Interview de M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, à RTL le 10 décembre 2025, sur le budget de la Sécurité sociale, le déficit budgétaire, le 49.3 et l'interdiction des moteurs thermiques dès 2035 dans l'Union européenne

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Intervenant(s) : 
  • Roland Lescure - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique ;
  • Thomas Sotto - Journaliste

Média : RTL

Texte intégral

ROLAND LESCURE
Bonjour, merci.

THOMAS SOTTO
Alors, heureux ?

ROLAND LESCURE
Non, heureux non, mais un peu soulagé. Vous l'avez dit, oui, hier, au fond, ce qu'on peut dire, c'est que l'improbable est devenu possible. Ça faisait des semaines qu'on disait, ils n'y arriveront pas, ça ne passera pas. Hier, 247 députés ont décidé que ça passerait et que c'était possible de se mettre d'accord sur un budget qui ne satisfait pleinement personne.

THOMAS SOTTO
On va y venir, on va y venir.

ROLAND LESCURE
Mais, au fond, quand même, rassemble des voix communistes, des voix de la droite républicaine, des voix du bloc central, aucune n'a manqué, notamment dans le groupe dont je suis issu, et des socialistes.

THOMAS SOTTO
Mais c'est gagné-gagné ou pas ? Parce qu'il va y avoir encore, ça va revenir ? Le match est plié ou pas ?

ROLAND LESCURE
Oui, alors, on a une deuxième lecture qui a été votée à l'Assemblée nationale. On retourne au Sénat, très probablement, on va rejeter le texte. On reviendra pour ce qu'on appelle une lecture définitive dans les jours qui viennent. J'ai du mal à imaginer que le député X qui a voté pour hier vote contre demain, mais il faudra quand même.

THOMAS SOTTO
Vous êtes serein ?

ROLAND LESCURE
En tout cas, hier, effectivement, l'Assemblée nationale, dans sa grande majorité, a montré qu'elle était pour ce budget de la sécu. J'ai du mal à imaginer que dans une semaine, s'il ne bouge pas d'un iota, elle soit contre. On verra.

THOMAS SOTTO
Tout ça est fragile. Marc FERRACCI, un macroniste comme vous, et ancien ministre de l'Industrie, a dit : " J'ai voté pour un budget exécrable ".

ROLAND LESCURE
Et il a voté pour. Vous voyez, c'est une phrase…

THOMAS SOTTO
Vous trouvez exécrable aussi, vous, le budget ?

ROLAND LESCURE
Non, ce n'est pas mon budget idéal. J'ai eu l'occasion de le dire. D'abord, suspendre la réforme des retraites pour un macroniste historique, et de rentrer en politique en 2016-2017 dans la foulée d'Emmanuel MACRON, suspendre la réforme des retraites, ça fait un peu mal au ventre.

THOMAS SOTTO
Il faut le remettre. Mais est-ce qu'il fallait aller jusque-là ? Parce que si on faisait un raccourci, on pourrait dire que les macronistes, vous, vous avez sacrifié votre réforme majeure du quinquennat.

ROLAND LESCURE
On l'a suspendue.

THOMAS SOTTO
Celle dont vous nous avez dit depuis trois ans, en restant sourd aux manifs, qu'elle était vitale. Et au final, vous avez avalé vos convictions pour sauver vos places, c'est ça ?

ROLAND LESCURE
Non, non, pas du tout. Alors vraiment, s'il y a bien quelque chose qui ne me fait pas rêver le matin quand je me lève, c'est de sauver ma place. Je suis extrêmement heureux d'être ministre.

THOMAS SOTTO
Vous êtes fatigué d'être ministre de l'Économie ?

ROLAND LESCURE
Non, non, ce n'est pas facile tous les jours, mais peu importe. Franchement, mon avenir personnel, mon cas personnel, n'importe en aucun cas. Aujourd'hui, c'est, un, on a des débats très importants qui s'avancent pour 2027. Et deux, en attendant, il faut bien gérer la boutique, si je puis dire. Ce qu'on fait aujourd'hui, c'est qu'on trouve des compromis entre des parlementaires qui sont d'accord sur pas grand-chose, si ce n'est sur une chose, qui est qu'il faut que la France ait un budget et que l'alternative est pire. Vous le savez, on l'a dit, trente milliards de déficit si on n'a pas de budget de la sécu.

THOMAS SOTTO
Mais là, ce n'est pas quand même la grande victoire de la dette. Il va être à combien le déficit de la sécu l'année prochaine ?

ROLAND LESCURE
Alors, 19,5 milliards.

THOMAS SOTTO
C'est vrai ça ?

ROLAND LESCURE
Avec, c'est important, quatre milliards et demi de soutien de l'État. C'est-à-dire que l'État doit renflouer les caisses de la sécu.

THOMAS SOTTO
Ça veut dire que sinon, ça serait 23 alors ? On fait 19,5 ?

ROLAND LESCURE
On serait à 24 en fait.

THOMAS SOTTO
On est à 24 milliards. Donc, c'est très au-dessus des engagements que vous aviez pris.

ROLAND LESCURE
Et ça veut dire que... Alors, des engagements qu'on avait proposés au Parlement, mais s'ils n'avaient pas été votés, on serait à trente. Mais ça veut dire qu'effectivement, puisque la prochaine étape, c'est le budget de l'État, que la barre est remontée d'un cran. Moi, j'avais parlé d'un 110 mètres haies, il y a dix haies, quand on a commencé. Un 110 mètres haies, c'est dix haies. Ben, la dernière haie, qui est celle du budget, elle vient de passer à 1,30 m. Il va falloir bien tirer...

THOMAS SOTTO
En tout cas, on est sur un déficit de la sécu de 24,5 milliards. Si on ne fait pas de la tambouille et des jeux d'écriture.

ROLAND LESCURE
Non, ce n'est pas de la tambouille…

THOMAS SOTTO
Non mais c'est des jeux d'écriture quand même.

ROLAND LESCURE
Attendez, non, non, pas du tout. Ce qu'on fait, c'est que l'État renfloue les caisses de la sécu. Et donc, il va falloir trouver les 4,5 milliards dans le cadre de la distribution du budget.

THOMAS SOTTO
Et donc, on va s'emprunter de l'argent ailleurs ou creuser un autre déficit ?

ROLAND LESCURE
Non, il va falloir faire des efforts. Moi, je reste extrêmement convaincu qu'il faut avoir un déficit de l'ensemble. Sécu-État est à 2,5%. Et donc, avec un déficit de la sécu, vous l'avez dit, qui est plutôt de 24,5 milliards, là où nous on espère à 17,5 milliards, il va falloir trouver des milliards ailleurs dans les comptes de l'État. Et ça, c'est la dernière haie qui nous reste à franchir.

THOMAS SOTTO
Justement, ce projet de loi de finances, le budget général, comment ça va se passer les négociations ? Vous voulez redevenir le ministre des marchands de tapis, Roland LESCURE ?

ROLAND LESCURE
Non, ce n'est pas... Je comprends bien qu'on est en train de mettre en oeuvre une espèce de changement de culture en France. On n'a pas cette habitude-là. En France, c'est le fait majoritaire. La majorité décide, l'opposition s'oppose sans aucun pouvoir. On est rentré dans un monde différent, où du fait de l'équation politique de l'Assemblée nationale, on doit négocier, mais pas comme des marchands de tapis, comme des parlementaires et un Gouvernement responsable qui cherchent des compromis.

THOMAS SOTTO
Mais quelles sont les limites acceptables du compromis ? Vous êtes venu ici il y a un mois, presque jour pour jour, et vous aviez dit : " J'entre en mêlée à 4,7% de déficit pour le budget ". Est-ce que vous maintenez que le budget ne devra pas dépasser 4,7% ? Ou est-ce que c'est inatteignable ?

ROLAND LESCURE
Non, ce que j'avais dit depuis le début, c'est 4,7% c'est l'entrée en mêlée. Et je veux qu'on soit à 5% et pas au-dessus.

THOMAS SOTTO
Vous prenez l'engagement ferme que vous ne ferez pas voter un budget au-dessus de 5% ou pas ?

ROLAND LESCURE
Dans le monde d'aujourd'hui, les engagements fermes n'engagent que ceux qui y croient. Non, moi je dis qu'il est essentiel qu'on ait un budget à 5%.

THOMAS SOTTO
Vous-même, vous ne m'y croyez pas donc ?

ROLAND LESCURE
Si, j'y crois, sinon je ne serais pas là. Mais ça va dépendre essentiellement, et c'est nouveau par rapport au budget de la sécu. Vous savez, le Sénat s'était opposé au budget de la sécu. Pas de réforme de retraite, on n'en veut pas. Là, on rentre dans une discussion entre sénateurs et députés. Il y a ce qu'on appelle la commission mixte paritaire.

THOMAS SOTTO
On en met sept de chaque côté, il essaie de sortir une copie commune.

ROLAND LESCURE
En fait, c'est un processus qui existe depuis des années, qui en général permet d'élaborer un compromis, à condition que chacun y mette du sien. Donc on a des sénateurs qui, j'espère, vont y mettre du leur, des députés qui, j'espère, vont y mettre du leur, pour trouver un compromis, et ensuite devraient voter.

THOMAS SOTTO
Oui, alors justement, hier matin, c'est François HOLLANDE qui était assis à votre place. Ce n'est pas le plus radical des socialistes. Il a voté le budget de la sécurité sociale. Mais il a prévenu. Je ne voterai pas le budget, parce que voter le budget, c'est s'inscrire dans la majorité. Donc il vous dit, utilisez le 49.3, on ne votera pas de censure derrière. Gérard LARCHER, le président du Sénat, vous dit, utilisez le 49.3, c'est le seul moyen que ça passe. Bruno RETAILLEAU vous dit, utilisez le 49.3. Des socialistes vous disent, est-ce que vous allez l'utiliser, ou est-ce que vous allez foncer dans le mur ?

ROLAND LESCURE
Non mais c'est trop facile. Donc d'abord, on ne va pas foncer dans le mur, on va…

THOMAS SOTTO
Si, parce que s'il y a un vote, là, ça ne passera pas. Oui mais, enfin, on verra. Hier…

THOMAS SOTTO
Alors là, je vous donne rendez-vous. Venez le lendemain.

ROLAND LESCURE
On viendra le lendemain.

THOMAS SOTTO
S'il y a un vote, ça ne passera pas.

ROLAND LESCURE
Ce que je peux vous dire, c'est que ce week-end, il y avait beaucoup de gens, quand je le parlais, qui me disaient, ça ne passera pas. Et vous avez sans doute, vous aussi, eu ces échos. Donc on a passé…

THOMAS SOTTO
C'était plus incertain. Là, François HOLLANDE, il est très ferme.

ROLAND LESCURE
Mais la discussion n'a même pas commencé. Moi, je trouve ça…

THOMAS SOTTO
C'est un marqueur politique, vous le savez. Ce n'est pas une économie, c'est de la politique le budget.

ROLAND LESCURE
Oui mais Vous vous rendez compte. Donc, alors justement. Donc il y a ceux qui disent, c'est de la politique, donc je ne voterai jamais un budget parce que je suis dans l'opposition. Puis il y a ceux qui disent, bah regardons ce qu'il y a dedans. La moindre des choses, quand même, c'est de regarder ce qu'il y a dedans.

THOMAS SOTTO
Mais pourquoi vous ne voulez pas du 49.3 ? C'est fermé définitif, il n'y aura pas de 49.3 ou pas ?

ROLAND LESCURE
D'abord, le Premier ministre a renoncé à cet outil parce qu'un certain nombre de leaders, notamment socialistes, lui demandaient.

THOMAS SOTTO
Ils ont changé d'avis.

ROLAND LESCURE
Certains.

THOMAS SOTTO
Oui.

ROLAND LESCURE
Je pense que François HOLLANDE, ça fait déjà quelques semaines qu'il disait ça.

THOMAS SOTTO
Donc ça reste un non fermé définitif sur 49.3.

ROLAND LESCURE
Ça reste une croyance absolue dans une méthode inédite. C'est trop facile.

THOMAS SOTTO
La croyance, ce n'est pas un fait. C'est fermé définitif ? Il n'y aura pas de 49.3 où tout est possible.

ROLAND LESCURE
Non mais on est dans une méthode qui consiste à dire : " On collabore, on négocie ", et vous, vous me dites est-ce que vous allez déresponsabiliser tout le monde en disant on va passer comme d'habitude en force ? La réponse est non.

THOMAS SOTTO
Donc il n'y aura pas de 49.3.

ROLAND LESCURE
On est dans une…

THOMAS SOTTO
Non mais j'ai besoin de comprendre parce que moi, je suis perdu, je suis comme les Français, on entend tout, machin, on ne comprend plus rien. Il n'y aura pas de 49.3 fermé définitif.

ROLAND LESCURE
Mais ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y aura pas de carton rouge ou de pénalty. On joue le match jusqu'au bout et en espérant le gagner. Il y en a un premier qui a été gagné hier. Moi, je ne vois pas de raison. Sauf à déresponsabiliser tout le monde et dire : " Vous allez voir, on va y être 49.3 comme d'habitude ". Dormez tranquille, bonnes gens. N'allez pas négocier. Parce que le Gouvernement va prendre toute la charge sur les épaules. C'est ça la différence de méthode. Aujourd'hui, on dit : " On négocie. Mettez-vous autour de la table une fois et trouvez un accord ". Nous, on l'est.

THOMAS SOTTO
Juste pour 2025, on en est où des prévisions de déficit ? On est toujours sur 5,4% ?

ROLAND LESCURE
Alors non seulement on est en phase avec ce qu'on avait prévu. La croissance est plutôt meilleure. On avait prévu 0,7. Moi, j'ai déjà eu l'occasion de nous dire, je pense qu'on sera au moins 0,8. Donc, jusqu'ici, tout va bien. Jusqu'ici, tout va bien. Donc, on est en phase avec ce qu'on avait annoncé il y a maintenant plusieurs mois. Il faut en profiter, j'allais dire, pour faire les efforts qu'il faut pour l'année prochaine. Sinon, là encore, c'est un peu trop facile.

THOMAS SOTTO
J'ai une dernière question Roland LESCURE. François LENGLET parlait des voitures électriques, des voitures thermiques. Ça discute beaucoup en ce moment sur l'interdiction des moteurs thermiques dès 2035 dans l'Union européenne. Est-ce que vous vous dites : " Il faut reporter cette interdiction " ?

ROLAND LESCURE
Ce que je dis, et ce qu'on a officiellement signifié à la Commission hier, avec mes collègues de l'environnement et de l'industrie, c'est qu'on est prêts à faire preuve de flexibilité. Si vous voulez vendre encore un peu de moteur thermique en 2035, très bien. Mais il faut qu'il soit fait en Europe. Il n'y a aucune raison…

THOMAS SOTTO
Vous êtes prêts à décaler pour des moteurs made in Europe ?

ROLAND LESCURE
C'est ce qu'on appelle la préférence européenne.

THOMAS SOTTO
Pendant combien de temps ? Sur quel délai ?

ROLAND LESCURE
Alors ça, ça fait partie des discussions qu'on a aujourd'hui avec nos partenaires européens, donc on parlerait de quelques années, mais ce n'est pas fait encore. Nous, c'est non négociable, si je puis dire. OK, pour la flexibilité, à condition que ce soit la préférence européenne, qu'on ait au moins 75% de la valeur ajoutée faite en Europe. François LENGLET dit tout à l'heure, on en vend des véhicules en France, soyons-en fiers. On ne va pas, à la première, je dirai inquiétude, rouvrir les portes en grand. Donc, de la préférence européenne, on est les seuls à ne pas le faire. Les Alliés achètent américains, les Chinois achètent chinois, et nous on va continuer. Donc non, la naïveté, c'est terminé. On est extrêmement ferme sur le fait, oui, on peut continuer.

THOMAS SOTTO
On peut décaler 2035, à condition que ce soit des moteurs européens.

ROLAND LESCURE
Des voitures faites en Europe, moteurs, batteries, etc., mais qu'on ait l'essentiel de la valeur ajoutée, et donc de l'emploi qui vienne de chez nous. Et je crois que c'est le 16 décembre que la commission se prononcera sur le sujet.

THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Roland LESCURE d'être venu sur RTL.

ROLAND LESCURE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 décembre 2025