Interview de M. Nicolas Forissier, ministre délégué, chargé du commerce extérieur et de l'attractivité, à Public Sénat le 17 décembre 2 025, sur la contestation des agriculteurs concernant la lutte contre la dermatose bovine, l'accord avec le Mercosur, l'interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique ou hybride à partir de 2035 et le budget pour 2026.

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Média : Public Sénat

Texte intégral

ORIANE MANCINI
Bonjour Nicolas FORISSIER, merci beaucoup d'être notre invité. Vous êtes ministre déléguée chargée du Commerce extérieur et de l'Attractivité. On est ensemble pendant 20 minutes pour une interview en partenariat avec la Presse régionale représentée par Fabrice VEYSSEYRE-REDON du groupe EBRA, les journaux régionaux de l'Est de la France. Bonjour Fabrice.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Bonjour Oriane, bonjour Nicolas FORISSIER.

NICOLAS FORISSIER
Bonjour.

ORIANE MANCINI
On va commencer par la crise agricole, Nicolas FORISSIER. Face à la dermatose, le Gouvernement qui a donc annoncé hier plusieurs mesures dont une accélération de la vaccination dans le sud-ouest. Et malgré cela, vous l'avez vu, la colère ne retombe pas ; les agriculteurs ne lèvent pas les barrages. Est-ce que le Gouvernement est face à une situation qui devient politiquement hors de contrôle ?

NICOLAS FORISSIER
Non, je pense que la situation est celle d'une grande émotion dans le monde agricole et dans le monde des éleveurs du sud-ouest en particulier, mais c'est vrai aussi de l'ensemble des éleveurs, et je le dis en connaissance de cause. Moi, je suis l'élu depuis plus de 30 ans d'une région où on a beaucoup d'élevages allaitants, charolaise et limousine. Je sais ce que c'est pour un éleveur d'avoir soigné son troupeau de génération en génération avec un énorme travail génétique, avec une passion. Je crois qu'il faut bien comprendre ça. Et donc forcément il y a beaucoup d'émotions, forcément cette crise qui est très violente, qui est dangereuse, qui peut mettre en cause l'ensemble du cheptel français si on ne fait rien, si on est catastrophiste, tout ça crée beaucoup d'émotions, beaucoup de tensions. Il est normal que les choses prennent du temps pour revenir dans l'ordre parce que ça suppose qu'on ait été capable de juguler cette crise et d'éradiquer, comme ça a été le cas en Savoie et en Haute-Savoie, la dermatose et sa propagation.

ORIANE MANCINI
Mais sauf que là, le Gouvernement annonce les mesures, et il se passe… C'est-à-dire que les agriculteurs sont toujours autant en colère, est-ce que du coup... Comment vous allez réussir à calmer cette colère ?

NICOLAS FORISSIER
Mais c'est normal, c'est ce que je suis en train de vous dire, vous avez une grande émotion. Ce qui est important de comprendre c'est que le Gouvernement fait face - et je le dis avec beaucoup de gravité parce que la crise est grave - le Gouvernement fait face… Le Premier ministre, Sébastien LECORNU, nous a réunis à deux reprises - je faisais partie de cette petite task force ministérielle - pour vraiment regarder tous les éléments qui sont possibles, pour mettre en oeuvre vraiment le maximum de moyens, afin d'une part d'éradiquer cette propagation de la dermatose, qui est vraiment, encore une fois, un vrai risque pour nos éleveurs, et deuxièmement, d'accompagner et d'aider les éleveurs, notamment ceux qui ont été touchés, à pouvoir reconstituer leur cheptel, à repartir de l'avant avec confiance.
Alors ça va prendre du temps, c'est normal, il faut que les mesures puissent venir sur le terrain, ça passe d'abord par la vaccination de 750 000 bovins dans toutes les zones du sud-ouest, de façon à créer une sorte de corridor…

ORIANE MANCINI
En plus ?

NICOLAS FORISSIER
En plus, bien sûr, de façon à créer une sorte de corridor qui évite la propagation dans le reste du pays, parce qu'il y a une grande inquiétude aussi dans les autres régions. Tout le monde est concerné, donc il faut qu'on mette ça en oeuvre. Le Premier ministre l'a rappelé hier, mais on a des objectifs très rapides. On mobilise y compris des forces de l'armée française pour pouvoir transporter, aller chercher des doses supplémentaires. On va avoir 900 000 doses de vaccination, c'est-à-dire qu'au-delà de ce qui est prévu pour l'instant, de façon à avoir une marge de manoeuvre. On fait en sorte de mobiliser un maximum de vétérinaires, parce qu'on a besoin de bras pour vacciner tous les animaux un par un. Il y a un problème de contention, c'est-à-dire qu'il faut que les animaux puissent être " maîtrisés " ou " tenus " pendant la piqûre. C'est comme un humain, il faut qu'on soit là en situation. Et donc ça demande beaucoup de moyens, de bras, notamment on va avoir les vétérinaires de l'armée française, des vétérinaires volontaires, des étudiants volontaires pour revenir renforcer cette opération coup de poing.
Et puis derrière vous avez beaucoup de mesures qui sont évidemment mises en oeuvre pour accompagner financièrement et de façon très concrète nos éleveurs, et notamment les plus fragiles d'entre eux, pour aider à reconstituer les troupeaux très rapidement, parce que c'est leur métier, c'est leur vie, il faut les aider, et c'est un traumatisme. Et donc moi je le dis encore une fois en connaissance de cause, mais je crois qu'il y a une énorme implication de l'ensemble des ministres, y compris à mon niveau puisque, enfin je termine là-dessus, mais on a aussi un problème d'export.

ORIANE MANCINI
Non mais on va en parler, mais juste vous l'avez dit, vous étiez en réunion hier avec Sébastien LECORNU, hier matin, hier soir. Est-ce que le Premier ministre est inquiet de ce que pourrait devenir cette colère agricole dans les prochains jours ?

NICOLAS FORISSIER
Le Premier ministre, il est lucide, et il agit en conséquence. Et je pense qu'il a une extrême connaissance et une extrême compréhension de la situation sur le terrain. La crise agricole, elle existe déjà de façon latente depuis longtemps, moi j'étais…

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Il y a 20 ans, vous étiez en charge de l'Agriculture dans le Gouvernement RAFFARIN.

NICOLAS FORISSIER
Absolument.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Vous dites, cette crise est latente, elle est là. Des choses ont changé ?

NICOLAS FORISSIER
Je pense qu'on n'est plus dans la même époque qu'à l'époque de Jacques CHIRAC ou de Jean-Pierre RAFFARIN. Les conditions de concurrence en particulier ne sont pas les mêmes. On a quand même une explosion des épizooties ces dernières années, on le voit un peu à tous les niveaux, dans les différents élevages, en particulier l'élevage bovin en ce moment. Mais ça a été le cas et ça reste un danger possible en matière de grippe aviaire ou d'épizooties dans les élevages de tous ordres d'ailleurs. Donc je pense que les conditions sont différentes, la pression de la société sur le monde agricole est légitime, mais en termes sanitaires, en termes de bien-être animal, en termes d'évolution des pratiques, en termes d'aspiration écologique est plus prégnante. Et le monde agricole a un peu le sentiment, même si parfois c'est à tort - parce que je pense qu'il y a beaucoup de raisons de leur faire confiance et de dire qu'au contraire, ils ont beaucoup évolué, les agriculteurs - mais ils ont le sentiment d'être isolés. Donc peut-être que c'est plus fort aujourd'hui qu'il y a 20 ans, ça c'est vrai. Je rajoute qu'il y a une incertitude générale sur l'évolution du monde, la concurrence internationale. C'est ce qui explique par exemple, à mon sens, le rejet massif de l'accord Mercosur, même si…

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
On va en parler…

ORIANE MANCINI
Juste un mot, monsieur le ministre, est-ce que Sébastien LECORNU a prévu de se rendre auprès des agriculteurs, de se rendre sur les barrages, d'aller dialoguer avec eux comme l'avait fait Gabriel ATTAL ?

NICOLAS FORISSIER
Ce n'est pas à moi de vous répondre là-dessus ; la seule chose que je peux vous dire c'est que la préoccupation du Premier ministre et du Gouvernement à ses côtés, c'est d'abord de trouver rapidement des solutions à cette crise qui nous est imposée à nous tous, aux éleveurs comme au Gouvernement. On veut agir avant d'aller sur le terrain, il ne s'agit pas simplement d'aller sur le terrain pour dire : " On vous a entendu ", ce que fait – et c'est son job - Annie GENEVARD, très très bien.

ORIANE MANCINI
Il pourrait aller sur le terrain pour expliquer les mesures qui étaient mises en place hier.

NICOLAS FORISSIER
Mais il faut d'abord qu'on ait des solutions concrètes. Et ça a été l'objet de ces dernières réunions, de ces derniers jours, pour mobiliser toutes les forces possibles afin d'apporter des réponses.

ORIANE MANCINI
Est-ce qu'il y a d'autres réunions prévues, est-ce qu'il y a d'autres mesures envisagées ?

NICOLAS FORISSIER
On a des réunions de consultation, je le sais, notamment avec les syndicats agricoles, les professionnels. Il y a évidemment, tous les jours, un suivi. On a un préfet qui a été nommé spécifiquement pour justement suivre la mise en oeuvre très concrètement, heure par heure, des mesures de vaccination, des mesures de logistique qui vont de pair, et évidemment de tout ce qui concerne l'accompagnement…

ORIANE MANCINI
Il n'y a pas d'autres réunions avec le Premier ministre prévues pour le moment ?

NICOLAS FORISSIER
Il y en aura autant que de besoin. Sébastien LECORNU est quelqu'un d'extrêmement pragmatique, qui sent bien et entend bien ce qui se passe dans le pays, et qui veut simplement qu'on apporte collectivement des réponses avec beaucoup de rapidité.

ORIANE MANCINI
Et on le rappelle, vous êtes chargé du Commerce extérieur. 750 000 bovins de plus vaccinés, c'est l'annonce d'hier. Quel impact sur les exportations ?

NICOLAS FORISSIER
Quand ils sont vaccinés, normalement, ils ne peuvent plus, pendant un certain nombre de jours, avec des délais qui peuvent varier, être déplacés et être exportés. Donc la question, c'est comment on fait pour réduire au maximum, dans la discussion avec nos partenaires, les délais pendant lesquels ils ne sont pas exportables, le temps que la vaccination fasse son effet. C'est ce qu'on a obtenu en discutant avec nos amis Italiens pour les troupeaux qui avaient été touchés en Savoie et en Haute-Savoie. Donc on peut trouver des solutions. Ça passe aussi par…

ORIANE MANCINI
Et ça marche avec l'Italie ? L'accord est en vigueur depuis la semaine dernière ? C'est efficace ?

NICOLAS FORISSIER
Les conséquences, c'est ce que Annie GENEVARD, en l'occurrence, a pu négocier dans la foulée des mesures qui ont été mises en oeuvre en Savoie et en Haute-Savoie. Vous savez que la propagation de la dermatose est totalement éradiquée et arrêtée. Parce qu'en ce moment, on est dans une période, en plus, où on exporte beaucoup, notamment les jeunes bovins mâles, pour aller être engraissés en Italie. Cette tradition…

ORIANE MANCINI
Mais c'est pour ça, du coup, est-ce que c'est un coup dur pour des exportations de multiplier la vaccination ?

NICOLAS FORISSIER
Donc ça, ça a été mis en oeuvre pour les Italiens. Et l'objectif, c'est effectivement de discuter avec nos partenaires, notamment l'Italie et l'Espagne, où vont 90% de nos exportations bovines, en fait, en Europe, et pouvoir les rassurer sur les protocoles qui sont mis en oeuvre en France, sur le fait qu'on maîtrise la situation, qu'aujourd'hui, on a une situation qui est totalement stabilisée. Il faut qu'on termine le boulot, si je puis dire, avec notamment cette vaccination.

ORIANE MANCINI
Et vous en êtes où de ces discussions ? Est-ce que les bovins vaccinés vont pouvoir être exportés ?

NICOLAS FORISSIER
Ils vont pouvoir l'être, mais avec des délais qui sont encore à négocier dans certaines situations.

ORIANE MANCINI
C'est-à-dire ? Là, le délai, il est de combien aujourd'hui ? Vous espérez le ramener à combien ?

NICOLAS FORISSIER
Vous avez un délai qui peut être variable, mais qui fait que vous ne pouvez pas exporter vos bovins quand ils viennent être vaccinés.

ORIANE MANCINI
Donc vous travaillez pour réduire ce délai ?

NICOLAS FORISSIER
On travaille pour réduire ce délai parce qu'en réalité, il n'y a pas de raison que ça pose un problème.

ORIANE MANCINI
Autre sujet, c'est le Mercosur.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Oui, absolument. Le Parlement européen a adopté hier des mesures de sauvegarde pour limiter l'impact de l'accord commercial avec le Mercosur. Donc on rappelle cet accord de libre-échange entre l'Union européenne et les pays d'Amérique du Sud. Est-ce que d'abord, ça rend cet accord plus acceptable ? Et je vais un petit peu plus loin. Paris a demandé carrément le report de l'application de cet accord. Qu'est-ce qu'il faut en attendre ?

NICOLAS FORISSIER
La position de la France, elle est extrêmement claire. En l'état, l'accord tel qu'il a été arrêté, en fait, après un certain nombre d'étapes que je ne vais pas repasser en revue, mais en décembre dernier, en 2024 à Montevideo, il n'est en l'état pas acceptable pour la France, parce qu'un certain nombre de conditions ne sont pas remplies, des conditions que nous avons posées. La première des conditions, c'était cette clause de sauvegarde. Il y avait une deuxième condition qui était les mesures miroirs plus globales qui ne concernent pas que le Mercosur, sur le fait, en gros, que quand on impose des normes à nos producteurs, il faut que les produits importés aient subi les mêmes normes. On ne peut pas avoir des produits importés qui n'aient pas les mêmes contraintes que les nôtres. C'est un principe que la France défend depuis des années et sur lequel, peu à peu, on avance. Mais ça fait partie des conditions en particulier pour pouvoir accepter, de notre part, l'accord Mercosur. Et puis troisièmement, on l'a toujours dit, et moi, je pense que c'est extrêmement important à titre personnel, pour des raisons qu'on prive très pragmatiques de connaissances du terrain, il faut que des contrôles soient vraiment mis en place avec une vraie force, des vrais moyens pour vérifier qu'on ne nous raconte pas d'histoire, y compris quand, dans un élevage d'un pays par ailleurs ami, mais il peut se passer beaucoup de choses…

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
C'est possible ? C'est faisable, ça ? Est-ce que c'est faisable ?

NICOLAS FORISSIER
Oui, c'est faisable. On le fait bien dans nos exploitations. On le fait bien dans nos exploitations. Nos éleveurs dont on parlait tout à l'heure, ils sont très régulièrement contrôlés. Donc il n'y a aucune raison, si on signe un accord, qu'il n'y ait pas des vérifications sur le bon respect des clauses de cet accord. Donc c'est les trois grandes conditions françaises. D'accord ?

ORIANE MANCINI
Mais est-ce que là, le vote au parlement d'hier, ça rend l'accord plus acceptable ou pas ?

NICOLAS FORISSIER
Je vais y venir tout de suite. Clause de sauvegarde, mesures miroirs plus globales et contrôles vraiment renforcés. La clause de sauvegarde telle qu'elle a été adoptée hier, elle répond pour partie à la demande française. Et c'est déjà une avancée. La seule chose, c'est que nous, nous voulons qu'elle soit totalement opérationnelle, qu'elle soit réellement efficace. Donc on a mis... Alors on va rentrer dans la technique. Mais on a mis un certain nombre de conditions à tout ça. Par exemple le fait qu'il y ait la possibilité de changer les codes douaniers pour contrôler l'évolution des importations du Mercosur ou l'évolution des prix de ces importations. Par exemple sur l'aloyau, les pièces nobles du boeuf et pas simplement sur la carcasse globale. Donc ce genre de choses-là…

ORIANE MANCINI
Ça faisait effectivement partie des conditions de la France. Est-ce que ce matin, vous dites que l'accord Mercosur est du coup plus acceptable qu'il ne l'était ou il reste toujours inacceptable ?

NICOLAS FORISSIER
Non. Les choses ont progressé. Mais nous sommes encore dans l'attente de réponses précises.

ORIANE MANCINI
Donc vous le qualifiez toujours d'inacceptable.

NICOLAS FORISSIER
Donc en l'état, l'accord n'est pas, pour nous, acceptable. Je l'ai redit hier dans l'hémicycle du Sénat très clairement. La position de la France est très claire. Le Président de la République se bat, je tiens à le dire, pour justement que nous soyons pris en compte et que notamment on se donne le temps d'avoir les réponses. C'est la position de la France aussi. Et quand Sébastien LECORNU demande, dimanche dernier, d'avoir un report d'un certain nombre de semaines, peut-être d'un mois, deux mois, ce n'est pas pour embêter nos amis de l'Union Européenne.

ORIANE MANCINI
Mais qu'est-ce qu'il a eu comme réponse ?

NICOLAS FORISSIER
C'est parce qu'on a besoin d'avoir des réponses précises.

ORIANE MANCINI
Pardon, mais le temps tourne. C'est demain. Qu'est-ce qu'il a eu comme réponse sur le report du vote ?

NICOLAS FORISSIER
Ah bah ça, je ne peux pas vous dire à ce moment-là, à ce moment précis. Mais la France met la pression, si je puis dire, pour avoir des réponses précises. Et ça demande un peu de temps.

ORIANE MANCINI
Mais il n'a toujours aucune réponse sur le report du vote.

NICOLAS FORISSIER
Et nous avons un certain nombre de partenaires, d'ailleurs, qui sont sensibles à ces arguments. Je pense notamment à nos amis italiens qui ont les mêmes problèmes que nous au regard de cet accord. Il ne s'agit pas de bloquer, parce que moi…

ORIANE MANCINI
Pardon, monsieur le ministre. Ils sont sensibles, mais ils penchent de quel côté de la balance, les Italiens ? Est-ce qu'ils vont constituer une minorité de blocage avec vous ?

NICOLAS FORISSIER
La discussion européenne, elle n'est pas simple. Chaque pays a ses intérêts, sa propre analyse. Nous, nous faisons valoir la nôtre. Nous sommes extrêmement fermes. Nous avons déjà fait bouger les choses. Et je tiens à le dire, parce que j'entends parfois que la France est isolée, etc. Enfin si la clause de sauvegarde, si elle commence à être de plus en plus précise, si la Commission, la semaine dernière, nous a donné un certain nombre de premières réponses, par exemple sur les moyens de contrôle, etc., c'est aussi parce que la France s'est mobilisée. Et on va continuer à le faire, parce que c'est l'intérêt de nos filières et parce que c'est l'intérêt – moi, je le dis comme ministre du Commerce extérieur – d'avoir un accord qui soit finalement acceptable par tous, un bon compromis, comme on le fait à l'Assemblée ou entre l'Assemblée et le Sénat au niveau national.

ORIANE MANCINI
Est-ce que la France peut être en capacité de réunir cette minorité de blocage ? Est-ce que la France peut encore déchirer l'accord du Mercosur ?

NICOLAS FORISSIER
En l'état actuel, nous n'avons pas de minorité clairement définie. Je le dis, c'est clair. Mais en même temps, nous sommes dans une démarche qui est une démarche très constructive, qui vise au fond à se donner le temps, un peu plus de temps, pour obtenir toutes les garanties nécessaires qui permettront de vraiment rassurer, pas simplement en parole, mais en moyens, en actes, en procédures très concrètes, très opérationnelles, nos amis des filières agricoles qui peuvent être très inquiets d'éventuelles dérives qui viendraient les déstabiliser.
Et je le dis tout de suite parce que c'est important de le rappeler qu'il faut aussi être positif. Moi, j'essaie d'être positif. Il y a des risques sur la viande bovine, sur le sucre, sur la volaille, sur l'éthanol. Ça, on le sait. Et donc, on met tout en oeuvre. Et c'est ce qui bloque pour l'instant la situation pour que ces filières puissent avoir des garanties très opérationnelles pour être protégées si jamais il y a trop d'exports ou si les prix baissent trop. Mais je rappelle quand même que le lait et le fromage, les vins et spiritueux, l'industrie en général, les services, l'accès au marché public, la protection…

ORIANE MANCINI
Mais est-ce que vous n'êtes pas un peu tiraillé en tant que ministre du Commerce extérieur ?

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Un peu.

ORIANE MANCINI
Il y a d'un côté les agriculteurs qui n'en veuillent pas, mais d'un autre, est-ce que vous ne dites pas que le Mercosur, ce n'est quand même pas une mauvaise nouvelle pour notre balance commerciale ?

NICOLAS FORISSIER
Mais moi je pense que c'est une bonne nouvelle, tout accord de libre-échange, tout accord commercial signé entre l'Union Européenne et donc la France et un autre grand pays, une autre grande zone. C'est toujours une bonne nouvelle, sous réserve qu'il soit équilibré, sous réserve qu'il soit fait, comme on dit en anglais, juste, sincère, qu'il n'y ait pas des loups qui soient dangereux pour certaines filières sous réserve - et c'est le cas du Mercosur - qu'on ne sacrifie pas une ou deux filières au profit des autres. Et c'est d'ailleurs ce que l'ensemble de la communauté économique, patronat, industriel, grand syndicat, agroalimentaire, etc., pensent, et il y a de ce point de vue une certaine cohésion française. Simplement, il faut que nous, en avance, et mon boulot, c'est de dire que, un, nous sommes fermes, que nous ne sommes pas naïfs, parce que je pense que le commerce international, on ne doit plus être naïf, comme on l'a trop été pendant des années, mais en même temps, il faut aussi être capable, honnêtement, de reconnaître que c'est important. Et moi, les producteurs de vin spirituel, ils n'attendent qu'une chose, c'est que le Mercosur puisse être là pour diversifier, leur déboucher, parce qu'ils ont plus de difficultés en Chine ou aux Etats-Unis, par exemple.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Nous sommes en pleine crise agricole, vous l'avez dit, sociale aussi, pas que sur le plan de la santé. Si le report de la France, ce qui est demandé par la France, n'aboutit pas, qu'est-ce qu'on fait avec ces paysans ? Qu'est-ce que vous répondez à ces paysans ?

NICOLAS FORISSIER
Je vais vous dire très concrètement, si ça n'aboutit pas au niveau où nous le demandons, je veux quand même dire que nous aurons déjà obtenu beaucoup de garanties, y compris avec la première version de la clause de sauvegarde, y compris celle qui a été révisée et augmentée, rendue plus concrète ces derniers jours. Donc on a déjà un acquis de protection. Nous, on veut, c'est la position de la France, c'est d'aller le plus loin possible, et ce n'est pas simplement la clause de sauvegarde, je le rappelle, mais ce sont des engagements précis sur les mesures miroirs, c'est-à-dire, en gros, les normes phytosanitaires, sanitaires, par exemple, qu'on impose aux éleveurs ou aux producteurs de céréales d'autres pays, elles doivent s'appliquer à ces pays s'ils veulent rentrer chez nous, parce que chez nous, c'est comme ça.

ORIANE MANCINI
Mais quel recours si vous n'arrivez pas à obtenir la minorité de blocage ? Est-ce que, par exemple, vous allez saisir la Cour de justice de l'Union européenne pour faire barrage au Mercosur, comme vous l'a demandé le Sénat hier, il l'a voté à la quasi-unanimité ?

NICOLAS FORISSIER
En l'état actuel, c'est ce que j'ai dit aux sénateurs hier, le fait de saisir la Cour de justice européenne sur ce texte n'aurait aucun effet, en réalité, ne changerait rien au processus de majorité qualifiée ou non au sein du Conseil européen. Donc, je pense que, plutôt que de saisir la cour de justice qui pourrait avoir des conséquences, y compris sur la position de la France, la façon dont la France est considérée, y compris dans de futures négociations sur d'autres pays, nous préférons, et c'est ce que j'ai rappelé, nous battre pour avoir toutes les garanties nécessaires en matière de mesures miroirs, de contrôles, évidemment, pour améliorer la clause de sauvegarde.

ORIANE MANCINI
Nicolas FORISSIER, on va parler des voitures électriques, autre annonce hier de l'Union européenne.

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Oui, absolument, au niveau européen, la Commission européenne a décidé hier de revenir sur l'interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique ou hybride à partir de 2035. Est-ce que cette décision, vous la voyez, vous, comme une victoire pour notre industrie automobile ou comme un échec de notre transition énergétique ?

NICOLAS FORISSIER
Non, je pense qu'il y a une évolution qu'il faut saluer parce qu'il y a plus de souplesse, on a plus de temps. Ça correspond… c'est une réponse à des inquiétudes profondes de l'industrie automobile en général, pas simplement allemande, mais aussi française. Donc la position de la France qui demande depuis le début sans se dédire sur l'objectif de transition, je le précise, sans renoncer à l'objectif des véhicules électriques, mais qui demande d'être pragmatique et de se donner le temps pour permettre notamment aux industriels de faire eux-mêmes leur propre transition industrielle, leur évolution, sans être submergés par la concurrence notamment chinoise, parce que c'est ça le sujet. Cette demande de souplesse, de délai et de pragmatisme, elle a été entendue, et donc la France s'en félicite. Mais on ne renonce pas pour autant à ce qui constitue quand même au fond une obligation qui a été communément admise par tous, à la transition énergétique, à terme.

ORIANE MANCINI
Et quelles conséquences de cette décision pour notre industrie, pour notre industrie automobile ?

NICOLAS FORISSIER
Ecoutez, moi, je veux d'abord voir le texte très précisément pour pouvoir en parler, parce qu'on a eu ça hier soir, très tard. Mais simplement, ce qui est clair, c'est que tout ce qui est souplesse, tout ce qui est pris en compte des nécessités, des contraintes de la transition de nos industriels, tout ça va dans le bon sens, et c'est… Je crois, ce qu'on peut dire tout de suite après… La question, c'est aussi " Quelles sont les conditions du commerce entre notamment la Chine et les constructeurs européens ? ", ou américains d'ailleurs. C'est pour cette raison, et la France avait joué un rôle très important, là aussi, pour l'obtenir, que nous avions ré-établi, il y a deux ans, des droits compensatoires qui rééquilibraient par rapport aux prix de vente des véhicules chinois. Ça a eu des conséquences sur d'autres filières, c'est un peu la guerre, on a bien compris, mais il était essentiel que les véhicules chinois qui sont largement subventionnés en réalité par l'argent public soient vendus à un prix avec ces droits supplémentaires qui soit à peu près concurrentiel avec le coût de revient, le prix de vente français.

ORIANE MANCINI
Et on met les moyens suffisants pour lutter contre cette concurrence chinoise ?

NICOLAS FORISSIER
On fait tout ce qu'on peut pour être dans le débat, ce n'est pas facile. Vous savez, vous avez des sujets très précis qui ne sont pour l'instant pas résolus, je pense notamment au fait que les Chinois produisent et raffinent pratiquement 90% des terres rares et d'un certain nombre de métaux critiques, donc ils nous tiennent, si je puis dire. D'où la nécessité…

ORIANE MANCINI
Comment on peut sécuriser ces filières ?

NICOLAS FORISSIER
Je n'étais pas plus tard qu'hier avec mon collègue Sébastien MARTIN, ministre de l'Industrie, dans une réunion avec les filières industrielles, précisément pour mobiliser tout le monde, pour trouver les voies et moyens qui nous permettent de développer nos propres filières, pour être…

FABRICE VEYSSEYRE-REDON
Elles ont les solutions ?

NICOLAS FORISSIER
On a les solutions, si on s'en donne les moyens. Et s'il y a une volonté, ça passe notamment par le fait que les entreprises européennes achètent les terres rares qui sont produites ou raffinées par nos groupes. Mais on a aussi des solutions industrielles à mettre en place, en face, avec l'accompagnement de l'Etat, des projets qui nous permettront d'être beaucoup plus autonomes. Il faut à la fois – Comment dire ? - savoir extraire et raffiner ce que nous avons dans nos propres sols, savoir recycler, parce que ça c'est très important. Donc il faut éviter que des métaux issus de terres rares qui ont déjà été utilisés repartent à l'étranger, il faut les garder et les recycler chez nous. Et enfin, troisièmement, et ça, c'est ce qui est fait depuis un certain nombre d'années, mais on accélère vraiment, il faut qu'on diversifie nos partenariats avec un certain nombre de pays. Et actuellement, on a signé près d'une trentaine d'accords de partenariat dans le monde sur, justement, des sujets d'extraction minière ou de terres rares.

ORIANE MANCINI
Dernière question un peu plus politique, en ces temps budgétaires, Nicolas FORISSIER, vous qui venez des Républicains, est-ce que vous appelez les parlementaires républicains à voter le budget ? Est-ce que vous comprenez la position du président de votre parti, Bruno RETAILLEAU, qui les appelle à ne pas le faire ?

NICOLAS FORISSIER
Ce sont les députés qui votent à l'Assemblée, et je pense qu'ils ont été très clairs, y compris au moment du PLFSS, sur la nécessité de stabiliser la situation. Nous n'avons pas de majorité à l'Assemblée, mais pourtant, c'est à l'Assemblée que la décision finale se fait. Donc il faut savoir, à un moment, entendre les Français.
Vous avez 80% de l'électorat de la Droite, 80% de l'électorat de la Droite, toutes les études le disent, qui est favorable à ce qu'on stabilise la situation, y compris s'il y a des compromis avec notamment le Parti Socialiste ou les Verts. Vous avez 62 ou 63%, ça dépend des sondages, des Français qui demandent la même chose. Donc il y a un moment, il faut bien entendre que les Français, et les entrepreneurs en particulier, je suis bien placé pour en parler en tant que ministre du Commerce extérieur, ils veulent de la stabilité et de la visibilité.

ORIANE MACNINI
Bruno RETAILLEAU… ?

NICOLAS FORISSIER
Donc moi, je pense que voter ce budget, c'est stabiliser la situation, c'est permettre à nos entreprises de repartir, c'est permettre aux pays de fonctionner, parce que si on a une loi spéciale demain ou après-demain, eh ben je vais vous dire, on va encore perdre trois mois et ça va nous coûter une fortune. Et deuxièmement, et c'est très important pour moi, mais je ne l'entends pas trop finalement, je pense qu'il faut qu'on stabilise la situation pour avoir un débat précisément sur les sujets que Bruno RETAILLEAU évoque, et d'autres. Il faut que 2026 soit le moment du débat public où on clarifie, où on dit les vérités, où on dit les choses, où on fait de la comparaison internationale pour préparer 2027, et les Français trancheront. Mais si on ne se pose pas, on ne peut pas avoir ce débat. On va continuer à être dans les postures, dans les concurrences et dans l'incertitude totale, ce qui fait que, très concrètement, dans ma ville de la Châtre, moi, les commerçants dans le Berry, ils me disent : " Ben on ne vend rien, parce pourquoi ? " Ben les consommateurs, ils sont inquiets, ils épargnent comme jamais. Donc il faut sortir de cette spirale. Et c'est là que je ne suis pas totalement en accord avec Bruno, mais il a d'autres perspectives.

ORIANE MANCINI
On peut dire en désaccord complet quoi.

NICOLAS FORISSIER
Il a d'autres perspectives, Ce n'est pas les miennes.

ORIANE MANCINI
Il fait de la politique.

NICOLAS FORISSIER
Non, il a une vision qui est différente, un agenda qui est différent, mais je pense que dans le moment, et c'est pour ça que moi, je suis rentré au Gouvernement, il faut qu'on se concentre sur l'intérêt général du pays à court terme et à moyen terme, et qu'on permette d'avoir ce débat, et les Français trancheront en 2027.


source : Service d'information du Gouvernement, le 18 décembre 2025