Déclaration de M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie, sur la filière automobile, au Sénat le 26 novembre 2025.

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Circonstance : Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains au Sénat

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l'avenir de la filière automobile.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes. L'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie pour une minute.

Dans le débat, la parole est à M. Alain Cadec, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un peu plus d'un mois, la commission des affaires économiques du Sénat adoptait les conclusions de la mission d'information sur l'avenir de l'industrie automobile française, que j'ai conduite avec nos collègues Annick Jacquemet et Rémi Cardon.

Dans notre rapport, nous alertons sur la situation catastrophique de l'industrie automobile française, qui – n'ayons pas peur des mots – est à l'agonie.

À mesure que les jours passent, l'avenir de la filière devient de plus en plus hypothétique.

Il y a un an déjà, Luc Chatel, auditionné par la commission des affaires économiques, nous avait avertis : " L'industrie automobile française peut disparaître. " C'est précisément ce qui est en train de se produire.

Après les plans sociaux chez Michelin et Valeo, à l'automne dernier, les usines Stellantis de Sochaux, Mulhouse et Poissy viennent d'être mises partiellement à l'arrêt.

La crise se propage désormais aux sous-traitants : il y a quelques jours, l'aciériste NovAsco, fournisseur d'aciers spéciaux pour les carrosseries, a supprimé quelque 500 emplois. En tout, trois usines seront fermées.

Les causes de ce désastre sont bien connues, monsieur le ministre.

La première, c'est la contraction sans précédent du marché. Depuis la crise sanitaire, les ventes de véhicules neufs ont chuté d'environ 20%, ce qui est considérable. Les ventes de véhicules électriques ne sont absolument pas à la hauteur des attentes. La part des ventes de voitures tout électrique et hybrides rechargeables a même baissé en France, en 2024 et en 2025.

La seconde, c'est la concurrence massive et débridée exercée par la Chine, qui est aujourd'hui le premier producteur de véhicules au monde. Un tiers de la production mondiale et deux tiers des voitures électriques viennent de ce pays.

La Chine produit aujourd'hui plus de véhicules que l'Europe et les États-Unis réunis. Elle est devenue en 2023 le premier exportateur mondial. Ses surcapacités inondent littéralement le marché mondial et notamment européen.

Quasiment inexistantes il y a quelques années, les importations de véhicules chinois en Europe ont été multipliées – tenez-vous bien, mes chers collègues – par quinze depuis 2019. La raison première de ce déferlement est simple : des prix inférieurs d'environ 30% à ceux des véhicules produits sur notre continent.

Pourquoi l'Europe est-elle pour sa part en train de décrocher ? Pour une raison que nous connaissons tous également : le manque d'ambition industrielle de la France et de l'Europe face à une Chine volontariste et planificatrice, qui a anticipé depuis des années les évolutions réglementaires des principaux marchés mondiaux. Elle a fait ce choix, non pas par vertu écologique, mais parce qu'elle a parié sur la technologie électrique, dans une logique de planification industrielle.

Nous, Européens, avons comme toujours choisi de réglementer le marché sans nous préoccuper des capacités de notre industrie à suivre ; sans sécuriser les investissements dans les technologies d'avenir et dans l'adaptation de l'appareil productif ; sans nous assurer non plus de notre maîtrise de la chaîne de valeur, puisque, je le rappelle, 80% des batteries utilisées dans les véhicules aujourd'hui produits en Europe viennent d'Asie.

Le péché originel est évidemment le Pacte vert, ou Green Deal européen, qui a fixé à 2035 l'échéance des ventes de véhicules thermiques neufs en Europe.

Cet objectif a été retenu au doigt mouillé, sans réelle étude d'impact, sans concertation avec ceux qui sont pourtant tenus de l'atteindre, à savoir les industriels. Je rappelle que, la Californie exceptée, nous sommes les seuls au monde à avoir commis cette folie.

Si les réglementations n'ont jamais fait une ambition industrielle, les constructeurs européens ont joué le jeu. Ils ont consenti des investissements considérables pour se mettre au diapason de la transition verte, mais le marché ne décolle pas.

Pour nos industriels et pour tous les salariés de nos usines automobiles, la transition vers l'électrique à marche forcée n'est pas une chance : c'est une menace existentielle.

La survie de notre industrie automobile est pourtant un enjeu de souveraineté. L'industrie automobile fait vivre pas moins de 350 000 salariés, répartis dans plus de 4 000 sites très structurants pour les territoires concernés. Véritable épine dorsale de l'industrie française, elle irrigue aussi de nombreux autres secteurs industriels.

À défaut de commandes suffisantes de la part du secteur automobile, certains sous-traitants risquent de disparaître, ce qui aurait des conséquences dramatiques pour des industries comme la chimie ou la métallurgie. À terme, c'est notamment notre capacité de production militaire qui pourrait s'en trouver affaiblie.

Dans notre rapport, nous proposons dix-huit mesures, dont la majorité doivent être mises en œuvre à l'échelle européenne, pour tenter de sauver l'industrie automobile française.

Tout d'abord, nous plaidons pour un relèvement massif des droits de douane sur les véhicules chinois et sur les composants clefs, complété d'un seuil minimum de contenu européen dans les véhicules vendus en Europe, afin de prévenir l'implantation d'" usines tournevis " chinoises. C'est une mesure urgente et nécessaire pour éviter que notre industrie automobile ne soit balayée, comme la téléphonie et la sidérurgie avant elle.

Ensuite, nous préconisons – c'est désormais une évidence – de repousser la date d'interdiction de vente des véhicules thermiques neufs. L'extinction du thermique devra non seulement être progressive, mais suivre un calendrier fixé après consultation des acteurs industriels. Continuer de s'arc-bouter sur l'échéance de 2035, comme l'Europe l'a fait jusqu'à maintenant, emporterait un coût économique, social et écologique gigantesque.

Pourquoi faire l'impasse sur les hybrides rechargeables, dont les performances en matière d'émissions se sont considérablement améliorées, ou sur les véhicules électriques avec prolongateur d'autonomie, ou Range Extender, qui contribuent à la décarbonation tout en répondant aux besoins des usagers ?

Alors que l'âge moyen du parc automobile ne cesse d'augmenter, les solutions décarbonées pour le thermique sont appelées à jouer un rôle majeur dans la réduction des émissions à court terme. C'est pourquoi nous demandons également, en sus du report de la date butoir de 2035, une réelle application du principe de neutralité technologique. Il s'agit de laisser à l'industrie le soin de trouver les meilleures voies vers la décarbonation en tirant parti de nos points forts, notamment les biocarburants, une solution que, contrairement à l'électrique, nous maîtrisons.

Monsieur le ministre, dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, votre gouvernement propose pourtant d'augmenter les taxes sur les biocarburants. Mais ce n'est pas le pire : quelques jours après la publication de notre rapport, le Président de la République réaffirmait sa volonté de maintenir coûte que coûte à 2035 l'échéance des ventes de véhicules thermiques neufs.

M. Rémy Pointereau. Eh oui !

M. Alain Cadec. Les uns et les autres n'ont que le mot de réindustrialisation à la bouche. Les « vertueux » Allemands eux-mêmes se sont convertis au report du tout électrique : à quoi joue le Gouvernement ? (M. Olivier Paccaud s'exclame.)

Je le répète, l'industrie automobile française est à l'agonie. Ce mot est choisi à dessein. Vous le savez sans doute, son étymologie l'associe au combat.

Tous les acteurs de la filière – constructeurs, équipementiers, sous-traitants, concessionnaires – nous l'ont dit : l'industrie automobile française est en ordre de marche, prête à tirer parti de la richesse de son écosystème, de ses savoir-faire et de sa recherche de pointe pour reconquérir la place qu'elle détenait historiquement dans la compétition mondiale. C'est un combat difficile, mais elle y est prête, pour peu, naturellement, qu'on lui en donne les moyens.

Pour cela, nos industriels ont besoin de temps. Ils ont besoin de nous ; ils ont surtout besoin de vous, monsieur le ministre. Ils ont besoin de la voix de la France à Bruxelles pour porter nos recommandations.

Vous ne réindustrialiserez pas la France sans l'industrie automobile. Nous avons besoin d'une stratégie claire et ambitieuse pour éviter que notre pays ne devienne le simple consommateur de produits et de technologies dont il a perdu la maîtrise.

Je souhaite donc que vous nous éclairiez quant aux intentions du Gouvernement dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Alain Cadec, avant d'entrer dans ce débat qui promet d'être riche, permettez-moi de vous répondre en quelques mots.

Je ne voudrais pas que vous doutiez de la volonté du Gouvernement d'être aux côtés de notre industrie. (Marques de circonspection sur les travées du groupe Les Républicains.) Je me suis du reste rendu récemment sur le terrain, dans le département de l'Allier.

En octobre 2024, les droits de douane ont été relevés, si bien qu'ils se situent désormais, en fonction des véhicules, entre 30% et 50%. Après la mise en place de l'écoconditionnalité en 2023, qui a eu pour conséquence de réduire la part de marché des véhicules chinois de 41% à 18%, ce relèvement des droits de douane a eu pour effet de porter cette part à 14%.

Je tenais à rappeler ces chiffres en préambule, avant de revenir plus longuement sur l'ensemble des sujets que vous avez abordés. Je pense également à la préférence européenne pour le contenu local : je regrette que vous ne l'ayez pas évoquée,…

M. Alain Cadec. J'en ai parlé !

M. Sébastien Martin, ministre délégué. … car elle me paraît constituer la véritable réponse aux interrogations que vous soulevez.

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. Rémi Cardon.

M. Rémi Cardon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis pour débattre de l'avenir de la filière automobile.

Nous tous ici, sans doute, faisons nôtre le constat alarmant dressé dans le récent rapport qu'Alain Cadec, Annick Jacquemet et moi-même avons réalisé au nom de la commission des affaires économiques. Notre filière automobile, pilier historique de l'industrie française, traverse l'une des plus profondes crises de son histoire.

Cette crise n'est pas le fruit du hasard : elle découle de deux décennies de délocalisations et de l'affaiblissement progressif de nos capacités industrielles.

Au travers de ce rapport, nous tirons la sonnette d'alarme. Les ventes chutent, la production s'effondre et les constructeurs voient leurs marges diminuer, au moment même où ils doivent investir des dizaines de milliards d'euros pour réussir le passage à l'électrique sur les chaînes de production.

Pendant ce temps, la concurrence chinoise roule sur l'Europe, portée par une politique industrielle d'ampleur, un accès privilégié aux matières critiques et, bien sûr, une avance technologique considérable.

Face à cette situation, notre responsabilité politique est immense. Il s'agit non pas de ralentir, mais d'accélérer la transition écologique et de la rendre soutenable pour tous les Français.

Mes chers collègues, nous ne devons pas pour autant céder au fatalisme. À l'inverse, nous devons tout faire pour déjouer les pronostics, pour faire mentir ceux qui annoncent le crash de notre industrie automobile, ce qui suppose selon moi d'observer trois exigences majeures.

La première exigence, relative à la politique de l'offre et à la politique commerciale, consiste à protéger notre souveraineté industrielle en resserrant les règles qui encadrent le contenu européen minimal et en relevant drastiquement les droits de douane.

Si l'Éco-score nous protège d'une invasion de véhicules chinois, les droits de douane sont-ils suffisants, monsieur le ministre ? Pour ma part, j'estime qu'une fourchette de 30% à 50% est encore insuffisante.

Au-delà des règles relatives au contenu minimal européen, qui pourraient du reste être complétées par des transferts de technologies obligatoires en contrepartie de l'accès au marché européen (M. le ministre acquiesce.), nous devons nous prémunir contre toute concurrence déloyale intra-européenne. À ce titre, je pense à la Hongrie, où le constructeur chinois BYD s'est récemment implanté. Il me paraît essentiel que la Commission européenne régule davantage le marché intérieur. De même, nous devons surveiller avec précaution l'industrie de certains pays proches de notre continent, comme le Maroc et la Turquie, dont les marchandises ne sont pas soumises à des droits de douane renforcés.

La deuxième exigence – à cet égard, je m'éloigne quelque peu de mes deux corapporteurs – est le maintien de notre ambition en matière d'électrification de notre parc automobile. Les constructeurs que nous avons entendus estiment d'ailleurs que la véritable difficulté tient bien moins à la fameuse échéance de 2035 qu'à la norme européenne dite Cafe (Corporate Average Fuel Economy). Je précise que l'échéance de 2035 s'applique à la seule vente de véhicules thermiques neufs. Les véhicules thermiques pourront évidemment continuer de rouler après cette date.

La troisième et dernière exigence nous appelle à repenser notre stratégie industrielle à l'aune d'une politique de la demande. Le leasing social conditionné à l'Éco-score est certes une bonne chose, mais encore faut-il qu'il soit accessible à la classe moyenne et, plus encore, aux classes populaires. Ce dispositif étant réservé aux particuliers dont le revenu fiscal annuel est inférieur à 16 300 euros, il n'est pas accessible aux smicards, dont les revenus annuels avoisinent 17 000 euros.

Monsieur le ministre, il faut donc repenser ce dispositif et accentuer nos efforts pour accélérer l'achat de voitures électriques. J'espère vivement que vous souscrirez aux trois exigences que je viens d'énoncer et que vous serez en mesure de faire des propositions en ce sens.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. L'échéance de 2035 n'est pas et ne doit pas être un dogme, monsieur le sénateur Cadec. Nous sommes ouverts à des assouplissements.

M. Rémy Pointereau. Enfin !

M. Alain Cadec. Nous sommes heureux de l'entendre !

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Parallèlement, monsieur le sénateur Cardon, nous devons bien sûr avancer dans le sens du contenu local et de la préférence européenne.

Notre objectif à tous est de pérenniser l'industrie française et européenne…

M. Rémy Pointereau. Eh bien, c'est mal parti…

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Nous devons assurer ces assouplissements tout en avançant en faveur du contenu local.

Nous devons atteindre 75% de contenu local dans nos véhicules. Si nous restons sous ce seuil, nous serons condamnés à de nouvelles fermetures d'usines ; mais si nous le dépassons, nous pourrons en rouvrir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tel est le combat commun que nous devons mener. Nous devons œuvrer à un assouplissement général des règles, au sein d'une Union européenne plus réactive et plus protectrice de son marché et de son industrie. C'est ainsi que nous défendrons la production française.

Nous nous rejoignons quant aux objectifs et nous disposons, pour les atteindre, d'un certain nombre de moyens. Toutefois, je veux tordre le cou à l'idée selon laquelle nous refuserions obtusément toute discussion de l'échéance de 2035 : nous sommes ouverts à des assouplissements, mais nous avons à cœur de défendre nos usines par la préférence européenne. (MM. Alain Cadec et Pierre Cuypers applaudissent.)

M. Rémy Pointereau. Enfin !

Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Cardon, pour la réplique.

M. Rémi Cardon. Merci, monsieur le ministre, de ces éléments de réponse.

Je souligne que les efforts d'électrification du parc automobile, en particulier l'accélération de la production de batteries, ont emporté la création de 30 000 emplois, notamment dans les Hauts-de-France.

Au-delà du constat fataliste que l'on ne peut que dresser, au-delà des pertes d'emplois dans le secteur de l'automobile, que l'on ne peut que déplorer, le développement de la filière de la batterie est à même de nous rassurer. Nous devons renforcer les moyens que nous y consacrons déjà.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier chaleureusement Alain Cadec, ses deux corapporteurs ainsi que les élus du groupe Les Républicains de l'organisation de ce débat.

Depuis vingt ans, nous dressons le même constat : la filière automobile est mise à mal. Malgré des alertes répétées, rien ne change, et la situation s'aggrave.

Les objectifs de souveraineté, de réindustrialisation ou de transition écologique sont dans toutes les bouches, dans tous les discours gouvernementaux. Mais dans les ateliers, les fonderies, les usines d'emboutissage ou de plasturgie, la réalité est tout autre. Les salariés voient surtout les chaînes s'arrêter et les sites fermer.

Les chiffres sont bien connus : en vingt ans, nous avons perdu 114 000 emplois industriels dans l'automobile et la Plateforme automobile anticipe 80 000 suppressions supplémentaires d'ici à 2030. La production nationale est tombée à son plus bas niveau depuis 1962, entraînant l'explosion de notre déficit commercial automobile, qui a atteint 24 milliards d'euros l'an dernier.

Ce n'est pas un accident : c'est la conséquence directe de choix politiques conscients, qui nourrissent une spirale de désindustrialisation.

Dans le même temps, l'argent public continue de couler sans transparence, sans conditions, sans suivi ni évaluation. Entre 2020 et 2022, près de 6 milliards d'euros d'aides ont été versés à la filière, sans aucune exigence de maintien de l'emploi, de consolidation de la sous-traitance ou de relocalisation des productions stratégiques.

Si les gouvernements successifs font mine de regretter cette situation, ils n'ont jamais ne serait-ce qu'essayé de corriger le tir. Les donneurs d'ordre ont les mains libres pour organiser une mise en concurrence permanente et fermer les sous-traitants les uns après les autres : Dumarey, Novares, Inteva, Tenneco, Snop, la SAM, la MBF, Valeo – et la liste est encore longue.

Le schéma est toujours le même : baisse des commandes, mise en concurrence avec des pays socialement moins-disants. Tout est organisé pour présenter la liquidation comme la seule option. Et lorsque les salariés, qui sont les seuls à être véritablement attachés à la sauvegarde des savoir-faire et de leur outil de travail, luttent contre ces pratiques, le refrain est toujours le même : " Nous ne pouvons pas aller contre le marché ; nous n'avons pas prise sur les décisions des donneurs d'ordre, car l'Europe ne nous le permet pas ".

Le résultat est clair. La sous-traitance, colonne vertébrale de la filière, est en train de s'effondrer. Les petites et moyennes entreprises qui structurent nos territoires disparaissent dans l'indifférence.

Dans le département dont je suis élu, l'une des dernières entreprises présentes sur le site historique de PSA (Peugeot Société anonyme) d'Aulnay-sous-Bois, MA France, sous-traitant de Stellantis, a fermé pour délocaliser sa production en Turquie, malgré la mobilisation des travailleurs et des travailleuses.

Telle est la conséquence du modèle défendu par les gouvernements successifs, sacrifiant la logique industrielle sur l'autel de l'objectif du coût immédiat.

Certains, sur les travées de cet hémicycle, doivent assumer leur part de cette responsabilité politique. À force de répéter que la baisse du coût du travail est la seule voie, nous organisons notre propre désindustrialisation. Le moins-disant social n'a jamais créé une nation industrielle. Jamais !

Que dire, par ailleurs, du prix de l'énergie ? Comment investir lorsque personne ne peut garantir les prix des prochains mois ? Cette incertitude encourage les délocalisations. Le problème, lui aussi connu depuis longtemps sans que rien ne se passe, c'est la dérégulation du marché européen.

Enfin, une question essentielle demeure : pour qui fabrique-t-on des voitures ? Un véhicule neuf coûte désormais autour de 35 000 euros, et l'âge moyen du premier achat s'établit à 57 ans. La voiture populaire a disparu et, avec elle, l'accès des jeunes, des salariés modestes et des classes populaires à l'automobile.

Alors que la Chine propose des voitures électriques à moins de 10 000 euros et que le Japon produit de petites voitures fiables et économiques, nous nous enfermons dans la production de modèles toujours plus lourds et plus chers, que personne ne peut acheter.

Il faut donc repenser tous nos modèles pour les rendre moins chers, moins lourds et plus accessibles.

M. Thomas Dossus. C'est vrai !

M. Fabien Gay. La transition écologique peut être un moteur de la réindustrialisation, mais, si nous continuons ainsi, elle s'incarnera uniquement dans une transition sociale brutale.

Il est temps de reprendre la main, de conditionner les versements d'argent public ; de protéger la sous-traitance en inversant le rapport de force avec les donneurs d'ordre – c'est le sens de la proposition de loi visant à encadrer la responsabilité des donneurs d'ordre vis-à-vis des sous-traitants, soutenue par les salariés de LSI – ex-GM&S – ; de garantir un prix de l'énergie stable ; et, enfin, de relancer la voiture populaire, produite en France, accessible et compatible avec nos objectifs environnementaux.

Nous disposons des savoir-faire, des ingénieurs, des ouvriers, des territoires et des centres de recherche dont nous avons besoin pour mener ce combat. Il ne nous manque qu'une volonté politique ferme de défendre nos emplois, nos savoir-faire et notre souveraineté industrielle.

Mes chers collègues, écoutons les travailleurs et les travailleuses de la filière : ils nous montrent le chemin à suivre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Marc Laménie et Henri Cabanel applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Fabien Gay, je connais votre combat pour le contrôle des aides versées aux entreprises. Pour intéressant qu'il soit, ce débat mérite à mon sens d'être mis en perspective. Si nos entreprises se portaient si bien que vous semblez le penser, elles n'auraient pas besoin de ces aides.

Face à la concurrence déloyale exercée, notamment, par la Chine, j'estime au contraire que notre tissu économique doit être soutenu d'une manière ou d'une autre par la puissance publique.

Vous avez évoqué 6 milliards d'euros d'aides qui ne seraient pas conditionnées. Les 3,5 milliards d'euros alloués à la production de batteries, notamment dans la région des Hauts-de-France, sont pourtant bien conditionnés à la constitution d'une véritable filière. Quant aux 2 milliards d'euros consentis aux constructeurs et aux équipementiers, ils vont de pair avec des projets d'investissement et de transition.

Il est donc faux de dire que ces aides ne sont pas conditionnées.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.

M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, le combat pour le contrôle des aides publiques n'est pas le mien. Il devrait être le nôtre, et avant tout le vôtre, en tant que ministre chargé de l'industrie.

Nous n'avons jamais dit qu'il ne fallait pas soutenir l'économie réelle – au moment où la Chine et les États-Unis investissent des centaines et des centaines de milliards, ce serait une folie. Ce que nous souhaitons, c'est que ces aides s'inscrivent dans le cadre de politiques publiques ciblées.

Pendant la crise covid, je me suis beaucoup déplacé, notamment à la rencontre de sous-traitants qui percevaient des aides pour maintenir l'emploi. Au lendemain de la crise, les emplois ont disparu en même temps que les aides, car celles-ci n'ont jamais été conditionnées au maintien des savoir-faire ou des sites industriels.

Enfin, je tiens à revenir sur le sujet de la batterie électrique. Non seulement l'écart est grand entre les effets d'annonce et la réalité, mais le développement de cette filière se fait au détriment de tous les autres composants, dont nous délocalisons la production en Europe ou ailleurs dans le monde. La perte de notre souveraineté sur l'ensemble de la chaîne de production qu'emporte cette hyperspécialisation devrait également vous préoccuper.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la filière automobile européenne traverse une crise profonde. Pour espérer trouver des remèdes, il nous faut analyser lucidement ce qui nous a conduits à cette situation.

La voiture appartient à l'histoire industrielle française. Dans notre pays, pionnier en la matière, l'automobile a été pendant des décennies le symbole de la mobilité et donc de la liberté.

Cet attrait est pour beaucoup toujours vivant. L'automobile reste en effet un outil indispensable pour de nombreux Français au quotidien, qu'ils soient éloignés des réseaux de transports en commun ou qu'ils doivent parcourir des distances incompatibles avec les modes de déplacement doux.

Si nos modes de déplacement connaissent des évolutions, ils n'ont pas fait l'objet d'une révolution. Comment, dès lors, expliquer l'agonie de notre filière automobile ?

Pour qui veut bien regarder la situation, deux raisons sautent aux yeux.

Premièrement, le coût des voitures neuves a explosé en l'espace de quelques années. Si ce phénomène tient à diverses raisons, l'entêtement des constructeurs à développer le créneau des berlines et des SUV y est pour beaucoup. Ils conçoivent des véhicules toujours plus lourds, toujours plus spacieux, bardés de gadgets toujours plus nombreux et inutiles.

En six ans, le prix moyen d'un véhicule neuf est passé de 26 000 à 36 000 euros. Le coût est devenu un obstacle de taille. Le marché du véhicule neuf est désormais réservé à une minorité, ce qui ne fait qu'alimenter le sentiment de frustration d'un certain nombre de nos concitoyens.

Deuxièmement, les débouchés extérieurs pour ces gros modèles thermiques onéreux, en particulier le marché chinois, se sont progressivement fermés. Certains ont certes la solution : bradons donc notre agriculture avec le Mercosur, pour essayer de vendre encore quelques berlines thermiques en Amérique latine !

Bref, en s'entêtant dans le thermique quand l'avenir est à l'électrique, en se focalisant sur un segment du marché inabordable pour une majorité de foyers, les constructeurs européens ont eu tout faux. Devenus de grands groupes mondialisés, ces derniers délocalisent, sous-traitent et méprisent leurs salariés. Leur seul but est de maximiser leurs marges, si bien qu'ils refusent d'investir suffisamment dans l'outil industriel.

L'heure étant aux vérités alternatives, beaucoup estiment que tout cela est de la faute des écologistes, qui veulent interdire la vente de véhicules thermiques neufs – je le souligne – en 2035.

M. Rémy Pointereau. Ça c'est vrai ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Salmon. Ce serait également la faute de Bruxelles, voire de l'Allemagne.

Bravo ! Quelle lucidité, quelle clairvoyance ! Nous avons fait fausse route, mais ne changeons surtout pas de cap. Nous sommes les meilleurs pour le moteur thermique, et le monde comprendra bientôt son erreur…

Eh bien non, mes chers collègues ! Il n'y aura pas de retour au véhicule thermique. Malgré la désinformation, malgré le climatoscepticisme qui gagne du terrain, l'avenir est à la sobriété, à l'efficacité et à la décarbonation. (M. Alain Cadec manifeste son scepticisme.)

Si les mobilités changent, la voiture restera longtemps indispensable pour de nombreux Européens, à condition d'être électrique, adaptée aux déplacements du quotidien, plus petite, plus légère, plus sobre en gadgets. De ce fait, elle sera beaucoup plus économe en matières, infiniment moins chère et beaucoup plus écologique.

M. Rémy Pointereau. Ce n'est pas le cas dans les faits !

M. Daniel Salmon. Contrairement aux véhicules chinois, cette voiture devra être durable, c'est-à-dire équipée de batteries facilement amovibles et réparables.

C'est un enjeu social, au regard du poids des dépenses contraintes dans les revenus des ménages. C'est également un enjeu de santé publique.

Dans ce domaine comme dans d'autres, la France partait sur de bonnes bases. Mais la recherche de profit à court terme a plombé l'avance technologique qui avait permis le lancement de la Zoé et de la Kangoo dès 2011. Or quelque 14 milliards d'euros de subventions et de prêts garantis ont été déployés : quel résultat, mes chers collègues !

Si nous voulons sauver et transformer notre filière automobile, l'État doit redevenir stratège. Il doit proposer une stratégie industrielle crédible.

La France ne pourra pas tout faire, sans doute, mais elle peut redevenir un pilier européen en choisissant ses batailles et en concentrant ses moyens sur quelques maillons clefs, en coordination avec ses voisins, afin d'éviter entre nous une concurrence stérile.

Elle devra aussi conditionner strictement l'octroi d'argent public : chaque euro doit créer de l'emploi ici, renforcer nos capacités industrielles et accélérer la transition écologique. L'État doit assumer son rôle d'actionnaire chez Renault et Stellantis. Il doit exiger des engagements concrets.

La transition vers l'électrique doit s'accompagner d'un véritable contrat social, impliquant un effort de reconversion, de formation et d'accompagnement dans les territoires fragilisés. Les flottes d'entreprise doivent s'orienter massivement vers le véhicule électrique, afin d'abonder ensuite un marché de seconde main et de rendre le véhicule électrique abordable. Je rappelle qu'en France six véhicules achetés sur sept sont de seconde main.

Toutefois, rien ne sera possible si l'Europe reste une passoire. Nous avons besoin d'une Union européenne qui protège, qui stabilise ses règles, qui lutte contre les importations déloyales et qui assume une préférence européenne, pour relocaliser la valeur. Nous devons en outre revoir les règles relatives aux aides d'État, afin de pouvoir bâtir ensemble les Airbus de l'électromobilité.

Mes chers collègues, regardons enfin vers l'avenir, arrêtons les stop and go, fuyons le populisme et l'obscurantisme. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Daniel Salmon, je ne crois pas que nous puissions relever les défis de la filière automobile sans les constructeurs.

Nous avons besoin de champions industriels. Nous avons besoin de grands constructeurs. Nous devons, avec eux, fixer un cap, une stratégie et une orientation.

À cet égard, si l'échéance de 2035 n'est pas un totem, il convient de maintenir un signal de marché. Pour moi, cette échéance ne constitue pas un point final, c'est un nouveau point de départ.

Vous avez décrit ce que doit être, selon vous, le véhicule électrique de demain. De notre côté, nous travaillons avec la Commission européenne sur la question du petit véhicule électrique. (M. Daniel Salmon acquiesce.)

Si nous tenons à bénéficier d'un certain niveau de sécurité dans nos véhicules, nous nous apercevons aussi qu'un certain nombre d'éléments constituent des options dispensables, qui renchérissent le prix du véhicule. Nous devons aller vers des véhicules plus sobres en équipements, construits en France ou en Europe, grâce à une politique de préférence européenne garantissant une part très élevée, de l'ordre de 75%, de composants d'origine européenne.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.

M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, le fait est que la nostalgie ne saurait tenir lieu de politique. Le rendement du véhicule thermique s'élève à 30%, celui du véhicule électrique à 80% ; on voit bien où est l'avenir.

Il faut allier l'écologie, l'économie et la santé – on ne parle plus assez de toutes les particules émises, qui sont responsables de 40 000 morts par an –, tout en ayant une vision sociale, car les dépenses contraintes en matière de mobilité sont considérables.

En revanche, nous divergeons au sujet de la confiance envers les constructeurs. On a vu tant de grands capitaines d'industrie, que tout le monde admirait, s'occuper avant tout de leur portefeuille et de celui de leurs actionnaires ! En suivant une vision court-termiste, ils nous ont conduits là où nous sommes aujourd'hui. En leur faisant aveuglément confiance, nous avons renoncé à toute vision d'avenir.

Les Chinois voient à trente ans. Nous avons vu à deux ou trois ans, et encore… Voilà pourquoi nous sommes aujourd'hui dans l'impasse. Il est grand temps que le politique reprenne la main.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Grosvalet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Bernard Buis et Marc Laménie applaudissent également.)

M. Philippe Grosvalet. Forte de ses capacités d'innovation, de ses sites industriels et d'une main-d'œuvre ouvrière qualifiée, la France a longtemps été le deuxième producteur européen de véhicules particuliers. Ce temps est, hélas ! révolu : la production nationale est passée d'environ 3,3 millions de véhicules voilà vingt ans à 1,5 million en 2023. La part de la France dans la production européenne a été divisée par plus de deux et, à l'échelle mondiale, elle a fortement décru, passant de plus de 5% en 2000 à moins de 2% en 2023.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les causes de ce déclin sont à la fois structurelles et conjoncturelles.

Tout d'abord, l'industrie automobile a fait le pari stratégique des délocalisations vers des pays à bas coût depuis le début des années 2000. Si, dans la chaîne de valeur, ces choix se sont d'abord limités à la production finale, ils se sont progressivement étendus aux sous-traitants, et l'addition est lourde : 125 000 emplois perdus en vingt ans.

Ensuite, le secteur subit crise sur crise. La pandémie de covid-19, la crise des semi-conducteurs, puis la crise énergétique ont lourdement affecté les ventes de véhicules particuliers : entre 2019 et 2024, le marché automobile européen a ainsi décru de plus de 2 millions d'unités.

Cet enchaînement de difficultés met la filière automobile française devant de nombreux défis. La hausse des droits de douane américains, la prédation chinoise sur les véhicules électriques et les pièces détachées hystérisent la concurrence internationale, alors que le secteur doit accélérer sa transition énergétique.

À cet égard, je tiens à vous exprimer trois préoccupations fortes.

Ma première préoccupation a trait au volet industriel. Avec 350 000 salariés répartis sur 4 000 sites, la filière automobile est structurante pour nos territoires. Or, il faut en être conscient, depuis janvier 2024, près de 7 000 emplois ont été supprimés ou sont menacés chez les équipementiers et fournisseurs automobiles. Cette saignée doit cesser. Nous devons, de toute urgence, nous doter d'un cadre européen protecteur pour préserver la production de pièces et de contenus automobiles sur notre continent. Les auteurs du rapport d'information – Alain Cadec, Annick Jacquemet et Rémi Cardon, que je salue – l'ont parfaitement souligné : il est temps de protéger notre marché.

Monsieur le ministre, dans cette perspective, comment comptez-vous maintenir et développer, en lien avec l'ensemble des acteurs économiques, l'activité industrielle de la filière automobile dans nos territoires ?

Ma deuxième préoccupation porte sur le volet énergétique. La transition, qui doit se poursuivre, passera par le déploiement beaucoup plus massif et cohérent de bornes de recharge, notamment dans les zones rurales, où l'absence d'options de substitution rend l'automobile indispensable. Elle passera également par une plus grande sobriété, qu'il s'agisse du poids, de la taille ou des technologies embarquées dans les véhicules. Au-delà de l'enjeu de consommation énergétique du véhicule, il y va surtout de l'accessibilité de l'automobile, alors que le prix des voitures neuves a augmenté de 40% entre 2018 et 2024.

Ma troisième et dernière préoccupation découle de ces remarques : la transition du secteur exige de ne pas renoncer à l'objectif de la fin de la vente des véhicules thermiques neufs en 2035. C'est là mon principal point de désaccord avec les auteurs de ce rapport. Il convient d'avancer sur ce chemin avec les industriels en maintenant le cap, et non de changer de cap sans dessiner de chemin…

Les ambitions du Gouvernement pour la filière s'inscrivent-elles toujours dans le cadre européen du Green New Deal, qui implique l'interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs à partir de 2035 ? Vous avez déjà partiellement répondu à cette question.

Enfin, l'automobile, c'est aussi la promesse d'une mobilité accessible au plus grand nombre, en particulier aux classes populaires. Or trop de nos concitoyens peinent encore à se déplacer, en particulier dans les zones rurales.

La précarité en matière de mobilité a des effets considérables sur les trajectoires personnelles et professionnelles. Elle contribue à creuser les inégalités. Aussi, le secteur doit tenir pleinement compte des enjeux de partage de véhicule, de réutilisation, de recyclage des pièces, de covoiturage, de solutions inclusives pour les citoyens les plus fragiles.

Quelles propositions pouvons-nous attendre de la part du Gouvernement à cet égard ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Bernard Buis et Marc Laménie applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Philippe Grosvalet, je tiens à vous remercier de votre intervention, riche de nombreuses questions.

J'insiste sur l'échéance de 2035, puisque c'est manifestement l'enjeu majeur de ce débat.

J'ai rencontré les représentants des associations professionnelles européenne et française de constructeurs automobiles. À ce jour, personne ne plaide pour un retour en arrière technologique. Personne ne veut revenir totalement sur l'objectif de 2035. Personne n'imagine qu'il n'y ait pas de véhicules électriques demain. (M. Rémy Pointereau s'exclame.)

Ce que demandent les constructeurs, c'est un assouplissement. (Mme Annick Jacquemet le confirme.) Ils se fondent à ce titre sur la notion de neutralité technologique, qui permet d'atteindre les objectifs d'émissions de carbone avec d'autres technologies.

En revanche – nous devons tous nous entendre sur ce point –, cet assouplissement doit impérativement aller de pair avec la préférence européenne, avec des objectifs de composants locaux ; avec le contenu local européen. (M. Thomas Dossus s'exclame.) Ce combat n'est pas forcément gagné !

Nous devons produire en Europe des véhicules atteignant 75% de contenu local. Dans le cadre de la négociation relative à l'échéance de 2035, laquelle représente pour moi un nouveau départ industriel, fondé sur une stratégie industrielle et définissant un cap industriel, nous devons élaborer avec nos constructeurs une stratégie de la préférence européenne, qui, comme vous le soulignez, fera vivre nos sous-traitants et nos territoires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, à cet égard, j'insiste sur l'importance des batteries : nous devons soutenir la vallée de la batterie, la filière de la batterie que nous sommes en train de constituer dans les Hauts-de-France.

Sans l'objectif de 75% de contenu local, nous ne serons pas au rendez-vous de l'emploi dans nos territoires, enjeu sur lequel vous insistez tous. Les véhicules européens doivent être produits par des constructeurs européens, à l'aide de contenus européens.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Jacquemet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Annick Jacquemet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant qu'élue du département du Doubs, berceau historique de l'automobile, je sais que la filière traverse aujourd'hui une crise profonde, voire existentielle.

Colonne vertébrale de notre industrie tout entière, ce secteur est un pourvoyeur majeur d'emplois. On dénombre 350 000 salariés pour la seule filière amont et 57 000 emplois chez les équipementiers, dont les effectifs ont néanmoins été divisés par deux depuis 2007.

La commission des affaires économiques a adopté dernièrement les conclusions de la mission d'information sur l'avenir de la filière automobile française, dont Alain Cadec, Rémi Cardon et moi-même étions rapporteurs.

Notre constat est sans appel. Après la crise sanitaire de la covid, la filière a subi la crise des semi-conducteurs puis la crise énergétique. Entre 2019 et 2024, le marché automobile européen a ainsi diminué de plus de 2 millions de véhicules.

Face à ces chocs, l'industrie française, affaiblie par deux décennies de délocalisations, a moins bien résisté que ses voisines. En 2023, notre production restait inférieure de 40% à celle de 2019.

Toutefois, il serait illusoire d'attribuer ce déclin à la seule conjoncture. Notre production annuelle est passée de 3,3 millions de véhicules en 2000 à 1,5 million en 2023, ce qui correspond à son niveau des années 1960. De ce fait, la part de la France dans la production européenne a chuté de 20% à 8% et sa part dans la production mondiale s'est réduite de 5,6% à 1,6%.

La part de production réalisée en France par les constructeurs nationaux a été divisée par deux entre 2003 et 2019, passant de 64% à 31%. C'est la conséquence directe des délocalisations.

Parallèlement, les constructeurs chinois ont connu une ascension fulgurante. Soutenues par des prix environ 30% inférieurs à ceux des véhicules européens, leurs exportations de voitures ont plus que quadruplé, rien qu'entre 2021 et 2023.

Face à cette situation de péril mortel, nous avons formulé dix-huit recommandations pour redonner une stratégie et un avenir à notre filière automobile.

Monsieur le ministre, nos chefs d'entreprise sont plus qu'inquiets, ils sont aux abois. La survie de notre industrie passe par un assouplissement des règles européennes, notamment par le report de l'interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs. Elle suppose aussi des mesures d'urgence destinées à protéger la filière de la concurrence internationale et à mieux soutenir la demande.

Pour redevenir compétitive et prendre rang parmi les leaders des véhicules du futur, notre industrie doit impérativement restaurer ses marges. Dès lors, nous devons agir sur les coûts, parmi lesquels le prix de l'énergie, adapter la réglementation et permettre l'émergence de petits véhicules abordables produits en France.

Monsieur le ministre, il y a urgence. Le 10 décembre prochain, la Commission européenne doit fixer un cap industriel et technologique clair. Ces annonces sont très attendues.

La France doit participer aux discussions en cours en parlant d'une voix forte, avec l'ambition d'assurer la pérennité de son secteur automobile. Le Gouvernement a indiqué qu'il défendrait l'idée d'une flexibilité en matière de neutralité technologique, sous réserve que cette adaptation s'accompagne d'une forme de préférence européenne : c'est l'une de nos propositions.

J'ai noté que le Gouvernement avait assoupli sa position quant à la date butoir de 2035. Au reste, les annonces que vous venez de faire me donnent l'impression que vous avez déjà lu notre rapport…

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Bien sûr !

Mme Annick Jacquemet. En tout état de cause, mes deux collègues rapporteurs et moi-même espérons pouvoir vous présenter prochainement nos travaux. Nous avons identifié dix-huit solutions qui nous semblent de nature à améliorer sensiblement la situation. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Madame la sénatrice Jacquemet, je vous le confirme, j'ai lu votre rapport d'information avant de venir – c'était la moindre des choses !

Il y a énormément d'idées à en retirer. Je note en particulier que vous soutenez la préférence européenne. On en parle beaucoup pour les marchés publics et l'accès au soutien public, mais il faut promouvoir son troisième volet : le contenu local de nos véhicules.

Vous l'avez souligné, le recul de notre marché automobile européen a commencé dès 2019. À cette époque, les véhicules électriques ne représentaient que 1,9% du marché français. Aussi, imputer l'entière responsabilité de cette baisse à l'émergence du véhicule électrique – ce n'est d'ailleurs pas ce que vous faites – serait un raccourci un peu facile. (M. Philippe Grosvalet acquiesce.)

Vous avez insisté sur la crise des semi-conducteurs et sur les effets de l'inflation, mais à quoi ces difficultés sont-elles dues, sinon à une trop forte dépendance à l'égard de la Chine ? D'ailleurs, nous ne sommes pas sortis de cette crise – on l'a encore vu voilà à peine trois semaines avec l'affaire Nexperia. La politique de la préférence européenne consiste aussi à sortir de cette dépendance.

Enfin, ne cédons pas au défaitisme : la France est en passe de gagner son pari dans le domaine des véhicules électriques. (M. Philippe Grosvalet opine.) Au mois d'octobre dernier, sept des dix véhicules électriques les plus vendus en France étaient de marque française. Les trois premiers étaient la R5, l'E-208 et la Scenic. La Tesla n'arrivait qu'en quatrième position et, à mon avis, elle va continuer de dégringoler. Venaient ensuite l'E-2008, l'Ë-C3, la Mini Cooper, la R4 et la Mégane.

Ainsi, la France reste dans la compétition. Elle prend part à la bataille. Il faut tenir un cap, en l'adaptant, sans doute, mais en défendant au maximum la préférence européenne.

M. Rémy Pointereau. Bref, tout va bien…

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Jacquemet, pour la réplique.

Mme Annick Jacquemet. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.

C'est justement parce que nous avons confiance en notre industrie, parce que nous croyons en notre capacité de produire des véhicules en France, que nous voulons permettre à nos constructeurs d'aller au bout de leur mutation, dans laquelle plusieurs dizaines de milliards d'euros ont déjà été investis.

Nous préconisons donc l'assouplissement de l'échéance de 2035, afin de leur donner le temps de se préparer à la production de véhicules de plus petite taille et à la production de batteries en France.

Nous nous sommes rendus dans différents territoires, notamment le département du Doubs. Nous y avons perçu la grande fragilité des sous-traitants – il y en a plus de 250 rien qu'en Franche-Comté – et leur crainte de l'avenir. (M. le ministre acquiesce.) On ne peut pas les laisser tomber.

Je rappelle que nombre de ces entreprises produisent aussi pour l'armement, secteur éminemment stratégique que la France doit encore développer. N'abandonnons pas ce savoir-faire !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Brault.

M. Jean-Luc Brault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, combien de belles histoires se sont soldées, dans chacun de nos territoires, par des tragédies, qu'il s'agisse de la filière automobile ou du secteur industriel dans son ensemble ?

Je salue l'initiative de la commission des affaires économiques, présidée par Mme Estrosi Sassone, qui a reconstitué le groupe d'études Industrie. Je salue également le travail de notre collègue Alain Cadec.

Le département dont je suis élu, le Loir-et-Cher, a lui aussi connu son lot de belles histoires et de tragédies. Il y a, dans chaque famille ou presque, quelqu'un qui a travaillé de près ou de loin pour la filière automobile.

Je ne reviendrai pas sur les causes, déjà largement exposées, qui nous conduisent à débattre encore une fois de ce sujet. En tout état de cause, bien optimiste est celui qui pense que c'est la dernière discussion de ce genre.

En Loir-et-Cher, la filière automobile représente un chiffre d'affaires de 710 millions d'euros et plus de 4 000 emplois – elle en a perdu 4 000 autres, voilà une quinzaine d'années, avec la disparition de Matra Automobile.

On ne doit pas chercher à préserver une filière dans le seul dessein de maintenir artificiellement des emplois ; une telle logique relèverait d'une idéologie ultra-interventionniste qui mènerait notre pays à la faillite. Il faut soutenir la filière automobile, parce qu'elle est éminemment stratégique pour notre souveraineté industrielle et pour tout ce qui en découle : la liste est longue…

Nous pensons à toutes ces vies de labeur, à tous les drames qu'entraîne la déliquescence des filières industrielles. Personne ne mérite cela, certes, mais – je le répète – personne ne mérite non plus d'être sauvé pour sa seule capacité de production. Tout cela relève d'un faux débat, qui n'a pas sa place dans notre assemblée. Mais, comme d'habitude, nous travaillons dans l'urgence.

À l'approche de la clause de revoyure de 2026, les débats s'intensifient. Les constructeurs allemands, italiens et désormais français souhaitent le report de l'interdiction des moteurs thermiques, aujourd'hui fixée à 2035. Le Président de la République y est opposé, mais il soutient, maintenant, une forme de flexibilité.

Nous comprenons l'exaspération générale ressentie devant une situation trop fréquente : nous nous fixons des objectifs trop proches, parfois trop ambitieux. Nous voulons tout faire trop vite, sans mesurer les conséquences pour nos filières économiques ; et c'est face au mur que nous demandons un rétropédalage.

D'ailleurs, un simple report suffira-t-il à relancer l'industrie dans son ensemble ? Certainement pas ! La situation dans laquelle se trouve la filière ne résulte pas uniquement de la réglementation verte européenne ou des taxes françaises. Le débat ne porte-t-il pas, en réalité, sur la neutralité technologique à l'échelle européenne ? Pourquoi imposer le 100% électrique avec des composants venus essentiellement d'Asie tout en développant les biocarburants ? L'objectif européen fixé en la matière porte sur la neutralité carbone, non sur les moyens de l'atteindre.

Le marché du véhicule électrique se rétracte aujourd'hui ; il est indispensable d'avoir des offres complémentaires. L'Europe doit garder toutes les options ouvertes, y compris le thermique décarboné.

Le rapport d'information de nos collègues détaille une vingtaine de pistes : taxation des produits et composants chinois, transfert de compétences, développement des logiciels, soutien aux gigafactories, structures essentielles à la production de batteries, ou encore imposition d'un seuil minimal de contenu local dans les véhicules.

Notre inquiétude est réelle, mais notre détermination l'est tout autant. Nous devons conjuguer ambition, flexibilité et pragmatisme. Il y va de notre sécurité.

Dans le contexte actuel, voulons-nous que l'ensemble des données et technologies des véhicules connectés soient gérées par des acteurs extraeuropéens ? Nous devons retrouver la capacité de produire, en Europe, des véhicules intelligents et connectés, des voitures abordables, ainsi que des batteries et des logiciels. Il y va d'ailleurs également de notre souveraineté industrielle.

Nous devons avoir une vision engagée, encourager une concurrence modérée, disposer d'institutions solides, protéger la propriété intellectuelle et mettre en œuvre une politique publique favorable tout en soutenant une croissance durable. Nous devons militer en faveur de politiques industrielles et d'innovation ambitieuses. Nous devons, enfin, rester optimistes et croire au progrès de l'humanité par l'innovation.

Selon moi, une économie moderne et juste doit conjuguer, la liberté, le progrès technologique, la solidarité, la justice institutionnelle et la responsabilité écologique. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Guislain Cambier et Bernard Buis applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Jean-Luc Brault, comme toujours, tout est affaire de mesure.

La question de la neutralité technologique doit évidemment être prise en considération dans le débat en cours : au rythme où vont les choses, en l'état actuel du marché, l'objectif de 100 % de véhicules électriques neufs en 2035 semble difficilement atteignable. Il convient donc de s'ouvrir à d'autres technologies.

Pour autant, nous ne devons pas renoncer à l'objectif d'électrification.

Tout d'abord, nous sommes en train de construire des implantations importantes à cette fin : je ne me vois pas annoncer aux nombreuses personnes qui s'investissent dans la vallée de la batterie des Hauts-de-France qu'il faut revenir sur cette ambition.

Ensuite, nous devons réfléchir à ce que seront les technologies de demain. Or l'électrique garde le plus fort rendement énergétique à ce jour.

Enfin, au-delà du rendement énergétique, le principe de la neutralité technologique doit contribuer à garantir une proportion élevée de contenu local. (M. Jean-Luc Brault acquiesce.)

Soyons très attentifs à cet enjeu. Ce n'est pas en nous concentrant sur la neutralité carbone, via le recours à d'autres technologies que l'électrique, que nous protégerons le contenu local, notamment la technologie française.

Tous ces éléments sont dans la balance. Le respect de l'échéance de 2035 est une question de mesure et d'équilibre. Nous avançons vers une meilleure efficacité énergétique, vers des véhicules électriques produits en France ou en Europe. La neutralité technologique doit aller de pair avec la préservation de l'emploi local.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Brault, pour la réplique.

M. Jean-Luc Brault. Monsieur le ministre, j'ai envie de vous croire ! J'espère que l'on arrivera à travailler l'échelle européenne.

Si l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni, la France et les autres pays d'Europe ne sont pas capables de s'unir autour de projets industriels, comme ils l'ont fait pour des projets de cogénération ou d'autres types d'investissements importants, nous ne pourrons pas réussir.

En parallèle – j'y insiste à mon tour –, travaillons sur les petits véhicules, qui sont importants pour circuler dans nos territoires. (M. le ministre le confirme.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Séné. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc Séné. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'automobile française se trouve aujourd'hui à un carrefour de son histoire.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Oui !

M. Marc Séné. Depuis plus d'un siècle, la production automobile est l'un des piliers de notre économie. Elle irrigue des pans entiers de notre industrie, de la métallurgie à la chimie en passant par la défense. Avec plus de 350 000 emplois et de 4 000 sites, elle façonne encore nos territoires.

Pourtant, cette filière emblématique, jadis symbole de souveraineté et de maîtrise industrielle, est désormais profondément fragilisée. Les difficultés sont multiples : le ralentissement de la production, la hausse des coûts, la concurrence internationale exacerbée et une dépendance croissante aux technologies étrangères affaiblissent considérablement nos entreprises.

À cet affaiblissement structurel s'ajoute un choc conjoncturel inédit pour notre continent. L'enchaînement de la crise sanitaire, de la crise des semi-conducteurs et de la crise énergétique a conduit à une diminution de la production sur le marché européen de plus de 2 millions de véhicules entre 2019 et 2024.

En France, la situation est tout aussi préoccupante, avec une nouvelle baisse de 100 000 immatriculations en 2025 et une contraction annuelle moyenne de 400 000 immatriculations depuis 2020. Le secteur devrait perdre près de 3,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires cette année. Mécaniquement, l'État risque de subir une perte fiscale de plus de 1 milliard d'euros.

Dans le même temps, une dizaine de projets industriels ont échappé à la France au profit de pays voisins, comme l'Espagne ou l'Allemagne.

Notre pays subit donc une véritable double peine. Non seulement il perçoit moins de recettes publiques, mais la désindustrialisation se poursuit à un rythme alarmant.

À ces fragilités s'ajoute la perspective de l'interdiction par l'Union européenne de la vente de véhicules thermiques neufs d'ici à 2035. Cette échéance impose des investissements colossaux aux constructeurs, alors même que le marché ne parvient plus à absorber les volumes qui permettraient de financer la transition.

Le danger est réel. Ce recul industriel menace non seulement nos entreprises, mais aussi nos territoires, qui ne vivent pas la mobilité de manière uniforme.

Si la République est une et indivisible, tel n'est pas le cas de ses territoires. Dans nos zones rurales et périurbaines, l'automobile n'est pas un choix. C'est une nécessité quotidienne,…

M. Clément Pernot. C'est vrai !

M. Marc Séné. … faute de transports collectifs suffisants ou accessibles. Pour les millions de Français qui y vivent, la voiture est la condition même de l'autonomie.

Une transition mal pensée, imposée indistinctement, risque de créer une nouvelle fracture territoriale qui deviendra, à terme, une fracture sociale.

La voiture électrique peut être un levier essentiel pour réduire nos émissions, mais sa démocratisation exige du pragmatisme. Son coût demeure trop élevé pour une grande part des ménages et les infrastructures de recharge sont encore insuffisantes et inégalement réparties, quand elles ne sont pas inexistantes là où l'on en aurait le plus besoin.

S'y ajoute une vulnérabilité stratégique : notre dépendance à l'Asie pour 80 % des batteries met en péril notre souveraineté technologique.

À ces difficultés industrielles se superpose une autre réalité, propre à notre cadre législatif récent. En un an seulement, notre industrie automobile a subi plus de dix modifications réglementaires. Je pense, entre autres, à la méthodologie de l'Éco-score, à la suppression du bonus, à l'abaissement des seuils du malus CO2 et du malus masse, ou encore à la création d'un malus sur les véhicules électriques à batterie.

Cette instabilité décourage les particuliers et les entreprises, qui, de ce fait, reportent leurs achats, freine les investissements et fragilise l'ensemble du marché. Pis encore, elle s'accompagne d'incohérences profondes.

L'Éco-score, censé limiter l'arrivée de véhicules électriques chinois, pénalise surtout les véhicules européens. Ainsi, 65% des modèles électriques vendus en France, majoritairement européens, se trouvent exclus du bonus et du leasing social.

La création d'un malus masse sur les véhicules électriques, au moment même où l'État affirme vouloir accélérer l'électrification du parc, accentue encore cette incohérence.

Le résultat est clair : la France fait face au ralentissement de l'électrification de son parc roulant, alors que la plupart de nos partenaires européens progressent de près de 15%.

S'y ajoute un désengagement de la puissance publique, phénomène plus discret, mais tout aussi significatif. L'augmentation du malus écologique et du malus masse alimente désormais directement le budget de l'État, tandis que les aides à l'achat – bonus et leasing social – sont basculées sur les certificats d'économie d'énergie, financés non par l'État, mais par les consommateurs.

Pour autant, nous ne devons pas céder à la fatalité, car la France dispose encore d'atouts considérables. Le marché européen comptera 250 millions de véhicules vieillissants à renouveler d'ici à 2040, dont 40 millions en France. Ce marché captif constitue une chance majeure pour notre industrie et devra être le socle de notre stratégie publique.

Nous avons besoin, non pas de nouvelles subventions, mais d'un cadre stable, cohérent et fondé sur une concurrence loyale au sein de l'Union européenne.

Monsieur le ministre, les choix que nous ferons détermineront notre capacité à préserver nos emplois, à renforcer notre souveraineté et à maintenir l'équilibre de nos territoires. Réussir cette transition, c'est garantir que personne ne sera laissé au bord de la route. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie et Mme Solanges Nadille applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Marc Séné, vous avez rappelé l'attachement de nos concitoyens à l'automobile, dont l'importance est encore plus grande dans les territoires ruraux.

Je souhaite simplement vous livrer quelques chiffres récents concernant les bornes de recharge.

Le réseau a totalement changé d'ampleur en l'espace de quelques années. À la fin de l'année 2024, on dénombrait 150 000 bornes ouvertes au public, contre seulement 30 000 trois ans plus tôt, en 2021.

Un autre ratio mérite à mon sens d'être rappelé : la France compte une borne pour neuf véhicules, contre vingt-trois en Allemagne et dix-sept au Royaume-Uni. Notre pays n'est donc pas en retard par rapport à ses voisins. Certes, le taux de couverture reste insuffisant, particulièrement dans certains territoires, mais ce progrès doit être relevé.

Vous avez raison, nous avons besoin de stabilité normative et de simplification. Le 10 décembre prochain, la Commission européenne présentera précisément un Omnibus de simplification relatif à l'automobile.

Nous sommes passés de 1,9 % de véhicules électriques en 2019 à 19% fin 2024. En octobre 2025, l'électrique représentait 25 % des véhicules vendus. Le marché ne recule pas.

Enfin, il faut bel et bien se protéger de la concurrence : quand on met en place des dispositifs de protection, le résultat est au rendez-vous. J'ai sous les yeux un graphique montrant qu'en 2023, avant l'instauration de l'Éco-score et des droits de douane, les véhicules chinois représentaient 41% des ventes, les véhicules européens 45 % et les véhicules français 8%. Aujourd'hui, les véhicules européens atteignent 57%, les modèles français 23% et les véhicules chinois 14%. À l'évidence, les mesures de protection sont efficaces.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Séné, pour la réplique.

M. Marc Séné. Il y a un mois encore, j'étais président d'une intercommunalité de 25 000 habitants regroupant quarante-cinq villages. Seuls quatre de ces villages disposent d'une borne de recharge électrique. Il reste donc du travail à faire, d'autant que certaines bornes ne permettent qu'une recharge lente, pour des raisons de coût. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Bernard Buis. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon l'Organisation internationale des constructeurs automobiles, depuis 2019, la France a perdu 38% de sa production automobile. En dépit des efforts déployés par les derniers gouvernements en faveur de la réindustrialisation, force est de constater que, dans ce domaine, notre pays se trouve dans une situation très inquiétante par rapport à ses voisins, la moyenne de la baisse européenne étant de 19% sur la même période.

La potentielle reprise du groupe Stellantis par l'actionnaire italien Exor, alors que Stellantis est détenu en partie par la Banque publique d'investissement (BPI) et par Peugeot, est également un signal inquiétant pour le secteur. Que deviendront la plupart des 39 000 salariés du groupe toujours basés en France ? Rappelons que le groupe PSA employait 62 000 salariés avant la covid-19 et plus de 120 000 voilà vingt ans.

Il est donc clair que nous sommes dans une phase décroissante de la filière automobile française. Il faut en comprendre les raisons afin d'y remédier.

Nous en sommes conscients, le marché français présente certaines limites pour les constructeurs automobiles, notre coût horaire étant parmi les plus élevés d'Europe. Mais ses particularités sont avant tout une richesse : notre économie possède des capacités humaines nous permettant de tirer parti de l'électrification du parc mondial.

Selon les prévisions de l'Observatoire de la métallurgie, d'ici à 2030, l'ensemble des acteurs du secteur de la mobilité propre devraient créer ou transformer environ 250 000 emplois. L'électrique est donc un enjeu majeur dans la sauvegarde des emplois et la pérennisation de la filière automobile française.

Toutefois, pour bénéficier des avantages de cette transition, encore faut-il s'y préparer dans les meilleures conditions. Il s'agit là d'un enjeu majeur ; les constructeurs européens semblent en retard face aux géants asiatiques et américains, alors que nous restons aujourd'hui dépendants en matériaux et que nous devons accélérer nos efforts en matière de recherche et développement.

Si nous voulons réellement un rebond industriel, commençons par reprendre la main sur les éléments qui comptent dans la conception d'une voiture électrique, à savoir les batteries, l'électronique et les logiciels.

Lors d'un déplacement en Chine de la commission des affaires économiques, en septembre 2024, nous avons constaté l'avance considérable dont disposent les constructeurs chinois. Ils peuvent notamment assurer des changements de batterie en moins de cinq minutes, tandis que la France éprouve encore des difficultés à déployer des bornes de recharge sur tout son territoire.

Nous ne pouvons laisser la France et l'Europe se faire distancer à ce point. L'objectif est de redevenir un pays qui conçoit, produit et innove.

Nous avons les talents et les lieux de formation. Je pense, par exemple, à l'Institut supérieur de l'automobile et des transports (Isat), à Nevers. Les responsables de cette école m'ont d'ailleurs indiqué que l'une des priorités est de combler rapidement nos déficits de compétences, qu'il s'agisse des systèmes électriques, du software embarqué, de la cybersécurité ou de la maintenance avancée.

De plus, pour mener à bien l'électrification des véhicules, il nous faut, d'une part, un fort maillage territorial de bornes de recharge – mes collègues l'ont souligné –, en particulier dans les territoires ruraux et, d'autre part, des prix compétitifs pour que l'ensemble des Français puissent acheter les modèles proposés. Aujourd'hui, ces véhicules demeurent relativement chers.

Monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous pour répondre à ces deux enjeux ?

Par ailleurs, nos constructeurs ont besoin de stabilité. L'adoption du Pacte vert européen a conduit à l'interdiction de la vente des véhicules thermiques dans l'Union européenne à partir de 2035. Certains constructeurs ont demandé un report ou un aménagement de cette date, alors que toute notre industrie se met en ordre de marche depuis quelques années pour tenir cette échéance. Il y a un réel besoin de clarification de la part du Gouvernement. Vos premières réponses vont dans ce sens et je vous en remercie.

Enfin, nous devons éviter toute concurrence déloyale. Nous ne pouvons donc pas demander toujours plus à nos usines en laissant entrer sans contrôle des véhicules produits dans des conditions sociales et environnementales bien moins exigeantes que les nôtres.

Derrière les chiffres cités depuis le début de ce débat, il y a des visages : ceux des ouvriers, des techniciens, des ingénieurs et de leurs familles, qui s'interrogent sur l'avenir. Ces professionnels auront-ils encore un emploi dans cinq ans ? Certains d'entre eux sont déjà au chômage partiel.

Soit nous voyons encore disparaître des sites, des savoir-faire, des vies professionnelles entières, soit nous décidons de faire de la transition environnementale une chance pour notre industrie et pour nos territoires. Je crois que nous avons tous envie de choisir la seconde option.

Monsieur le ministre, quelles seront vos premières actions pour répondre à ces enjeux et, plus globalement, pour défendre l'avenir de la filière automobile française ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Bernard Buis, vous l'avez souligné, nous avons les talents – c'est, dans votre intervention, l'une des phrases les plus importantes.

Je suis élu d'un territoire qui accueillait une grande entreprise nommée Kodak. Elle possédait assurément des talents, mais elle n'a pas su prendre le virage technologique…

Mme Audrey Linkenheld. C'est faux !

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Madame la sénatrice, je connais assez bien le sujet…

Mme Audrey Linkenheld. Ce n'est pas ce que disent les dernières sources !

M. Sébastien Martin, ministre délégué. L'entreprise Kodak disposait des brevets et d'un ensemble d'atouts, mais elle n'a pas su anticiper. Je vous invite à venir sur place : vous verrez comment nous avons relevé un territoire qui, après avoir perdu 2 500 salariés, affiche aujourd'hui un taux de chômage de 6,5% ; un territoire où neuf usines sont en train de sortir de terre. Je serais très heureux de vous présenter ce travail, mais, visiblement, vous savez mieux ce qu'il en est de là où vous êtes…

Oui, nous avons les talents. Oui, le virage est en train d'être pris. Oui, parmi les dix véhicules électriques les plus vendus en France, sept sont de marque française. Nous pouvons donc y arriver – c'était aussi le sens de votre message. Nous accompagnerons la filière pour réussir cette transition. Nous mobilisons les moyens nécessaires en travaillant, notamment, à la neutralité technologique.

Cette transition s'amorce et la réussite est à portée de main : rien ne serait pire que de prendre des décisions définitives en renonçant totalement à l'objectif fixé pour 2035. Ce n'est d'ailleurs pas le sens du rapport sénatorial. Nous avons besoin d'adaptation, d'ajustement et de souplesse. (Mme Dominique Estrosi Sassone acquiesce.) Je le répète, tout est affaire de mesure.

Si, par exemple, l'on mise tout sur les biocarburants pour résoudre le problème, on aura beaucoup de mal, demain, à nourrir les Françaises et les Français. (M. Bernard Buis le confirme.) Nous devrons en effet faire face à la hausse du coût de nombreuses matières premières. Les biocarburants ont un rôle à jouer, mais leur part doit rester mesurée.

Quant au véhicule hybride, si son autonomie atteint demain 100 kilomètres, il sera une bonne réponse. Si elle ne dépasse pas 20 kilomètres, comme c'est parfois le cas aujourd'hui, ce n'est pas une bonne réponse. La neutralité technologique doit aller de pair avec de bons choix technologiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis, pour la réplique.

M. Bernard Buis. Merci, monsieur le ministre. Faisons confiance à nos talents et travaillons ensemble, afin que les entreprises de la filière redeviennent demain compétitives.

Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber.

M. Michaël Weber. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, les normes européennes pour l'électrification du secteur automobile et l'objectif de 2035 ne sont pas seulement une réponse à l'urgence climatique. Elles sont un cadre de stabilité indispensable aux investissements et un levier essentiel pour renforcer notre souveraineté énergétique et industrielle.

La transition ne repose pas exclusivement sur le véhicule 100% électrique. Les technologies hybrides jouent un rôle structurant pour remplacer rapidement toutes les ventes de véhicules thermiques, en accompagnant les usages et les consommateurs jusqu'au point de bascule de 2034. Il s'agit, non pas d'opposer les motorisations, mais de construire une trajectoire réaliste, progressive et protectrice de nos intérêts industriels et de nos emplois.

Les objectifs européens de décarbonation ont déjà attiré des investissements massifs et créé des milliers d'emplois. Rien qu'en 2023, 265 milliards d'euros ont été investis dans les batteries et les véhicules électriques ou hybrides, dont plus de 80% par des constructeurs européens. En revenant sur nos engagements, on affaiblirait notre crédibilité. On ralentirait la transformation indispensable de notre industrie.

Cette transformation est un enjeu crucial pour les emplois et les territoires industriels, en particulier dans les régions historiques de l'automobile, comme les Hauts-de-France, le Grand Est et la Moselle, dont je suis issu, où des milliers de travailleurs sont directement concernés.

Notre responsabilité est d'assurer que la transition écologique soit aussi une transition sociale. Il faut garantir la protection des emplois existants, l'accompagnement de la reconversion, ainsi que la formation aux nouveaux métiers liés aux batteries, à l'électronique, à l'assemblage des motorisations hybrides et électriques.

La concurrence mondiale n'a jamais été si forte. Nous ne pouvons plus dépendre des énergies fossiles ni laisser l'Europe s'exposer à la surcapacité chinoise dans ce secteur. Nous devons structurer en un temps record une filière européenne complète, englobant les batteries, les moteurs hybrides et électriques, les matériaux critiques ainsi que les chaînes d'assemblage.

L'heure n'est pas au renoncement. Nous avons besoin d'un protectionnisme européen assumé, garantissant que les investissements créent de l'emploi en Europe et dans nos régions au lieu d'être captés par d'autres marchés.

Pour atteindre l'objectif de 2035, les constructeurs devront accélérer la production des véhicules électriques d'entrée de gamme, plus accessibles, dont la fabrication doit impérativement être relocalisée. Ces modèles abordables sont essentiels pour démocratiser la transition et redonner du souffle à nos sites industriels, notamment dans le Grand Est.

Retarder l'échéance reviendrait à retarder la mise sur le marché de ces modèles, ce qui accentuerait notre dépendance aux importations et mettrait en danger les emplois régionaux.

Le défi central est de sécuriser notre souveraineté industrielle. Sans production européenne de batteries et de composants stratégiques, nous resterons dépendants des importations et vulnérables face aux surcapacités mondiales. Il est indispensable de construire une filière complète pour protéger nos emplois et notre souveraineté.

La transition écologique de l'automobile ne doit pas être synonyme de déclassement industriel. Elle nous offre l'occasion de rebâtir une nouvelle filière automobile européenne créatrice d'emplois, ancrée dans nos territoires et porteuse d'avenir pour les travailleurs du secteur. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Michaël Weber, vous l'avez souligné, nous ne pouvons plus dépendre des énergies fossiles.

À cet égard, nous sommes face à une question de cohérence. La transition vers le véhicule électrique s'inscrit dans une stratégie industrielle d'ensemble, au moment où nous relançons le nucléaire, dans une logique de souveraineté.

Sauf erreur de ma part, nous n'avons pas beaucoup de puits de pétrole en France… En revanche, nous maîtrisons l'électricité grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables (EnR). Défendre le véhicule électrique suppose de défendre toute la filière électrique nationale, notamment notre industrie nucléaire. Je le répète, c'est une question de cohérence.

Mettre à mal la stratégie d'électrification de la mobilité, ce serait compromettre notre objectif de souveraineté et d'indépendance énergétiques, qui passe par un mix équilibré entre nucléaire et énergies renouvelables.

Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber, pour la réplique.

M. Michaël Weber. Monsieur le ministre, j'entends votre appel à la cohérence, auquel nous souscrivons pleinement.

L'enjeu dépasse de loin les seules questions énergétiques. Lors des questions d'actualité au Gouvernement, nous avons évoqué des entreprises particulièrement présentes dans le secteur automobile – je songe à ArcelorMittal et à NovAsco, mais on pourrait aussi penser à Fonderie Lorraine. Allons jusqu'au bout de la démarche, ayons le courage d'offrir de véritables projets d'accompagnement à ces entreprises, afin qu'elles réussissent, elles aussi, leur transition.

Mme Audrey Linkenheld. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Guislain Cambier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Guislain Cambier. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, ce débat n'est pas de nature technique. Nous ne cessons de le dire, il s'agit d'un débat stratégique ; d'un débat social ; d'un débat sur notre souveraineté industrielle.

Notre industrie automobile n'est pas seulement une fierté nationale ; elle est l'un des piliers de notre puissance industrielle et de nos territoires. Je songe, en particulier, aux 56 000 salariés de la filière situés dans ma région des Hauts-de-France.

Je suis en effet l'élu d'un territoire où l'écosystème automobile est le plus important. Les Hauts-de-France dénombrent sept sites de constructeurs – Renault, Stellantis et Toyota sont présents. Notre région représente 30 % de la production française de véhicules et regroupe, en tout, 550 fournisseurs et sous-traitants. L'automobile, chez nous, est une réussite et une fierté.

Je visite ces sites industriels d'excellence. Tous mes interlocuteurs dressent le même diagnostic que les auteurs de ce rapport : la filière automobile française traverse une crise sans précédent.

Dans ce contexte, nous vous disons tous qu'il nous faut une stratégie industrielle cohérente et protectrice pour éviter que la transition ne se traduise par une perte de souveraineté, de savoir-faire et d'emplois, par un affaiblissement de nos sites de production.

Au niveau local, les collectivités territoriales compétentes en matière de développement économique font le travail. La région des Hauts-de-France soutient le développement massif d'usines de production de batteries, les gigafactories. Les intercommunalités accompagnent l'implantation de ces nouvelles usines sur leur territoire – je pense à Envision AESC, projet soutenu par Douaisis Agglo, ou encore à Verkor, chantier accompagné par la communauté urbaine de Dunkerque.

Les industriels investissent massivement pour moderniser leurs sites de production. Pour Stellantis, par exemple, les investissements dépassent ainsi 3 milliards d'euros.

Chez Renault, les manufactures de la région ont développé le pôle Ampere ElectriCity, qui emploie 5 000 personnes, avec des premiers succès commerciaux remarquables comme la Renault 5 E-Tech produite à Douai, en tête des ventes des véhicules électriques en France. (M. le ministre acquiesce.) Je ne doute pas du succès de la 4L électrique, produite à Maubeuge, près de chez moi.

Toutefois, ces succès industriels et commerciaux restent malheureusement exceptionnels dans une filière à laquelle on impose l'adoption d'une seule et unique technologie, l'électrique, pour laquelle les Chinois disposent d'un avantage compétitif majeur.

Cette transition précipitée, déconnectée du marché, menace la pérennité de nos industries automobiles et de nos savoir-faire.

Ma collègue Annick Jacquemet le soulignait : des mesures compensatoires ont été développées à l'échelle européenne. Il convient désormais de les décliner à l'échelle nationale.

Monsieur le ministre, des mesures simples et efficientes peuvent également être mises en place rapidement pour soutenir nos industriels français.

Je songe, tout d'abord, à la réglementation et à la fiscalité sur les véhicules hybrides, rechargeables ou non, comme la Toyota Yaris produite à Valenciennes, mais aussi la Citroën C5 Aircross ou la Peugeot 308. À mon sens, toutes les technologies contribuant à la décarbonation doivent être encouragées. Dans leur rapport, nos collègues préconisent d'ailleurs de mettre réellement en œuvre le principe de neutralité technologique.

Or, dans le projet de loi de finances (PLF), ces véhicules hybrides sont la cible de malus écologiques. C'est pourquoi j'ai déposé deux amendements à l'article 13 du PLF, afin qu'un nombre important de modèles vertueux fabriqués en France ne soient pas soumis demain à ce malus écologique, qui ferait mécaniquement augmenter leur prix d'achat. Mes chers collègues, je vous invite dès à présent à voter ces amendements, qui, je l'espère, recevront un avis favorable du Gouvernement.

De manière plus générale, il est urgent de baisser la fiscalité sur ces véhicules vertueux, mais aussi de pérenniser les mesures incitatives. Le leasing social doit s'inscrire dans la durée.

Au total, les constructeurs et les autres acteurs de la filière demandent la simplification de la réglementation et une véritable stabilité fiscale.

Il est urgent d'encourager nos industriels à créer une nouvelle catégorie de petites voitures électriques à petit prix. C'est un segment essentiel pour la mobilité accessible à tous et pour l'emploi industriel. Je songe, en particulier, à de petites voitures qui coûteraient moins de 15 000 euros.

Les constructeurs sont prêts, il faut simplement les accompagner. Cela pourrait passer, par exemple, par des mesures incitatives comme un taux de TVA réduit assorti, pourquoi pas, d'un droit au stationnement gratuit.

En conclusion, il convient de simplifier la réglementation et les normes applicables à la construction de véhicules ; il est temps d'instaurer une fiscalité stable et incitative. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Guislain Cambier, je vous remercie d'avoir souligné les réussites industrielles que la filière du véhicule électrique connaît actuellement dans votre département.

La France est aujourd'hui capable de produire ces véhicules électriques et de les vendre : ils restent les plus achetés dans notre pays. Gardons-nous de décourager une filière qui est en train de réussir son changement technologique. (M. Guislain Cambier opine.)

Vous plaidez pour la stabilité fiscale : j'en déduis qu'il ne faut pas changer la fiscalité actuelle…

M. Guislain Cambier. Ni l'aggraver !

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Au cours des discussions budgétaires, je ne doute pas que le Sénat, dans sa grande sagesse, saura trouver les voies de cette stabilité, qui suppose peut-être quelques modifications.

Le véhicule hybride est peut-être parfois pénalisé par son poids, même si la franchise applicable jusqu'à 200 kilos permet l'installation de batteries d'une certaine taille.

Il nous faut examiner en détail ce qui, dans nos gammes de véhicules français et européens, mérite un soutien renforcé et ce qui, en revanche, doit faire l'objet d'incitations fiscales moindres, voire d'une taxation, sur le marché français. Ce travail est en cours. Nous sommes bien entendu ouverts à la discussion.

Mme la présidente. La parole est à M. Guislain Cambier, pour la réplique.

M. Guislain Cambier. Monsieur le ministre, on ne peut pas se contenter de nous répondre : " Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer. "

Nous le soulignons tous, la France a besoin d'une volonté européenne. Vous devez la défendre avec force, afin d'assurer la protection de notre marché. Il nous faut également, sur le plan fiscal, un geste d'accompagnement pour stabiliser et sécuriser nos filières.

Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Rémy Pointereau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier Mme la présidente de la commission des affaires économiques et notre collègue Alain Cadec d'avoir eu l'initiative de ce débat sur la filière automobile.

Monsieur Cadec, vos deux corapporteurs et vous-même avez intitulé votre rapport : Contre un crash programmé : dix-huit mesures d'urgence pour l'industrie automobile française.

Le constat est sans appel : nous sommes en train d'étouffer un secteur d'excellence par une accumulation de contraintes administratives et fiscales absurdes, auxquelles s'ajoutent, bien sûr, les effets d'une concurrence déloyale.

Depuis plusieurs années, les politiques dites de verdissement se révèlent contre-productives. Elles paralysent la demande. Elles étranglent les sous-traitants. Elles frappent d'abord les ménages et les PME de nos territoires.

Le marché est aujourd'hui bloqué. Les immatriculations de voitures neuves, qui ont chuté en 2024, restent structurellement loin des niveaux antérieurs. Désormais, l'attentisme domine. Consommateurs et entreprises reportent leurs projets d'achat, quand ils ne les abandonnent pas purement et simplement.

La production industrielle suit la même trajectoire dramatique. Dans les années 1990, la France produisait plus de 3 millions de véhicules par an. En 2024, elle a atteint, en la matière, un niveau historiquement bas, la production nationale s'établissant à moins de 1 million d'unités.

Cet effondrement de la capacité industrielle a des conséquences immédiates sur l'emploi et la souveraineté.

Les incidences humaines et sociales sont majeures. La filière a déjà perdu 40 000 emplois depuis dix ans, et des études prospectives estiment que jusqu'à 75 000 emplois pourraient être menacés d'ici à 2035 si l'on continue sur cette trajectoire. Il y va du maintien de bassins de vie et d'emplois dans les TPE et les PME, au travers des concessions automobiles et des sous-traitants qui irriguent les territoires.

Permettez-moi d'énumérer les principaux mécanismes qui ont conduit à cette situation.

Tout d'abord, on peut citer la marche forcée vers le tout électrique, souvent contraire aux attentes réelles des clients. Beaucoup de ménages demandent des véhicules polyvalents abordables. Ils ne trouvent pas toujours dans l'offre électrique la réponse à leurs besoins, qu'il s'agisse de l'autonomie, de coût ou de la disponibilité de bornes de recharge. La puissance publique a trop misé sur une réponse unique : les dispositifs qu'elle a déployés n'ont pas permis d'adapter l'offre aux usages réels – c'est encore plus vrai dans la ruralité.

Ensuite, on constate une complexité croissante et de plus en plus d'illogismes. Les dispositifs se multiplient, se chevauchent, se contredisent : bonus, malus CO2, malus poids, leasing social, aides pour flotte, certificats d'économies d'énergie… En résulte une confusion totale chez les professionnels comme chez les clients, qui s'accordent tous à dire que la fiscalité automobile, c'est aujourd'hui " bienvenue chez les fous ".

Nous devons aussi faire face à une instabilité chronique. Il n'y a pas eu une année, depuis six ans, sans modification majeure des règles. La fiscalité a été modifiée à près de vingt reprises depuis 2017, ce qui crée de l'attentisme et empêche toute stratégie industrielle et commerciale pérenne.

Il faut y ajouter un alourdissement administratif insupportable. Les professionnels nous alertent, à ce titre, sur nombre d'absurdités politiques. On leur demande même de remplir des missions de fonctionnaires d'État !

Les concessions automobiles sont en effet en première ligne pour mettre en œuvre des politiques publiques qui leur font courir des risques financiers et juridiques considérables, avec les prêts de trésorerie, les avances pour aides non remboursées, les contrôles a posteriori, etc.

Par l'effet combiné des prix, de la fiscalité et des normes, nous avons déjà tué une partie du marché du neuf. Nous sommes aujourd'hui en train de frapper le marché de l'occasion, ce qui est une folie, car c'est sur ce marché que la majorité des Français et des territoires s'appuient désormais pour les déplacements. Je rappelle que l'âge moyen des véhicules d'occasion est aujourd'hui de 12 ans !

Monsieur le ministre, quelle est votre vision du secteur automobile en France ? Qu'allez-vous faire, non seulement pour lutter contre la concurrence déloyale, celle de la Chine en particulier, et mieux protéger le marché européen, mais aussi pour favoriser la compétitivité de l'industrie automobile française ? Quelle trajectoire fiscale claire et lisible offrez-vous aux fabricants, aux concessionnaires, aux équipementiers, aux loueurs et aux automobilistes ?

Allez-vous suivre l'exemple de l'Allemagne, en donnant à la filière le temps de se mettre à niveau pour la production de véhicules électriques ? Allez-vous enfin accepter de décaler l'échéance de 2035, pour la fin de la construction des moteurs thermiques ?

Nous ne voyons aujourd'hui ni feuille de route cohérente ni calendrier stable.

Dans un film qui nous a tous marqués, on entend répéter : " Jusqu'ici, tout va bien. Mais l'important, ce n'est pas la chute, c'est l'atterrissage. "

À vous entendre, il semblerait que tout aille bien. Ne nous mentons pas : l'atterrissage risque d'être rude pour nos emplois, nos territoires et notre industrie !

Je vous propose, monsieur le ministre, d'engager sans tarder la simplification administrative de différents dispositifs. J'espère que vous entendrez nos propositions et que vous donnerez enfin aux professionnels du secteur une vision claire et stable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Rémy Pointereau, je suis heureux du format de nos débats, qui me permet de répondre à brûle-pourpoint aux questions qui me sont posées. Connaissant votre sens de la mesure et de l'équilibre, j'espère que vous avez, au cours de ces échanges, entendu de ma part la volonté combative et pragmatique de trouver les bons chemins pour notre industrie.

Depuis six semaines que je suis ministre de l'industrie, il ne se passe pas un jour sans que nous soyons en contact, moi-même ou les membres de mon cabinet, avec les représentants de territoires confrontés aux difficultés que vous soulignez. Non, jusqu'ici, tout ne va pas bien.

M. Rémy Pointereau. En effet !

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Dans un portrait qu'il a fait de moi il y a quelques semaines, le journal Les Échos m'a présenté comme le ministre qui, avec l'industrie, avait accepté la mission sans doute la moins enviable du moment. Je mesure toute la difficulté de la tâche.

Ne cherchons pas toujours à nous inspirer de nos amis allemands. Ils peuvent donner le sentiment d'avoir les réponses à tous les problèmes, mais ils se sont plongés eux-mêmes dans une situation extrêmement problématique en se plaçant dans la dépendance, non seulement du gaz russe, mais aussi de chaînes d'approvisionnement d'origine asiatique. Pour notre part, nous essayons de bâtir une filière nouvelle autour de l'électricité, à même de nous assurer une forme d'indépendance. Sur ce sujet, nous avons aujourd'hui avec nos amis allemands un vrai débat. (M. Rémy Pointereau le concède.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que je pourrai compter sur vous toutes et vous tous. Nous avons à convaincre nos amis allemands de l'intérêt de la préférence européenne et du contenu local. De fait, c'est sans doute parce qu'ils sont encore plus tournés vers l'export que nous ne le sommes qu'ils peuvent redouter des mesures de rétorsion, notamment chinoises.

Le gouvernement français ne laissera ni dire ni penser que nous pouvons, demain, construire durablement une filière automobile européenne sans la volonté de construire des véhicules européens au contenu véritablement européen.

Contrairement à ce que j'ai pu entendre, c'est la France qui, la première, a suscité ce débat. Nous nous battons avec pugnacité pour défendre ces positions. Heureusement, certains de nos amis – les Italiens, par exemple – prônent comme nous la préférence européenne. Mais d'autres pays, dont on voudrait parfois s'inspirer, ne sont pas sur la même ligne, du moins pour le moment.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens particulièrement à saluer Mme la présidente de la commission des affaires économiques, Dominique Estrosi Sassone, tout en remerciant les rapporteurs Alain Cadec, Rémi Cardon et Annick Jacquemet du travail qu'ils ont réalisé. Ce dernier témoigne de l'attachement du Sénat, chambre des territoires, à la présence territoriale de l'industrie ; présence à laquelle les Françaises et les Français sont eux aussi extrêmement attachés.

On qualifie souvent de viscéral l'attachement de nos concitoyens à l'automobile. L'attachement des sénateurs et des sénatrices à la présence de l'automobile dans tous les territoires l'est tout autant.

J'ai eu l'occasion de vous le dire : en tant que ministre, je me suis déjà rendu à plusieurs reprises sur le terrain, parfois dans les locaux d'entreprises que nous avons pu sauver. Je songe, par exemple, à Amis, à Montluçon, dont l'activité dans le secteur automobile est importante et qui, après avoir perdu certains marchés, a pu trouver un repreneur. Cette entreprise a désormais un avenir.

Je le sais bien, il y a aussi des échecs. Soyez assurés que je prends la mesure des inquiétudes qui s'expriment.

Nous avons eu, durant près de deux heures, un débat extrêmement riche et intéressant centré sur le véhicule électrique. J'ai vu, en un sens, se construire par ce dialogue la position qui doit être celle de la France dans les mois qui viennent.

Je veux à nouveau préciser devant le Parlement, auquel nous devons rendre compte, la ligne que suit aujourd'hui le gouvernement auquel j'appartiens.

L'échéance de 2035 peut bel et bien faire l'objet d'adaptations ou d'assouplissements – appelons-les comme on le voudra. Il s'agit là d'une question extrêmement importante.

Nous ne sommes ni sourds ni aveugles : nous voyons bien comment le marché évolue. À l'évidence, l'objectif de 100 % de véhicules électriques en 2035 est difficilement atteignable.

Face aux changements technologiques actuels, nous devons accompagner notre industrie automobile, car cette adaptation prend du temps. Il est compliqué d'adopter un nouveau modèle tout en préservant ses outils industriels quand on a, pendant des années, construit des véhicules sur la base d'une certaine technologie.

Cet accompagnement doit être notamment financier. Nous l'avons fait au travers de France 2030, et nous le faisons désormais via un certain nombre de programmes, pour nous donner les moyens de réussir.

Qu'il n'y ait aucune ambiguïté : nous entendons assurer cet accompagnement. Nous voulons trouver les moyens d'assouplir l'objectif de 2035 pour permettre la réussite de l'électrique en France.

Dans le même temps, il me paraît très clair – ce sujet me semble d'ailleurs faire consensus sur l'ensemble des travées – que cet assouplissement doit s'accompagner d'un objectif de contenu local extrêmement ambitieux. Dans un entretien accordé la semaine dernière, le directeur général de Valeo lui-même l'a rappelé : aujourd'hui, en Europe, nous sommes capables de fabriquer des véhicules avec 75% de contenu local.

Nous devons toutes et tous nous assigner cet objectif. Si nous descendons sous ce taux, nous nous exposons à devoir fermer de nouvelles usines. Si nous allons au-delà, nous pourrons à l'inverse relocaliser des technologies et sortir, ce faisant, d'une forme de dépendance à l'égard de l'Asie.

Il a beaucoup été question de mesures de protection. Ce point fait l'objet d'un certain nombre d'échanges que nous avons et que nous continuerons d'avoir à l'échelle européenne.

Nous appelons l'Europe à sortir d'une forme de naïveté qui n'est plus acceptable aujourd'hui.

Pour produire une automobile, il faut non seulement beaucoup d'électronique, mais aussi beaucoup d'acier et de produits chimiques.

Quand l'acier a été attaqué, nous avons riposté par les clauses de sauvegarde. Il nous faudra aussi répondre aux questions relatives à la chimie.

Je suis allé sur le site de BASF à Chalampé. On y fabrique une molécule de nylon qui sert à produire les airbags. Nous voyons bien qu'il existe aujourd'hui des structures et des stratégies organisées pour mettre à mal un certain nombre de pans de notre industrie. Cette situation appelle une réaction extrêmement forte.

C'est par la vigueur de notre réponse et la défense de la préférence européenne que nous soutiendrons notre industrie en France et en Europe. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Fabien Genet applaudit également.)


source https://www.senat.fr, le 18 décembre 2025