Interview de Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics, à TF1 le 19 décembre 2025, sur le budget de l'État pour 2026.

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Média : TF1

Texte intégral

ADRIEN GINDRE
Bonjour Amélie de MONTCHALIN.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.

ADRIEN GINDRE
Dans deux heures, sept députés et sept sénateurs vont se réunir pour tenter de trouver un compromis, pour trouver un budget de l'État pour 2026. Ça paraît bien mal engagé. Est-ce que vous croyez à un compromis à tout prix ?

AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord, je l'espère, je le souhaite. Je crois qu'avec le Premier ministre et tout le Gouvernement, on a tout fait pour. Vous savez, c'est un moment très particulier, ce n'est pas un moment où on fait semblant ; c'est un moment où, au fond, la Constitution permet à des députés, à des sénateurs, de dépasser leurs désaccords et de faire un compromis.

ADRIEN GINDRE
Mais vous avez raison de souligner qu'aujourd'hui il y a des désaccords immenses.

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, vous savez, en février dernier, février 2025, il y avait eu déjà une commission mixte paritaire, sept députés, sept sénateurs, qui étaient arrivés aussi, on doit le dire, au départ, avec des positions très éloignées. Et à ce moment-là, je pense que la responsabilité, c'est aussi un moment de responsabilité, c'est un moment de très grand pouvoir aussi parlementaire, eh bien, se concentrant sur l'intérêt général, sur ce que les Français attendaient, il y a eu un accord. Au fond, ce qui se joue ce matin, pour les Français, c'est est-ce que dans 15 jours, on a une solution pour les agriculteurs, les viticulteurs, les enseignants, notre défense, la lutte contre le narcotrafic, bref, des choses concrètes. Et c'est ça qu'au fond, nous, le Gouvernement, on veut absolument que les députés et les sénateurs prennent le temps de regarder. Ou est-ce qu'au fond, dans 15 jours, ce qu'on aura, c'est qu'on aura eu, voyez, aujourd'hui, potentiellement, un peu de postures pour certains, peut-être un peu des tracts déjà de la présidentielle qui se jouent. Ce n'est pas ça qui est en question. Nous, le Gouvernement, on veut que les Français, dans 15 jours, ils y voient clair. Et je pense qu'aussi, ils en ont un peu marre de voir que, dans leur vie, il y a plein d'endroits où les Français savent se mettre d'accord, mais qu'au fond, à Paris, dès qu'on parle de politique, les choses sont bloquées. On a su le faire pour la Sécurité sociale. Ça, c'est quand même déjà une très bonne nouvelle.

ADRIEN GINDRE
Vous dites qu'on peut le faire pour le budget de l'Etat.

AMELIE DE MONTCHALIN
Il n'y a pas de raison que pour le budget de l'État et des collectivités, on n'y arrive pas.

ADRIEN GINDRE
Je prolonge ce que vous dites parce que c'est très important et il faut effectivement être très concret. Pour le budget de la Sécurité sociale, vous aviez dit très clairement, s'il n'y a pas d'accord, s'il n'y a pas de budget, ce sera des milliards de déficits et des difficultés pour mettre en oeuvre des politiques. Est-ce que vous avez fait le même travail ?
Est-ce que vous savez chiffrer, vous savez dire combien de milliards ça coûterait au budget de l'État et qu'est-ce qui, très concrètement, au 1er janvier ne pourrait pas être fait ? Parce qu'en fait, le budget, personne ne le dit, il n'y en aura jamais. La question c'est de savoir s'il est bouclé là ou s'il faudra un peu plus de temps.

AMELIE DE MONTCHALIN
L'année dernière, on avait estimé à 12 milliards le coût d'avoir eu ces 6 à 8 semaines sans budget, d'abord pour l'État, puis pour la Sécurité sociale. 12 milliards, pourquoi ? Parce que d'abord, il y a les économies que vous ne faites plus. Parce que vous avez des dépenses supplémentaires qui sont en fait parties, que vous ne contrôlez pas. Et puis, vous avez surtout de l'incertitude. Et le premier coup de tout ça, ce ne sont pas tellement les milliards pour le budget. Le premier coup, c'est l'incertitude. Ce sont les entrepreneurs qui se disent, j'attends. Ce sont les Français qui se disent, j'attends. Je ne sais pas quelle va être la fiscalité, je ne sais pas ce que va être le soutien à l'État, donc j'attends.
Et donc, très concrètement, je vous donne des exemples. Vous voyez, pour notre défense, on parle d'Ukraine, encore cette nuit au Conseil européen, comment on soutient l'Ukraine, comment nous aussi, on accélère notre réarmement. Soit vous avez un budget de l'État, et les PME, les entreprises qui aident l'armée à se renforcer, ont les crédits, lancent les commandes, travaillent. Ce sont aussi des emplois derrière... Soit il n'y a pas ce budget, et on ne peut pas lancer les nouvelles commandes.

ADRIEN GINDRE
S'il n'y a pas de budget, il y a quand même…

AMELIE DE MONTCHALIN
Autre exemple, pour les agriculteurs…

ADRIEN GINDRE
On va parler dans un instant.

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous savez qu'on parle des viticulteurs comme un soutien à cette crise agricole. Évidemment, on est plus efficace si on a un budget. Et puis enfin, il y a des questions aussi très régaliennes pour la Sécurité. Je vous donne deux exemples. Gérald DARMANIN a des prisons à ouvrir. Pour ouvrir des prisons, il faut des agents pénitentiaires. Pour avoir des agents pénitentiaires en plus, il faut avoir un budget en plus. Deuxième élément, c'est pour la lutte contre le narcotrafic. On a beaucoup d'investissements. Pour les douaniers, par exemple, on doit investir dans des scanners pour contrôler les conteneurs. Si je n'ai pas un budget, on ne peut rien faire de nouveau. On ne peut donc pas répondre à l'essentiel.

ADRIEN GINDRE
Rien de nouveau tant qu'il n'y a pas de budget. Il y a quand même une possibilité, s'il n'y a pas de budget dans l'immédiat, ce qu'on appelle la loi spéciale pour au moins pouvoir continuer à fonctionner à minima, elle est prête, cette loi spéciale ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, je suis dans le quoi qu'il arrive. Évidemment, avec les équipes qui sont sous ma direction, on a préparé, au cas où, un texte qui doit encore après aller au Conseil d'État, ensuite faire l'objet d'un Conseil des ministres, ensuite faire l'objet d'un vote. Tout ça, quand même, ça montre une chose.

ADRIEN GINDRE
Mais tout ça sera fait en début de semaine prochaine, si jamais il n'y a pas de budget aujourd'hui.

AMELIE DE MONTCHALIN
Est-ce qu'au fond, dans 15 jours, par le moment un peu de sursaut de responsabilité de pouvoir parlementaire, dans deux heures, les sénateurs, les députés se disent, avec leurs deux rapporteurs généraux, Jean-François HUSSON pour le Sénat, Philippe JUVIN, ils ont beaucoup travaillé. On a beaucoup travaillé ensemble. Est-ce qu'on se rapproche et on travaille pour maintenant ou, au fond, dans la pièce, certains préfèrent rester sur des postures ? Et à la fin, je vous le dis, il faudra bien un budget pour la France. Il faudra bien qu'on se mette d'accord. Il faudra bien que les positions se rapprochent.

ADRIEN GINDRE
On ne va pas faire de la tambouille parlementaire, mais il y a quand même plein d'outils. On lit parfois les ordonnances, le 49.3, surtout ça. Le Premier ministre a dit non et non. C'est non aujourd'hui, non pour demain, non pour janvier ? Vous n'utiliserez aucun outil que la Constitution vous autorise à utiliser pour faire avancer les choses ?

AMELIE DE MONTCHALIN
La première chose que je dois vous dire, c'est que tout ce que vous me dites, c'est le comment. Mais avant le comment, il y a le quoi. Sur quoi… On voit bien qu'on ne peut pas avoir aujourd'hui une majorité absolue.

ADRIEN GINDRE
Mais vous n'excluez pas ces outils, c'est ce que j'entends dans votre réponse.

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que j'ai à vous dire, c'est qu'au fond, les Français, et nous aussi au Gouvernement et les parlementaires, on a une responsabilité, c'est de nous mettre d'accord, c'est de créer un budget pour le pays. Après, les modalités, le comment, au fond, ce n'est pas le sujet.

ADRIEN GINDRE
Mais il n'y a pas de tabou ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Parce que s'il n'y a pas de texte, il n'y a pas de 49.3. S'il n'y a pas de texte, il n'y a juste pas de budget et donc on fait une loi spéciale. Et le deuxième élément que je veux mettre aussi en exergue, c'est qu'au fond, le compromis, c'est du plus pour les Français.
Je vous donne un exemple sur le budget de la sécurité sociale. Tout le monde a dit, vous voyez, on n'a fait que des négociations avec le Parti Socialiste. Le Parti Socialiste a eu, effectivement, un certain nombre de demandes pour un certain nombre de sujets qui intéressent les Français. Les Ecologistes, ils ont apporté des demandes pour l'hôpital. Laurent WAUQUIEZ - dans ce budget qui maintenant est là, voté - ul a apporté des éléments sur les heures supplémentaires pour que ça soit totalement défiscalisé. Il a apporté des éléments pour les pharmaciens. Vous voyez, à la fin, ce n'est pas juste les uns contre les autres, c'est du concret, c'est du plus pour les Français.

ADRIEN GINDRE
En quelques secondes, une précision sur un chiffre, parce que vous aviez fixé un objectif de réduction du déficit.

AMELIE DE MONTCHALIN
5%.

ADRIEN GINDRE
Voilà, mais c'est 5% et c'est inamovible ou vous seriez d'accord pour une discussion et un compromis qui ferait un déficit supérieur ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous savez, on était à 4,6%, il y avait les jours fériés qui devaient être travaillés. On a renoncé au travail les jours fériés, du coup, on était à 4,7%. Ensuite, on a dit, voilà, on voit bien qu'il nous faut un compromis, il faut qu'on ait un peu de souplesse dans la négociation, mais il y a un objectif posé par le Premier ministre : nous devons être à 5%, maximum, maximum. Pourquoi ? Parce que sinon, ça veut dire qu'on continue d'augmenter la dette et ça veut dire que nos enfants paieront notre incapacité à nous mettre d'accord aujourd'hui. Et ça, je crois que nous ne pouvons pas nous y résoudre. Vous voyez, on a tous, je crois, aussi la sensation qu'un pays qui ne tient pas ses comptes, c'est un pays qui se fragilise. Et dans le monde d'aujourd'hui, vous voyez, moi, je ne veux pas que la France soit faible.

ADRIEN GINDRE
Alors justement, vous parliez à l'instant des agriculteurs… Bon, à Bruxelles, cette nuit, il y a eu au moins une bonne nouvelle, l'accord de libre-échange dit Mercosur est reporté. On verra ce qui se passe en janvier, mais il y a aussi une crise en France avec la lutte contre la maladie qui s'appelle la dermatose. Est-ce que ça, ça veut dire un coût supplémentaire pour nos finances publiques ? On voyait hier la ministre des Armées qui disait : « On est allé chercher des vaccins aux Pays-Bas. On fait une vaccination massive. » Est-ce qu'on a de l'argent supplémentaire à dépenser ?

AMELIE DE MONTCHALIN
La France est un grand pays. Et moi, mon rôle de ministre du budget, c'est de rendre la France forte, forte pour ses agriculteurs. Donc oui, effectivement, quand vous avez une crise qui met en danger 16 millions de bovins, qui met en danger 125 000 agriculteurs et éleveurs, nous nous engageons.

ADRIEN GINDRE
Vous savez combien ça va coûter ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Un vol des armées… Vous savez, c'est dans le coeur de la mission des armées, c'est de protéger la France, ça c'est couvert par notre budget. Ensuite, on avait mis dans le budget, et j'espère que ça s'appliquera au plus vite, la défiscalisation, l'absence de charge sociale sur les indemnités pour les éleveurs qui, malheureusement, ont eu à abattre certaines de leurs vaches parce qu'elles sont malades. On a aussi, évidemment, un fonds d'urgence très ponctuel, notamment pour les petites exploitations qui, parce que quand elles vaccinent leurs animaux - c'est une bonne nouvelle de le faire - elles ne peuvent plus les exporter, elles ne peuvent plus les vendre.

ADRIEN GINDRE
Il y avait effectivement une annonce de 10 millions là-dessus.

AMELIE DE MONTCHALIN
Et moi, ma responsabilité de ministre, parce que ce sont les services sous mon autorité qui octroient ces aides, c'est de faire vite, de faire très humain, de faire dans l'accompagnement et qu'on ne mette pas une crise en plus, vous voyez, budgétaire et financière pour les exploitations qui ont déjà, on le sait, des situations très difficiles à affronter.

ADRIEN GINDRE
Un tout dernier mot, vous êtes aussi en charge des douanes en tant que ministre des Comptes publics. Cette semaine, un rapport parlementaire disait que seulement 0,008% des colis sont contrôlés. 86% des jouets vendus en ligne par le commerce électronique sont dangereux pour les enfants. Ça veut dire que ceux qui nous regardent ce matin, qui dans quelques jours peut-être vont ouvrir les cadeaux de Noël, doivent se dire, au pied du sapin, potentiellement, il y aura des trous dans la raquette.

AMELIE DE MONTCHALIN
Ça dit trois choses. Un, la taxe sur les petits colis pour qu'on ait les moyens de contrôler plus, c'est essentiel, c'est dans le budget. Vous voyez, là aussi, le budget, soit il est voté, ça s'applique, soit il n'est pas voté, on attend et ça s'appliquera plus tard.
Deuxième chose, des contrôles massifs ont été faits avec tous les autres pays européens, parce que ce n'est pas que la France, vous voyez bien, d'où ça circule. 11 millions de jouets ont été sortis des rayons, sortis des camions parce qu'ils étaient dangereux. Troisième chose, ce que ça nous dit, c'est qu'on peut consommer à pas cher en allant dans des sites en ligne français. Parce que quand c'est français, vous savez quoi ? C'est contrôlé. Nos artisans, nos commerçants, ils respectent les normes et donc on ne met pas en danger ses enfants. C'est aussi une incitation, vous voyez, en ce moment, on soit aussi engagé par notre consommation à, en fait… On peut le faire en ligne chez les acteurs français.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 décembre 2025