Texte intégral
SONIA MABROUK
La grande interview sur Cnews et Europe1. Ce matin, mon invitée est la ministre en charge des Comptes publics. Bonjour et bienvenue Amélie DE MONTCHALIN.
AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.
SONIA MABROUK
Merci de votre présence. Nous allons évoquer dans quelques instants la semaine à haut risque pour le Gouvernement avec la colère paysanne, le Mercosur bien sûr et le budget encore et toujours. Mais tout d'abord, au lendemain de ce terrible attentat visant la communauté juive en pleine fête de Hanouka sur la plage de Bondi à Sydney en Australie, évidemment les réactions internationales pleuvent, elles sont très vives. Parmi les 15 victimes se trouve un Français. Madame la ministre, est-ce qu'il y a un endroit au monde où les Juifs aujourd'hui sont en sécurité ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Permettez-moi d'abord d'avoir une très grande pensée et d'exprimer mes condoléances pour la famille de notre compatriote qui se trouvait très loin d'ici et qui malheureusement, comme vous le dites, a été touché par de nouveau l'antisémitisme, qui montre que c'est un fléau, qui montre qu'il y a un amalgame qui est fait et qui est honteux entre des personnes qui croient, qui ont une religion et la politique d'un État et qu'il nous faut, comme on le fait en France, je crois, faire union mondiale pour protéger celles et ceux qui ont une religion, quelle qu'elle soit, et qu'ils puissent vivre en sécurité parce qu'on leur doit ça, puisque ce sont comme nous, des hommes et des femmes qui vivent librement, qui vivent en famille, qui vivent des moments de fête culturelle, habituelle, cultuelle. Et il me semble que c'est absolument essentiel d'avoir cette force d'engagement pour protéger celles et ceux qui ont une religion et qui est la leur.
SONIA MABROUK
Le Premier ministre israélien estime que le gouvernement australien a une part de responsabilité. Gouvernement qui a reconnu l'Etat de Palestine tout comme la France d'ailleurs. Peut-on, Amélie DE MONTCHALIN, se prévaloir d'une lutte sans merci contre l'antisémitisme quand on a reconnu l'État de Palestine sans d'importantes conditions préalables ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Je ne parlerai pas de ce qui se passe en dehors de nos frontières parce que ce n'est pas mon rôle. Mais je peux vous dire qu'en France on peut tout à la fois considérer qu'une solution à deux états est essentielle pour garantir durablement la paix et c'est le choix du président de la République et tout à la fois s'engager résolument et n'avoir aucune limite dans la protection de nos concitoyens, qu'ils soient juifs, qu'ils soient musulmans, qu'ils soient chrétiens, bref qu'ils soient Français. Et je pense qu'il ne faut pas là aussi attiser ce qui ne doit pas l'être. Il y a une partie qui est diplomatique, il y a une partie qui est sécuritaire et l'un et l'autre peuvent tout à fait être ensemble tenus et c'est bien la position française.
SONIA MABROUK
Il y a une partie qui est humaine, on retiendra aussi et surtout le geste héroïque d'Ahmed, vendeur de fruits, qui a réussi à désarmer l'un des terroristes et à le mettre en joue, un juste parmi les justes qui a été salué. Alors je vous le disais en préambule, Amélie DE MONTCHALIN, semaine à haut risque avec une colère paysanne qui ne retombe pas, le plan d'abattage qui ne passe pas, plan consistant, rappelons-le, à abattre le troupeau quand une vache est atteinte de la fameuse dermatose nodulaire. Il y a beaucoup de points de blocage ce matin, l'A64, l'A63 qui sont entravées. Est-ce que vous avez sous-estimé cette colère ? Ou est-ce que ce matin, Amélie DE MONTCHALIN, depuis des années vous dites qu'il y a en réalité un grand plan social de la paysannerie qui ne dit pas son nom ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, vous savez, je suis d'une famille agricole. Nous produisons dans notre famille du lait, nous avons des vaches. Et donc pour moi, c'est vraiment avec beaucoup d'empathie et de compassion que je mesure l'anxiété, l'anxiété existentielle des éleveurs qui savent que quand les maladies contagieuses arrivent, on se souvient des grandes épidémies de fièvres aphteuses aussi qui ont pu toucher le pays, c'est vraiment quelque chose qui crée beaucoup de peur et on comprend du coup l'angoisse, la tristesse et la colère de ceux qui y sont confrontés.
SONIA MABROUK
Vous dites le mot existentiel, c'est-à-dire que vous comprenez bien qu'ils craignent de disparaître. C'est pour ça que j'ai employé l'expression de grand plan social…
AMELIE DE MONTCHALIN
C'est pour ça que l'État est très engagé, qu'il y a eu effectivement 76 exploitations où des vaches ont dû être abattues. Ce sont 3 000 bêtes qui ont été abattues depuis le début de cette épidémie. Cette épidémie a été maîtrisée et arrêtée en Savoie, dans le Doubs, dans le Jura. Et donc cette procédure d'abattage a été décidée collectivement avec les autorités sanitaires, avec les filières professionnelles et elle est aussi appliquée…
SONIA MABROUK
Pas forcément avec les premiers concernés, Amélie DE MONTCHALIN, vous le savez bien, il y a certains syndicats qui dénoncent…
AMELIE DE MONTCHALIN
Elle est aussi appliquée en Italie et en Espagne. La clé, c'est quoi ? C'est qu'il y a 125 000 éleveurs dans le pays, qu'il y a plus presque deux millions de vaches dans notre pays et qu'il faut qu'on assure notre souveraineté, la protection de l'ensemble. Qu'il faille être peut-être plus dans l'explication, dans l'accompagnement, mais surtout, je veux le dire en tant que ministre des Comptes publics, dans le budget et dans toutes les décisions que nous avons prises avec Annie GENEVARD et le Premier ministre, nous accompagnons financièrement, pratiquement et dans les fermes qui ont pu être désinfectées et où il y a eu des abattages il y a quelques mois, les vaches sont de retour. Notre but, ce n'est pas un plan social. Notre but, c'est la souveraineté alimentaire, c'est le soutien aux paysans, aux agriculteurs, aux éleveurs et surtout quand des difficultés, et comme je le dis à nouveau, existentielles, d'une très grande violence et très grande douleur pour les éleveurs, eh bien que l'État soit présent, présent pour que très vite l'activité reprenne. Et je le rappelle, nous sommes, avec que ce soit pour les primes de compensation ou le retour des bêtes dans les fermes, très engagés. Ensuite, on voit bien que tout ça fait un peu système. L'enjeu du Mercosur, vous savez que ça fait 25 ans que la France se bat.
SONIA MABROUK
Alors parlons-en... cette semaine. Oui. Mais c'est toujours au dernier moment que vous dites qu'il n'est pas acceptable en l'état.
AMELIE DE MONTCHALIN
Non. Ce n'est pas au dernier moment. Ça fait 25 ans.
SONIA MABROUK
Est-ce que la Commission européenne est en train d'accélérer? Rappelons simplement les enjeux, madame la ministre, à ceux qui nous regardent et nous écoutent, ça peut être signé là, ce week-end, au Brésil. En l'état, vous dites ce n'est pas acceptable, mais est-ce que vous n'êtes pas en train d'entériner finalement cet accord? Ce serait une défaite en rase campagne.
AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord, on n'est pas seul. Parce que si la France avait été isolée depuis deux ans, cinq ans, dix ans, ça fait longtemps que l'accord aurait été…
SONIA MABROUK
C'est ça qui devrait nous consoler, ce matin ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Non, c'est que ce que nous disons, ce n'est pas juste les Français qui ont mal compris les choses vis-à-vis de la Commission européenne. Ce que nous disons, c'est que nous ne pouvons pas avoir des règles de libre-échange qui nous exposent à de la concurrence déloyale. Vous savez, je me suis battue sur les petits colis chinois. Eh bien, la même règle doit s'appliquer sur les biens agricoles dans le monde entier. Ça veut dire une clause de sauvegarde.
SONIA MABROUK
Précisons, c'est-à-dire qu'au moment où on est en train d'abattre certains de nos vaches, on pourrait recevoir de la viande de l'Uruguay, du Brésil ou de l'Argentine avec les antibiotiques et les hormones. Et ça passe crème, madame la ministre.
AMELIE DE MONTCHALIN
Alors ce n'est pas la même maladie, mais la France est très engagée depuis des années. Et c'est d'ailleurs pour ça que le Mercosur n'est toujours pas signé parce qu'on demande une clause de sauvegarde. Si on est envahi, on doit pouvoir bloquer. Deuxièmement, on veut des mesures miroirs, c'est-à-dire que les règles qu'on impose à nos agriculteurs doivent être imposées.
SONIA MABROUK
C'est une politique trop avertie pour ne pas savoir que, d'abord, ces clauses, elles ne peuvent être mises en place que par la Commission.
AMELIE DE MONTCHALIN
Et donc il faut des contrôles.
SONIA MABROUK
Et elles ne sont mises en place que dans des... j'ai vu, les conditions extrêmement particulières et compliquées.
AMELIE DE MONTCHALIN
C'est pour ça que, un, la Commission a enfin bougé, enfin bougé, puisque sur la clause de sauvegarde, elle a été enfin mise au vote au Parlement européen. Ça fait dix ans qu'on le demandait. Mais la France a dit quelque chose de très simple. Et je vais conclure là. Dans les conditions actuelles, puisque nous avions trois demandes, que la première est partiellement actée, les deux autres, on a eu des annonces. Vous avez vu par les communiqués hier du Gouvernement et par la voix du président de la République, la France demande un report du vote. Nous ne sommes pas en condition de voter.
SONIA MABROUK
Et si ce week-end, c'est signé ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Et je dois vous dire que nous ne sommes pas seuls. D'autres pays ont fait la demande avec nous et c'est bien pour ça…
SONIA MABROUK
Amélie DE MONTCHALIN, il peut y avoir une minorité là, mais il va y avoir de blocage. Il va y avoir une majorité pour signer…
AMELIE DE MONTCHALIN
Nous choisissons la politique en Europe. Vous savez, nous décidons ensemble et la voix de la France porte. Nous sommes la première puissance agricole en Europe. Et vous imaginez bien que ce qui se joue, c'est aussi notre capacité à expliquer que l'Europe sert les Européens. Et donc nous nous battons non seulement pour les Français, mais aussi pour tous les agriculteurs européens.
SONIA MABROUK
Est-ce que l'Europe sert surtout les Français, mis à part les Européens ? Parce que cette semaine, il y a aussi un Sommet européen sur l'Ukraine, le pays qui pourrait faire son entrée dès le 1er janvier 2027 dans l'UE, avec là encore, Amélie DE MONTCHALIN, toutes les conséquences qu'il peut y avoir sur la filière agricole. Nonobstant, évidemment, les difficultés que connaît ce pays. Là encore, vous assumez ce qui peut se passer sur notre filière paysanne ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Il y a plusieurs choses. Personne n'a jamais envisagé que l'Ukraine rejoigne l'Union européenne et ait droit à l'ensemble des politiques publiques au 1er janvier 2027. Les processus d'adhésion prennent beaucoup de temps puisqu'il y a un processus de convergence. On ne fait pas entrer dans l'Union européenne des pays qui sont très différents juridiquement, administrativement, économiquement. Et c'est d'ailleurs pour ça que vous souvenez que pour les pays plus à l'est de l'Europe, ça a mis plus de dix ans qu'il y ait cette convergence. Pourquoi l'Ukraine, on s'en occupe aujourd'hui ? Parce qu'on voit que c'est un pays qui, à moins de mille kilomètres de nos propres frontières, est attaqué, est en danger. Et je peux vous dire aujourd'hui…
SONIA MABROUK
... Je veux dire, est-ce qu'on assume les conséquences dans quelques années sur notre filière paysanne ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Je vous le dis avec la même force. Tous ceux qui, au fond, brandissent le sujet agricole pour, au fond, se faire un peu cheval de Troie…
SONIA MABROUK
Ce sont les agriculteurs qui en parlent ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Non.
SONIA MABROUK
Si.
AMELIE DE MONTCHALIN
Géopolitique. Que les agriculteurs soient inquiets, c'est évidemment une réalité.
SONIA MABROUK
On ne peut pas s'en faire le relais ?
AMELIE DE MONTCHALIN
C'est pourquoi nous n'avons pas prévu d'appliquer la PAC d'aujourd'hui, la politique agricole commune d'aujourd'hui, évidemment à l'Ukraine. D'abord, on n'a pas les moyens et ce ne serait pas équitable, ce ne serait pas juste et ce n'est pas notre projet. En revanche, je ne veux pas que parce qu'il y a des craintes tout à fait légitimes et qu'on doit accompagner dans le monde agricole, on fasse un grand tout et qu'on considère que l'Ukraine doit rester seule face à la Russie. Différends sur les sujets, ayons la méthode et ne brandissons pas des peurs qui n'ont pas lieu d'être.
SONIA MABROUK
La méthode, c'est celle qui est aussi utilisée sur le budget, parce que le Gouvernement a fort à faire sur ce sujet. Le Sénat doit donc voter ce lundi, Amélie DE MONTCHALIN, sur une version profondément remaniée du projet de budget général après le rejet quasi unanime du texte par l'Assemblée, c'était en novembre. Alors on ne voit pas comment vous allez pouvoir éviter la fameuse loi spéciale d'ici la fin de l'année.
AMELIE DE MONTCHALIN
Peut-être pour expliquer, moi, vous voyez, ce que je fais depuis maintenant plusieurs mois, plusieurs semaines, je crois que les Français le voient avec le Premier ministre, c'est de travailler ici et maintenant pour qu'en 2026, les Français aient une vie organisée, avec des règles claires, avec un budget, un pays qui fonctionne et qui fonctionne pleinement. Mon objectif, je crois que tout le monde le voit…
SONIA MABROUK
C'est le budget, là, c'est la panacée, c'est une baguette magique…
AMELIE DE MONTCHALIN
Non, c'est de considérer que les choses fonctionnent. Il y aura des élections présidentielles en 2027. Il y a beaucoup de demandes de changements, de réformes. Il y a des choses qui doivent se préparer. C'est très bien, c'est très sain pour la démocratie. Mais la présidentielle, elle ne se joue pas dans l'hémicycle ni du Sénat ni de l'Assemblée en 2025.
SONIA MABROUK
Là, vous êtes en train d'envoyer un message politique à qui ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Non. J'envoie un message politique à tous ceux qui, notamment aux extrêmes, considèrent que leur obsession, c'est les élections, qu'il faut une dissolution. Il faut une démission du Président. Il faut, au fond, bloquer le pays pour que ça arrive mieux.
SONIA MABROUK
Oui. Pardonnez-moi, le Bloc central y pense un peu, à la démission, comme Edouard PHILIPPE.
AMELIE DE MONTCHALIN
Et moi, ce n'est pas la ligne que je porte parce que je pense que les institutions doivent être respectées et les Français, surtout. On doit s'occuper des urgences d'aujourd'hui.
SONIA MABROUK
Le budget est une urgence.
AMELIE DE MONTCHALIN
Le budget, c'est une urgence. Moi, je pense que les Français en ont marre. Ils en ont marre de voir que la classe politique attend toujours qu'on soit quasiment dans le mur pour se mettre d'accord. Et je remarque que sur la Sécurité sociale, il y a eu un compromis dans les temps qui fait que demain, eh bien, ce budget est remis au vote pour que nous ayons au 1er janvier des hôpitaux, des soignants, des retraités qui soient dans un cadre connu et puis qu'on puisse soutenir les urgences totalement...
SONIA MABROUK
Là, le Sénat a renvoyé la copie telle qu'elle affirmant que c'est un hold-up fiscal. Madame la ministre, le Sénat, comme vous dites, effectivement la copie est telle qu'elle, il vote dans ce texte un hold-up fiscal. Il n'a même pas voulu l'examiner.
AMELIE DE MONTCHALIN
Chacun ensuite a ses positions. Mais qu'est-ce qu'attendent de nous, les Français ? Pas des propos d'estrade. Ils attendent de nous que nous mettions d'accord et que nous donnions un budget au pays.
SONIA MABROUK
Mais sur quoi ? Réduction des dépenses.
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais je pense qu'un compromis est tout à fait possible à partir du moment où on se dit qu'à la fin, il faudra un budget pour la France. Vous me parlez de la loi spéciale. La loi spéciale, c'est le service minimum le temps qu'il y ait un budget. Et donc si certains pensent que vous voyez, on sera plus prêt le 20 janvier que le 20 décembre, ben moi, je pense qu'on peut peut-être se dire qu'on fait le compromis maintenant. Et le compromis, c'est quoi, maintenant ? Ce sont des sénateurs et des députés qui se réunissent probablement en fin de semaine.
SONIA MABROUK
La fameuse CMP, oui.
AMELIE DE MONTCHALIN
En commission mixte paritaire. Et au fond, la question, ce n'est pas que chacun ait raison pour lui-même, mais c'est qu'il donne un budget au pays.
SONIA MABROUK
Vous y croyez vraiment en une CMP conclusive, comme on dit ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, ce n'est pas seulement que j'y crois, c'est que j'y travaille. J'y suis engagée. C'est mon devoir vis-à-vis des Français que nous puissions donner ici et maintenant aux Français. Et on a parlé de toutes les crises. On a parlé d'agriculture. On peut parler d'économie. Vous avez des entreprises industrielles qui ferment aujourd'hui.
SONIA MABROUK
Oui, de réduction de dépenses surtout. On va en parler.
AMELIE DE MONTCHALIN
Vous avez effectivement des dépenses qu'il nous faut remettre au fond à la normale après des années de crise, du Covid ou de l'inflation en Ukraine qui ne sont plus là. Vous avez effectivement un grand plan d'économie que nous proposons pour l'État, qui après 2025, ça a été le plus grand plan d'économie, depuis 25 ans que nous continuons à maîtriser nos dépenses, à réduire notre train de vie, à remettre les politiques publiques là où les Français…
SONIA MABROUK
A continuer. La tendance n'était pas vraiment celle-là.
AMELIE DE MONTCHALIN
Je peux vous dire quelque chose. Depuis deux ans, la dépense de l'État a baissé, en valeur tout compris. Elle a un peu augmenté pour les collectivités et elle a augmenté pour les dépenses sociales, notamment parce que les retraites continuent d'augmenter. Mais pour l'État, et je le dis vraiment avec force, nous avons réduit nos dépenses comme nous ne l'avons jamais fait depuis 25 ans. Et ça veut dire quoi ?
SONIA MABROUK
Que vous pouvez encore continuer l'effort.
AMELIE DE MONTCHALIN
Ça veut dire qu'aujourd'hui, soit on tombe dans le cynisme, le buzz, les petites phrases, notamment des extrêmes.
SONIA MABROUK
Et c'est qui les extrêmes…
AMELIE DE MONTCHALIN
Quand je vois la France insoumise aller se gargariser, dire qu'on a voté le projet de naissance, et dans le même temps, c'est un texte, une proposition qui est dans le cadre du budget de la Sécurité sociale, vouloir voter contre ce texte, ça s'appelle le cynisme. Quand je vois le Rassemblement national qui dit : " Nous, on a voté pour la suspension des retraites », et qui dit aussi : « Nous, on va continuer à voter contre le budget qui porte cette mesure ", les Français n'y comprennent rien. Et donc je pense qu'il faut, un, se dire que le compromis est nécessaire, qu'il est possible que les Français nous le demandent, et que maintenant, effectivement, députés et sénateurs doivent pouvoir proposer un compromis au pays, plutôt que d'avoir au fond raison tout seul…
SONIA MABROUK
Et vous dites, Amélie DE MONTCHALIN, sans cynisme. Alors, y a-t-il du cynisme également dans votre politique industrielle ? Parce que depuis plusieurs mois et même plusieurs années, vous tenez un discours volontariste sur la réindustrialisation. Mais voilà que BRANDT, quand même, reconnaissons que c'est un emblème national, la dernière grande marque française dans son domaine, concurrencée par des pays, d'ailleurs, qui n'ont pas le même droit social. Vous ne cessez de parler de réindustrialisation. De quoi BRANDT est-il le nom pour vous ?
AMELIE DE MONTCHALIN
BRANDT, c'est à la fois la concurrence, c'est un enjeu de compétitivité, et c'est bien pour ça que ce gouvernement, et je peux vous dire que je me bats matin, midi et soir dans l'hémicycle, nous devons avoir un débat politique qui arrête de considérer les entreprises comme, au fond, celles qui peuvent payer toujours, toujours plus.
SONIA MABROUK
ELECTROLUX, VEDETTE, SAUTER, maintenant BRANDT. Ce n'est pas un peu une saignée industrielle sous votre autorité ?
AMELIE DE MONTCHALIN
La question, c'est est-ce qu'il y a d'autres filières qui émergent ? Si ces emplois, aujourd'hui, peuvent prendre le relais, est-ce que c'est dans la filière de l'énergie ? Est-ce que c'est dans la filière de l'innovation ? Est-ce que c'est dans la filière de l'aéronautique ? Est-ce que c'est dans la filière de la défense ? Il faut que les choses évoluent dans notre production. C'est possible. Il faut qu'on puisse accompagner…
SONIA MABROUK
On a encore envie d'avoir BRANDT, un électroménager estampillé français.
AMELIE DE MONTCHALIN
Et c'est pour ça que le Gouvernement a été très engagé pour qu'on trouve des repreneurs. Aujourd'hui, la concurrence est forte. Il faut qu'on soit lucide. Moi, mon objectif, c'est quoi ? C'est que les Français, les ouvriers, les employés de ces entreprises trouvent un nouvel emploi et donc que notre pays continue d'avoir de la croissance, de l'innovation.
SONIA MABROUK
Mais vous avez vu ce qu'a dit... Par exemple, madame la ministre, pourquoi il n'y a pas un droit de préemption des salariés pour reprendre une entreprise ? Parce que ce n'est pas une bonne idée ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce sont des choses qu'on avait mises dans une loi qui s'appelait la loi Pacte. On avait déjà beaucoup ouvert la possibilité. S'il faut changer les lois et les ajuster, moi, je n'y vois pas d'inconvénient. Mais à nouveau, pour moi, la clé, c'est que les hommes et les femmes aient des emplois, que notre pays continue d'avoir de la croissance et de la prospérité. Quand des filières sont concurrencées pour plein de raisons, il faut qu'on puisse accompagner les projets de reprise. Et quand il y a des difficultés, on les accompagne. Mais au niveau général, nous croyons, nous avec le Premier ministre, que les entreprises doivent être soutenues. Et c'est pour ça que, comme ils le disent souvent, nous ne ferons pas n'importe quoi avec le budget. Nous devons continuer à avoir une boussole, créer des emplois. Et quand certains vous disent la politique de l'offre qui a été menée, ce qu'il faut regarder, c'est ses résultats. Nous avons quand même réduit le chômage, et je finirai là, au plus bas depuis 20 ans. Il est à 7,5%. Je pense que ça, c'est quand même une bonne nouvelle pour les Français.
SONIA MABROUK
Enfin là... d'une saignée industrielle, je ne sais pas si les employés de BRENT écoutent ce discours-là et votre…
AMELIE DE MONTCHALIN
Et je peux leur dire l'engagement de l'État à les accompagner pour qu'ils retrouvent un emploi dans leur région.
SONIA MABROUK
Entendu. Je voudrais finir, vraiment, parce que vous êtes la ministre aussi en charge de l'Argent de la drogue. Dernière question, si c'est possible, une réponse rapide. Parce que sur ce front-là, il y a un volontarisme qui est affiché. Déplacement demain du Président, Marseille en grand. Le Président qui estime que l'État gagnera sa bataille contre les narcotrafiquants. Et en même temps, jamais les flux de cocaïne n'ont été aussi importants. On a des narcomicides. On a eu des magistrats marseillais qui ont tiré la sonnette d'alarme. On a eu le frère d'un militant, Amine KESSACI, qui a été tué. Est-ce qu'on peut vraiment dire, les yeux dans les yeux, qu'on va gagner cette bataille ?
AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord, on va la gagner. Parce qu'on doit la gagner. Et il y a des pays autour de nous qui l'ont gagnée.
SONIA MABROUK
À quel prix ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, à quel prix ? Précisément parce que l'État doit s'engager. On doit y mettre les moyens. Ça montre que, vous voyez, on n'attend pas nos 18 mois à se dire qu'on n'a rien à faire d'ici à la présidentielle. C'est une des priorités. La mienne, c'est de saisir l'argent de la drogue pour assécher, effectivement…
SONIA MABROUK
Combien à l'heure actuelle ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Nous avons, l'année dernière, en 2024, saisi plus de 600 millions d'Euros. Et nous saisissons aussi la drogue parce qu'il y a le produit et l'argent du produit. Je peux vous annoncer que jusqu'à la fin du mois de novembre, les douaniers ont saisi plus de 29 tonnes de cocaïne. C'est plus que l'ensemble de l'année 2024 qui était à 21 tonnes. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que la coopération européenne fonctionne, que nos moyens sont mobilisés, qu'on doit faire plus et qu'on doit effectivement continuer sous mon autorité et celle de tout le Gouvernement, d'aller regarder les enjeux de blanchiment, de lessiveuse, de tout ce qui, en fait, recycle ces plus de 7 milliards d'Euros d'argent en espèces qui alimentent toutes sortes ensuite de trafics et qui, aujourd'hui, minent le contrat social. C'est un engagement qui n'est pas des mots. Dans le budget, d'ailleurs, je le fais savoir, nous avons beaucoup de mesures nouvelles pour y arriver. Et c'est une des raisons de plus pour lesquelles nous devons avoir un budget dans les temps, parce que pas de budget dans les temps, c'est aussi une priorité que je crois que les Français…
SONIA MABROUK
C'est un peu la menace que vous faites planer à chaque fois.
AMELIE DE MONTCHALIN
Non. Ce n'est pas de la menace. C'est à un moment donné, vous savez, pour qu'un pays fonctionne, il faut qu'il ait un budget. Et ce n'est pas les sauterelles ou les cataclysmes. Je vous dis juste que voilà, sous mon autorité, vous avez des douaniers, vous avez TRACFIN, vous avez le renseignement et la lutte antifraude, pour que nous ayons les moyens d'agir, nous avons pris les dispositions de notre budget. Moi, j'espère que ce budget pourra être mis en oeuvre le plus tôt possible. Et c'est un des éléments de plus, tout comme le soutien aux agriculteurs, tout comme évidemment aussi le soutien à nos armées. On peut regarder l'ensemble des besoins prioritaires du pays.
SONIA MABROUK
Tous les chemins mènent au budget et nous verrons ce que cela donnera dans les prochaines heures et les prochains jours.
AMELIE DE MONTCHALIN
Effectivement, parce que vous savez, dans un pays, c'est la ressource des impôts qui finance les politiques publiques. Et le budget, il organise ce que les Français veulent financer et donc les priorités qu'il nous faut servir.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 décembre 2025