Déclaration de M. Sébastien Martin, ministre délégué, chargé de l'industrie, sur la dette publique, au Sénat le 18 novembre 2025.

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Circonstance : Débat organisé au Sénat à la demande des groupes Les républicains et Union Centriste

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande des groupes Les Républicains et Union Centriste, sur la dette publique.

Dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répartie pendant une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains, auteur de la demande.

M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette intervention me donne l'occasion de prendre un peu de champ, pour tenter de faire un point lucide, mais constructif, sur la question de la dette publique française.

Nous abordons souvent ce sujet avec fatalisme, alors que l'endettement d'un État n'est ni un tabou ni un mal en soi. Il devient un problème uniquement lorsqu'il traduit une absence de stratégie. Je rappelle donc d'emblée que l'endettement est non pas un mal, mais un outil de souveraineté.

On entend souvent dire que l'État doit gérer ses finances comme un bon père de famille. Certes, l'image est séduisante, mais elle est fausse. Un État n'est pas un ménage. Un État n'a pas à rembourser intégralement sa dette : il la refinance en permanence. Il dispose surtout d'un pouvoir unique, celui de lever l'impôt.

S'endetter n'est donc pas un signe de faiblesse, c'est un levier de puissance, à condition que la dette finance l'avenir.

Une dette est saine lorsqu'elle prépare la croissance future, quand elle finance la recherche et l'innovation de rupture, l'éducation, la transition écologique, les infrastructures et l'aménagement du territoire. C'est ce qu'ont fait historiquement les États-Unis lors du New Deal ou la France du général de Gaulle : il s'agissait alors d'un endettement assumé, mais productif.

À l'inverse, une dette devient malsaine lorsqu'elle finance le fonctionnement courant, les rigidités, la protection sociale ou l'incapacité à réformer. C'est là le cœur du problème français.

Le décrochage français s'explique par le fait que la dette finance trop souvent la dépense, et non l'investissement. La dette française représentait 115% du PIB au deuxième trimestre 2025 ; elle devrait atteindre 118% d'ici à la fin d'année. La dette allemande représente 62% du PIB, la moyenne européenne se situant à 82%. Ce décrochage est récent et il est spectaculaire.

En 2007, nous étions sous la moyenne de la zone euro. En 2012, nous étions au niveau. En 2017, nous étions 10 points au-dessus. Aujourd'hui, nous sommes 27 points au-dessus. Ce n'est pas une mauvaise trajectoire : c'est un décrochage structurel.

Entre 2017 et 2025, la dette publique a augmenté de 1 200 milliards d'euros. Nous sommes passés de 2 200 milliards d'euros en 2017 à 3 400 milliards d'euros aujourd'hui. Ces chiffres sont étourdissants. Nous entrons dans un cycle où la charge de la dette elle-même alimente le déficit. C'est l'effet " boule de neige »" – et cet effet va s'amplifier.

La charge de la dette, c'est 60 milliards d'euros l'an prochain ; c'est le troisième budget de l'État après ceux de l'éducation nationale et de la défense. (M. Olivier Paccaud s'exclame.) Selon les projections, elle représenterait près de 200 milliards d'euros en 2029,…

M. Olivier Paccaud. Plus que le budget de l'éducation nationale !

M. Stéphane Sautarel. … devenant le premier budget de la Nation.

Cette hausse ne s'explique plus seulement par la crise sanitaire : elle résulte d'un déséquilibre structurel de nos finances. Depuis 2017, nos dépenses publiques augmentent plus vite que notre PIB et cela traduit une difficulté à maîtriser notre modèle social.

La France consacre près de 32% de son PIB aux dépenses sociales : retraites, santé, prestations. Ce n'est pas en soi un problème – c'est le prix de notre modèle social –, mais le déséquilibre vient du fait que nous nous endettons pour les financer, faute de réformes structurelles : 145 milliards d'euros pour la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et 89 milliards d'euros de plafond d'endettement pour l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), en 2026.

En d'autres termes, nous empruntons pour maintenir le présent, non pour préparer l'avenir. C'est cela qui mine la soutenabilité de notre dette.

De plus, les investisseurs anticipent désormais une hausse des besoins budgétaires des pays européens, en particulier de l'Allemagne. Cela provoque déjà une hausse du taux à dix ans de la France – autour de +30 points de base mi-septembre –, avec un spread plus défavorable, non seulement vis-à-vis de l'Allemagne, mais aussi désormais de l'Espagne et de l'Italie. Rappelons à cet égard qu'un choc de taux de 1 , c'est une charge supplémentaire de 30 milliards d'euros à dix ans.

Pourtant, même si elle n'est pas encore rompue, la soutenabilité globale préservée est de plus en plus conditionnelle.

La dette française est considérée par les marchés comme l'un des actifs les plus sûrs de la planète. Nos titres sont liquides, substituables à l'OAT (obligation assimilable du Trésor) allemande, et nous avons innové : inflation indexée, maturités à cinquante ans, obligations vertes… La maturité moyenne de nos obligations est de huit ans, ce qui nous protège des fluctuations de taux à court terme. Il faut le dire, nous bénéficions d'une qualité exceptionnelle d'exécution de la dette par l'Agence France Trésor.

La dette française reste donc attractive, mais ce statut n'est pas éternel et les signaux faibles aujourd'hui sont tous alignés dans le même sens.

Les perspectives de croissance sont faibles – autour de 1,3% à horizon 2027. Le chômage remonterait au-dessus de 8 %. Surtout, Moody's et Fitch ont déjà placé la note de la France sous perspective négative.

Pour le dire plus simplement, la confiance demeure encore, mais elle est sous surveillance. Il n'existe à cet égard aucun risque de faillite de la France. Comparer notre situation à celle de la Grèce n'a aucun sens : la France n'a ni un problème de solvabilité ni un problème de liquidité.

Notre dette reste intégralement libellée en euros, dans notre propre monnaie, et nous disposons d'une capacité fiscale exceptionnelle – parfois trop… En d'autres termes, la France ne peut pas faire faillite tant qu'elle conserve la confiance de ses créanciers et sa capacité à lever l'impôt.

D'ailleurs, sur une longue période, la dette française a progressé deux fois moins vite que celle des États-Unis ou du Royaume-Uni. Pour le dire autrement, le problème est non le remboursement de la dette, mais l'accroissement de sa taille en proportion de notre économie.

C'est le ratio dette/PIB et non pas son montant brut qui détermine la soutenabilité. Aujourd'hui, c'est ce ratio qui dérive ; il le fait non pas parce que nous empruntons trop, mais parce que notre PIB croît trop lentement.

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Exactement !

M. Stéphane Sautarel. Si la dette française se finance aujourd'hui à un taux légèrement supérieur à celui de l'Italie, ce n'est pas parce que les marchés redoutent un défaut français, c'est parce qu'ils lisent dans notre trajectoire un affaissement relatif de notre potentiel de croissance. En effet, les investisseurs distinguent les pays qui s'endettent pour investir, donc pour croître, de ceux qui s'endettent pour différer les réformes. Et cela se voit !

Les États qui ont su engager leurs transitions structurelles, comme les Pays-Bas ou le Danemark, bénéficient de taux d'intérêt plus faibles. Pourquoi ? Parce que les marchés savent qu'une croissance plus forte stabilise le ratio dette/PIB.

Le PIB par habitant de l'Italie, qui était très en deçà du nôtre il y a dix ans, l'a désormais rattrapé. Rationnellement, les marchés rémunèrent ce différentiel de croissance : ils prêtent moins cher à un pays qui se réforme et investit qu'à un pays qui s'endette sans perspective claire. Cela signifie que nous payons aujourd'hui non pas notre dette passée – encore que –, mais notre manque de réformes.

Le véritable enjeu, c'est donc la réforme intelligente, pas le simple coup de rabot, qui, de plus, semble appliqué à l'aveugle. Nous donnons trop souvent le sentiment d'avancer comme un canard sans tête.

Retrouver une stratégie, réformer structurellement, investir intelligemment, cibler la dépense : voilà le seul chemin possible. Je conclurai sur ce point.

L'objectif, inscrit dans le plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT), est clair : revenir à un déficit inférieur à 3% du PIB à horizon 2029. Cela suppose de dégager un excédent primaire de 0,5 point, soit environ 100 milliards d'euros d'économie en cinq ans. À cette heure, on en semble bien loin.

La question est de savoir non pas seulement combien nous dépensons, mais pourquoi nous dépensons.

Nous devons sortir d'une logique de dépenses indifférenciées pour retrouver une logique d'investissement public ciblé. C'est ce qu'attendent les marchés, c'est ce que comprendront les citoyens : que l'on réduise la dépense improductive, que l'on modernise la sphère publique et que l'on oriente l'effort vers ce qui crée de la valeur à long terme.

Investir mieux, réformer davantage, expliquer plus clairement nos choix : telles sont les conditions d'un endettement soutenable. La dette publique française n'est pas encore insoutenable. Prenons garde toutefois, car elle est aujourd'hui mal orientée.

Nous devons renoncer au réflexe moral selon lequel toute dette serait mauvaise, comme au réflexe inverse consistant à la banaliser. L'endettement est un instrument de souveraineté économique, à condition qu'il serve à préparer l'avenir. Un État qui s'endette pour repousser les décisions voit, au contraire, sa crédibilité s'éroder.

Il nous appartient collectivement de choisir si la dette doit rester un instrument de puissance ou devenir un facteur de dépendance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que j'aurai l'occasion d'intervenir plus globalement au cours de ce débat, mais je tenais d'emblée à saluer les propos extrêmement équilibrés de M. le sénateur Sautarel. Il a rappelé que la question de l'endettement n'était pas un mal en soi. On peut s'endetter pour préparer l'avenir, pour investir, pour faire face aux grands enjeux que sont la préservation de la planète, la compétitivité, l'innovation, que sais-je encore.

Nous constatons tous que, depuis des années, notre pays finance via la dette autre chose que de l'investissement. Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2026, comme cela se fait présentement à l'Assemblée nationale, vous serez amenés à examiner la trajectoire que nous proposons. Celle-ci est ambitieuse.

Je compte bien évidemment sur la qualité des débats qui auront lieu au Sénat pour que cette trajectoire ambitieuse soit confortée et qu'ensemble nous essayions de ramener notre endettement dans des limites tenables pour préparer l'avenir, comme l'a très bien dit M. le sénateur Sautarel.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, organiser ce débat avant la discussion budgétaire est une très bonne initiative. Laurent Saint-Martin et moi en avions eu l'idée il y a quelques années lorsque j'étais rapporteur spécial de la mission " Engagements financiers de l'État ", avant que sa tenue ne soit inscrite dans la loi.

Monsieur le ministre, vous le savez, la dette annihile notre liberté d'action. Autant dire que nous sommes menottés, bâillonnés, enduits de goudron et de plumes, celles-là mêmes qui sont perdues par l'État, les entreprises et les contribuables.

Le sujet de la dette est extrêmement large. Stéphane Sautarel a évoqué le bon usage des dépenses. Je parlerai pour ma part de son mauvais usage, notamment de la folie normative.

Les diététiciens disent que nous creusons notre tombe avec notre fourchette. De la même façon, nous creusons nous-mêmes la dette avec les normes !

La multiplication des normes pèse aujourd'hui lourdement sur notre pays. Leur coût est évalué entre 75 milliards et 87 milliards d'euros pour les entreprises, entre 12 milliards et 25 milliards d'euros pour les collectivités, les services publics et les particuliers.

Comme le rappelle Christophe Eoche-Duval, depuis 1969, nous avons empilé trente-sept lois, soixante-six ordonnances, cent soixante-cinq décrets et soixante-huit circulaires destinés, je vous le donne en mille, à la…

M. Sébastien Martin, ministre délégué. … simplification ! (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. Voilà !

Résultat, le droit positif continue de s'alourdir.

L'inflation normative est désormais mesurée. On constate une augmentation de 47,6 millions du nombre de mots dans les codes, soit une hausse de 84% en vingt ans : de 53% dans le code de la consommation, de 43% dans le code de l'environnement, de 41% dans le code de la santé publique, etc. Tout cela pèse sur la dépense et c'est de la mauvaise dépense, comme l'a indiqué Stéphane Sautarel !

Des Assises de la simplification – victoire de l'optimisme sur l'expérience, pour reprendre la formule d'Henri VIII lors de son sixième mariage ! – mais elles n'ont concrètement rien changé. Tout cela est illisible et coûte cher aux collectivités.

Les départements, régions et autres agences de l'eau ne sont pas en reste. Ils réalisent des études pour le moindre projet, qu'ils financent grâce à des subventions, à de l'argent public donc. C'est de l'argent public mal utilisé.

Nous avons perdu l'habitude des lois Balai, issues des travaux du Bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles créé sur l'initiative de notre collègue Vincent Delahaye. C'est bien dommage, parce qu'elles étaient très utiles.

Monsieur le ministre, voilà de très belles économies en perspective. Qui plus est, elles dépendent de nous.

Puisque j'évoque les études, permettez-moi de revenir sur le recours aux cabinets privés et au rapport fait au nom de la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privé sur les politiques publiques, dont Éliane Assassi était la rapporteure et Arnaud Bazin le président.

Qu'est-ce qui peut bien déranger le Gouvernement pour qu'il n'inscrive pas la proposition de loi issue des travaux de cette commission d'enquête à l'ordre du jour des travaux du Parlement ? Son adoption permettrait d'en finir avec cette affaire. Il y aurait ensuite plus de transparence et plus de contrôle de l'opportunité des saisines des cabinets de conseil. C'est un mystère que nous n'avons pas encore éclairci.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés qu'à la suite du vote sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales j'aborde de nouveau ces questions.

Évidemment, plus de travail sur la fraude, c'est mieux pour la dette. Les fraudes fiscales représentent 100 milliards d'euros, les fraudes sociales une vingtaine de milliards d'euros, les fraudes liées à la criminalité organisée 50 milliards d'euros. Le taux de recouvrement n'est que de 2%, je pense que l'on peut faire mieux.

La fraude à la TVA, elle, représente entre 25 et 50 milliards d'euros par an. Monsieur le ministre, cela ne peut pas être uniquement la faute des petits colis ! À un moment donné, il faut, au sein de votre administration, réactiver le logiciel de détection précoce qu'utilisent nos voisins européens. Tous ces sujets sont extrêmement importants.

Le Président de la République a convoqué aujourd'hui une réunion sur le narcotrafic. Outre le narcotrafic, il faut viser l'ensemble de la criminalité organisée, que nous avons étudiée ici. D'où ma deuxième question, monsieur le ministre : allons-nous reprendre en main la lutte contre le blanchiment ? C'est aussi un sujet très important.

Pour conclure, je répète qu'il faut faire confiance au Sénat. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas attendre des réponses à vos questions de la part de personnes dont le salaire dépend précisément du fait qu'elles n'en trouvent pas… (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Je pense que nous partageons tous l'énergie de Mme la sénatrice Nathalie Goulet et son aspiration à la simplification. Je suis assez d'accord avec vous, madame le sénateur, quand on engage des démarches de simplification, on aboutit parfois à de la complexification. La simplification passera sans doute essentiellement par des réformes de structure. C'est pourquoi le Premier ministre souhaite engager, notamment avec le Sénat, un débat sur un projet de loi de décentralisation et de réforme de l'État.

À chaque fois, nous évoquons ces sujets au moment du budget, nous en parlons pendant l'examen du texte et, finalement, rien ne se passe. Le Premier ministre souhaite donc fixer un cap clair en la matière.

Par ailleurs, vous avez évoqué la fraude. Le Sénat vient d'examiner le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Vous voyez bien que le Gouvernement souhaite avancer, même si, comme vous l'avez également indiqué, des progrès restent à accomplir.

En ce qui concerne les cabinets de conseil, je vous rappelle que, par une circulaire du 19 janvier 2022, le Gouvernement a précisé les règles et souhaité une véritable rationalisation du recours à ces cabinets.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. La circulaire dont vous parlez, signée par Mme de Montchalin, a été publiée le matin même de son audition devant la commission d'enquête ; c'était donc parfaitement opportun.

Mais, monsieur le ministre, il faut tout de même que le texte issu de nos travaux soit voté. Il apporte beaucoup, le Sénat y a beaucoup travaillé, il a été adopté à l'unanimité. Il est d'ailleurs issu d'une commission d'enquête totalement transpartisane, ayant réalisé un travail remarquable. Je le répète, il faut vraiment écouter le Sénat. Le nombre de cabinets de conseil auxquels il est fait appel a encore augmenté cette année, ce qui est tout à fait contraire à ce que nous avions souhaité et aux engagements du Gouvernement de l'époque.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dette est un outil financier comme un autre pour qui se comporte en bon père – ou en bonne mère – de famille. C'est à peu près ce que nous a dit notre collègue Sautarel. C'est aussi ce que vous avez dit, monsieur le ministre. C'est en recourant à la dette que les ménages français peuvent s'acheter un logement, que les boulangers peuvent s'acheter un four, et les entrepreneurs, une machine-outil.

La dette, c'est aussi un outil à destination de la puissance publique, à qui elle permet d'emprunter pour financer les investissements de la Nation. Dès lors que les collectivités territoriales, la sécurité sociale et l'État empruntent pour construire des écoles, pour financer des hôpitaux, pour financer des infrastructures, alors la dette publique est utile.

Malheureusement, nous n'empruntons plus pour financer les projets qui serviront aux générations futures. La majorité de notre dette sert à financer notre quotidien, notre consommation. La sécurité sociale emprunte pour payer les retraites, l'État, pour payer les fonctionnaires. Notre incapacité collective à ralentir suffisamment le rythme de nos dépenses de fonctionnement nous oblige chaque année à nous endetter davantage. En résumé, nous endettons nos petits-enfants pour financer notre train de vie actuel.

Et chaque année, les amoureux de la dépense publique nous appellent à alourdir la facture. D'aucuns estiment que nous devrions suspendre la réforme des retraites, d'autres nous invitent régulièrement à plus de normes et à plus de fonctionnaires. Ils oublient que les retraites représentent près d'un quart de l'ensemble de la dépense publique et que la France se singularise par son nombre trop élevé de fonctionnaires par actif.

Notre dette a donc explosé depuis 1974, et nous continuons de l'alimenter avec un déficit qui ne parvient pas à passer sous les 3 % du PIB – sauf à l'époque, notable, où Édouard Philippe était Premier ministre.

Les chiffres qui figurent dans le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2025, que nous examinerons dans quelques jours, ne mentent pas. Ils nous apprennent qu'en 2025, notre déficit s'élèvera à 130 milliards d'euros. C'est douze fois le budget du ministère de la justice. Et tout ça pour quoi ?

Nous n'avons pas construit de nouveaux porte-avions ni rénové nos quartiers prioritaires. Non, nous avons juste vécu une année de plus, et aucun Français n'est capable de dire au nom de quoi nous avons grevé l'avenir de ceux qui viendront après nous.

Notre dette continue de croître. Elle atteint désormais 3 416 milliards d'euros, soit 115,6% du PIB, et le montant des seuls intérêts qu'elle génère est en passe de devenir le premier budget de l'État. Autant dire qu'il est urgent d'agir. Qu'importe l'absence de majorité à l'Assemblée nationale, qu'importe le réalisme politique de certains, nous devons nous réformer rapidement et avec détermination pour cesser d'alourdir la dette et son cercle vicieux d'intérêts en cascade.

Les moyens d'agir, nous les connaissons, et les Français nous les réclament. Ils sont 82% à préférer une baisse de la dépense publique à une nouvelle augmentation des impôts. Il faut écouter les Français et massivement diminuer nos dépenses publiques – y compris nos dépenses sociales – avant que le FMI nous y oblige. Il conviendra ensuite de baisser ces impôts qui étouffent l'activité des entreprises et la consommation des ménages. Ces baisses d'impôts permettront de stimuler l'économie, ce qui nous permettra, c'est mécanique, d'augmenter nos recettes fiscales.

Au diptyque que constituent la baisse des dépenses et celle des impôts, nous devrons ajouter une augmentation de l'activité. Ce n'est qu'ainsi que nous évitons la faillite publique qui nous menace.

Mes chers collègues, nous examinerons dans quelques jours le PLF et le PLFSS pour 2026. Certains rêvent de faire de cet exercice un momentum de la gabegie budgétaire. Les économies prévues dans le budget sont insuffisantes, monsieur le ministre, et ma question est donc simple : quelles économies nouvelles le Gouvernement pourrait-il présenter lors de l'examen du PFL et du PLFSS au Sénat ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Emmanuel Capus, vous me demandez quelles économies nouvelles le Gouvernement pourrait proposer. Le Gouvernement attendra également les économies nouvelles que pourra proposer le Sénat, à la suite de l'Assemblée nationale.

M. Pierre Jean Rochette. Nous en proposerons !

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Nous sommes, bien évidemment, attentifs aux débats et aux propositions qui sont formulées.

Permettez-moi néanmoins de nuancer les résultats des sondages dans lesquels les Français se déclarent très favorables à la baisse de la dépense publique. Lorsque cela demeure un principe général, je vous l'accorde ; mais lorsque l'on entre dans les détails, les choses deviennent souvent un peu plus complexes. Nous verrons donc, au fil des échanges, de quelle manière chacune et chacun avancera dans cette direction.

Je souhaite aussi apporter une précision concernant la part de l'emploi public dans l'emploi total. Contrairement à certaines idées reçues, celle-ci est stable, je tiens à le rappeler : elle était de 23% en 2017, elle est de 22% aujourd'hui. Ce n'est ni une baisse ni une hausse. Je le souligne, car je sais que nous sommes toutes et tous attachés à la qualité des agents du service public.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour la réplique.

M. Emmanuel Capus. Je tiens à vous rassurer, monsieur le ministre : le Sénat proposera des économies, en particulier le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. le président. La parole est à M. Christian Klinger, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Klinger. Monsieur le président, mes chers collègues, pourquoi un tel débat sur la dette publique ? Parce que la situation est alarmante et parce qu'elle devrait être au carrefour de toutes nos préoccupations concernant l'avenir.

Nous faisons face à un double défi. Derrière le mur de dette que nous avons bâti et que nous continuons à élever année après année, émerge la montagne des investissements qu'il sera indispensable d'effectuer pour conserver notre souveraineté et notre capacité à faire société.

Pourquoi la situation de la dette aujourd'hui est-elle alarmante ? Tout d'abord, et ce n'est pas un mystère, parce que le taux d'endettement français est très élevé. Alors que notre dette publique était déjà très – trop – importante, la crise sanitaire, puis énergétique, l'a propulsée à des niveaux historiques. Nous sommes aujourd'hui les troisièmes sur l'inquiétant podium européen de l'endettement, après la Grèce et l'Italie.

La politique du " quoi qu'il en coûte " durant la crise sanitaire était justifiée. Mais pendant que nos voisins européens ont fermé les vannes du robinet de la dépense publique, en France, le Mozart de la finance n'a pas modifié sa partition. Il joue toujours la même musique pendant que le bateau coule. Il persiste à répondre à chaque problème par un chèque ; c'est toujours le même refrain.

Ces dépenses exceptionnelles n'expliquent pas à elles seules le niveau d'endettement de la France. Celui-ci est aussi dû à un montant de dépenses publiques très élevé. Non seulement le niveau d'endettement atteint des sommets, mais la trajectoire de la dette française ne semble pas près de fléchir assez rapidement et fortement pour renverser la tendance.

Dans ce contexte, force est de constater que ce mur de dette emporte des conséquences très concrètes pour l'avenir de notre pays et qu'il représente un risque à plusieurs égards.

En premier lieu, il devient de plus en plus coûteux de s'endetter. L'augmentation de la charge de la dette est spectaculaire. Alors qu'elle était de 30 milliards d'euros en 2020, elle est passée à 65 milliards d'euros en 2025 et devrait dépasser les 100 milliards d'euros en 2029. C'est vertigineux. La charge de la dette sera le premier poste de dépense de l'État, largement devant l'éducation nationale.

En second lieu, et c'est là le risque ultime, nous rencontrons des difficultés à emprunter, ce qui revient à abandonner notre capacité à décider pour nous-mêmes : en clair, cela s'appelle la souveraineté. Lorsque les marchés sont réticents à acheter notre dette, il n'y a en général pas d'autre choix que d'augmenter brutalement les impôts ou bien de couper tout aussi brutalement dans les dépenses. Vous le savez aussi bien que moi, une augmentation de 1% des taux d'intérêt, ce sont 32 milliards d'euros de charge d'intérêts annuelle de plus neuf ans après.

Notre priorité doit être de dégager des marges de manœuvre pour financer les investissements massifs nécessaires aux grandes transitions de demain. Des leviers ou des solutions, j'en vois trois.

Premièrement, il y a la croissance, qui génère des recettes pour l'État. Les économies de la zone euro traversent une phase de ralentissement, la France ne fait pas exception. Il faut cependant continuer à stimuler la croissance des entreprises en les préservant de l'inflation des normes et des surtranspositions, grand sport national.

Deuxièmement, la fiscalité, autrement dit la hausse des impôts, est un autre levier possible, mais la France étant déjà le champion européen des prélèvements obligatoires, qui représentent plus de 45% du PIB, elle n'a plus de marges de manœuvre.

Troisièmement, il y a la maîtrise de la dépense publique. Nous avons du mal à débattre de cette solution dans notre pays. Or, dans le contexte que je viens de décrire, seules des économies structurelles et pérennes nous permettront de dégager les marges de manœuvre absolument indispensables pour investir dans l'avenir.

L'objectif à atteindre est une dépense publique de meilleure qualité. Nous devons accepter de revoir les dépenses qui ne sont pas efficaces et d'opérer différemment quand cela est possible.

Monsieur le ministre, il est temps de soulever le capot des politiques publiques pour voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. La voiture France est en panne. On peut certes changer le copilote – je pense au Premier ministre –, mais ce n'est pas là que se situe le problème. En revanche, on ne peut pas changer le pilote, c'est-à-dire le Président de la République, dont le contrat constitutionnel court jusqu'en 2027.

Alors, en attendant, monsieur le ministre, en tant que passager de cette voiture, comment allez-vous réparer le moteur pour qu'il tourne à nouveau rond et qu'il fasse avancer la France dans la bonne direction ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur, un ministre de l'industrie pour s'occuper du moteur, cela tombe plutôt bien !

Je vais m'efforcer de vous rassurer sur notre capacité à emprunter : cette année encore, nous avons eu trois fois plus de propositions que ce que nous avons émis sur les marchés. Cela signifie que la signature de la France demeure crédible, comme cela a été rappelé dans plusieurs interventions. Ainsi, comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur Sautarel, il n'y a pas de risque de crise à la grecque dans notre pays.

Vous avez également rappelé que l'essentiel était de stimuler notre croissance, et je partage totalement cette idée. Pour cela, il est indispensable que nous agissions plus fortement encore à l'échelon européen. Je sais que vous en êtes tous d'accord ici. Il faut des mesures de simplification, comme cela a été demandé. Vous savez que six paquets omnibus de simplification sont engagés, notamment à la demande de la France.

Il faut enfin agir pour renforcer la préférence européenne en faveur de nos industriels. Nous avons visité ensemble le site chimique de BASF à Chalampé, monsieur le sénateur. Vous le savez, il nous faut protéger notre industrie avec des clauses de sauvegarde. C'est le combat que la France a mené et remporté sur l'acier. Nous avons obtenu ce matin des mesures de sauvegarde pour protéger l'industrie européenne des ferro-alliages. Nous continuerons de nous battre pour de telles clauses, contre la concurrence déloyale de la part de pays à bas coût, notamment de la Chine.

M. le président. La parole est à M. Christian Klinger, pour la réplique.

M. Christian Klinger. Je sais qu'en tant que ministre de l'industrie, vous avez tous les outils nécessaires pour réparer la voiture France et faire en sorte qu'elle soit compétitive, belle et rutilante. Prêtez donc votre boîte à vos collègues du Gouvernement, pour que l'on puisse réparer et débosseler ce qui doit l'être !

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Rome ne s'est pas faite en un jour ; notre dette publique non plus. Celle-ci est le fruit de choix, d'évolutions et, surtout, de décisions politiques. Toujours est-il que, depuis 1975, le budget de l'État est déficitaire, et ce sans interruption. Les crises traversées par notre pays et leurs conséquences économiques n'ont fait qu'amplifier la trajectoire de notre dette, déjà fortement impactée par les chocs pétroliers de 1974 et 1981.

En 2008, au lendemain de l'effondrement des marchés à Wall Street, notre dette représentait 69% du PIB. Un an plus tard, celle-ci s'élevait à plus de 84%, soit une augmentation de quatorze points en un an. De même, en 2020, avant le covid, la dette atteignait 98,2% du PIB. Un an plus tard, elle culminait à 115% du PIB, son niveau record. Aujourd'hui encore, la dette avoisine les 113% du PIB, alors que la moyenne de la zone euro se situe autour de 87%.

Depuis, la sonnette d'alarme a été tirée, et c'est tant mieux. Néanmoins, reconnaissons que la dette nous a permis de surmonter des crises, de venir en aide aux entreprises et aux travailleurs, et de sauver collectivement notre économie. Mais, désormais, le besoin de redressement est important. Il y va de la crédibilité financière de notre pays auprès de nos partenaires européens et de ceux qui nous prêtent.

Disons-le, nous avons un déficit plus important que la Grèce, le Portugal, l'Espagne ou l'Italie. Alors que nos voisins s'efforcent de contrôler leurs dépenses, nous devons, nous aussi, respecter les règles communes européennes énoncées dans le traité de Maastricht et le pacte de stabilité.

En 2020, le " quoi qu'il en coûte ", que je défendais ici même, à cette tribune, a été assumé par toutes les forces politiques, certains groupes nous ayant même reproché de ne pas en faire assez.

Cette chronologie nous rappelle une chose : la dette n'est pas qu'un stock, elle évolue, elle est notre histoire, quelles que soient les étiquettes des gouvernements. En témoigne l'analyse de Xavier Ragot, directeur de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), dans laquelle il indique que, jusqu'en 2017, les gouvernements de droite ont davantage contribué à l'augmentation de la dette publique que ceux de gauche : de 2,2 points de PIB par an pendant vingt-quatre ans pour les premiers, contre 1,6 point pendant dix-neuf ans pour les seconds. L'ex-majorité présidentielle doit, elle aussi, prendre sa part de responsabilité, mais, de grâce, que chacune et chacun prenne la sienne.

Aujourd'hui, nous sommes à un point de bascule, car l'effet boule de neige risque de renforcer le cercle vicieux. Le coût de la dette excédant l'apport de la croissance, la dette augmente mécaniquement, et ce même avec un déficit constant. Ce qui doit nous inquiéter, c'est non pas la dette en tant que telle, mais l'augmentation de la charge de la dette. En effet, les intérêts de la dette s'élèvent désormais à plus de 70 milliards d'euros, soit presque autant que le budget de l'éducation et plus que celui de la défense.

Le diagnostic est très clair : la charge de la dette est aujourd'hui immense. Et parce qu'elle est immense, elle engendre une perte de crédibilité sur les marchés financiers, ce qui a pour effet d'augmenter mécaniquement les taux et induit des surcoûts pour l'État, les collectivités territoriales, mais aussi pour les entreprises et les ménages. Ce que nous perdons chaque année en intérêts constitue un manque à gagner colossal, un impôt invisible qui pèse sur le présent comme sur l'avenir.

Notre rapport à la dette doit donc changer. Il s'agit non pas de dire qu'elle est mauvaise en soi, mais bien d'en faire une force en l'utilisant pour ce qu'elle est, un outil de financement de l'avenir. Rappelons qu'un euro investi dans les capacités industrielles, dans l'armée, l'éducation ou la transition énergétique rapporte demain en croissance, en emplois, en recettes fiscales et en souveraineté.

Il existe donc des missions pour lesquelles il est souhaitable et responsable de s'endetter. À l'inverse, s'endetter pour financer des dépenses courantes, couvrir des déficits structurels ou maintenir temporairement notre modèle social sans le réformer relève d'un entêtement synonyme d'appauvrissement. La Banque de France l'explique très clairement : il est important que la dette finance des projets d'avenir afin que son roulement soit viable.

Mes chers collègues, distinguons l'endettement justifié, celui qui finance l'avenir, de l'endettement regretté, celui qui ne finance que les affaires courantes et le passé.

Rendre cohérente notre politique d'endettement permettra de faire face à plusieurs difficultés majeures. La première est l'une des plus essentielles : celle de son acceptabilité. Nos concitoyens ne rejettent pas le principe d'une dette si elle est expliquée, ciblée et crédible. Ils l'accepteront si elle sert à financer les générations futures, et non les déficits d'hier. La dette de demain doit être comprise, choisie et maîtrisée.

Cette trajectoire claire est aussi un moyen de respecter nos engagements européens et de rassurer les investisseurs. À ce propos, monsieur le ministre, ne serait-il pas judicieux d'accroître la part de la dette détenue par la Banque centrale européenne (BCE), via des achats réguliers de titres de dette, comme le suggèrent certains économistes ?

Mes chers collègues, au-delà des ajustements techniques, notre pays doit mettre fin à sa relation toxique avec la dette. Celle-ci est un outil à notre disposition, mais un outil qui n'a de sens que s'il sert une stratégie. Or, sans stratégie, sans croissance stable, sans réforme et sans une réorientation de la manière dont nous dépensons l'argent public, nous atteindrons de nouveaux records d'endettement. Les records sont faits pour être battus, mais, en la matière, je pense que la France ferait bien de laisser sa place à d'autres. (MM. François Patriat et Emmanuel Capus applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Rambaud, vous avez rappelé le cadre européen, c'était nécessaire. J'étais hier aux côtés du Premier ministre, qui recevait le commissaire européen à l'économie et à la productivité, M. Dombrovskis, à qui il a rappelé l'objectif de la France : faire repasser le déficit public sous les 3% du PIB en 2029. C'est un cadre que nous voulons respecter, car il y va de la crédibilité de la parole de la France en Europe.

Vous me demandez s'il ne serait pas judicieux que la BCE rachète de la dette. Depuis 2022, la BCE ne pratique plus cette politique et a cessé de racheter les dettes des différents États. Cela peut donner lieu à débat, mais le fait est que ce n'est pas la ligne suivie aujourd'hui par la BCE.

Toutefois, pour certains grands programmes ou certains grands projets, il serait en effet intéressant d'envisager une dette européenne, afin de financer ces projets d'envergure et de relancer certaines politiques européennes.

Enfin, je rappelle que la France s'honore, depuis des années en finançant son effort de défense, ce que n'ont pas fait tous les pays européens. Cet effort pèse dans nos dépenses : dans le PLF pour 2026, il représente 6,7 milliards d'euros supplémentaires. Il est évident que, si nous n'avions pas consenti ces efforts dans nos budgets, année après année, il serait sans doute plus facile de retrouver des trajectoires beaucoup plus raisonnables, comme nous le souhaitons toutes et tous.

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est « un appel à la lucidité. » Tels furent les mots du ministre de l'économie, Roland Lescure, à l'annonce de la dégradation de la note de la France par l'agence Standard & Poor's.

Très bien, soyons lucides. La lucidité, la vraie, consiste non pas à regarder le thermomètre, mais à comprendre pourquoi la fièvre monte. Elle impose de se retourner, de juger avec sévérité huit années de macronisme.

Depuis 2017, la dette de la France a bondi de 15% pour atteindre 3 416 milliards d'euros, soit plus de 1 000 milliards d'euros de dette en plus.

M. François Patriat. Et la crise ? C'est honteux de dire cela !

Mme Florence Blatrix Contat. La comparaison européenne est là pour rappeler la réalité. Nos voisins ont subi les mêmes secousses conjoncturelles et ont agi comme nous pour soutenir leur économie. Pourtant, la dette des pays de l'Union européenne a diminué en proportion de leur PIB : de 84% en 2017, elle est passée à 82% en 2025. Que s'est-il passé en France ?

Depuis 2017, la part des dépenses publiques dans le PIB est restée stable, alors que les prélèvements obligatoires ont baissé de 2,5 points de PIB. Le creusement du déficit, de 2,4 points, est donc lié aux baisses d'impôts. Sans ces baisses, la France ne serait pas la lanterne rouge de l'Union européenne et aurait déjà atteint son objectif de déficit de 3%. Elle ne serait pas non plus le troisième pays le plus endetté de l'Union.

Alors, monsieur le ministre, permettez-moi une image. Si vous préparez toujours le même plat, avec les mêmes ingrédients, n'espérez pas que le goût change. Ces ingrédients – injustice qui prospère, dette qui enfle, cadeaux fiscaux inefficaces –, les Françaises et les Français n'en veulent plus.

Et puisque le Sénat entamera dans un peu plus d'une semaine le débat sur la partie recettes du projet de loi de finances, les socialistes vous le disent clairement aujourd'hui : nous attendons des ressources nouvelles, pérennes et justes.

Comment expliquer que les 500 plus grandes fortunes françaises, dont le patrimoine a plus que doublé depuis 2017, contribuent proportionnellement toujours aussi peu ? La taxe Zucman n'est pas un totem idéologique, c'est une réponse pragmatique à un problème de soutenabilité de notre dette et de justice sociale.

Pendant que vous défendez les ultrariches, vos alliés d'hier, qui composent la majorité du Sénat, font preuve à l'Assemblée nationale du même réflexe pavlovien lors du débat budgétaire : ils refusent toute ressource nouvelle et, pis encore, ils amputent les recettes existantes en défiscalisant par exemple les heures supplémentaires, ce qui coûte 1 milliard d'euros à l'État. Pour faire semblant d'équilibrer les comptes, ils agitent toujours les mêmes cache-misère, comme la baisse des crédits de l'aide médicale de l'État (AME) ou la rationalisation des agences de l'État, alors même que les travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État ont montré qu'une telle mesure rapporterait au plus 500 millions d'euros. Bref, on remplace la politique par le slogan, la rigueur par l'incantation, et la vérité des chiffres par la facilité idéologique.

Ajoutons que, aujourd'hui, les freins à l'offre ont laissé place aux freins à la demande. Dans un tel contexte, mener une consolidation budgétaire brutale aurait un effet multiplicateur négatif. L'économie française souffre d'abord d'un manque de consommation, de confiance, non d'un excès de demande. Lorsque la productivité rebondit avec une croissance faible, comme c'est le cas actuellement, c'est non pas une bonne nouvelle, mais une alerte sur les destructions d'emplois à venir.

Monsieur le ministre, nous connaissons le montant de l'effort à réaliser pour stabiliser la dette : il faut trouver environ 120 milliards d'euros. Dans le même temps, nos besoins sont massifs : investissements nécessaires pour atteindre la neutralité carbone, financement de nos services publics – hôpitaux, écoles, transports – ou encore de l'innovation.

Il nous faut donc déterminer collectivement, démocratiquement, une trajectoire budgétaire qui ne casse pas la croissance. Il nous faut aussi choisir, et dire, qui doit porter prioritairement l'effort. C'est une question d'efficacité économique et de justice sociale.

Monsieur le ministre, alors que près de la moitié du dérapage du déficit résulte de vos choix fiscaux, alors que la France prend le risque de casser la croissance et de détruire des emplois sans une trajectoire plus étalée, juste et non récessive, pourquoi persistez-vous à refuser une contribution accrue des plus grandes fortunes, pourtant indispensable pour redresser durablement nos finances publiques et financer nos priorités nationales ? Sur qui allez-vous faire peser les efforts ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Victorin Lurel. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Madame la sénatrice Blatrix Contat, vous dites que les mêmes recettes ont toujours le même goût, mais la recette consistant à toujours augmenter les impôts finit par avoir un mauvais goût de non-croissance … (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Je crains que cette recette ne soit pas la bonne si nous voulons que, dans notre pays, les entreprises n'aient pas le sentiment que nous les accablons toujours plus.

Pour ma part, je tire mon chapeau à toutes les entreprises de France, car notre croissance au troisième trimestre a été de 0,5%. Quant à la production industrielle, elle a crû de 0,8%. Hier, lors du sommet Choose France, nous avons annoncé plus de 30 milliards d'euros d'investissements des entreprises françaises dans notre pays.

Le Premier ministre a souhaité un débat, dans les deux assemblées, sur la question de la justice fiscale. Je ne doute pas qu'à cette occasion, les membres de votre groupe, madame la sénatrice, formuleront des propositions, auxquelles nous seront, naturellement, ouverts.

Cependant, pour reprendre la métaphore précédente, il ne faut pas casser le moteur de la croissance. Or accroître encore la fiscalité pesant sur ceux qui créent la richesse n'est certainement pas la réponse à nos problèmes budgétaires.

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.

Mme Florence Blatrix Contat. Vos baisses d'impôt n'ont pas alimenté la croissance, monsieur le ministre, comme en témoigne le rapport de la Cour des comptes. En effet, ce dernier démontre que la suppression de la taxe d'habitation a eu un effet anti-redistributif, du fait du public qu'elle a concerné, sans que l'on voie son effet sur la croissance.

De même, la diminution de 18 milliards d'euros des impôts de production n'a pas eu d'effet réel sur la croissance, qui est restée plutôt plus faible que la moyenne de l'Union européenne. Ainsi, la baisse des impôts n'a pas été un facteur de croissance, d'autant qu'elle s'est accompagnée d'une réduction de la productivité depuis 2019.

Il faut donc retrouver un équilibre et des recettes fiscales plus justes, qui ne cassent pas la croissance.

M. le président. La parole est à M. Pierre Barros.

M. Pierre Barros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dette publique française, aujourd'hui, c'est environ 3 400 milliards d'euros, la part de l'État correspondant à 80% de ce passif, contre 20% pour celle des collectivités.

Cela paraît vertigineux, mais ce chiffre n'a de sens qu'en étant rapporté à deux éléments : d'une part, la capacité de refinancement ; d'autre part, la solvabilité.

Or la France se refinance sans difficulté. Les spécialistes en valeurs du Trésor, soit quinze grandes banques internationales, assurent une demande soutenue de titres français auprès de l'Agence France Trésor. Cette demande des marchés est deux fois supérieure à l'offre. Autrement dit, JP Morgan et Société Générale se concurrencent pour obtenir notre dette. En outre, la maturité moyenne de ces titres est aujourd'hui de huit ans et cent soixante-treize jours ; nous pourrions, en 2026, en émettre pour 300 milliards d'euros, dont la moitié servirait à rembourser les créances arrivant à échéance. C'est à ce rythme que nous refinançons et faisons rouler notre dette.

On comprend, dès lors, qu'aucun État ne rembourse sa dette au sens où un ménage le ferait ; il la gère, il la recycle, il la renouvelle. Ainsi, comme l'a démontré notre ancien collègue Éric Bocquet, la dette publique est, par construction, une dette perpétuelle.

Quant à la charge des intérêts, elle reste contenue à 1,9% du PIB pour 2026, contre 2,4% en moyenne depuis l'abandon du circuit du Trésor en 1984. Nous faisons donc bien mieux que la moyenne des pays de l'OCDE, qui atteint, selon les données les plus récentes, 3,3% du PIB. Notre taux est inférieur à celui du Royaume-Uni, de l'Italie, ou encore des États-Unis.

Enfin, la France, avec un patrimoine public de 4 447 milliards d'euros, est solvable au-delà de tout soupçon : si chaque Français hérite d'environ 55 600 euros de dette, il hérite aussi de 64 800 euros de patrimoine collectif.

En outre, il faut rappeler qu'une part considérable de la dette de l'État – près de la moitié – est détenue par des acteurs français. Autrement dit, cette dette constitue tout autant un passif public qu'un élément du patrimoine national. Plus encore, le premier détenteur de titres de dette publique n'est autre que la Banque de France elle-même, qui, depuis les politiques de rachat d'obligations engagées par la BCE, en détient environ un quart.

Est-ce à dire, mes chers collègues, que notre déficit et notre endettement ne soulèvent aucune question, ne posent aucun problème ? Bien sûr que non.

Il s'agit, non pas de nier la dette, mais d'en comprendre la nature. La dette publique n'est pas en elle-même un problème ; le problème, comme l'ont rappelé plusieurs collègues avant moi, c'est sa financiarisation, la structure de ses détenteurs et l'usage qui en est fait.

Depuis 2017, l'État a émis 1 915 milliards d'euros de titres pour financer les déficits et amortir la dette. Dans le même temps, les seuls intérêts versés aux marchés ont représenté près de 378 milliards d'euros, autant d'argent public redistribué sous forme de rente. Il est temps de rétablir un circuit du Trésor modernisé, en imposant a minima des planchers de détention obligatoire de titres publics aux établissements de crédit.

Surtout, rappelons qu'entre 2017 et aujourd'hui la dette a servi non pas à financer les services publics, mais à compenser les cadeaux fiscaux. En effet, sur la même période, plus de 450 milliards d'euros de recettes ont disparu, dont les deux tiers au bénéfice des grandes entreprises et des ménages les plus aisés. En outre, chaque année, des aides et des exonérations à hauteur de 211 milliards d'euros sont accordées aux entreprises, sans condition ni évaluation. Faites le calcul, mes chers collègues : c'est exactement ce qui alimente le déficit.

La vérité, monsieur le ministre, c'est non pas que la dette française est trop élevée, mais qu'elle est trop rentable pour ceux qui la détiennent, lesquels sont précisément ceux que vos politiques favorisent.

Monsieur le ministre, la dette n'est pas un fardeau, c'est un choix politique. Le vôtre est de la mettre au service des marchés. Quand la mettrez-vous enfin au service de la collectivité ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Florence Blatrix Contat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Certes, monsieur le sénateur, la dette n'est pas un fardeau, mais il faut agir pour qu'elle ne le devienne pas. Tel est l'enjeu !

Si la charge de la dette équivaut aujourd'hui à 2,2% de notre PIB, nous voudrions qu'elle reste dans une épure raisonnable. En effet, même avec les mesures de freinage que nous proposons, d'ici à quelques années, ce taux pourrait atteindre 3%.

Vous avez indiqué, mesdames, messieurs les sénateurs, que le remboursement de la dette ne devait être pas notre mission première. Bien sûr, l'objet de la dette est, avant tout, de financer des investissements.

La dette ne financerait pas les services publics, dites-vous, monsieur Barros… Malheureusement, notre dette, qui devrait servir essentiellement à financer l'investissement, est aujourd'hui largement utilisée pour régler des dépenses de financement, c'est-à-dire de service public.

Ne laissons donc pas accroire que l'endettement de la France ne ferait qu'alimenter les marchés financiers. Sur ces derniers, heureusement, nous trouvons des gens qui nous prêtent de l'argent, et le font encore dans des conditions raisonnables. Cependant, si nous n'agissons pas, ce ne sera plus le cas.

M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc.

M. Grégory Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quelques jours de l'examen du projet de loi de finances pour 2026 par notre assemblée, le présent débat, demandé par la majorité sénatoriale, s'apparente à un premier tour de piste.

J'aimerais formuler quelques remarques de fond.

Premièrement, j'insiste à mon tour sur le fait que la dette n'est pas seulement un stock ; il s'agit, tout d'abord, d'un ratio de solvabilité. Ainsi, le niveau de toute dette n'est véritablement critique que si l'on ne peut la rembourser. La question est donc avant tout celle du revenu. Par exemple, un banquier, lorsqu'il prête, ne s'intéresse pas seulement au montant avancé. Il considère aussi les revenus et la crédibilité financière de l'emprunteur. Or, de ce point de vue, la gestion des années 2023 et 2024 s'est avérée déficiente, ce qui a largement été documenté et débattu ici même.

Ainsi, en matière de crédibilité, l'irresponsabilité récente de nos gouvernants a fragilisé notre assise financière. Il convient, très calmement, de le reconnaître, et de rappeler qu'à l'été 2025 des évènements dignes du théâtre de boulevard – séquences Bayrou, Lecornu I, marquée par un désaccord avec l'ancien ministre de l'intérieur, puis Lecornu II – nous ont coûté 0,3 point de croissance. Cela représente un manque à gagner de 10 milliards d'euros pour nos finances publiques. Nous pensons pour notre part que, lorsque l'on est aux manettes, on doit avoir le sens de l'État. Sinon, cela coûte cher !

Ces dysfonctionnements, nous les avons aussi constatés au travers des problèmes liés aux prévisions. Par exemple, ce que nous apprenons sur la TVA nous inquiète. Pourquoi un suivi rigoureux et clair de ce prélèvement fait-il défaut, alors que la presse nous apprend qu'il manquerait, ici ou là, des milliards d'euros, personne ne pouvant l'expliquer…

Voilà pourquoi, comme nombre de mes collègues, je plaide pour une révision de notre processus budgétaire, de manière à en accroître la transparence en améliorant le rôle du Haut Conseil des finances publiques, mais aussi en modifiant la date de dépôt du projet de loi de finances. Nous pourrions également envisager un nouveau véhicule financier, le projet de loi de finances d'équilibre, qui permettrait de corriger la trajectoire financière en cours d'année sans forcément rouvrir l'ensemble des questions budgétaires, comme c'est actuellement le cas avec le projet de loi de finances rectificative.

Par ailleurs, nous devons admettre que nos recettes publiques croissent moins vite que l'inflation, d'où une baisse réelle de nos revenus.

Je veux souligner un point trop souvent négligé : le budget de l'État, c'est aussi une question de politique économique. La croissance est fondamentale dans l'analyse du budget. Or, de ce point de vue, le cycle économique s'est retourné.

On pouvait ainsi comprendre – ce sera l'enjeu du débat budgétaire – que l'on baisse la fiscalité il y a quelques années, parce qu'il y avait alors un réel problème d'offre et de production en France – pour autant, ce dernier aurait pu être corrigé autrement. Cependant, aujourd'hui, nous sommes dans une autre séquence : la priorité pour notre économie est désormais de résoudre les difficultés liées à la demande.

Voilà pourquoi nous avons un besoin d'investissements massifs dans le logement, le bâtiment, nos infrastructures, l'innovation. Mais pour cela, par souci d'efficacité et d'efficience, il faut pouvoir chercher l'argent dans un secteur pour le réinjecter dans un autre. Il s'agit non pas de faire appel à la capacité contributive de toutes les entreprises, mais bien de demander, lorsqu'il existe des marges de manœuvre chez certains, une contribution plus forte à ceux qui peuvent l'acquitter afin, par exemple, de soutenir le logement et les travaux publics, aujourd'hui en difficulté en France.

Pour conclure, je souhaite souligner la schizophrénie de l'État, notamment à l'égard des collectivités territoriales. En effet, l'État demande à ces dernières d'emprunter davantage, notamment face à la dette écologique, tout en coupant leurs finances. Ainsi, nos ratios d'endettement s'alourdissent au regard des critères de Maastricht. Cela pose problème. Cet État schizophrène doit se doter d'une doctrine sur ce point. (M. Philippe Grosvalet applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Vous avez parlé de crédibilité financière, monsieur le sénateur : pour ce qui est de la signature de la France, je rappelle que notre pays a reçu une offre trois fois supérieure aux besoins exprimés.

Tout comme vous, je constate que l'instabilité politique nous a fait perdre 0,3 point de croissance, même si je ne vous rejoins pas forcément sur le diagnostic.

Il est évident que, pour lutter contre cette absence de visibilité, l'adoption d'un budget est nécessaire. En effet, je vous rappelle qu'à la même période, l'année dernière, le gouvernement Barnier chutait, ce qui nous a coûté très cher : 0,3 point de croissance – vous l'avez dit –, soit entre 9 milliards et 10 milliards d'euros, ce qui est loin d'être négligeable dans la période actuelle.

Sur la TVA, il y a bien un paradoxe : son assiette évolue positivement, mais son produit n'est pas au niveau que nous attendions. Amélie de Montchalin a donc lancé, auprès des services de Bercy, une mission, afin de démêler les faits. Plusieurs points, comme les petits colis et les déclarations, sont à analyser de très près.

Enfin, j'ai du mal à comprendre comment on peut, à la fois, déplorer une croissance trop faible et vouloir taxer les entreprises, puisque celles-ci iraient si bien : c'est paradoxal ! Il ne me semble pas, pour ma part, que nos entreprises aient les pieds à ce point libres d'entraves qu'elles puissent courir des sprints aussi rapidement que leurs concurrents. Il n'est donc pas nécessaire d'ajouter à leur fardeau.

M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour la réplique.

M. Grégory Blanc. Je partage pleinement, monsieur le ministre, votre constat quant à l'importance de la stabilité politique du pays. Quand on ouvre le débat sur les finances publiques et sur la dette, nous voyons bien, les uns et les autres, que la priorité est d'atteindre la stabilité politique, donc de créer les conditions du compromis. C'est tout l'enjeu, si l'on est raisonnable, si l'on est responsable, que de démontrer ce sens du compromis.

Par ailleurs, des entreprises procèdent en ce moment à des rachats massifs d'actions. Elles peuvent le faire parce qu'elles ont de l'argent dans les caisses et parce qu'ont été mises en œuvre des politiques de facilités de crédit, notamment par la Banque centrale européenne. Cet argent dans les caisses des entreprises, nous devons être capables de l'utiliser et de le réorienter.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 3 500 milliards d'euros, 1 200 milliards de plus en huit ans : Emmanuel Macron aura donc été à Mozart ce que Sébastien Delogu est à Molière : au mieux, une imposture ; au pire, une agression. (MM. Stéphane Le Rudulier et Jean-Raymond Hugonet rient.)

Voilà le mur de la dette que nous devons désormais franchir, voilà l'horizon que nous offrons à nos enfants : des hauteurs vertigineuses où l'oxygène commence à manquer.

Mais nous sommes en réalité entre quatre murs, les murs d'une détention. En effet, 55% de la dette publique française est détenue hors de France : sept points de plus en trois ans, l'un des taux les plus élevés de l'OCDE. À ce rythme, nous atteindrons les 60 % d'ici à la fin du second quinquennat Macron. Nous sommes détenus par ceux qui détiennent notre dette ! Nous sommes, mes chers collègues, en souveraineté conditionnelle.

Avec une charge de la dette toujours plus importante et des taux d'intérêt supérieurs à ceux de l'Italie, nous dépendons des marchés internationaux et des agences de notation. Or le budget, c'est la souveraineté.

Depuis onze ans que je vous propose d'abattre ce mur de la dette à la tronçonneuse, j'observe que nos hémicycles parlementaires sont devenus des chambres de gestion de la dette, où l'on discute pour savoir à quel rythme il faudrait l'augmenter.

Cette année, le Gouvernement propose un déficit de la sécurité sociale à 17 milliards d'euros, que l'Assemblée nationale a augmenté à 24 milliards ; le Sénat, chambre de la raison, tente de trouver un compromis à 20 milliards supplémentaires.

Si l'on ne rompt pas avec l'accouplement idéologique entre l'assistanat remplaciste de la gauche et le globalisme de la droite, qui soutient Mme von der Leyen, nous finirons la décennie avec une charge de la dette de 100 milliards d'euros par an !

Si nous avions augmenté notre dette au même rythme que nos voisins européens, frappés eux aussi par la guerre en Ukraine, le covid et la crise énergétique, elle serait plus basse de 500 milliards d'euros. Il y a donc bien un problème de gestion de votre part, monsieur le ministre.

Pour sortir de ce cercle vicieux de la mise sous tutelle étrangère, il faut prendre le chemin des économies structurelles, en bousculant les tabous sur lesquels vous êtes assis : rejeter la tentation totalitaire de l'État en réduisant son train de vie, l'administration administrante, les normes, l'élargissement constant de ses compétences à de nouvelles préoccupations sociétales ; supprimer les agences pour en revenir à l'État et aux collectivités de proximité ; cesser l'assistanat migratoire pour revenir à la justice sociale ; revoir notre modèle social pour soutenir la croissance des familles françaises ; et supprimer l'audiovisuel public pour retrouver la diversité des expressions et une gestion régalienne des deniers publics.

Au lieu de cela, monsieur le ministre, en 2025, vous rehaussez encore la dette de 150 milliards d'euros, un nouveau sommet qui laisse place au murmure de la tutelle étrangère.

En plus de sa soutenabilité, nous sommes inquiets de la structuration de la dette. Monsieur le ministre, sommes-nous entre les mains de l'Allemagne, du Qatar, de la Chine, de la Russie ou des États-Unis ? Le Parlement doit savoir qui possède notre dette et quelles sont les mesures que vous comptez prendre pour réduire notre dépendance.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Vous convoquez avec emphase Molière et Mozart, mais je ne sais pas à qui vous vous référez exactement…

Je rappelle néanmoins que les trois quarts de notre dette sont détenus par des investisseurs européens auxquels nous sommes, toutes et tous, liés par la force et l'unité de notre monnaie commune. Faire croire que nous sommes fragilisés parce que notre dette ne serait pas détenue dans un coffre-fort purement national est donc, selon moi, une erreur. Au contraire, cela relève d'une stratégie consistant à ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier. D'ailleurs, quelle que soit la personne qui emprunte, elle a intérêt à agir de la sorte. Nous continuerons donc à faire ainsi.

Vous avez affirmé, monsieur le sénateur, que nos taux d'intérêt étaient supérieurs à ceux de l'Italie. Ce n'est pas le cas : ils sont au même niveau.

Quant à la structure de la dette, les trois quarts de celle-ci sont achetés par des investisseurs français ou européens. Dans le détail, les premiers en représentent un quart, la Banque centrale européenne un deuxième, et les autres investisseurs européens un troisième. Nous sommes donc bien loin des fantasmes que vous évoquez. Il est nécessaire, dans cette Haute Assemblée caractérisée par sa sagesse et ses débats apaisés, de faire redescendre la température…

M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile d'y voir clair s'agissant de cette épineuse question de la dette, à la fois dans ce qu'elle révèle de la situation, extrêmement préoccupante, de notre pays, mais aussi dans l'interprétation que l'on en fait et les remèdes que l'on imagine pour y répondre. J'appelle donc, au nom du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, à regarder la réalité en face avec lucidité et responsabilité, mais aussi à prendre du recul.

Il nous semble que deux approches méritent d'être mises en exergue.

Premièrement, la dette est un piège, qui tient à la réalité du cadre financier, international et européen que nous avons contribué à bâtir. Le système monétaire et financier, qui a jusqu'à présent garanti la stabilité et contenu l'inflation, doit nous pousser à nous interroger, dans un monde en crise où la compétition entre les États, y compris européens, s'exacerbe. Notre construction inachevée montre aujourd'hui certaines limites. Clairement, la monnaie unique européenne exigerait une nouvelle approche de la complémentarité et de la solidarité entre nos économies.

L'enjeu de la souveraineté est souvent mis en avant, parce que la dette est détenue majoritairement par des investisseurs étrangers et que la charge de la dette, laquelle sera bientôt le premier poste budgétaire de l'État, limitera sévèrement nos capacités d'action. Certes, mais en vérité la question de notre souveraineté se pose déjà depuis longtemps, puisque nous n'avons d'autre choix que de recourir de manière institutionnalisée aux marchés de capitaux, qui imposent leurs taux. Nous sommes ainsi réduits, chaque année, à être les otages tremblotants des agences de notation, qui font la pluie et le beau temps.

On peut juger que le système s'applique à tous, qu'il apporte une régulation juste et objective à laquelle chacun doit consentir. Mais on peut aussi considérer qu'il nous enferme petit à petit dans une logique d'appauvrissement de l'État au profit des marchés.

Selon nous, l'Europe ne doit pas rester au milieu du gué. Elle doit compléter sa politique économique et monétaire par de nouveaux mécanismes permettant de protéger ses États membres d'un piège qui mettrait en péril, à terme, sa propre existence. Mario Draghi et Enrico Letta défendent une mutualisation accrue des outils d'investissement stratégique et de financement avec l'idée, en creux, d'un trésor européen capable d'émettre de la dette commune. Il nous semble que ces propositions devraient faire l'objet d'un débat.

Deuxièmement, la dette est un symptôme, celui d'une économie malade. Si nous sommes tombés dans son piège et incapables d'enrayer sa progression, c'est qu'elle comble, chaque année, ce que l'économie ne produit plus. Il faut donc considérer la dette à la lumière de notre déficit commercial avant d'incriminer la dépense publique et le modèle social, ou encore de recourir aux recettes fiscales.

Cela n'empêche ni de réduire le train de vie de l'État ni d'ajuster la fiscalité aux besoins de nos politiques publiques ou à l'exigence de justice sociale qui est la nôtre. Mais ne pas voir que la dette, depuis des années, sert à compenser l'effondrement productif français, lié notamment à la désindustrialisation et à la crise agricole, alors qu'elle devrait financer l'investissement public, serait une erreur de diagnostic funeste.

Je le dis clairement : on aura beau réduire les dépenses publiques ou augmenter les impôts, si le déficit commercial persiste, alors le recours à la dette continuera irrémédiablement de s'imposer.

En somme, monsieur le ministre, le seul remède à l'endettement qui nous mine est entre vos mains : il s'agit de la relance d'une véritable politique industrielle. Une politique qui nous permettra de renouer non pas avec la croissance, qui ne signifie pas grand-chose d'intéressant, mais avec le développement de la France, idée beaucoup plus généreuse et humaine, qui contient une dimension de progrès et de prospérité de nature à nous permettre de relever le double défi numérique et écologique.

Une telle ambition exige une politique d'investissement transversale alliant les domaines de l'énergie, de la formation, de la recherche, publique et privée, du commerce extérieur, mais aussi une politique migratoire. Tout cela doit se faire en repensant notre autonomie stratégique, laquelle doit s'appuyer sur nos outre-mer, ainsi que sur notre politique de coopération et de partenariats internationaux.

Tel est le lien que la dette nous impose de faire entre toutes nos politiques, afin de garantir la cohérence de l'action publique au service d'une ambition simple : la réussite de la France dans un monde de ruptures. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Bien évidemment, le ministre de l'industrie que je suis ne peut qu'approuver l'essentiel du propos que vous avez tenu, monsieur le sénateur.

Vous avez mentionné le rapport Draghi, qui doit désormais être la feuille de route de la Commission européenne. En effet, il est évident qu'il faut relancer la compétitivité à l'échelon européen. Vous avez parlé de solidarité européenne : j'y crois beaucoup.

Plus que jamais, la réindustrialisation est la clé, comme vous l'avez dit. Je veux donc immédiatement tordre le cou à l'idée funeste selon laquelle c'en serait fini de la réindustrialisation. Certes, le moment est difficile, mais devons-nous déjà passer par pertes et profits les 130 000 emplois industriels de plus créés et les 500 usines supplémentaires ouvertes au cours des dernières années ? Un coup d'arrêt a été donné à la chute du nombre d'usines dans notre pays, une courbe que d'aucuns avaient auparavant tenté d'inverser ; nous en recréons, même si la situation est plus difficile cette année.

Vous l'avez dit, il faut sans doute une politique européenne bien plus réactive, et qui sorte de la naïveté quant aux agissements de nos concurrents, notamment chinois. Nous devons investir dans la formation, particulièrement dans les territoires où se trouvent les industries, offrir un cadre fiscal stable et financer l'innovation, comme le préconise le rapport Draghi. Enfin, nous devons agir – je le dis devant la chambre des territoires – encore plus en proximité avec les élus locaux. Le ministère a besoin d'eux : nous ne pouvons pas réindustrialiser, depuis Bercy, un pays dans lequel l'industrie est partout présente sur les territoires.

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Alain Chatillon applaudit également.)

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici un débat essentiel s'il en est : celui qui porte sur la dette.

Quel est le niveau de notre dette aujourd'hui ? Lorsque l'on parle de 3 416 milliards d'euros, personne ne comprend. En revanche, rappeler que ce montant correspond à onze années d'impôts et de taxes, voilà qui est plus parlant…

D'où cette dette vient-elle ? Ne serait-elle issue que de baisses d'impôt non compensées par une diminution des dépenses, comme je l'ai entendu ? Non !

La malheureuse dissolution de l'Assemblée nationale de juin 2024 a, hélas ! mis fin aux travaux d'une commission d'enquête parlementaire, fort intéressante, visant à établir les raisons de la très forte croissance de la dette française.

Les auditions menées dans le cadre de cette commission d'enquête ont montré que la dette était certes issue, à hauteur de 34%, de baisses d'impôt non financées, mais qu'elle résultait aussi, en partie, d'augmentations de dépenses. Ainsi, 25% de la dette auraient pour origine le " quoi qu'il en coûte " et 40% le déficit de notre système de retraites.

On ne parle jamais du déficit caché des retraites ; or il représente une part importante de notre dette !

Faut-il dès lors continuer, comme on l'entend dire sur les travées de la gauche, à augmenter la dépense et à rechercher en permanence des impôts nouveaux ? (Protestations sur les travées du groupe SER.) Pardonnez-moi, mais j'entends ce discours : il faudrait poursuivre ce que l'on fait depuis cinquante ans, c'est-à-dire augmenter la dépense et augmenter les impôts. Nous voyons bien où cela nous mène !

La seule option qui n'ait jamais été tentée jusqu'à présent est celle de la baisse de la dépense. Pourtant, nombre de pays étrangers ont réussi à redresser ainsi leurs finances.

Monsieur le ministre, je ne l'ai pas apporté aujourd'hui, malheureusement, mais j'ai un livre à vous offrir. Il s'intitule : Des économies en veux-tu en voilà. (Sourires.) J'y expose le diagnostic de la situation actuelle et la nécessité de faire des économies un peu partout.

J'ai d'ailleurs été déçu de votre réponse à notre collègue Capus, dans laquelle vous appeliez le Parlement à vous faire des propositions. Nous en avons fait un certain nombre ! J'aurais aimé en entendre de votre part. (M. Olivier Paccaud brandit le livre de M. Vincent Delahaye.)

Non seulement le niveau de la dette est déjà très élevé, mais il se produit aujourd'hui un emballement : nous allons emprunter cette année 310 milliards d'euros.

Notre collègue Sautarel distinguait tout à l'heure la bonne dette de la mauvaise dette. Dans ces 310 milliards d'euros, quelle est, selon vous, la part de bonne dette ?

Voilà quelques années, nous nous inquiétions ici même de l'endettement permanent. Les taux étaient alors proches de zéro, voire négatifs, et d'aucuns poussaient à l'endettement. Nous étions alors quelques-uns à alerter sur le fait qu'un retournement aux graves conséquences pouvait se produire. Nous y sommes : les taux d'intérêt sont à 3,5%, alors que notre croissance est à peine de 1%, ou de 2,5% en tenant compte de l'inflation.

Monsieur le ministre, à partir de quel niveau de taux d'intérêt pensez-vous qu'un tel emballement nous entraînera dans une spirale infernale non maîtrisable ?

Par ailleurs, plusieurs agences de notation ont dégradé la note de la France. À partir de quelle note pensez-vous que notre pays éprouvera des difficultés à se financer sur les marchés ?

Sans aller jusqu'à parler de faillite, à quel moment devrons-nous nous placer sous la coupe de la Banque centrale européenne, et nous voir imposer des efforts considérables que nous n'aimerions pas avoir à supporter ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Nous le savons, M. Delahaye est un fin connaisseur de ces questions. Je tâcherai donc d'être modeste dans ma réponse.

Vous l'avez souligné, monsieur le sénateur, une part importante de l'accroissement de notre dette est liée à notre système de protection sociale, qui a besoin d'être réformé. J'ai bien compris que vous faisiez ici référence à la proposition qui a été faite à l'Assemblée nationale de suspendre pendant un an la réforme des retraites. Le débat sur ce sujet se tiendra également dans cet hémicycle et je sais que la majorité sénatoriale a une position toute différente.

Le bon niveau est celui qui permet de voter un budget sans accroître le volume de notre dette. C'est celui qui permet de ramener le déficit sous les 3% du PIB d'ici à 2029.

Sur les taux d'intérêt, il est compliqué de vous répondre. Souvenez-vous, avant la crise de 2008, on empruntait parfois à 5% ou 6%. Nous avons même connu, après la crise, des taux négatifs.

Ce qui compte en réalité, c'est notre capacité à rembourser. Je me méfie des prophéties autoréalisatrices, mais pour l'instant, les agences de notation maintiennent pour la France une note de 16 sur 20. Ce n'est pas si mal, même si nous préférerions tous avoir un 18.

La France n'est pas au bord du gouffre. La trajectoire de nos finances publiques est maîtrisée. Vous avez toutes et tous appelé à la responsabilité. Être responsable, c'est essayer de tenir la trajectoire qui nous ramènera sous les 3% de déficit en 2029.

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour la réplique.

M. Vincent Delahaye. Je reconnais que ma question n'était pas simple… Nous assistons néanmoins à un emballement des intérêts de la dette. Beaucoup d'orateurs ont souligné que ces derniers représenteraient bientôt le premier budget de la France. Ce n'est tout de même pas terrible de donner autant d'argent aux marchés et à ceux qui nous prêtent !

Je le répète, la seule politique qui n'ait jamais été tentée en France est la baisse de la dépense. Pour mener une telle politique, il faut du courage, beaucoup de courage. Aussi, j'espère que les Français feront confiance à des candidats courageux. (M. Victorin Lurel s'exclame.)

La démagogie, c'est facile. Distribuer de l'argent, c'est facile. Faire porter l'effort sur 0,1% de la population, c'est très facile !

En revanche, réduire la dépense, la maîtriser et faire preuve de rigueur dans la gestion de l'argent public, c'est beaucoup plus difficile. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parler de la dette publique en trois minutes est assez frustrant. Je m'en tiendrai donc à quelques réflexions.

Le débat sur la dette publique reste trop souvent enfermé dans une lecture strictement nationale, alors que notre trajectoire financière dépend désormais directement de celle de l'Union européenne.

Or l'Union européenne entre dans une phase décisive : le remboursement entre 2028 et 2035 de la dette commune émise pour le plan de relance Next Generation EU, soit 800 milliards d'euros, est un choc de financement inédit, potentiellement absorbant.

Sans ajustement, le risque est clair : le budget européen deviendrait quasi exclusivement un instrument de remboursement, au détriment de nos priorités stratégiques – défense, innovation, climat, numérique, compétitivité. La dette européenne, conçue comme un levier de puissance, pourrait alors se transformer en facteur de paralysie.

Pour éviter cet étau budgétaire, une solution s'impose : faire rouler une partie de cette dette, comme le préconisent de nombreux économistes, dont Mario Draghi.

Il s'agit non pas de renoncer au remboursement, mais d'adopter les pratiques de gestion active qui sont celles des " souverains matures ", en lissant précisément les maturités pour éviter un mur de refinancement et en maintenant un stock de dette stable et liquide. Cette stratégie renforcerait la crédibilité financière de l'Union, ferait émerger un véritable actif sûr européen et donnerait, enfin, de la profondeur à l'union des marchés de capitaux. Surtout, elle permettrait de financer les investissements indispensables à notre souveraineté collective.

Toutefois, cette capacité d'action commune suppose une exigence de discipline nationale. C'est pourquoi je souhaite soumettre au débat une proposition émanant de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), dont je salue les travaux. Il s'agirait d'inscrire dans la Constitution et dans la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf) une règle budgétaire de moyen terme, claire, contraignante et protectrice pour les générations futures.

Le principe est simple. Il consiste en une obligation constitutionnelle d'équilibre hors cycle pour le projet de loi de finances, avec une réduction progressive des déficits. La même règle serait applicable à la sécurité sociale.

Pour les collectivités locales, un mécanisme de surveillance et de traitement de la dette excessive serait mis en place.

Un comité budgétaire indépendant, chargé d'évaluer les hypothèses économiques, serait créé.

En cas de dérapage, la règle prévoirait une obligation d'amortissement dans les lois de finances suivantes. Enfin, des dérogations seraient strictement encadrées.

Ma dernière réflexion, monsieur le ministre, sera plus personnelle. Vous connaissez peut-être mon obsession pour le " zéro artificialisation nette " (ZAN). (Sourires.)

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Et pour la dette ! (Rires.)

M. Jean-Baptiste Blanc. En effet… Cela fait des mois que j'interroge vos prédécesseurs sur les pertes de recettes qui sont imputables à cette mesure de décroissance. À combien de projets industriels et de projets de logements devons-nous renoncer du fait du ZAN ? Aucun de vos prédécesseurs n'a été en mesure de le dire. Or il me semble que cela a un lien avec le déficit et la dette : nous pourrions avoir plus de recettes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, pour répondre à cette très bonne question.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. M. le sénateur Blanc, que je connais bien, a toujours une petite surprise dans la manche ! (Sourires.)

Sur la question du ZAN, vous savez que le Gouvernement a proposé de sortir les projets industriels du dispositif. Malheureusement, cela s'inscrivait dans le cadre d'un projet de loi de simplification de la vie économique – nous en parlions précédemment – dont le parcours parlementaire est quelque peu chaotique.

Nous réfléchissons donc à la manière de reprendre cette question, mais il est évident que nous devons faire sauter ce verrou afin de ne pas compromettre le développement économique.

Monsieur le sénateur, vous avez développé l'idée d'Europe puissance. J'y souscris. Nous avons construit l'Union européenne comme un grand marché, en lui fixant des règles nécessaires au fonctionnement d'un grand marché.

Être un grand marché, c'est une force. Mais l'Europe ne sera pas attractive si, en même temps, elle n'est pas une grande puissance économique et une grande usine.

M. Laurent Duplomb. Il y a de quoi faire !

M. Sébastien Martin, ministre délégué. C'est tout mon combat et je suis convaincu que vous le partagez.

Le rapport Draghi que vous avez cité, monsieur le sénateur Blanc, doit être une véritable feuille de route pour la Commission européenne.

Un mouvement semble aujourd'hui engagé : on considère de plus en plus qu'il est nécessaire, finalement, de s'inspirer de ce que font les autres. Nous ne pouvons pas être les seuls à fermer les yeux sur le fait que les États-Unis et la Chine subventionnent massivement leur économie et s'appliquent à eux-mêmes des règles de protection ; et ils ne comprennent pas pourquoi nous ne faisons pas de même…

Nous sortons donc progressivement de la naïveté, même s'il reste à convaincre certains partenaires européens, qui considèrent les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) comme une sorte de bible. On peut être croyant, mais dans la pratique, il faut parfois savoir s'adapter. Il y va de notre puissance.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet de la dette, qui revient quotidiennement à l'ordre du jour de nos débats, est essentiel pour notre pays.

Permettez-moi tout d'abord de rappeler le contexte. Pour stabiliser la dette, le Gouvernement annonce un effort de 30 milliards d'euros, dont une part considérable repose, une nouvelle fois, sur les collectivités locales. Or, je le rappelle, les finances de ces dernières sont obligatoirement à l'équilibre. Les collectivités respectent la règle d'or : elles ne peuvent pas voter de budget en déficit.

Il faut aussi dire la vérité : depuis près de trente ans, la dette des collectivités est stable, voire en légère diminution. Elle était de 9% du PIB en 1995, et de 8,9% en 2023. De plus, elle ne finance que de l'investissement.

La contribution qui est aujourd'hui demandée aux collectivités – entre 4,6 milliards et 8 milliards d'euros – n'est pas un simple ajustement technique. Elle se traduira par un gel prolongé des dotations, des restrictions fiscales, des compensations rabotées. Autant de décisions qui, cumulées, risquent d'affaiblir les finances locales, de freiner l'investissement public et de restreindre toujours davantage l'autonomie financière des collectivités, pourtant garantie par notre Constitution.

Soyons lucides : la dette devient problématique lorsqu'elle ne finance plus l'avenir, mais compromet les capacités d'action de nos territoires. Or les collectivités réalisent 58% de l'investissement public civil dans notre pays. Réduire leurs marges, c'est ralentir les transitions écologique et numérique, freiner l'économie de proximité et asphyxier la vitalité sociale de nos territoires.

Pourtant, on leur demande aujourd'hui de contribuer largement au-delà de leur poids réel dans la dette publique. Les collectivités ne représentent que 8% de cette dette, mais on exige qu'elles fournissent plus de 15% de l'effort budgétaire !

Depuis 2017, l'endettement des collectivités n'a augmenté que de 10 milliards d'euros quand celui de l'État a bondi de 880 milliards d'euros.

Dans le projet de loi de finances pour 2026, les mesures s'accumulent et rendent l'équation tout simplement intenable : baisse de compensation fiscale – plus de 1,3 milliard d'euros en moins –, écrêtement de la TVA – 700 millions d'euros perdus –, hausse des cotisations employeur de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) – 1,3 milliard d'euros –, doublement du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) – 2 milliards prélevés –, et j'en passe.

Tout cela s'ajoute aux 2,2 milliards d'euros de contributions au titre de l'année 2025.

Mes chers collègues, ce n'est plus un effort, c'est un transfert de charges. C'est un désengagement, masqué si l'on peut dire.

Quand l'État transfère des charges sans les compenser, quand il déduit les recettes sans adapter les dotations, il déplace sa dette vers les maires, les présidents de département et de région. Il crée une dette cachée, mais bien réelle, dans les comptes locaux. Au bout du compte, qui en paie le prix ? Nos écoles, nos infrastructures, nos projets d'aménagement et nos associations.

Le débat sur la dette ne peut pas se réduire à un concours de vertu budgétaire. Il doit être un débat de sens, de priorités et de vision pour nos territoires.

Pour notre part, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous assumons une dette qui prépare l'avenir, qui finance la transition écologique, la santé, l'éducation et les infrastructures essentielles. Nous assumons une dette qui protège et qui permette d'investir. Nous refusons celle qui asphyxie et porte le signe du renoncement.

En 2025, les efforts budgétaires imposés par le Gouvernement ont entraîné une baisse de 12 milliards d'euros de l'investissement local, soit une chute de 16% par rapport à 2023 !

En 2026, l'impact du nouveau tour de vis sera clairement récessif pour nos territoires. Comment soutenir l'économie locale si nos collectivités ne peuvent plus investir ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Madame la sénatrice, il est bien légitime qu'au Sénat l'on défende les collectivités. J'ai bien entendu vos propositions, ainsi que celles qui sont défendues ici d'une manière générale.

Lors du Congrès des régions de France, le Premier ministre s'est montré très ouvert il y a quelques jours – j'étais à ses côtés – sur les efforts qui seront demandés aux collectivités. Un débat extrêmement riche se tiendra donc dans cet hémicycle.

Étant moi-même toujours président d'une association nationale d'élus locaux – je me suis toutefois mis en retrait depuis ma nomination au Gouvernement –, je ne méconnais pas le rôle des collectivités dans l'investissement, la réindustrialisation, la cohésion nationale et la cohésion des territoires !

Je ne doute pas de la richesse des débats à venir, au cours desquels le Gouvernement fera preuve d'ouverture. À la fin des fins, je l'espère, l'esprit de responsabilité partagée l'emportera.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour la réplique.

Mme Frédérique Espagnac. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse responsable. Comme vous l'avez souligné, le Premier ministre a donné quelques signes d'ouverture devant les départements et les régions de France.

C'est essentiel pour notre maillage industriel, mais aussi pour les entreprises, PME et TPE, qui aujourd'hui, dans nos territoires, ne vivent que grâce aux investissements des collectivités locales. Je vous alerte sur les grandes difficultés de certaines d'entre elles : des licenciements sont à venir et leur activité est essentielle dans nos territoires pour préserver l'emploi.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, inexorablement, la France aborde l'exercice budgétaire 2026 avec un déficit public indécent et une dette accablante supérieure à 115% du PIB, le tout dans un environnement financier tendu et dans un contexte politique chaotique.

Voilà quelques semaines, les agences de notation Fitch et Standard & Poor's ont altéré la note française, en pointant notamment la dégradation de notre trajectoire d'endettement.

Tant que les taux restent bas, tout va bien ; mais si par malheur ils venaient à augmenter, la charge de la dette augmenterait mécaniquement. Elle atteindrait alors un niveau difficilement soutenable. C'est une véritable bombe à retardement !

Cette situation peu enviable n'a malheureusement rien d'étonnant si l'on considère le clientélisme dans lequel notre pays se complaît depuis tant d'années. Il a d'ailleurs atteint son paroxysme avec la célèbre et populaire devise présidentielle du " quoi qu'il en coûte ". Qu'il survienne un virus, un choc énergétique ou un nuage de sauterelles, l'État est là et nous protège, toujours et encore.

Reconnaissons-le honnêtement, même si en France, tout le monde se plaint, on y a pris goût, à cette protection XXL ! Seulement voilà, depuis bien longtemps, elle est devenue totalement incontrôlée, extrêmement coûteuse et n'est plus entièrement financée.

Une telle situation critique devrait appeler, à l'évidence, une réaction budgétaire vigoureuse pour éviter une catastrophe. Eh bien non. En dépit d'un taux de prélèvements obligatoires record, notre addiction reprend le dessus : on nous ressort la machine à taxer et le recours à l'endettement. C'est un véritable suicide collectif.

À partir de là, la suite semble assez claire : l'effort structurel indispensable qu'appellent de leurs vœux de nombreux sénateurs est démocratiquement presque impossible à obtenir.

Alors, la politique de l'autruche est de retour et voilà que des esprits brillants échafaudent des stratégies fumeuses, fondées, comme d'habitude, sur des prévisions plus qu'optimistes. Ils viennent nous expliquer, la mine grave, que la situation n'est pas aussi critique qu'on le dit, que la France est trop grosse pour tomber – Too big to fail. Et pour cause : des titres de dette français sont incorporés dans de très nombreux produits financiers et détenus par un très grand nombre de banques, fonds de pension et autres compagnies d'assurance vie.

Un défaut, même partiel, de la dette française créerait, pour le système financier mondial, une onde de choc qui plongerait l'économie mondiale dans une crise dont elle pourrait ne pas se remettre. Personne n'aurait donc vraiment intérêt à ce qu'un défaut souverain français se produise. C'est peu ou prou, monsieur le ministre, ce que vous nous avez dit.

Mes chers collègues, rappelons-nous ce que nous disaient ces mêmes esprits brillants à la veille du 15 septembre 2008 au sujet de la célèbre et très puissante banque Lehman Brothers. On connaît la suite…

Monsieur le ministre, il ne nous reste plus qu'à ressortir les amulettes ou à croiser les doigts. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Jean-Raymond Hugonet, je ne sais pas si l'on peut comparer le covid à un nuage de sauterelles ! Souvenons-nous que personne n'était préparé à cette crise ; la réaction a été d'ampleur, certes, mais elle avait recueilli sur le moment – cela a été rappelé – le soutien de l'ensemble des groupes politiques. Ne mésestimons pas, ne sous-estimons pas cette réaction, qui était nécessaire.

Bien évidemment, je ne juge pas la position de ceux qui pensent que le frein aurait pu être levé plus tôt. À l'époque, nous plaidions tous en faveur d'un soutien fort et massif de l'État pour permettre à notre économie de se maintenir, aux salariés de bénéficier de mesures de chômage partiel, aux commerçants, restaurateurs et hôteliers de percevoir un revenu malgré la fermeture de leur établissement. De nombreuses mesures ont coûté très cher, c'est un fait, mais elles étaient indispensables.

Alors oui, il faut maintenant savoir ralentir ; telle est la trajectoire que s'est fixée le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2026. Mais non, on ne peut pas comparer un État et Lehman Brothers, une banque privée ayant engagé des processus et des procédures frauduleuses appuyés sur des produits financiers qu'elle seule était capable de comprendre.

Pour autant, je partage votre gravité, monsieur le sénateur, et je juge, comme vous, qu'il est nécessaire de prendre la situation au sérieux.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, je vous écoute avec beaucoup d'intérêt depuis le début de ce débat. Vous nous servez les sempiternels confettis de paroles qu'un bon nombre de ministres – nous en avons vu passer 176 depuis que le président Macron est à la tête de ce pays – nous ont déjà servies. À ce même banc, nous avons même entendu M. Le Maire mentir à la représentation nationale au sujet du processus…

Bien évidemment, tout le monde était favorable à l'idée de soutenir et de défendre le pays en cas de crise. Cela nécessitait toutefois un contrôle – si le rapporteur général était présent, il vous le dirait par le menu –, et ce contrôle n'a pas été exercé.

Monsieur le ministre, notre dette ne semble pas vous poser trop de problèmes, puisque nous sommes un pays riche. Sachez tout de même que des banques comme Lehman Brothers avaient elles-mêmes des stocks de dette française. Elles étaient couvertes par de hautes instances et nous l'avons su seulement lorsque l'État américain les a laissé tomber. Prenez garde, monsieur le ministre !

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 3 400 milliards d'euros, 115% du PIB, plus de 50 000 euros par Français, contre 3 000 euros en 1990 : la spirale de la dette dévore notre souveraineté, notre capacité d'action et notre avenir.

Rendez-vous compte : en 2025, la France paiera plus de 74 milliards d'euros d'intérêts sur sa dette.

Ces milliards partent dans les poches de créanciers étrangers ou nationaux plutôt que dans les écoles, les hôpitaux ou les routes. La dette et ses intérêts siphonnent désormais une part croissante des ressources de l'État.

Pendant quarante ans, nous avons laissé l'État enfler comme jamais. Nous avons accumulé les administrations, empilé les dispositifs et les normes, multiplié les subventions, ajouté des taxes aux taxes, des impôts aux impôts, élargi les missions de l'État.

Là où les collectivités locales et les communes sont vertueuses, l'État est en faillite. Matignon devrait prendre conseil auprès des maires plutôt qu'auprès du parti socialiste !

Nous avons cru qu'en injectant de la dépense publique partout, nous aurions la prospérité partout. Ce fut une erreur historique, qui a pavé la voie à la ruine nationale.

Aujourd'hui, la dette ne finance plus la modernisation, mais l'immobilisme et le déclassement progressif de notre pays. Elle ne construit plus l'avenir ; elle entretient l'illusion que l'État peut tout résoudre, alors qu'il ne sait même plus se financer lui-même.

Il faut avoir le courage de dire la vérité, celui de regarder en face la machine bureaucratique et de dire " Assez ! ". Il est l'heure de tout changer, de transformer radicalement l'État, de le ramener à ce qu'il doit être : un État régalien, solide, efficace, mais limité et réduit.

C'est maintenant qu'il faut agir, et non demain, dans dix ans, lorsque les marchés décideront à notre place ou lorsque le FMI s'installera à Bercy.

La dette n'est pas un accident ; elle est la conséquence directe d'un État hypertrophié. La seule réponse efficace est un choc de désendettement, condition d'un pays souverain, respecté et maître de ses choix.

Laisser filer la dette, c'est en effet accepter la servitude, accepter que nos enfants paient demain pour les lâchetés d'aujourd'hui.

Aussi, j'aimerais que l'on médite les propos de Thomas Jefferson selon lesquels il est immoral de léguer à une génération future les dettes contractées par une génération présente. Refusons ce scénario, refusons la facilité qui conduit au déclin !

La vérité est que la France ne s'en sortira qu'en assumant un choix clair : réduire le périmètre de l'État pour libérer la Nation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur, je m'exprimerai dans quelques instants à la tribune ; je vous répondrai donc très brièvement afin d'éviter les redites.

Je tiens à saluer l'esprit d'exigence et de responsabilité auquel vous appelez en matière budgétaire. Il nous permettra d'aboutir, je l'espère dans les toutes prochaines semaines, à l'adoption d'un projet de loi de finances et d'un budget pour notre pays.

Les Françaises et les Français attendent en effet que les positions des uns et des autres convergent vers un compromis. Ils expriment une forme d'angoisse à l'idée de ne pas voir l'aboutissement des débats incessants qui nous occupent depuis quelques semaines.

Je remercie l'ensemble des sénatrices et des sénateurs qui se sont exprimé lors de ce débat et je vous rejoins, monsieur le sénateur Le Rudulier : il faut aussi réformer l'État. C'est d'ailleurs ce qu'envisage le Premier ministre au travers d'un projet de loi, qui sera bien entendu travaillé au Sénat, relatif à la décentralisation, certes, mais aussi à la réforme de l'État.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il me sera difficile, à l'issue des échanges que nous venons d'avoir d'éviter les redites.

Je remercie de nouveau le Sénat d'avoir pris l'initiative de ce débat, qui fut très riche et dense. C'était une première pour moi, et j'ai eu grand plaisir à échanger avec chacune et chacun d'entre vous.

Nous partageons tous l'idée selon laquelle la dette représente cette part du passé qui pèse sur notre avenir si nous ne la maîtrisons pas, si nous ne la contrôlons pas et si nous ne retrouvons pas les marges de manœuvre nécessaires afin qu'elle constitue non pas un poids mais un levier d'action pour financer le futur, les investissements et, finalement, notre croissance.

La dette atteint aujourd'hui 115,6% du PIB. Ce chiffre est le résultat de crises successives, et particulièrement de la crise liée au covid, durant laquelle nous avons voulu protéger les ménages et les entreprises. C'était nécessaire, mais, bien évidemment, ces choix ont eu un coût qui pèse sur notre capacité à décider de notre avenir.

Dans ce contexte, redresser les finances publiques doit être notre boussole. L'effort engagé l'an dernier produit ses premiers résultats : nous sommes en bonne voie pour ramener le déficit à 5,4% du PIB, comme cela avait été décidé dans la loi de finances pour 2025.

Mais, soyons honnêtes – et des orateurs de divers groupes l'ont dit –, notre déficit demeure trop élevé par rapport à celui de nos voisins. Cet écart peut avoir des conséquences sur notre souveraineté budgétaire.

C'est pourquoi l'objectif du Gouvernement ne variera pas : il s'agit de faire en sorte que le déficit repasse sous la barre des 3% du PIB en 2029. La décrue doit commencer dès cette année. C'est indispensable pour maintenir la crédibilité financière de la France, car l'écart de taux avec l'Allemagne s'est creusé : alors qu'il était de 0,5%, il s'élève désormais à près de 0,8%. Nous empruntons plus cher que l'Espagne ou le Portugal, tandis que la charge de la dette pourrait atteindre 80 milliards d'euros en 2028, soit 30 milliards de plus qu'en 2025.

Pour autant, il convient de garder la tête froide, même si nous devons regarder la réalité en face.

Notre économie reste solide. Avec un taux de croissance de plus de 1,1% de PIB en 2024, la France a fait mieux que les pays de la zone euro en moyenne. Au troisième trimestre 2025, le taux de croissance a été de 0,5% – un résultat supérieur aux prévisions. Notre inflation, quant à elle, est stabilisée sous les 2 % et elle devrait le rester en 2026. La politique économique du Gouvernement vise à entretenir cette dynamique.

Je tiens également à rappeler que la France continue de se financer dans de bonnes conditions. Notre stratégie d'émission de dette repose sur la régularité et la prévisibilité. Comme cela a été indiqué à plusieurs reprises au cours de ce débat, la demande des investisseurs reste élevée : elle est en moyenne trois fois supérieure à l'offre. Nous pouvons aussi compter sur un marché diversifié, ce qui limite les risques.

Par ailleurs, depuis 2017, la France est un pays pionnier en matière de financement durable ; cette politique est d'ailleurs aujourd'hui suivie par tous nos partenaires. Par financement durable, j'entends les financements verts, qui permettent de cibler les politiques d'investissement, et les emprunts que nous contractons pour financer la transition écologique.

Néanmoins, nous devons faire face à notre dette. J'espère n'avoir à convaincre personne dans cet hémicycle que ce n'est pas en augmentant la charge qui pèse sur nos entreprises que nous y parviendrons. Nous ne résorberons pas notre endettement en imposant davantage nos forces productives ! J'en appelle donc à la modération fiscale dans les débats en cours, et je sais pouvoir compter sur le Sénat pour défendre notre industrie et nos emplois.

Il faut garder la tête froide et se souvenir que les investisseurs ont besoin de prévisibilité. Chaque sursaut, chaque blocage politique alourdit la charge de notre dette. Notre levier fondamental, c'est la stabilité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la stratégie fixée par le Premier ministre est une stratégie de responsabilité. Elle repose sur quatre piliers : le soutien à notre appareil productif, créateur de richesses ; la maîtrise des dépenses de l'État, en garantissant une contribution juste des collectivités ; le redressement des comptes sociaux, pour faire face aux défis démographiques ; enfin, la simplification et la réduction des normes.

La dette n'est pas une fatalité. Elle doit être envisagée comme un défi que nous devons relever collectivement car, quelles que soient nos positions politiques, nous ne pourrons pas avancer sans avoir traité cette question. La soutenabilité de nos finances publiques conditionne, en effet, directement notre capacité à investir, à produire, à protéger et à décider en toute souveraineté.


Source https://www.senat.fr, le 8 décembre 2025