Texte intégral
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Mme la présidente Véronique Riotton. Nous accueillons à présent Mme la ministre, à qui je cède la parole.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Je vous remercie de m'accueillir. Après cette réunion, je partirai signer avec l'Association des maires ruraux une convention garantissant que toutes les communes rurales disposent de référents. Ceux-ci sont extrêmement précieux dans ces territoires où ces phénomènes de violence sont surreprésentés : 50 % des violences s'y déroulent alors qu'ils ne concentrent que 30 % de la population. Les raisons peuvent être liées à l'absence d'anonymat ou à une moindre mobilité, qui rend parfois plus difficile encore la possibilité d'un départ.
Je salue le travail de la délégation, grâce à laquelle un certain nombre d'évolutions, notamment législatives en 2025, ont pu voir le jour. Je pense évidemment à l'intégration dans le Code pénal du non-consentement. Chaque année, la semaine du 25 novembre nous rappelle avec force que les violences faites aux femmes demeurent l'un des principaux obstacles à l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Jeudi dernier, quatre femmes ont été assassinées. Elles s'appelaient Mélina, Laure, Élodie et Béatrice. Elles n'avaient pas le même âge, n'habitaient pas au même endroit, ni n'appartenaient aux mêmes milieux sociaux. Mais toutes ont désormais un point commun : elles ont été tuées parce qu'elles étaient des femmes, parce qu'elles voulaient être libres et parce qu'elles venaient d'annoncer à leur conjoint qu'elles le quittaient. Leurs histoires auraient dû faire la une des journaux, leurs prénoms auraient dû ouvrir tous les journaux télévisés. Cela n'a pas été le cas.
Les féminicides et les violences faites aux femmes ne sont ni des faits divers, ni des secrets de famille, ni des histoires honteuses. Ce sont des faits de société et même des faits politiques. Les féminicides sont l'expression la plus extrême d'un continuum, celui des violences faites aux femmes. Ces violences physiques, sexuelles, psychologiques, économiques, numériques entravent la liberté, la santé, la dignité et l'autonomie.
Elles sont encore trop nombreuses aujourd'hui à vivre dans la peur et ils sont encore trop nombreux à penser pouvoir disposer de la liberté du corps, de la vie d'une femme comme si elles étaient leur propriété. La lutte contre les violences faites aux femmes doit être envisagée comme un combat total, un combat mené contre toutes les formes de violence et dans tous les milieux. Il doit être mené partout, dans les territoires notamment ruraux, mais aussi en outre-mer, où notre action doit être encore renforcée.
L'action de l'État s'inscrit résolument dans cette approche territoriale. Aucune femme, quel que soit son lieu de vie, ne doit être laissée seule face à la violence. Depuis 2017, la France a engagé un effort sans précédent contre les violences faites aux femmes. Depuis 2019 et le Grenelle des violences conjugales, nous avons triplé les moyens budgétaires consacrés aux politiques d'égalité. Nous avons régulièrement renforcé notre droit.
L'éducation à la vie affective relationnelle et à la sexualité, très longtemps retardée, dispose enfin de programmes, désormais publics et publiés, depuis le 6 février 2025. Ils sont mis en œuvre depuis la rentrée scolaire, dispensés trois fois par an dans toutes les écoles, collèges et lycées de France. Une première évaluation sera conduite par le ministère de l'éducation nationale en décembre prochain. Ces programmes jouent un rôle majeur dans la prévention, en sensibilisant les jeunes au respect, à l'intégrité du corps, au consentement, à la lutte et la prévention contre les violences sexuelles.
En quelques années, nous avons bâti une véritable chaîne de protection et d'accompagnement sur l'ensemble du territoire. Aujourd'hui, plus de 190 000 policiers et gendarmes ont été formés aux violences sexistes, sexuelles et intrafamiliales, et tous les magistrats bénéficient également d'une formation initiale obligatoire. Nous avons construit un maillage inédit avec près de 500 intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie, 100 maisons de protection des familles liées à nos gendarmeries, plus de 120 maisons de santé des femmes actives ou en cours d'ouverture dans l'année à venir.
Dans les zones rurales, plus de 600 communes bénéficient d'un élu rural relais de l'égalité du réseau de l'association des maires ruraux de France. Nous avons rendu l'accompagnement et l'accès à l'écoute plus simples. Le 39-19 est désormais ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.
La plateforme arretonslesviolences.gouv.fr, l'application Ma Sécurité, la plateforme nationale d'accompagnement des victimes, permettent d'échanger avec des professionnels de la police et de la gendarmerie de manière anonyme vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous avons renforcé la protection des victimes avec le déploiement des téléphones grave danger et des bracelets anti-rapprochement, le renforcement et l'allongement de la durée des ordonnances de protection passées de six à douze mois, et la création d'une ordonnance provisoire de protection immédiate.
Nous avons créé dans toutes les juridictions des pôles de violences intrafamiliales qui garantissent une prise en charge judiciaire coordonnée et accessible partout en France. Nous avons sécurisé le quotidien des victimes et de leurs enfants. L'agence de recouvrement des impayés de pension alimentaire agit contre les violences économiques qui frappent souvent les mères à la tête de familles monoparentales.
L'aide universelle d'urgence, versée entre un et trois jours, a déjà bénéficié à plus de 63 000 femmes en moins de deux ans et a vocation à s'articuler avec le Pack Nouveau Départ, désormais déployé dans douze départements d'expérimentation, en vue de sa généralisation. Le parc d'hébergement pour la mise en sécurité des femmes victimes de violences a plus que doublé en dix ans, passant de 5 000 à 11 000 places. Nous avons signé hier une circulaire avec le ministre du logement et de la ville pour garantir que les femmes victimes de violences soient systématiquement prioritaires.
Pour prévenir la récidive, trente centres spécialisés concernant les auteurs ont été ouverts sur la quasi-totalité du territoire. Pour renforcer la lutte contre l'exploitation sexuelle, fléau qui touche malheureusement des personnes de plus en plus jeunes, et singulièrement des jeunes adolescentes, nous avons lancé la première stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel en mars 2024. La circulaire de juillet, que j'ai co-signée avec les ministères de l'intérieur, de la justice, de la santé et du travail, rappelle l'importance d'une coordination renforcée pour identifier les activités illégales, notamment le proxénétisme, dans les prétendus salons de massage.
Nous avons agi, nous agissons et nous irons plus loin cette année. Les violences se transforment, se diversifient, se glissent dans tous les interstices, physiques, sexuelles, psychologiques, économiques, numériques, sous soumission chimique, sous contrainte, sous emprise, sous sidération. Nous devons donc adapter sans cesse nos outils, renforcer nos lois, nos moyens pour mieux protéger, mieux accompagner, mieux condamner.
Tel est le sens des travaux transpartisans que nous avons lancés il y a maintenant six mois et auxquels nombre d'entre vous ont participé, permettant d'établir un accord sur plus d'une cinquantaine de mesures. Nous continuerons évidemment à les déployer. Certaines violences doivent être mieux caractérisées, notamment le contrôle coercitif. Le travail parlementaire s'est déjà engagé avec une adoption en première lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat. Évidemment, nous poursuivrons le travail sur les violences nouvelles à caractériser, comme les cyber violences. La proposition de loi déposée par Laurence Rossignol au Sénat permet de mieux qualifier ce qui relève de facto de la prostitution ou du proxénétisme.
Les violences faites aux femmes et aux enfants se modifient et nous devons donc évoluer plus vite qu'elles. Au lendemain du 25 novembre, le bilan n'est pas totalement satisfaisant. En revanche, l'État tient son rôle partout sur le territoire pour atteindre un objectif unique, non négociable et profondément républicain : éradiquer les violences faites aux femmes. Nous avons parcouru ensemble un chemin immense, mais le chemin qui reste devant nous est celui qui compte sans doute le plus. Il revient à chacune et chacun d'entre nous de prolonger l'action de l'État, de porter ce combat, afin que plus aucune femme ne soit assassinée parce qu'elle voulait vivre libre.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Madame la ministre, 152 femmes ont déjà été tuées cette année. Les féminicides augmentent par rapport à l'année dernière. Je suis d'accord avec vous lorsque vous indiquez qu'ils devraient faire la une de la presse et des journaux télévisés, mais j'aimerais surtout que la politique macroniste à l'œuvre depuis sept soit une réelle politique publique de lutte contre la violence patriarcale. Je salue la présentation de votre loi intégrale puisqu'elle a le mérite de prendre en compte les violences faites aux femmes et aux enfants, qui sont les deux faces d'une même pièce. Je rappelle à tous les collègues que 60 % des violences sexuelles subies par les femmes interviennent avant leurs 18 ans.
En revanche, je déplore que les mesures que vous avez présentées hier en conférence de presse ne soient pas appuyées par des moyens supplémentaires pour la justice française, pour les associations. Le budget ne traduit pas ces mesures sur le plan financier. Lorsque j'ai présenté un amendement pour y intégrer l'aide juridictionnelle accordée de manière inconditionnelle à toutes les victimes de violences intrafamiliales ou de violences sexuelles, il a été largement rejeté, y compris par le bloc central. Il en a été de même pour l'extension du téléphone grave danger aux victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains.
Ensuite, je me demande comment les collectivités territoriales pourront financièrement assumer des formations sur les violences sexistes et sexuelles (VSS), puisqu'elles sont soumises à une très grande austérité budgétaire chaque année, qui pourrait se manifester par 10 milliards d'euros en moins dans le budget pour 2026. De même, le budget prévu pour la formation annuelle de tous les enseignants sur l'enseignement Evars est cent fois inférieur à ce que demandent les associations. De plus, l'amendement que nous avons proposé pour améliorer la formation des enseignants a été rejeté.
Enfin, Mme Mailfert a précédemment indiqué que 71 % des associations féministes connaissent aujourd'hui une situation financière dégradée ou très dégradée, alors même que le nombre de personnes qui signalent des violences conjugales a augmenté de 83 % entre 2018 et 2023.
Mme Aurore Bergé. Les besoins ont augmenté, notamment en raison de la libération de la parole des femmes et de la hausse des signalements en provenance de tiers.
Ensuite, il n'existe aucune ambiguïté sur les moyens qui sont consacrés la question de la formation par les ministères de l'intérieur, de la justice ou de l'Égalité au travers de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).
La formation des magistrats, des gendarmes et policiers s'est grandement améliorée. Il existe des procès-verbaux type d'entretien pour les personnes victimes de violences sexuelles ou de violences intrafamiliales, qui permettent de garantir que toutes les questions sont appréhendées, y compris sur les violences économiques, les violences psychologiques, les violences sexuelles. La grille d'évaluation du danger est en cours de refonte, afin d'être élargie à d'autres enjeux. Je pense notamment à la question des risques suicidaires que les personnes victimes de violences connaissent malheureusement encore plus que d'autres types de victimes.
Un bilan sera produit par le ministère de l'éducation nationale en décembre sur le nombre de d'enseignants formés et le nombre d'heure de cours du dispositif Evars qui fournit des repères essentiels pour les élèves, notamment sur la prévention et la détection des abus sexuels.
Le gouvernement a annoncé, avec la ministre de la santé et des familles, une mesure essentielle : la formation de tous les professionnels en contact avec les enfants (animateurs scolaires, périscolaires, éducateurs de jeunes enfants) pour leur permettre de détecter les abus sexuels. Les enfants ne s'expriment pas comme les adultes, mais ils envoient des signaux qu'il faut savoir interpréter. Cette formation vise à rendre chaque acteur capable de repérer ces signaux et d'agir.
Sur la question des moyens, le gouvernement insiste sur la transparence. Le budget consacré à la lutte contre les violences a plus que triplé depuis 2017 et continue d'augmenter en 2026. Il est contrôlé chaque année par le Parlement et reste public. De la part de l'État, il n'y a aucune baisse des subventions aux associations au niveau national. Les variations observées relèvent des collectivités locales, mais la part État demeure stable et renforcée.
Pour sécuriser les associations, le gouvernement a généralisé les conventions pluriannuelles d'objectifs, qui évitent aux associations de devoir redéposer des projets chaque année et leur offre une visibilité financière. Les grandes structures comme les CIDFF, le planning familial ou le 39-19 bénéficient de cette logique pluriannuelle. Il en va de même pour les associations engagées contre le système prostitutionnel.
L'État a également pris en charge la compensation Ségur, allant même au-delà des ratios habituels pour soutenir les associations. Enfin, la stratégie repose sur une coordination interministérielle entre les ministères de la santé, de l'intérieur, de la justice et de l'éducation nationale. Il s'agit de garantir la formation de tous les professionnels et de maintenir les moyens nécessaires pour que cette politique soit appliquée efficacement.
Mme la présidente Véronique Riotton. Madame la ministre, je vous remercie d'avoir participé à cette table ronde. Le bureau de la délégation a acté hier soir une demande de vous recevoir pour une audition dédiée.
Mme Aurore Bergé. Je suis évidemment à disposition de tous les parlementaires.
Mme la présidente Véronique Riotton. Nous en prenons acte.
Je propose à présent à nos invités de répondre aux premières questions qui leur avaient été posées avant l'arrivée de Mme la ministre.
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Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 5 décembre 2025