par des scientifiques, là, plutôt, dans différents champs, sur l'impact des écrans et des réseaux sociaux sur nos jeunes, ce qu'on avait appelé la Commission écran, qui a été un moment important parce que c'est là où il y a eu une convergence scientifique. Il y avait beaucoup de désaccords entre les spécialistes pour savoir l'impact que ça avait. Et on a repassé un cap parce que ces derniers mois, il y a eu des universitaires un peu de tous les pays qui ont quand même produit des travaux. Qu'est-ce que je peux vous dire aujourd'hui pour préparer les parents et qu'est-ce qu'on va lancer ? Mais ces débats en font partie. C'est des débats de prévention qu'on est en train de faire aussi.

La première chose, on sait que pour un enfant avant 3 ans, l'écran est mauvais. On dit ça, on est tous d'accord. Prenez le train demain. Dites-moi si, dans un TGV ou un TER, vous n'avez pas vu beaucoup de parents, parfois sous la pression d'ailleurs du collectif, qui ne mettaient pas un écran à un enfant de 2 ans pour qu'il se calme. Ça, c'est une catastrophe. On sait qu'il faut au maximum éviter, si on le peut, avant 6 ans. On est en train de revoir, même si la France avait moins fait le bouger que beaucoup de pays dans le nord de l'Europe, le tout-écran est mauvais en termes pédagogiques. Et il est clair qu'avant 15-16 ans, les réseaux sociaux ne sont pas une bonne chose. Parce qu'à la fois, on n'a pas consolidé suffisamment sur le plan affectif, sur le plan émotionnel et sur le plan cognitif les choses. En fait, le cerveau n'est pas terminé, n'est pas mûr pour être exposé à ça. Et on peut le documenter assez facilement, c'est que cette génération malheureusement à laquelle on a laissé accès à peu à tout. On a vu une flambée du harcèlement en ligne qui a renforcé le harcèlement physique, mais on a vu une flambée des troubles du comportement alimentaire. Beaucoup de jeunes filles étant confrontées à la vision justement de corps idyllique par ces réseaux, etc., une flambée des formes de violence ou de désocialisation. On a beaucoup trop de jeunes qui, par les réseaux sociaux, accèdent à des contenus pornographiques. Et donc, on peut se battre tous les jours pour dire : l'égalité femmes-hommes est clé pour nous, le respect de la femme, la lutte contre les violences. On a de plus en plus de nos jeunes par rapport à nos générations dont l'éveil, si je puis dire, à la conscience affective, sentimentale, se fait par les réseaux et la pornographie en ligne. On a une flambée de solitude et, au fond, un problème de santé mentale de nos jeunes. Même si on n'arrive pas à faire vraiment un lien de cause à effet, on a clairement un lien de corrélation. Et donc, pour moi, la clé de tout ça, c'est qu'on doit prendre ces réseaux. Donc, 1) il faut avoir beaucoup plus l'école et la petite enfance avec nous. Maintenant, c'est fait, ce sont ces règles qu'on met en place. C'est pour ça qu'on a sorti le portable du collège maintenant dans tous les collèges à la rentrée dernière, qu'on va sans doute l'élargir au lycée à la rentrée prochaine avec le ministre. Il est en train de regarder ça. Et on prévient maintenant, on engage avec les parents sur ces sujets, dans les réunions parents-profs, et on va lancer une grande campagne nationale de communication et de prévention à l'égard des parents. Mais les parents, si on veut les engager, il faut pouvoir leur dire ce qu'est un consensus scientifique, c'est celui que je vous donne, et il faut leur dire, vous avez un rôle à jouer parce qu'aussi, on vous donne une norme. Et la dernière, on va peut-être y revenir, mais c'est de dire, avant 15 ans, il ne faut pas exposer les enfants devant les réseaux. Et donc, on va interdire les réseaux sociaux avant 15 ans. Pour que ça marche vraiment, il faut que les parents jouent le jeu. Mais on va donner aux parents une norme. Jusqu'à présent, il n'y en avait pas vraiment, parce qu'on n'en sait plus aujourd'hui.

Intervenant

C'est la majorité numérique que vous défendez, c'est ça ?

Emmanuel MACRON

Oui. Mais je ne sais pas s'il y a des questions de lecteurs là-dessus.

Intervenant

Pas exactement là-dessus.

Emmanuel MACRON

Alors, je peux vous le dire en deux mots, si vous voulez que je détaille. Mais je pense que la question de Monsieur était, à mon avis, aussi très importante, parce qu'en partant de la prévention, tout ce qu'on se dit ne marche que si les familles adhèrent. Parce qu'on peut dire, on va interdire les écrans avant 15 ans, il faut que les familles jouent le jeu. Alors moi, je pense qu'elles joueront le jeu. Aujourd'hui, les familles, elles n'ont pas de normes. On ne leur a rien dit, on les a laissées se débrouiller toutes seules. Mais on a progressivement, ça s'est fait il y a quelques décennies, interdit le vin pour les mineurs. Il y a 60 ans, on servait du vin aux gosses. On l'a interdit. Il y a peut-être toujours des gens qui servent de la bière aux nourrissons, mais à mon avis, ce n'est pas la majorité aujourd'hui dans le pays, parce que quand on donne une norme aux familles, elles savent que ce n'est pas bon pour leurs enfants, elles ne vont pas le faire. Bon, il faut bien dire qu'on n'a pas jusqu'alors porté un discours qui consistait à dire que c'était mauvais en soi. Là, maintenant, on le sait, on l'a établi, donc on va dire et on va porter cette règle. Comment on va le faire ensuite dans la loi ?

De deux manières. D'abord, on a — c'est pour ça que ça a pris du temps après la commission écrans — l'été dernier, il y a quelques mois, la Commission européenne, suite à nos questions et nos demandes, nous a donné des lignes directrices de cette fameuse directive sur les services numériques, et elle a dit : " oui, vous avez la possibilité de demander la vérification de l'âge. " C'est exactement ce qu'on avait utilisé sur les sites pornographiques. Pour interdire les sites pornographiques aux moins de 18 ans, on leur a imposé la vérification de l'âge. Ça a été une grande bataille. Maintenant, c'est fait en France et dans beaucoup de pays européens. Elle nous a dit : " vous pouvez le faire de manière plus large pour les réseaux sociaux. " Donc ça, on l'a. C'est une compétence européenne. OK. Et ensuite, elle dit : " c'est à chaque État de définir sa majorité numérique. " Donc ça, ça va être une loi nationale qui va définir la majorité numérique. Nous, on va proposer 15 ans. Et on va pouvoir activer ces moyens techniques qui existent pour dire : 15 ans, c'est la majorité numérique, donc on vous demande à vos plateformes, quand les gens s'inscrivent, de vérifier l'âge par différentes techniques et de bloquer l'accès à votre réseau à quelqu'un qui aurait moins de 15 ans. C'est comme ça qu'on va le mettre en place. Donc c'est ça. C'est une loi nationale, pour être très précis. Donc ça, les délais peuvent être raisonnables, parce qu'on a obtenu ce qu'on veut obtenir de niveau européen, qui est la vérification obligatoire.

Intervenant

Bonjour Monsieur le Président, bonjour à tous. Je suis professeure de ventes depuis un peu moins de 5 ans. J'interviens dans différents établissements pour former un peu plus de 50 jeunes chaque semaine. J'ai fait un constat dans ces différents établissements, les jeunes sont vraiment dépendants d'abord de leur téléphone portable, puis des réseaux sociaux puisqu'ils utilisent comme moyen le téléphone portable pour accéder aux réseaux sociaux. Et malheureusement, en vente et commerce, on est dans l'obligation d'utiliser des ordinateurs et des téléphones pour s'adapter à l'évolution des méthodes de vente sur le marché. Dans l'école où j'exerce actuellement, il y a un dispositif qui a été mis en place. Il consiste à récupérer les téléphones portables pour les ranger dans un casier qui est fermé à clé. Mais ces jeunes trouvent quand même le moyen de contourner le dispositif. Nous avons des jeunes qui ont deux téléphones portables, qui en disposent un, qui conservent le second, d'autres qui mettent discrètement la coque de téléphone et qui conservent le téléphone, et d'autres qui nous font croire qu'ils n'ont pas leur téléphone, mais il est bien rangé dans un cartable. Difficile pour nous de faire la fouille, puisque nous sommes quand même limités. Il faut respecter ses élèves. Donc, on voit bien une réelle dépendance. Donc ma question est : quelle stratégie éducative et préventive prévoyez-vous pour lutter contre la dépendance aux réseaux sociaux chez les jeunes ?

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Ce que vous décrivez, je crois que beaucoup d'enseignants l'ont vu et on le voit, ça rejoint ce que je viens d'évoquer. Alors, ça crée une dépendance et on a, en fond, une crise de l'attention, ce qui est terrible pour apprendre et pour vivre en société et échanger. Cette crise de l'attention, elle est due à quoi ? Beaucoup de ces jeunes sont sur les réseaux, y compris à la maison. Donc ils ne lisent plus, ils ne se posent plus sur un texte, non, etc. La moyenne pour ces jeunes, elle est de 4h20 par jour sur les réseaux. 4h20 par jour. Et du coup, on a beaucoup de jeunes, ça arrive, moi, j'en ai vu même qui m'expliquaient ça et ce qu'ils avaient vécu, bah ils sont devenus addicts, ils sont dépendants. C'est comme une drogue, parce qu'il y a ce phénomène de l'algorithme que j'évoquais.

Et donc, vous avez des jeunes qui arrivent épuisés en cours et qui, après, en effet, ont besoin d'être sur leur téléphone pour vérifier, échanger, aller sur les réseaux. Mais c'est vraiment une crise de l'attention et donc, de l'apprentissage, de la possibilité d'apprendre. Donc, d'abord, première chose, c'est la prévention des familles, des profs. Et la bataille qu'on est en train de remettre, on n'a jamais lâché, mais en avant, sur la lecture qui est clé, parce que c'est l'antidote absolu. Comme je dis à beaucoup de ces jeunes, que vous alliez sur les réseaux, mais encore plus sur l'IA, c'est une ode à la lecture, l'intelligence artificielle, parce qu'une intelligence artificielle, c'est juste un supercalculateur qui a lu beaucoup de livres. Donc, plutôt que de dépendre de lui, lisez vous-même un maximum de livres, ça vous rendra plus intelligents et autonomes, et ça vous débarrassera de ce truc.

Je ferme cette parenthèse, là aussi. Donc, c'est la prévention, c'est expliquer, c'est les accompagner. C'est ensuite faire ressortir qu'on est malheureux quand on est en situation de dépendance. Quelle qu'elle soit, on n'est pas bien. Et la troisième chose, c'est l'interdiction qui l'accompagne. Et donc la stratégie, c'est interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans. Et on va beaucoup mieux préparer les jeunes à cela, ce qui fait qu'on aura, c'est ce qu'on croit profondément, moins de comportements addictifs. Puis la deuxième chose, c'est l'interdiction assumée du portable. Je pense que vos jeunes sont plutôt lycéens, donc le portable n'est pas interdit. Donc comme c'est que l'établissement qui fait, il y a moins de consensus. On l'avait fait dans les collèges de manière expérimentale. On l'a généralisé, donc, en septembre dernier. Les retours qu'on a, je parle sous le contrôle, s'il y a des enseignants ici et des rectorats, c'est que ça marche plutôt bien, parce que comme c'est une interdiction nationale, c'est assumé. Alors, il y a des techniques diverses, il y en a qui ont mis des casiers, il y en a qui disent que c'est interdit de la cloche à la cloche. Mais en tout cas, ça, maintenant, on l'installe. Plus de portable au collège. Vous aurez du coup des jeunes qui, quand même, ont été habitués à autre chose. Et à partir de la rentrée prochaine, on veut faire plus de portables au lycée pour vraiment aller au bout de cette démarche et dire : ce n'est pas le lieu où vous devez faire ça, c'est le lieu où vous apprenez et puis, c'est le lieu où vous échangez. Parce que sinon, je vous défie d'aller en cours de récréation dans un lycée à la seconde. Vous pouvez avoir des jeunes, parfois les adultes ne sont pas mieux. Regardez les transports en commun ou autre qui sont la tête comme ça à 2 mètres. Il n'y a plus aucune interaction, il n'y a plus d'humanité. Et donc, je pense, c'est à la fois prévention, accompagnement et interdiction. Et on va le faire au niveau national.

Intervenant

J'aimerais rebondir sur votre mesure qui consiste à interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Je pense que c'est peut-être une méthode radicale qui pourrait avoir des conséquences à long terme par rapport à ce que je perçois, moi, avec les jeunes. Ça pourrait créer une frustration. Certains pourraient, par exemple, utiliser des méthodes contournées pour accéder à ces réseaux sociaux. On le voit, par exemple, avec l'alcool. La restriction n'a pas empêché les jeunes d'être alcooliques, de consommer l'alcool, des mineurs. Donc, ça veut dire que si on met en place une mesure radicale pour les moins de 15 ans, ils vont certainement s'allier à des jeunes de plus de 16 ans, 18 ans, pour accéder aux réseaux sociaux. Est-ce que cette mesure radicale est efficace ? Est-ce que ce ne serait pas un peu risqué ?

Emmanuel MACRON

Mais en vrai, si j'avais des réseaux sociaux qui coopèrent, je pourrais leur dire, faites des contenus pour les jeunes. Ils ne coopèrent pas. Ce n'est pas leur intérêt, ils ne le feront pas. Et ça va nous prendre des années, et je pense qu'on n'y arrivera pas. Ce que vous dites est tout à fait vrai. Mais d'abord, la première vertu de l'interdit, c'est de dire : on sait que c'est mauvais. Moi, ma responsabilité, c'est d'abord d'aller jusqu'au bout. On sait que c'est mauvais pour un jeune avant 15 ans. Il y a même des scientifiques qui disent avant 16 ans. Si je sais que c'est mauvais, est-ce que je suis bien inspiré de le laisser ? Non. 2) je donne une norme. Donc toutes les familles qui sont prêtes, qui disent : " on m'a dit que c'est mauvais, les scientifiques le disent, le Gouvernement français, le législateur français dit que c'est mauvais, on va voter une loi ", là, je peux vous dire qu'une écrasante majorité des familles, elles diront : " non, on va le respecter. " Et c'est tout à fait vrai. Il y a malgré tout des gens qui essaieront de contourner. Mais est-ce que ce sera la majorité ? Non. Et ils vont progressivement réfléchir.

Vous avez pris la très bonne comparaison avec l'alcool. Aujourd'hui, combien de jeunes de 14 ans sont alcooliques ou boivent ? C'est très, très, très minoritaire. C'est tout petit. Alors, c'est des jeunes qui, parfois, d'ailleurs, sont laissés... La plupart du temps des jeunes qui sont dans des familles éclatées, des jeunes qui sont dans des situations familiales très dures. Mais sincèrement, je ne connais pas beaucoup de familles qui font boire leurs enfants. Je n'en connais pas. Avant l'âge, il y en a qui peut-être déroge, qui commence à 16 ans pour faire goûter tel ou tel alcool, ou dans les fêtes de famille. Mais on l'a tous pris. Il y a 50 ans, quand il n'y a pas d'interdiction qui était passée, enfin, ça a commencé sous Mendes, je peux vous dire que c'était très jeune. Donc ça marche. Et je ne peux pas, en sachant ça, en ayant un consensus, dire : on laisse les familles sans normes. Donc est-ce que ce sera 100% du jour au lendemain ? Non, parce qu'on ne va pas mettre un contrôle social derrière chacun. Mais enfin, comme il y aura une vérification d'identité, il faudra que l'adulte ou un majeur de la famille aille ouvrir le compte ou la plateforme pour que le jeune y aille. Il y en aura, vous avez raison. Mais je pense quand même qu'on aura avancé dans la bonne direction et qu'on aura engagé un maximum de jeunes. Un maximum. Et de ce qu'on a fait pour l'alcool comme ce qu'on a fait pour le tabac, comparaison n'est pas raison, bah il faut le faire pour les réseaux. Et c'est la même chose que ce que vous avez dit sur l'alcool. Il y a des jeunes, très jeunes parfois, qui fument. Et c'est interdit. On leur fait comprendre. Donc, on ne passera pas à zéro. Mais je pense que c'est la méthode la plus efficace si on considère, et c'est ce que maintenant nous disent les scientifiques, que c'est un vrai risque. Et c'est un risque affectif, émotionnel et cognitif. C'est ça qu'il faut comprendre. C'est-à-dire que ça change la manière de se comporter avec les autres, les réseaux sociaux. Ça change la manière d'évoluer en société. Et ça change la manière d'apprendre et ça l'abîme. Donc, pour toutes ces raisons, je crois vraiment qu'il faut le faire.

Intervenant

Alors, on a eu un dernier témoignage d'enseignante, vous avez 44 ans, vous êtes professeure d'histoire-géographie dans un collège rural du Nord-Isère. Vous, l'impact de la surexposition aux écrans dont parlait le Président, vous le constatez au quotidien et vous avez mené un exercice intéressant avec vos élèves pour qu'ils en prennent conscience. Vous pouvez nous expliquer ?

Intervenant

Bonjour, Monsieur le président de la République, et en tout cas, merci pour cet échange qui est très constructif, où beaucoup de sujets ont déjà été abordés. Donc je vais peut-être des fois reprendre certaines choses évoquées. Mes collégiens passent énormément de temps sur les réseaux sociaux avec les conséquences que l'on connaît, les troubles du sommeil, des difficultés de concentration. C'est vrai qu'avec des réseaux comme TikTok où les vidéos défilent en permanence, on constate en classe qu'il faut varier les activités très fréquemment. Et puis des formes de cyberharcèlement, comme Anna nous l'a aussi évoqué. J'ai mené une petite expérience dans plusieurs classes en leur demandant de consulter le paramètre " Bien-être numérique " de leur téléphone et de noter le temps qu'ils passent en ligne sur les médias sociaux. Et cette démarche, comme vous l'avez dit, en moyenne 4h20, c'est ça, les a amenés à réfléchir sur leur consommation excessive de contenus, parfois violents, discriminatoires ou diffamatoires. Ils ont également pris conscience qu'ils accordent souvent une confiance excessive à ce qu'ils voient, notamment aux contenus générés par l'intelligence artificielle, sans avoir le recul nécessaire pour les analyser de manière critique. Face à ces constats, je pense qu'il est devenu essentiel de renforcer la formation à l'IA, tant pour les enseignants que pour l'ensemble de la société, je vois aussi autour de nous, afin d'aider nos adolescents à devenir des citoyens éclairés. En parallèle, il serait judicieux de limiter l'utilisation de l'IA dans le cadre scolaire pour préserver l'effort intellectuel de nos élèves quand tout est accessible en un clic. Je constate que je n'ai pas mal de collègues, notamment au lycée, qui ne donnent plus de travail maison parce qu'ils ont l'impression de corriger l'IA. Et ça, c'est vrai que ça pose de plus en plus de problèmes. Ça remet en cause nos fonctionnements, nos façons de travailler, d'évaluer. Pourrait-on envisager un logo pour signaler l'usage de l'IA ou à l'inverse utiliser l'IA pour repérer et limiter les contenus inappropriés et enfin mettre en place une sorte de contrôle parental sur l'utilisation de l'IA pour nos enfants ? Merci beaucoup pour votre écoute et merci à tous les lecteurs ici présents.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Je pense que vous venez d'illustrer parfaitement un des travaux de prévention qu'on évoquait pour les jeunes, c'est-à-dire de leur montrer les conséquences et le temps, je dirais, gâchés, volé par les réseaux sociaux lorsqu'on les sensibilise. Je voudrais faire deux remarques par rapport à ce que vous avez dit. La première, c'est qu'au-delà de tout ce que j'ai pu dire et ce qu'on se dit depuis tout à l'heure, la consommation quotidienne, abusive de vidéos que ce soit, sur des réseaux sociaux, sur des sites de jeux vidéo ou des jeux vidéo en réseau, parce que c'est un phénomène qui est lié, et a de liens massifs, elle insensibilise à la violence et à l'excès. C'est un des problèmes qu'on a pour notre fonctionnement collectif démocratique. Je me permets d'insister sur ce point parce qu'on l'a moins évoqué depuis tout à l'heure.

On a parlé des bulles cognitives, on a parlé des ingérences. Mais comme je vous ai dit que ça poussait beaucoup d'émotions négatives, beaucoup de contenus violents, c'est les vidéos auxquelles vous êtes exposés sur des TikTok ou autres, et ça désinhibe la violence, y compris langagière. On le voit bien, la structuration de notre espace informationnel par les réseaux chez les jeunes, mais même chez les moins jeunes, a fait dériver nos référentiels langagiers vers beaucoup plus d'excès ou de violence. Ces dernières années, ça a profondément dérivé. Or, la démocratie n'existe que s'il y a du respect qui va avec. Mais ça insensibilise, et en particulier les plus jeunes, à la violence et aux actes qui sont les plus brutaux. Je voudrais le lier à quelque chose qu'on a collectivement vécu à l'été 2023, les fameuses émeutes, après la mort du jeune Nahel. Ces émeutes, elles ont été faites par des très jeunes, dans tous les quartiers où s'est arrivé. Beaucoup de gens ont essayé de l'expliquer, puis après, le débat public s'est un peu désintéressé de ce sujet. Certains disaient : " c'est tous des immigrés, donc c'est ça, le problème, on vous l'avait bien dit ". D'autres disaient : " c'est le contraire ", puis on s'est arrêtés là. C'est dommage.

C'était des très jeunes. À 90%, c'était des enfants de familles monoparentales, en grande difficulté, ou d'enfants issus de l'aide sociale de l'enfance, donc isolés. Mais ils avaient une caractéristique : tous étaient surexposés. Quand on regarde les verbatims, ils se sont organisés avec les réseaux sociaux pour aller sur les sites et ils ont fait des trucs qui étaient fous, qu'on n'avait quasiment jamais vus. Ils ont brûlé des écoles, des gymnases, des bibliothèques, des trucs de sport faits pour eux, parce qu'il y a une forme de déréalisation de la violence qui se fait à travers ces réseaux. Je le dis juste pour rajouter, pour qu'on prenne bien conscience de ce qui se passe chez les très jeunes avec les réseaux, surtout quand la structure familiale ou parentale est très affaiblie.

Maintenant, pour aller sur votre point et ajouter sur l'IA, oui, il faut prendre deux choses sur l'IA. Premièrement, en encadrer l'usage et l'accès. C'est pour ça que je parlais des agents IA. Le dialogue qu'on a commencé, c'est, d'abord qu'ils soient bien identifiés, qui soient moins, je ne veux pas être technique, mais anthropomorphiques, c'est-à-dire que ces agents sont émotionnellement trop proches de nous. Il y a de plus en plus des gens, et pas forcément que des jeunes, qui, quand ils vont sur leur IA, ont l'impression de parler à un ami et font des confidences d'amis. Ça devient dangereux. En tout cas, c'est un sujet, parce qu'on se fait avoir. Ça, c'est quelque chose qu'il faut mieux encadrer. Après, les contenus qui ressortent de l'IA, il faut pouvoir mieux les identifier. C'est une bataille qu'on est en train de commencer à mener au niveau européen pour les images comme les contenus écrits, qu'ils soient identifiés, que c'est de l'IA. C'est tout un travail qui commence, mais qu'on mène au niveau européen pour avoir cette identification et le séparer.

Maintenant, pour nos enfants, l'éducation et l'IA, je pense à plusieurs choses. D'abord, il faut continuer à garder l'apprentissage et la sanctuariser, et l'IA ne le remplace pas. C'est pour ça que le devoir sur table reste quelque chose de clé. À cet égard, le contrôle continu sur table qu'on a mis en place au lycée, toutes ces choses-là, ce sont des bonnes pratiques, parce que ce n'est pas l'IA qui pourra le remplacer. La deuxième chose, c'est qu'on a besoin de préparer au lycée à utiliser l'IA, mais l'utiliser de manière saine et pas d'en dépendre. La troisième chose, c'est qu'on a des programmes de recherche avec l'INRIA, le Collège de France et d'autres, sur comment utiliser l'IA pour un accompagnement individuel. Parce que l'IA peut être utilisée pour de bonnes choses, c'est aider à apprendre et comprendre et avoir, en quelque sorte, une forme de tuteur personnalisé. Ça ne peut se faire que sous la supervision du prof, si je puis dire, et en symbiose avec le prof et les parents. Aujourd'hui, on a parfois des utilisations abusives, mais je pense qu'on aurait tort de cesser de demander des devoirs à la maison, et surtout de moins faire de devoirs sur table, parce que là, ce n'est pas l'IA qui peut le faire à la place.

Animateur

Merci à vous. La quatrième et dernière thématique que nous allons évoquer est sur l'éducation aux médias pour tous.

Intervenant

Bonjour à tous. Monsieur le Président, chères lectrices, chers lecteurs, au sein du groupe EBRA, l'éducation aux médias et à l'information est une priorité. Aujourd'hui même, vendredi, se termine " Journaliste d'un jour ", une grosse opération menée depuis plus de 30 ans par l'Alsace et les DNA et qui concerne, en une semaine, plus de 600 lycéens. Il y a quelques jours, c'est un campus transfrontalier en 4 langues qui s'est tenu à Metz, porté par le Républicain Lorrain, l'Est Républicain et Vosges Matin. Dans les deux cas, les jeunes participants ont pu créer des contenus journalistiques, par l'écrit, par l'image et la vidéo, et découvrir comment se construit une information fiable et vérifiée. Partout dans le groupe se tiennent des ateliers d'éducation aux médias, pour les publics scolaires, les jeunes, mais aussi les moins jeunes.

Et en parlant des moins jeunes, elle fait partie de cette génération dont on a documenté qu'elle véhiculait 7 fois plus de fakes news que les 18-25 ans. Elle a participé à un atelier d'éducation aux médias que nos titres proposent et elle va nous partager son expérience. Anna, à vous.

Intervenante

Je pense être la doyenne de cette assemblée. Mon seul mérite, c'est d'avoir participé à une formation sur les fakes news. C'est très important parce que c'était une sensibilisation faite au senior et elle a été très appréciée par tout le monde. Moi, personnellement, ce qui me terrifie le plus, c'est les ingérences étrangères et la désinformation politique. Parce que, quelque part, j'ai l'impression que la guerre a commencé.

Si je peux vous dire encore quelque chose qui n'a rien à voir avec le sujet qui nous occupe : je voulais vous dire que les français sont très inquiets et qu'il est urgent de faire en sorte de les rassurer et de leur redonner de l'espoir, car il en manque terriblement.

Emmanuel MACRON

Merci d'avoir fait cette formation. Ce que vous avez dit est très juste, c'est que quand on regarde les comptes qui véhiculent le plus de fausses informations, on a plutôt des comptes de personnes qui ont plus de 60 ans, qui sont les plus sensibles. Ça se comprend assez bien, parce que c'est une génération qui a été formée à lire de la presse et donc à croire ce qu'elle lit. C'est un peu impensable de penser qu'on est dans une jungle où n'importe qui peut écrire n'importe quoi. C'est une réalité. Comme la technologie a changé très vite et que les pratiques ont changé avec elle, il y a une forme, si je puis dire, de vulnérabilité aux fausses informations. Donc, je pense que les programmes que vous menez sont très importants et je vous en remercie. Il y a un rôle de l'Éducation nationale, mais il y a un rôle à travers toutes les éducations pour former aux médias. C'est un peu le travail de prévention, comme on se l'est dit. Le docteur l'a dit tout à l'heure avec sa casquette scientifique. Mais c'est de la prévention démocratique de lutter contre les fakes news.

La deuxième remarque, je ne veux pas avoir des mots qui sont trop anxiogènes, mais il y a une guerre informationnelle aujourd'hui qui est menée par des puissances étrangères. Je crois qu'il faut qu'on ait conscience de ça. Maintenant, il n'y a pas que ça, il y a aussi des dysfonctionnements de notre propre société qui sont à l'œuvre. Depuis tout à l'heure, vous voyez, on parle, il y a les deux. Mais ça crée des vulnérabilités qui créent cela. Sur votre dernier point, vous savez, je suis là où je suis depuis maintenant plus de 8 ans, et donc je vois notre société évoluer, ce qu'on peut faire et comment on peut avancer. J'ai essayé depuis 8 ans de faire de mon mieux pour que notre pays avance et que notre Europe se tienne. On est dans un moment qui peut troubler beaucoup de gens. Il faut essayer tout simplement de poser le jeu. Je pense qu'on ne peut pas rassurer de manière un peu naïve ou très simple nos compatriotes. Je me permets de vous le dire. Parce qu'on est dans un moment de grande bascule, et si je puis dire, d'incertitude. Ce qu'on vit tous, c'est un peu l'expérience que beaucoup de choses qui étaient des certitudes s'effondrent. Il faut essayer de reprendre un à un, ce que j'essaie modestement de faire les choses, et d'y aller avec un maximum de volonté.

Il faut garder un peu d'inquiétude parce qu'il y en a une partie qui sont légitimes. Je ne veux pas rassurer de manière béate ou en prenant les françaises et les français, pas de manière sérieuse. Je pense que l'inquiétude que vous décrivez, elle est d'abord liée à la situation géopolitique qui fait peur. Face à ça, j'ai essayé, je peux vous le redire ici, de dire : " on n'a pas à avoir peur à l'excès. Mais il y a des risques qui sont là, géopolitiques, qui se sont réveillés. Si on est honnête, la guerre est revenue sur le sol européen, et c'est une des grandes inquiétudes qu'on peut avoir. Je pense que depuis 2022, on a raison d'avoir cette inquiétude-là. Est-ce que je pense demain qu'on sera attaqué par la Russie ? Non. Mais je pense que d'abord, il y a une guerre informationnelle, hybride, comme on dit, mais nous devons nous préparer. Ce risque qui existe, qui peut nourrir de l'inquiétude, la peur, qui parfois, quand il est exagéré, ou qu'on dit, " le Président, va-t-en-guerre », la bonne réponse, c'est de dire non. Il faut regarder ce risque en face de nous, il faut s'y préparer et donc être plus fort. Ça, c'est sur la partie militaire.

Ensuite, moi, je pense qu'on est un pays, et ça peut peut-être vous rassurer, beaucoup plus fort qu'on ne le dit chaque jour. Le message que j'aurai, c'est : ne nous sous-estimons pas et ne nous divisons pas. Ne nous sous-estimons pas parce qu'il y a plein de défis, il y a plein de choses qu'on doit régler. On voit les difficultés par la fragmentation politique du moment. On est beaucoup plus fort qu'on ne le croit ou qu'on ne se le dit à nous-mêmes. C'est un grand pays, la France. On est solide, on a des infrastructures solides, des institutions solides, une force énergétique, économique. On a des services publics parmi les plus solides d'Europe. Il faut qu'on regarde aussi cette solidité, même s'il y a des tas de choses à améliorer.

Le dernier message pour rassurer, c'est de garder l'unité. Ce que j'ai fait hier avec l'annonce du service national qu'on reprend, ce qu'on veut refaire avec l'investissement dans notre école, ce qu'on fait là sur les réseaux sociaux, qui sont une très grande source d'inquiétude pour les gens, parce que les réseaux sociaux inquiètent les gens parce qu'ils s'y nourrissent, et pour toutes les raisons que j'évoque depuis tout à l'heure, ça nourrit de l'inquiétude. En se réappropriant, en retrouvant le contrôle de ces réseaux sociaux, on peut aussi aider à rassurer. Mon point, c'est préparons-nous et soyons forts sur le plan géopolitique, militaire et technologique. N'ayons pas peur, mais préparons-nous. C'est comme ça, d'ailleurs, qu'on surmontera la peur qui peut exister ou l'inquiétude. La deuxième chose, ne nous sous-estimons pas. On a des tas de choses à améliorer, des tas de choses à faire, mais on est un très grand pays, on peut aller de l'avant, et je le dis pour nos jeunes. La troisième chose, ne nous divisons pas. Continuons de bâtir l'école, le service national, la reprise en main des réseaux pour rester un pays uni. Ces 3 messages-là sont ceux qui, je pense, peuvent nous permettre d'avancer. Je l'espère, en tout cas.

Intervenant

Bonjour, Monsieur le Président. Il y a un constat, c'est que nous, nous représentons encore une génération ancienne qui avait un appétit, une soif d'aller s'informer auprès des journaux en version écrite. C'était presque un besoin. La génération actuelle, quand on leur demande dans les classes, aucun, mais vraiment aucun, ne va vers les journaux écrits en premier rang. Éventuellement, quand ils sont en week-end chez les grands-parents, à peu près 20 à 30% d'une classe dit : " ah oui, on les a vus chez les grands-parents ". Les voir, ce n'est pas les pratiquer. Mais il ne faut pas leur enlever quoi que ce soit, ils sont effectivement en besoin d'informations, ils sont très en recherche de critiques, et ils sont extrêmement curieux. Ce n'est pas du tout de les critiquer. On constate que quand on les met en action, quand on casse le quatrième mur de la salle de classe comme au théâtre, quand ils vont vers d'autres situations, comme par exemple dans le cas de « Journaliste d'un jour », ils sont pétillants d'esprit, d'initiative.

Le thème de cette année, c'était " Vive la diversité ". Les élèves que j'ai pu encadrer mardi dernier, dans le cadre de cette opération, ont fait des projets, des articles de très haute qualité. C'est très gratifiant de voir ce qu'ils sont amenés à produire. J'ai aussi pu organiser de très nombreuses rencontres in situ au lycée avec un certain nombre de témoins, que ce soit des journalistes, des gens de " Cartooning for Peace ", ou des rescapés de la Shoah comme Ginette KOLINKA. C'est ce qui leur reste. Le programme est indispensable, mais il faut le pas de côté, l'expérience supplémentaire.

Donc, comment faire pour augmenter plus que ça n'est encore possible actuellement, des initiatives qui les mettront en contact avec les journalistes, avec les médias ?  Qui leur montrera que rien n'est donné, que tout est issu d'un travail de très longue haleine, d'un travail qui coûte de l'argent. Ma deuxième question aussi, c'est que le cerveau met à peu près 25 ans à être formé. Quand on intervient dans ces jeunes années de formation au lycée avec des écrans, il y a quelque chose qui se perd. D'ailleurs, il y a une étude du MIT qui a été faite récemment qui dit que les usages de l'IA littéralement éteignent des zones de cerveau et il faut 2 à 4 mois d'abandon de l'IA pour qu'elle se réallume. Ça montre toute la problématique. Ma question par rapport à cette formation du cerveau, ne pourrait-on pas envisager l'abandon des manuels numériques avant l'université ? Ne pourrait-on pas aussi envisager de rebooster à nouveau le pass culture ? Je pense à la possibilité de s'abonner à des journaux en matière écrite. Quand j'ai fait un sondage auprès des élèves, les seules ressources qu'ils pouvaient avoir dans les ressources de journaux, c'étaient des journaux numériques.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. D'abord, l'éducation aux médias, en tout cas à la vie civique, puisque c'est aussi ça dont on parle, elle se fait par les enseignants et c'est là aussi où notre école joue un rôle essentiel et je vous remercie et je vous dis ma gratitude de voir à la fois l'enthousiasme, on le ressent que vous avez le rôle que vous jouez auprès de vos élèves. Ce pas de côté, en fait, il est très dépendant des profs, des enseignants. Je veux dire aussi l'engagement de nos enseignants pour emmener les élèves à voir ces expériences, c'est-à-dire voir des grands témoins de l'histoire, aller sur un site pour comprendre les choses ou prendre ce sentier buissonnier qui est ce qui restera. Vous avez parfaitement raison.

Donc un, c'est consolider notre école, consolider nos enseignants, consolider la formation des enseignants, qui est pour moi le grand chantier qu'on doit mener dans le temps qui vient. Ensuite, c'est donner les instruments aux enseignants. Moi, je suis un grand défenseur du pass culture qui permet de faire ça, en lien justement avec nos libraires et autres, et il faut absolument le garder. Trois, c'est en effet, c'est en lien avec ce que j'évoquais, garder la culture de l'écrit et de l'écriture. Et je pense que... Enfin, je ne pense pas, il est plutôt prouvé scientifiquement que continuer à écrire à la main, continuer à lire des livres, avec la discursivité que ça crée, éveille l'esprit et permet de garder des compétences, en effet, cognitives, qui sont très importantes, et que le tout-écran n'est pas bon. En vrai, c'est une question d'équilibre. Et ça, c'est à l'école de le faire.

Alors, j'ai noté le point sur le manuel numérique, je ne sais pas vous répondre, parce que je n'ai pas regardé ce point et je ne sais pas s'il y a un consensus. Je suis plutôt d'accord intuitivement avec vous, mais je ne veux pas vous dire de bêtises. Par contre, je pense que c'est la bonne approche. Donc oui, on a besoin de garder dans notre école, si je puis dire, un modèle mixte le plus longtemps possible et donc de protéger ce rapport à l'écrit, au physique. Mais je voudrais faire un autre point qui est au moins aussi important, me semble-t-il, dans le lien aux médias et à l'information, c'est de faire comprendre, d'inciter, d'encourager nos jeunes à aller vers des titres de presse qui soient d'ailleurs physiques, papiers, parce que c'est le distinguo qu'on vient de faire, ou numériques, mais déjà d'aller vers un site d'un journal ou d'un média avec des journalistes n'est pas la même chose que d'aller sur tel ou tel site qui ne vous est pas familier, qui n'est pas connu, qui n'est pas reconnu comme un site d'information pour s'informer. Et ça, je pense que c'est très important.

Ce qui fait le lien avec ce que vous avez dit au début et qui est un sujet très délicat, qui est celui d'un label et qui est aussi une manière de lutter contre ce que vous avez montré dans votre enquête. Parce qu'on peut vous tromper, on peut créer un faux site d'information. Et je crois qu'on est quand même, il faut être lucide, quand on a un journal avec une rédaction, il y a depuis nos lois du XIXe siècle sur la presse, une responsabilité de cette rédaction. C'est-à-dire que les informations qu'on vous donne à lire, ce que vous avez à connaître par les journaux, il y a quelqu'un qui est responsable. Donc si c'est faux, si ça met en cause votre dignité, si c'est une information fausse, on peut demander à ce que ce soit rectifié, on a un droit de réponse, et puis on peut demander à ce que ce soit corrigé. On peut même aller pénaliser, donc aller devant le juge pour punir la rédaction.

C'est quand même la grande différence avec ce dont on parle depuis tout à l'heure. Un réseau social, ce n'est pas du tout le cas et un faux site d'information, ce n'est pas le cas. Ce fondement, il faut le comprendre parce que c'est un garant en soi du fait que les gens qui travaillent dans un titre de presse, ils ont une déontologie et ils doivent vérifier cette information. C'est ce qui fait que cette information, elle sera fiable et donc ça a une valeur. Ça, je pense qu'il faut l'éduquer, il faut le transmettre, il faut le rappeler aussi, parce qu'on a tendance à le perdre de vue. Mais c'est aussi pour ça que je crois que ça a beaucoup de valeur que les rédactions elles-mêmes, en quelque sorte, renforcent ce muscle.

Ce que vous avez fait, puisque vous l'avez dit tout à l'heure avec, justement, la labellisation que vous avez adoptée par la méthodologie que Reporters sans frontières avait mise en place, c'est aussi un point important de qualité. Parce que si on laisse l'espace informationnel de manière totalement indifférenciée, le lecteur est un peu perdu, parce qu'il a l'impression parfois d'être dans un journal. Là, vous garantissez que vos journalistes ont une déontologie, une méthodologie de travail, et donc vont vérifier. Je dis ça, c'est important, parce que ce n'est pas l'État qui doit vérifier. Si c'est l'État qui doit vérifier, ce n'est pas mieux que le système où on vit aujourd'hui. Parce que là, ça devient une dictature. Mais il faut que les journalistes garantissent à leurs lecteurs qu'eux ont vérifiés avec une déontologie, dont ils sont les garants entre eux, et une méthodologie qui est bâtie entre eux et garantie par des tiers, des pairs. Ça, c'est très important, et ça, je pense, c'est clé, et c'est aussi important que la différence entre le numérique et le physique.

Sophie GOURMELEN

Juste pour prolonger la question sur le pass culture, il est maintenu, certes. Les établissements attendent d'en savoir plus.

Emmanuel MACRON

Vous avez compris d'où je parlais. Le président de la République que je suis, qui a voulu ce pass-culture porté, défendu, j'y crois à fond, dans sa part. Il y a une part individuelle et une part collective qui est dans la main des profs. Vous avez une Assemblée nationale qui est fragmentée, si je puis dire, divisée, qui est en train de bâtir des consensus. Ce n'est pas moi qui suis à l'œuvre dans cette affaire. J'adorerais qu'elle puisse sortir un budget qui le préserve, parce que je pense que c'est une très bonne chose pour nos jeunes et pour les profs. Voilà.

Animateur

Merci. Alors, on va poursuivre avec les élèves du collège Dolmaire, un collège qui ne vous est pas inconnu, puisqu'en 2018, vous y êtes rendu. C'est un établissement qui place l'éducation aux médias et à l'information au cœur de ses prérogatives. Les élèves contribuent d'ailleurs depuis trois ans à un journal en partenariat avec nos journaux, mais aussi avec la Maison pour la Science de Lorraine et la Fondation La Main à la Patte, dont l'objectif vise à mettre sous les projecteurs les filières scientifiques et les initiatives. Alors, ces élèves, ils sont avec nous, ils sont aussi accompagnés d'un des enseignants, et chacun ont une question à vous poser.

Intervenant

Monsieur le Président. Je vais rebondir sur l'idée de repousser l'âge des réseaux sociaux à 15 ans. Et donc ma question c'est, serait-il possible de bloquer certains contenus pouvant être choquants plutôt que de repousser l'âge à 15 ans ?

Intervenant

Donc bonjour Monsieur le Président, comment faire pour trouver des informations vraies sur Internet sans se faire manipuler ?

Intervenant

Bonjour, Monsieur le Président. Les élèves ont participé à une très belle activité dans un laboratoire avec quatre chercheurs où l'objectif était de faire des équipes sur des sujets différents mais connexes afin d'essayer de trouver la vérité sur un problème local. Ce problème était un problème de pollution, celui que nous avons choisi. L'intelligence artificielle consomme de l'énergie, consomme de l'électricité et consomme de l'eau. Et cette intelligence artificielle, nous l'utilisons très souvent à notre insu ou quand on le veut. D'où ma question. Comment conjuguer apparente facilité des intelligences artificielles et son impact environnemental croissant dans nos usages au quotidien.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Alors, sur ta première question, c'est en fait assez dur et ce n'est pas très opérant de retirer les contenus parce qu'on n'a pas tellement de moyens sur les réseaux sociaux pour le faire.

Aujourd'hui, tous les jours, on essaie de faire retirer des contenus. On a obtenu de hautes luttes de retirer les contenus terroristes. Et c'est appliqué par certaines plateformes, il y en a encore, malheureusement, ce n'est pas fait. Normalement, elles n'ont pas le droit de mettre des contenus qui sont à caractère raciste ou antisémite. Et on peut activer une plateforme qui s'appelle Pharos pour les faire retirer quand il y a de tels contenus. C'est très dur, très lent, et ce n'est pas toujours fait parce qu'en fait, les plateformes, elles ne modèrent pas, comme on dit. C'est-à-dire, elles ne mettent pas assez de moyens pour le faire. Et donc, on a essayé toutes ces dernières années, moi, ça fait huit ans que, au moins une fois par an, j'ai fait venir tous ces réseaux sociaux, ces plateformes, pour aller dans le sens de ce que tu disais. Je n'ai jamais obtenu de résultats crédibles et elles vont plutôt dans l'autre sens aujourd'hui. Donc, en fait, ce n'est pas opérant. On n'arrivera pas. Ce n'est pas efficace de juste retirer des contenus. Ça, c'est le premier point.

Le deuxième point, c'est qu'en fait, le consensus scientifique, c'est plutôt de dire, au-delà de certains contenus, c'est le fait même de passer autant de temps devant un écran et sur ces réseaux qui n'est pas bon avant 15 ans. C'est la dépendance que ça crée. C'est le mécanisme même de dépendance qui est lié à ces fameux algorithmes dont je parle depuis tout à l'heure, ce qu'on va pousser. Et même si c'était que des vidéos de chatons ou de je ne sais pas quoi, ce n'est pas génial de passer 4h20 à regarder des vidéos de chatons. Tu vois ? Ce n'est pas super bon pour le développement affectif, cognitif. Donc ce n'est pas qu'une question de contenu. En vrai, jusqu'à 15 ans, il faut essayer beaucoup plus d'être dans les rapports humains qui créent de la bienveillance. C'est le visage de l'autre, le regard de l'autre, le monde réel. Parce que je n'ai pas consolidé mon rapport au réel et je ne peux pas passer trop de temps sur un monde qui est en fait un monde un peu irréel, celui des vidéos ou des messages. Tu vois, j'ai un peu répondu à la question, mais donc c'est mieux d'aller quand même dans ce sens-là. Ça peut paraître un effort très important, moi, je ne crois pas, parce que toutes les générations qui ont vécu sans, elles n'ont pas vécu dans le malheur. Et donc, ça va juste un peu changer les choses, mais je pense pour le bien, et ça va apprendre aussi à les utiliser.

Ensuite, en fait c'est ce qu'on écrivait sur comment avoir une info vraie et ne pas être manipulé. D'abord, je ne voudrais pas que vous rentriez dans un monde de défiance absolue. Si je te dis quelque chose, normalement, en soi, je ne le fais pas pour te mentir et toi non plus avec moi. Donc ça, c'est hyper important. On est dans une société où on cherche à avoir de la confiance. Ce qui est vrai, c'est que dans la jungle, dans l'immensité d'Internet, tu n'es pas toujours sûr. Quand tu ne connais pas les gens, tu ne sais pas. Donc le mieux, c'est d'aller sur des sites dédiés à l'information pour s'informer et donc de rechercher les titres de presse, les journaux locaux ou nationaux, ou spécialisés, mais qui sont faits par des gens dont c'est le métier d'informer. C'est comme ça que tu as une garantie, c'est ce qu'on disait, parce que tu as derrière ça non pas des gens comme nous, si je puis dire, sauf quelques exceptions dans cette salle, c'est-à-dire des gens qui vont avoir un avis ou qui vont donner leur regard du monde, même si peut-être, on a raison ou tort, ou peut-être que c'est vrai, mais tu as la garantie d'avoir une information qui est faite par des journalistes. C'est-à-dire des gens dont c'est le métier, qui ont été formés pour ça, et qui ont une déontologie, qui ont donc vérifié cette information. Donc c'est d'aller sur des sites d'information vrais et connus.

Et puis sur votre question, professeur, qui est sur un autre champ qui est l'intelligence artificielle, je ne voudrais d'abord pas donner le sentiment qu'on doit être technophobe. Les réseaux sociaux, l'intelligence artificielle, les innovations technologiques, c'est une formidable chose. Simplement, je le dis, rappelant nos vieux maîtres : " Science sans conscience n'est que ruine de l'homme ". Donc ce qu'on dit depuis tout à l'heure, c'est simplement nos vieux préceptes de l'humanisme de la Renaissance, c'est super l'innovation, c'est super la science et ses innovations, mais il faut y remettre de la conscience, donc la mettre au service de l'humanité. Mais donc c'est une très bonne chose d'avoir de l'IA. L'IA, on en utilise partout. Qu'est-ce que c'est l'intelligence artificielle ? C'est une machine apprenante avec des capacités de calcul énormes. Et donc, il ne faut pas se tromper, là, on en parle beaucoup parce qu'on a une machine apprenante qui fait du langage. C'est ce qu'on appelle l'IA générative. Le Chat, ChatGPT, etc.

Mais vous utilisez de l'intelligence artificielle, en fait, en permanence. Dès que vous vous repérez sur un moteur de recherche, dès que vous utilisez quelque chose qui vous guide sur votre voiture, etc. C'est vrai que ça consomme. Et donc, il y a deux réponses à ça, c'est d'avoir les modèles qui soient le plus sobre, et c'est tout ce qu'on essaie de nous développer dans notre stratégie de l'intelligence artificielle. Si Mistral et son modèle qui s'appelle Le Chat est meilleur à nos yeux que les autres, c'est d'abord parce qu'il est européen, c'est vrai, et français, mais c'est aussi parce qu'il est plus sobre, c'est-à-dire qu'il utilise moins de capacités de calcul pour faire son travail. Et donc, il y a une possibilité de faire la même chose sans envoyer des filets partout. Donc sobriété.

Et deux, c'est de produire l'énergie la plus décarbonée pour le servir. Et c'est ce que, là pour le coup, la France a un énorme avantage. C'est pour ça que je pense qu'on est fait pour être aussi une grande nation de l'IA parce qu'on a des chercheurs et des entreprises qui développent des modèles beaucoup plus sobres que les super gros modèles de calcul massif anglo-saxons, et que nous, contrairement aux États-Unis, on produit l'électricité la plus décarbonée et pilotable d'Europe, parce qu'on a du nucléaire, du renouvelable et de la sobriété énergétique. On a une grosse base installée de nucléaire.

Animatrice

Pour finir, je vous propose d'échanger avec trois lycéens. Ils sont tous les trois engagés, élus, au sein du Conseil de vie lycéenne du lycée Vuillaume, tout près d'ici.

Intervenante

Monsieur le Président. Ma question aujourd'hui, c'est comment on peut garantir que les victimes du cyberharcèlement soient mieux accompagnées, que ce soit juridiquement ou psychologiquement, alors qu'on voit qu'il y a de moins en moins de moyens dans la santé publique et que surtout, financièrement, ça pose beaucoup de problèmes à beaucoup de familles.

Emmanuel MACRON

Oui, alors d'abord, il faut faire attention, quels que soient les débats qu'on entend. Il n'y a pas moins d'argent dans la santé publique. Il y a eu un investissement massif. Les budgets, même s'il y a des désaccords, les gens débattent à l'Assemblée en ce moment. C'est sur la nature de la hausse. Mais le budget en santé, il augmente. Et d'ailleurs, il n'y a pas un schéma où il peut baisser, parce qu'on a une population qui vieillit. Mais il y en a qui veulent le faire augmenter plus, d'autres moins, d'autres ceci ou cela. Mais il augmente. Et moi, j'avais pris des décisions avant Covid, j'en ai pris à la sortie du Covid avec ce qu'on a appelé « le Ségur », d'augmentation historique même de rémunération. Je dis ça, il faut faire attention, parce qu'on n'est pas un pays qui baisse les dépenses de santé ou d'éducation. Ce sont des postes qui augmentent. Ça, c'est un point.

Ensuite, le cyberharcèlement, ça rejoint la discussion qu'on avait tout à l'heure. C'est, 1) nous on doit être beaucoup plus fort sur la prévention, ce qu'on fait à l'école et avec les familles. 2) on a amélioré les choses sur la riposte, donc la répression, le pénal, l'éloignement de ceux qui harcèlent. 3) on va continuer l'accompagnement. Et ça, c'est le message qui est aussi envoyé au rectorat, avec la communauté pédagogique, et les profs font un très gros travail pour accompagner les familles et les élèves qui ont subi ça, parce qu'on veut garder les élèves dans l'école où ils l'ont subi, mais plutôt éloigner ceux qui harcèlent. Et c'est un investissement qu'on fait sur la partie santé mentale et accompagnement des jeunes. Donc ça, on ne baissera pas le pavillon. Et j'espère que les débats qui suivront nous permettront de sanctuariser ces moyens.

Intervenante

Donc les parents de ces victimes et ces victimes peuvent espérer trouver plus tard peut-être une plus grande diversité de solutions à leurs problèmes, à cette violence qu'on retrouve sur les réseaux sociaux ?

Emmanuel MACRON

Alors ça, c'est une question plus large qui est un peu ce dont on parle depuis tout à l'heure. Je pense que la bonne réponse, c'est de remettre en quelque sorte de la discipline, du calme, du respect, de la bienveillance dans les réseaux sociaux. C'est pour ça qu'il faut d'abord en protéger les plus jeunes. Il faut, à l'école, remettre la bienveillance au cœur de la mission. C'est tout ce qu'on a fait ces dernières années, chez les plus petits en particulier. L'apprentissage de la bienveillance, qui est un élément clé, et avoir une société collectivement qui se calme, je l'espère. La réponse n'est pas univoque et elle n'est pas uniquement dans ma main.

Intervenante

Vous appréhendez aujourd'hui les problématiques liées à l'usage des réseaux sociaux dans une perspective d'interdiction de leur accès aux moins de 15 ans. Ne pensez-vous pas qu'il serait plus pertinent, au contraire, d'éduquer dès le plus jeune âge au libre arbitre et à l'usage raisonné et responsable des outils numériques ?

Intervenant

Bonjour, Monsieur le Président. Nous avons toutes et tous conscience de l'importance des algorithmes dans l'accès aux contenus numériques. Comment envisagez-vous de contraindre davantage juridiquement les plateformes à modifier de façon plus vertueuse leur algorithme, mais aussi d'asseoir un contrôle avancé des contenus circulant sur les réseaux ?

Emmanuel MACRON

Alors, j'allais dire sur la première question, conformément à ma pratique habituelle, je dirais en même temps. Non, je ne les opposerai pas. En vrai, on sait maintenant que l'éducation au libre arbitre, etc., n'est pas suffisante. Ça rejoint ce que je disais. D'abord, la surexposition aux réseaux, aux écrans, elle est mauvaise, et pas simplement quand on est exposé à de mauvaises informations. Elle est mauvaise par le temps qu'elle vous prend, par le temps supprimé de sport, de lecture, de vie, si je puis dire, sociale, merci. Et donc, ce n'est pas uniquement la capacité à se protéger des fausses informations, c'est beaucoup plus large. Ensuite, le cerveau n'y est pas prêt à cet âge-là. Il y a maintenant un consensus de plus en plus fort. Ça éveille plus tôt des troubles, c'est mauvais.

Donc, ce n'est pas simplement l'enseignement du libre arbitre qui peut me conduire à dire qu'il faut laisser ouvert. C'est un consensus scientifique et une expérience qu'on a ces dernières années qui me conduit à vous dire : jusqu'à l'âge de 15 ans, ce n'est pas une bonne chose. Il faut plutôt refroidir, être moins sur les écrans, la technologie, mais il faut vous apprendre à l'utiliser. Et là où vous avez tout à fait raison, c'est en même temps qu'il faut faire les deux. Ce n'est pas parce qu'on l'interdit qu'il faille vous laisser dans le brouillard complet, c'est qu'il faut qu'on vous apprenne à utiliser ces instruments, il faut qu'on vous éveille sur les formidables opportunités et les risques qu'il peut y avoir, et qu'on vous dote de votre libre arbitre.

Après, simplement, on parle de 15 ans, et je veux remettre les choses aussi en ordre, c'est-à-dire que j'entends parfois, dans le débat public, libre arbitre, esprit critique, c'est très important, mais c'est à un certain âge. Il faut d'abord enseigner et transmettre des connaissances solides. Et en vrai, dans ce monde, et ça rejoint la question sur l'inquiétude de Madame tout à l'heure, le monde nous inquiète.

J'ai essayé d'apporter quelques réponses à échelle humaine, mais il nous inquiète aussi parce qu'on a l'impression qu'il n'y a plus rien de sûr. Tout est en train un peu de se désagréger. Et donc, on a aussi besoin, pour les plus jeunes, de dire qu'on doit transmettre des connaissances et des certitudes, c'est-à-dire des choses robustes et solides. Et on peut s'orienter dans le monde, on peut commencer à douter, à avoir de l'esprit critique et libre, quand on a un socle de connaissances. Et ça, c'est très important, y compris pour le bien-être de chacun. Parce que si on vit dans le doute et le brouillard permanents, on ne peut pas être heureux, on ne peut pas être stable. Et donc l'école, c'est d'abord transmettre des savoirs, des connaissances. C'est le rôle de la société à l'égard des plus jeunes. C'est ensuite apprendre à douter intelligemment.

L'esprit critique, mais il faut un certain âge. Moi, j'ai appris Descartes, mais je savais d'abord compter. Il m'a appris à douter sur deux et deux, mais enfin, j'avais d'abord bien appris les tables de multiplication. Donc, je ne suis pas non plus dans une société où il faut douter de tout avant d'avoir appris le début d'une idée. Donc, il faut faire transmission des connaissances, libre arbitre, esprit critique et protection face aux réseaux sociaux pour vous sauver du temps. Au fond, du temps de construction de soi-même jusqu'à l'âge de 15 ans, et après d'en avoir la bonne pratique.

Sur les algorithmes, c'est assez difficile de leur demander d'évoluer dans le bon sens parce qu'on ne sait pas comment ils fonctionnent aujourd'hui, c'est une boîte noire. Donc, ce qu'on doit demander à ces réseaux sociaux, c'est la transparence sur leurs algorithmes, et après d'être dans un dialogue. Alors soit c'est la transparence absolue, c'est-à-dire vous les rendez publics auprès de tout le monde, ce qui est le plus simple, soit c'est au moins la transparence à l'égard de régulateurs qui pourront regarder et à ce moment-là, donner des orientations en disant : vous devez corriger ceci ou cela, vous avez un problème. Aujourd'hui, on ne peut faire que des tests de bon fonctionnement ou dysfonctionnement des algorithmes. Ce que je disais tout à l'heure sur TikTok, c'est un test empirique, mais on n'a pas de vue sur l'algorithme. Donc moi, je veux me battre pour qu'on ait la transparence de l'algorithme, ce qui est la seule chose qui permettra d'être sûr que c'est sincère, soit public, soit auprès des régulateurs de ces plateformes.

Animateur

Merci, Monsieur le Président. Merci à nos témoins, nos collégiens, nos lycéens et nos journalistes, qu'on peut également applaudir, s'il vous plaît. Et je vais céder la parole à Madame la Présidente Sophie GOURMELEN pour clôturer ce face-à-face avec Monsieur le Président de la République.

Sophie GOURMELEN

Merci pour la qualité des échanges et merci pour les témoignages qui étaient parfois extrêmement touchants, très intimes. Et je crois qu'aucune plateforme n'aurait été capable de faire ce débat comme celui qui a été fait aujourd'hui. Donc, merci aussi aux journalistes qui ont préparé cet entretien et qui ont fait en sorte que ce que vous avez entendu, Monsieur le Président, ce sont des propos qui sont précis, clairs, détaillés et qui vous ont permis d'avoir un état de la préoccupation des Français et des Françaises, en tout cas de nos lecteurs et de nos lectrices.

On voit à quel point les journaux sont importants et j'espère que les gens qui sont dans la salle ici aujourd'hui continueront à nous lire longtemps, à nous acheter aussi. Et c'est vrai que pour nous, groupe de presse, l'écosystème dans lequel nous sommes, avec les plateformes qui pillent nos contenus et qui utilisent de plus en plus les fausses informations, vous l'avez dit vous-même, pour faire venir des usages de plus en plus importants, ça détruit de la valeur et la valeur de nos contenus aujourd'hui est de moins en moins importante. On n'arrive plus à faire payer, en tout cas auprès des jeunes, l'information. C'est très difficile, mais on a beaucoup de créativité, beaucoup d'envie et on y croit beaucoup.

Donc, avec l'ensemble en tout cas des titres du groupe EBRA, on va s'attacher à faire en sorte que les journaux durent encore très longtemps et qu'on puisse, comme aujourd'hui, continuer à faire des débats de cette qualité. En tout cas, merci pour votre présence.

Animateur

Merci à vous, Madame la Présidente, Sophie GOURMELEN et Monsieur le Président de la République. Nous vous laissons clôturer cette matinée Face aux lecteurs du groupe EBRA.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Écoutez, d'abord, merci à nouveau au groupe EBRA, Madame la présidente, pour l'accueil, et merci aux rédactions qui ont été mobilisées, aux journalistes qui ont préparé et animé ces débats, et à vous toutes et tous, Mesdames et Messieurs, qui avez pris la peine de venir, d'échanger. J'espère que ça vous aura éclairé sur quelques aspects ou en tout cas fait réfléchir. Moi, j'ai pris note aussi de beaucoup d'idées, de commentaires et de questions ou de suggestions qui ont été faites.

Mais au fond, ce que nous avons fait ce matin, enfin, la pratique, je dirais, indépendamment même du sujet ou du fond, elle illustre l'importance de la délibération. Et ce n'est pas la même chose qu'échanger des avis sur une plateforme qui deviennent assez vite des invectives. Et donc on voit bien l'importance, au fond, pour qu'une démocratie fonctionne, elle a besoin d'informations fiables et claires, et donc elle a besoin d'une presse libre, indépendante et professionnelle. Elle a besoin de moments de délibération. Ils sont organisés par la presse, ils le sont dans nos villes et villages, ils doivent l'être au niveau national, et c'est un travail collectif qui est important pour pouvoir gérer nos accords et nos désaccords, mais être sûrs qu'on a du commun.

Et je voudrais, moi, juste terminer avec ce point-là. Je pense qu'on est dans une société des générations qui a de formidables opportunités. Il ne faut pas se tromper. Je ne voudrais pas que vous partiez avec une vision catastrophiste du monde où on vit. C'est un moment d'accélération technologique qui est porteur d'opportunités inédites, et on veut les saisir dans la santé, dans l'énergie, etc. Et on a une chance de... pouvoir être connecté avec le savoir, avec le bout du monde, et d'accélérer, d'avoir des percées scientifiques absolument inédites. Simplement, il faut reprendre le contrôle pour notre vie démocratique et pour nos enfants. Et je crois que c'est ce travail-là qu'on a à faire, qui est un travail juste d'équilibre et, au fond, de conscience collective. Et il faut le faire pour éviter que notre société ne parte un peu dans tous les sens. C'est-à-dire se renferme vers moi, c'est ce qui m'inquiète le plus dans ce moment de formidables opportunités, c'est qu'il y a une solitude croissante dans notre société et une baisse de la capacité à discuter. Et elle est un peu liée au sujet qu'on évoque depuis tout à l'heure.

Et donc, si on veut remettre du commun, il faut retrouver les voies et moyens de le faire et donc reprendre le contrôle de ces instruments technologiques pour être sûrs qu'ils sont à notre service, mais qu'ils ne fassent pas muter, si je puis dire, notre manière d'être ensemble et d'être une démocratie forte, et qu'ils ne donnent pas des opportunités inédites à des adversaires ou des ennemis qui voudraient nous abattre. Mais tout ça, ça veut juste dire reprendre le contrôle de notre vie démocratique et de nos vies. C'est possible si on en a la conscience collective et qu'on le décide. C'est, je crois, le travail que nous devons faire, et il est important. Il est important pour l'indépendance de la nation et il est important pour le bien-être de notre démocratie et pour le bien-être de nos jeunes. Donc, c'est une formidable mission, mais on peut tous la relever uniquement ensemble. Voilà ce à quoi je crois et voilà un peu de ce qu'on a fait ce matin collectivement. Et donc derrière ça, pour vous donner la transparence, je vais finir ces débats en région. Il y aura un moment où je rendrai compte au niveau national. Et puis, on fera sans doute des textes de loi à l'échelle nationale, donc là, assez vite, au premier trimestre 2026, on les lancera.

Et puis, on va lancer une série d'initiatives européennes, elles prennent toujours un peu plus de temps, mais au même moment, pour essayer d'avoir le maximum de retours dans l'année 2026 en particulier, parce que sur les questions d'ingérence ou autres, on a quelques échéances à venir où il faut qu'on soit encore mieux armés. Et voilà pour que vous compreniez l'avancée et se dire que tout ce qu'on s'est dit ce matin aussi va donner lieu à un agenda de décision et d'action. Merci beaucoup en tout cas à toutes et tous.

Animateur

C'est nous qui vous remercions, Monsieur le Président de la République. On peut encore une fois applaudir, s'il vous plaît, Mesdames, Messieurs, et qui va devoir nous quitter maintenant dans quelques instants. Monsieur le Président, qu'on peut remercier encore une fois et applaudir chaleureusement, s'il vous plaît.