Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la déclaration du gouvernement sur la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
(…)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Laurent Nuñez, ministre de l'intérieur
Le premier ministre vient de le rappeler : il y a moins d'un an, dans votre immense majorité, vous avez adopté la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
Mme Danielle Brulebois
Eh oui !
M. Laurent Nuñez, ministre
Alors que les propositions de loi transpartisanes sont rares, surtout dans le champ régalien, la représentation nationale a clairement signifié, par une discussion profondément respectueuse et constructive, que la lutte contre le narcotrafic n'était plus une question de gauche ou de droite, mais une question de vie ou de mort. Le premier ministre l'a rappelé, en évoquant l'assassinat de Mehdi Kessaci à Marseille.
À l'occasion de ce débat, le diagnostic sera posé avec transparence et étayé par des chiffres objectifs.
Rien que l'année dernière, nous avons compté 367 homicides ou tentatives d'homicide entre délinquants, le plus souvent sur fond de trafic de stupéfiants : 110 personnes sont mortes et 341 ont été blessées.
Les saisies de cocaïne ont explosé de plus de 130%, tandis que le nombre de points de deal a baissé –? il faut s'en réjouir –, passant de 4 000 à 2 700. Il en reste donc 2 700 à démanteler : nous avons du travail, et même du pain sur la planche.
L'activité des forces de sécurité intérieure (FSI), placées sous ma responsabilité, donne des résultats très positifs en matière de lutte contre les trafics. Le nombre de mis en cause pour trafic et vente a augmenté de 7% et celui des mis en cause pour usage, de 11%. Surtout, et j'y reviendrai, le trafic de stupéfiants est à l'origine de 40 % des amendes forfaitaires délictuelles (AFD).
Un tel constat nous oblige, à l'évidence. J'ai à cœur de vous montrer combien les forces de sécurité intérieure –? agents déployés sur la voie publique, renseignement, police judiciaire ou administrative – se mobilisent pour lutter contre les trafics de stupéfiants. On ne peut pas laisser prospérer l'idée que l'État a baissé les bras ou détourné le regard : la lutte contre le trafic de stupéfiants ne passe pas par des coups de menton, l'État y est résolument engagé depuis une décennie.
Mes anciennes casquettes m'en ont donné l'expérience. En 2015, sous le mandat du président François Hollande, le gouvernement a décidé d'expérimenter, notamment à Marseille, les indispensables cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) ; aujourd'hui, elles sont généralisées à l'ensemble du territoire. Depuis, cette lutte n'a cessé d'être confortée, avec la création de l'Office français antistupéfiants (Ofast), son chef de file ; avec la stratégie de pilonnage des points de deal, pour taper là où le trafic minait le plus le quotidien de nos concitoyens ; avec la possibilité pour tout un chacun de signaler un trafic sur les sites dédiés du ministère de l'intérieur ; avec la création des amendes forfaitaires délictuelles, pour taper directement les consommateurs au portefeuille, eux qui portent une lourde responsabilité dans le développement du trafic.
M. Ugo Bernalicis
En somme, tout va bien !
M. Laurent Nuñez, ministre
J'en profite pour ouvrir une parenthèse, puisque le premier ministre en a parlé : l'amende forfaitaire délictuelle, actuellement, est de 200 euros –? 150 euros quand elle est payée immédiatement. Comme le président de la République l'a annoncé hier, nous défendrons le projet de la porter à 500 euros,…
Mme Danielle Brulebois
Très bien !
Mme Élisa Martin
Avec transmission de l'information à l'employeur ? C'est illégal !
M. Ugo Bernalicis
Ça ne marche pas ? Faisons encore plus !
M. Laurent Nuñez, ministre
…ce qui n'empêchera pas le gouvernement de réfléchir à d'autres moyens de sanctionner les usagers et de décourager la consommation, qui alimente le narcotrafic.
Au fil des années, ces stratégies ont reçu des labels différents, mais il ne faut pas s'y méprendre : le changement de leur nom n'implique pas la rupture de l'action menée. En tant que ministre de l'intérieur, sous l'autorité du premier ministre, je préfère mobiliser pleinement les dispositifs existants, ceux qui ont été progressivement déployés lors des dix dernières années, pour obtenir des résultats.
M. Ugo Bernalicis
Ils ne sont pas au rendez-vous pour l'instant !
M. Laurent Nuñez, ministre
Parmi les étapes qui ont marqué la lutte contre le trafic de stupéfiants, il y a le vote de la loi du 13 juin 2025. Celle-ci a permis une nouvelle organisation des services de l'État, calquée sur celle de la lutte antiterroriste. Le ministère de l'intérieur a identifié un chef de file, la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), et un état-major interministériel a été créé, comme pour la lutte contre le terrorisme. Il permet aux quatorze services de renseignement de la police judiciaire et aux différents ministères d'échanger en permanence des informations en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants.
Cette organisation décloisonnée, qui améliore la coopération entre services –? le décloisonnement est la véritable marque de fabrique de l'exécutif depuis 2017 –, a porté ses fruits dans la lutte contre le terrorisme et l'immigration illégale : elle porte déjà ses fruits et en portera de nouveaux dans celle contre le trafic de stupéfiants.
M. Ugo Bernalicis
Ça marche bien, la départementalisation !
M. Laurent Nuñez, ministre
Avec la loi du 13 juin 2025, vous n'avez pas seulement conforté les moyens des forces de sécurité intérieure. Vous avez permis aux préfets de disposer d'armes de police administrative, parmi lesquelles les interdictions de paraître, les injonctions faites aux bailleurs sociaux d'expulser les délinquants, et les fermetures de commerces impliqués dans le blanchiment des revenus du trafic. Plus tard dans le débat, je préciserai le bilan chiffré de ces mesures,…
M. Ugo Bernalicis
Inefficaces !
M. Laurent Nuñez, ministre
…qui est d'ores et déjà très bon.
Dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, nos résultats sont encourageants. En la matière, il faut rester modeste, car c'est une guerre au long cours que nous menons : on gagne beaucoup de batailles, mais il en reste encore beaucoup à remporter.
Je me réjouis de ce débat proposé par le groupe Socialistes. Il est l'occasion d'évoquer une cause commune, qui fait l'objet d'un véritable consensus au sein de l'Assemblée, ce dont je me félicite. Comptez sur les forces de sécurité intérieure placées sous mon autorité pour poursuivre le combat avec beaucoup de détermination.
M. Ugo Bernalicis
On parle de l'opération Trident ?
Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Ugo Bernalicis
Entre Bercy, Beauvau et Vendôme, c'est du haut niveau. Trois échecs !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice
Le premier ministre a souhaité qu'après celui du ministère de l'intérieur, le travail du ministère de la justice soit présenté. Il est inspiré par la loi " narcotrafic ", votée par tous les sénateurs et par une immense majorité de députés –? excepté ceux de La France insoumise – à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
M. Antoine Léaument
On ne veut pas de votre bilan !
M. Ugo Bernalicis
Oui, gardez-le, votre mauvais bilan !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux
Je tiens au passage à remercier le président de la commission des lois, Florent Boudié, et les rapporteurs Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, pour le travail que nous avons accompli ensemble autour de ce texte d'initiative parlementaire, utilement complété par la représentation nationale.
Cette loi est très importante. En moins de quatre mois, après validation du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel, le gouvernement a pu créer des prisons de haute sécurité. Ce faisant, il a pris acte de l'affaire Amra, de l'assassinat des agents pénitentiaires de l'établissement d'Incarville et de la dangerosité de ceux qui utilisent leur immense surface financière et la plus grande violence pour s'en prendre à nos magistrats –? une quinzaine d'entre eux ont été menacés et certains, placés sous protection judiciaire –, aux avocats, aux journalistes d'investigation et aux agents pénitentiaires.
En cet instant, je voudrais adresser une pensée particulière aux familles des deux agents assassinés à Incarville et aux magistrats qui, courageusement, parfois au péril de leur vie, font advenir la justice. (Applaudissements.) Je pense aux magistrats de Marseille, du siège ou du parquet, ainsi qu'au procureur général près la cour d'appel de Douai, dont la tête a été mise à prix sur internet et qui vit encore aujourd'hui sous protection policière.
La loi « narcotrafic » et le régime carcéral qui en découle prouvent l'efficacité du Parlement et de l'État sans remettre en cause les principes de l'État de droit. Je rappelle que les soixante-six recours déposés contre le ministère de la justice à l'occasion de la création des quartiers de lutte contre la criminalité organisée, aussi appelés quartiers de haute sécurité (QHS), ont tous été gagnés par l'État. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) En outre, le Conseil constitutionnel a validé l'intégralité des dispositions de la loi, malgré la volonté affichée par La France insoumise d'une censure de ce texte, qui protège pourtant nos concitoyens et nos agents publics.
Par ailleurs, nous avons créé le parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), tel que l'a souhaité le Parlement. Il sera installé le 5 janvier prochain. Les décrets d'application ont été publiés ainsi que la circulaire créant le juge d'application des peines spécialisé –? je le signale à Roger Vicot, particulièrement attentif à ce point. Avec ce parquet, qui sera dirigé par Vanessa Perrée –? première femme à prendre la tête d'un parquet national –, nous disposerons d'un outil équivalent au parquet national antiterroriste (Pnat), qui a fait la preuve de son efficacité. À partir du 5 janvier, le Pnaco travaillera de concert avec la DNPJ, et plus généralement avec tous les services du ministère de l'intérieur et de Bercy regroupés au sein de l'état-major interministériel constitué pour l'aider dans sa tâche.
Ces nouveautés vont de pair avec un renfort considérable de moyens.
M. Ugo Bernalicis
Pas à la PJ !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux
Une centaine de postes supplémentaires de magistrat seront créés dans les deux ans qui viennent, en plus des moyens prévus par mon prédécesseur Éric Dupond-Moretti, que je salue, dédiés à la lutte contre la criminalité organisée : une trentaine au Pnaco et des dizaines d'autres au sein des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et des infra-Jirs sur tout le territoire national –? onze à Marseille, par exemple ; leurs missions seront ainsi renforcées par la création du Pnaco.
M. Ugo Bernalicis
Et les postes non pourvus au concours, on en parle ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux
Enfin, avec le ministère de l'intérieur, un travail important sera consacré aux repentis. Le système judiciaire italien l'a prouvé : la lutte contre le narcotrafic ne peut pas s'en passer. Le dispositif a été voté à l'unanimité par votre assemblée. Si nous voulons que certains membres d'organisations criminelles parlent, il faut qu'ils puissent bénéficier du statut de collaborateur de justice, dont on doit préciser les contours. Le décret d'application de la mesure est attendu ; il sera pris avant la mi-janvier 2026. Avec le service interministériel d'assistance technique (Siat) –? je me tourne vers le ministre de l'intérieur –, nous pourrons ainsi préserver l'anonymat des repentis qui se sont manifestés : pour la première fois dans l'histoire de la lutte contre la criminalité organisée, plusieurs ont d'ores et déjà exprimé auprès de magistrats leur volonté de parler et de collaborer avec la justice.
J'ai indiqué en quelques mots où en était l'application de la loi " narcotrafic ". Je me tiens prêt à répondre aux questions des orateurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
M. Ugo Bernalicis
C'est bien la première fois qu'elle a la parole sur ce sujet !
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées
Elles promettent la relaxation, l'euphorie, parfois l'oubli ; on les pense privées, festives, cantonnées à des choix individuels ou à des marges que l'on préfère ne pas regarder de trop près ; on les range encore parmi les faits divers, dans le registre du risque assumé, de la transgression nocturne. On peut légitimement les considérer comme un sujet régalien. À mesure qu'elles se diffusent, elles ruinent la santé, perturbent l'organisation des soins et creusent les vulnérabilités. Elles ont pour conséquence des trajectoires qui dévient, des vies brisées, des inégalités qui s'aggravent et une santé collective qui se fragilise en silence.
M. Ugo Bernalicis
Au même titre que l'alcool !
Mme Stéphanie Rist, ministre
Les drogues sont un poison lent et invasif pour la santé des Français. Il n'y aurait pas de sens à parler du narcotrafic sans parler de prévention. (M. Antoine Léaument applaudit.) Telle est la signification de la mobilisation générale voulue par le premier ministre. On ne peut pas aborder ce sujet avec légèreté quand on sait que, dans l'année, 450 000 adultes ont consommé de la cocaïne, 750 000 de l'ecstasy ou de la MDMA, 5 millions du cannabis. Rendons-nous compte : 5 millions de personnes, ce sont sept ou huit départements français réunis, deux fois Paris, dix grandes villes comme Lyon et Toulouse. En 2023, 14,6% des adultes de 18 à 64 ans avaient déjà consommé au moins une fois une drogue illicite autre que le cannabis, soit une hausse de 50% par rapport à 2017.
La banalisation de la consommation a des conséquences concrètes sur notre système de santé.
M. Éric Coquerel
Il faut peut-être regarder ce qu'ont fait les Portugais !
Mme Stéphanie Rist, ministre
Les passages aux urgences ont explosé : ceux liés à la cocaïne ont été multipliés par trois depuis 2012 –? 5 067 l'an dernier ; 1 619 hospitalisations liées aux intoxications et à la dépendance ont été enregistrées. Par-delà ces chiffres, il faut d'abord s'inquiéter de l'extension de la consommation de certaines drogues comme la cocaïne, notamment dans les secteurs de la restauration, du BTP, des transports ou de la pêche.
La drogue a aussi des conséquences sur nos familles : elle enferme dans un engrenage où se mêlent le sentiment d'impuissance, le déni et la culpabilité silencieuse, qui ronge peu à peu les liens. Le coût humain et sanitaire des drogues est une réalité qui doit s'ancrer dans nos représentations.
Pour toutes ces raisons, le gouvernement souhaite agir, en mettant la prévention et l'accès aux soins au cœur de la bataille. Cette politique s'appuiera sur quatre piliers.
Le premier porte sur la conscience des risques. Chaque Français doit les connaître : le risque de perdre rapidement le contrôle ; le risque pour les jeunes –? la consommation de cannabis multiplie par deux la survenue de psychoses ; les risques pour la santé mentale ; les risques cardiovasculaires ; les risques pour les fonctions cognitives. Chacun doit aussi savoir que ces risques sont encourus dès la première prise. (M. Antoine Léaument applaudit.) Pour que chaque Français les connaisse, nous lancerons au premier trimestre 2026 une grande campagne nationale de prévention, qui combinera marketing social et actions de terrain.
Deuxième pilier : l'amélioration de l'offre. Consultations jeunes consommateurs (CJC), travail alternatif payé à la journée (Tapaj), centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa), centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), rôle des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), de la médecine de ville, de l'hôpital : l'offre existe mais manque de lisibilité et d'efficacité.
M. Ugo Bernalicis
Et de moyens !
Mme Stéphanie Rist, ministre
Une évaluation des parcours de prise en charge et de l'articulation ville-hôpital est en cours. Nous visons l'efficacité et la lisibilité.
M. Ugo Bernalicis
Pas davantage de moyens ?
Mme Stéphanie Rist, ministre
Une meilleure intégration des stupéfiants dans la prévention constitue le troisième pilier de cette politique, qui doit d'abord cibler les enfants et les adolescents. Afin d'armer ces derniers, de les préparer à dire non, à mieux gérer leurs émotions et à mieux se connaître, nous souhaitons généraliser le programme Unplugged…
Mme Élisa Martin
Vous n'aviez pas un mot français pour le nommer ?
Mme Stéphanie Rist, ministre
Testé en France et en Europe, ce programme a démontré son efficacité pour réduire le risque de consommer des substances addictives : 1 euro investi, ce sont 150 euros de coûts sociaux évités.
M. Antoine Léaument
Ça, c'est bien !
Mme Stéphanie Rist, ministre
Je veux ensuite que chaque contact avec un professionnel de santé fournisse l'occasion d'obtenir immédiatement des résultats en la matière : d'abord, en généralisant la question de l'usage des stupéfiants dans le dispositif Mon Bilan prévention ; ensuite, en adoptant l'approche Making Every Contact Count (MECC) dans 100 établissements de santé prioritaires –? il s'agit d'utiliser chaque interaction pour interroger les patients sur leurs habitudes et les inciter à adopter des modes de vie plus sains.
En parallèle, je propose que nous engagions une réflexion pour développer des métiers de santé publique entièrement dédiés à la prévention et à l'aller vers.
Quatrième pilier : le renforcement de nos dispositifs de veille et d'alerte. Nous devons être plus vigilants lorsque de nouvelles drogues entrent en circulation si nous voulons éviter que notre pays traverse un drame tel que celui qui touche l'Amérique du Nord à cause du fentanyl. Face à la multiplication des menaces, nous veillerons à renforcer notre dispositif d'alerte sur l'ensemble du territoire national, y compris dans les outre-mer.
M. Antoine Léaument
Très bien !
Mme Stéphanie Rist, ministre
La lutte contre les drogues touche au cœur des enjeux économiques, sécuritaires, démocratiques et, bien sûr, sanitaires, auxquels nous faisons face. Elle figure parmi mes priorités pour 2026 : protéger la santé de nos enfants, renforcer la santé mentale et garantir un meilleur accès aux soins.
Mme Mathilde Feld
Et le budget de la santé ?
Mme Stéphanie Rist, ministre
Vous pouvez compter sur mon engagement. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
M. Ugo Bernalicis
Ça manquait de conviction à la fin !
M. Antoine Léaument
Il est éloquent de ne pas avoir commencé par la ministre de la santé !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants.
Mme Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants
La revue nationale stratégique (RNS) identifie la lutte contre le narcotrafic comme un combat prioritaire. Le ministère des armées y prend toute sa part, en vue d'affaiblir les filières, d'accroître le préjudice causé aux organisations criminelles, d'affirmer la souveraineté de la France sur ses espaces maritimes et d'y défendre ses intérêts, mais aussi d'agir dans le cadre de la coopération internationale en matière de lutte contre le narcotrafic.
Le rôle d'entrave assumé par le ministère des armées est confirmé par la très forte hausse des saisies. Depuis le début de l'année, le premier ministre l'a rappelé, plus de 80 tonnes ont été saisies, soit presque deux fois plus que les 48 tonnes de 2024 –? sachant que le volume des saisies pourrait encore augmenter d'ici à la fin de l'année, des opérations étant toujours en cours.
Cette augmentation a plusieurs explications. Bien qu'elle soit en partie liée, malheureusement, à la hausse des flux de cocaïne à destination de l'Europe –? cette drogue représentant deux tiers des saisies –, elle est également la conséquence de la structuration renforcée du renseignement. L'expertise gagnée par la marine nationale, que je salue, se confirme d'année en année. Le Parlement a d'ailleurs facilité l'action de cette dernière en adoptant, en avril dernier, la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic : désormais, les unités n'ont plus à rapporter l'intégralité de la cargaison de drogue saisie afin d'instruire la procédure judiciaire, mais seulement un échantillon représentatif –? la cargaison est détruite en mer et les unités déployées peuvent ainsi poursuivre leurs opérations.
La loi programmation militaire (LPM) et la " surmarche " prévue pour le budget de la défense permettent d'aller plus loin dans la lutte contre le narcotrafic, en particulier dans les territoires d'outre-mer. Au mois d'août dernier, le troisième des six patrouilleurs outre-mer de nouvelle génération a été livré à La Réunion. Ces navires disposent d'une capacité de surveillance et d'un plus grand rayon d'action ; ils ont d'ores et déjà permis de saisir de la drogue en zone indo-pacifique. Je confirme que tous seront livrés d'ici à 2027.
Nous avons également renouvelé nos moyens aériens : le premier Falcon 50, livré à Tahiti en avril, a fait sa première patrouille la semaine dernière dans la zone économique exclusive (ZEE) de Wallis-et-Futuna. Pour ce qui concerne les avions de surveillance et d'intervention maritime, une tranche optionnelle de cinq Albatros a été notifiée en septembre 2025, ce qui permettra à terme de disposer au total de douze avions, dont huit seront livrés d'ici à la fin de la LPM 2024-2030.
Le ministère des armées est mobilisé pour lutter contre le narcotrafic. Je salue nos militaires en opération partout dans le monde, en particulier la marine nationale. La France joue également pleinement son rôle dans les coopérations sous-régionales, dans les Caraïbes, au large de l'Afrique, dans la zone du Pacifique Sud. Ces coopérations sont essentielles pour lutter contre le fléau commun qu'est la drogue. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du travail et des solidarités.
M. Ugo Bernalicis
Pour parler de la souffrance au travail des narcotrafiquants ?
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités
Le monde du travail n'est pas épargné par le fléau de la drogue, bien au contraire. Les conduites addictives au travail –? la consommation d'alcool, de médicaments, de psychotropes, de cocaïne ou encore de cannabis – constituent un enjeu de plus en plus préoccupant en matière de santé, de sécurité et de maintien en emploi.
M. Antoine Léaument et M. Ugo Bernalicis
Eh oui !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
La consommation de ces substances progresse. Les médecins du travail évaluent à 7 % la proportion de salariés souffrant d'une addiction au cannabis, soit 2 points de plus qu'il y a quinze ans. La prise de drogue renforce considérablement les risques en matière de sécurité au travail, pour celui qui consomme comme pour celles et ceux qui l'entourent. Elle entraîne une baisse de l'attention, donc des accidents potentiellement mortels, des tensions entre collègues, une désorganisation du travail ; pour le salarié en question, elle augmente aussi le risque de décrochage professionnel, donc celui d'être entraîné dans une spirale négative vers la précarité.
Le coût social des drogues est estimé à 7,7 milliards d'euros par an. Il s'agit d'un coût –? avant tout humain – inacceptable. Ceux qui sont déjà les plus fragiles s'en trouvent d'autant plus fragilisés. Le ministère du travail et des solidarités prend très au sérieux ce sujet qui touche à la santé des travailleurs. Il choisit de l'aborder notamment sous l'angle de la prévention. Le cinquième plan Santé au travail, qui doit être rendu public au premier semestre 2026, proposera de renforcer l'accompagnement des employeurs, de mobiliser encore davantage les services de prévention et de santé au travail pour sensibiliser les salariés, et d'améliorer la prise en charge des salariés consommateurs de stupéfiants.
Parce que le lien entre la drogue et la santé mentale est établi –? la drogue est soit une fausse solution à un problème psychique, soit un facteur aggravant de ce dernier –, nous devons renforcer la prévention en la matière, grâce à la charte lancée par l'Alliance pour la santé mentale, soutenue par le gouvernement, mais aussi par l'organisation de formations aux premiers secours en santé mentale.
En bout de chaîne, les conséquences du narcotrafic sont individuelles, mais aussi collectives. Elles concernent les employeurs et les acteurs de la prévention, en première ligne pour protéger les salariés. Lutter contre le phénomène suppose aussi une part de contrôle. Je rappelle que les employeurs peuvent déjà organiser des dépistages inopinés si le règlement intérieur de leur entreprise le prévoit, et pour des postes qui le justifient. S'y soustraire est passible de sanctions disciplinaires, voire de licenciement.
Dans le cadre du plan Santé au travail, nous souhaitons être encore plus clairs et inscrire dans le code du travail une interdiction générale et absolue de travailler sous l'emprise de substances psychotropes.
M. Antoine Léaument
Il va falloir commencer par l'Assemblée !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Prévenir, c'est aussi nous donner les moyens de protéger les publics vulnérables du risque de tomber dans la drogue. L'enjeu est particulièrement grave pour les jeunes qui connaissent des difficultés sociales ou économiques. Dans le projet de loi de finances pour 2026, nous renforçons notamment les moyens alloués aux établissements pour l'insertion dans l'emploi (Epide), chargés de recueillir des jeunes en difficulté sociale. Ces établissements donnent des résultats très satisfaisants : à leur sortie, 70% des jeunes trouvent un travail. Aucun autre dispositif n'est aussi efficace.
Pour le ministère du travail et des solidarités, les priorités sont donc claires : protéger les travailleurs des risques liés à la consommation de drogue ; mieux accompagner les employeurs et les acteurs de la prévention ; enfin, lutter contre les risques de décrochage social. C'est notre affaire à tous : nous avons besoin de moyens pour lutter contre le fléau du narcotrafic. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem. –? M. Joël Bruneau applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale.
M. Pierre Cazeneuve
Le message est clair : la drogue est partout !
M. Édouard Geffray, ministre de l'éducation nationale
Si l'intérieur de l'école est relativement préservé grâce aux équipes pédagogiques et éducatives, elle n'échappe pas au narcotrafic présent dans son environnement et à ses conséquences délétères. Il ne s'agit pas de faits isolés –? contrairement à ce qu'on pourrait croire –, mais d'une logique d'emprise, progressive et structurée, qui finit par étouffer les élèves, leurs parents, toute une communauté de vie et qui, dans les quartiers concernés, met l'école sous pression.
S'agissant de l'état des lieux, deux chiffres éclairent l'évolution entre 2022 et 2025 : les signalements, effectués par les chefs d'établissement, liés à la détention et à la consommation de drogue ont augmenté de 16% ; les signalements liés au trafic dans ou aux abords des établissements, de 56%. Le phénomène touche aussi bien les métropoles que les territoires ruraux et, dans les trois quarts des cas, frappe en dehors des zones d'éducation prioritaire. Autrement dit, le narcotrafic autour de l'école n'est pas lié à une sociologie ou à une géographie particulières.
M. Antoine Léaument
Voilà !
M. Ugo Bernalicis
On vous l'avait dit !
M. Édouard Geffray, ministre
Les conséquences de ce phénomène sont connues : climat scolaire dégradé et réussite en berne, liée à un absentéisme significatif des élèves.
Mme Élisa Martin
Si on avait des profs !
M. Édouard Geffray, ministre
Oui, nous avons des professeurs !
Mme Élisa Martin
Pas assez !
M. Édouard Geffray, ministre
L'école devient alors un refuge et un bouclier pour les élèves. C'est exactement ce que j'ai observé lundi matin auprès des équipes du quartier des Grésilles, à Dijon. Alors que leur collège –? le collège Champollion – a été partiellement incendié dans la nuit de vendredi à samedi, dans un quartier marqué par le combat des services de police et de justice contre le narcotrafic, elles se sont immédiatement mobilisées. Dans la nuit même, les agents d'accueil, les personnels du département, la principale et la principale adjointe se sont rendus sur le site où, dès lundi matin, toute l'équipe était présente. Je tiens solennellement, devant vous, à rendre hommage à ces femmes et à hommes qui font que notre école demeure debout, unie, au service de la réussite des élèves et des familles, pour refuser toute forme de fatalité en la matière et pour permettre à chacun de s'en sortir.
Le refus collectif de la fatalité peut s'adosser à une politique de prévention claire. Pour ce qui concerne les abords de l'école, je me fais l'écho de ce qu'a indiqué le ministre de l'intérieur, avec qui nous travaillons au quotidien sur des enjeux liés aux signalements, aux politiques de prévention ou au démantèlement des points de deal. Dans l'enceinte de l'école, nous œuvrons chaque jour à préserver le climat scolaire, avec les assistants d'éducation (AED), les conseillers principaux d'éducation (CPE), et la mobilisation des 600 agents des équipes mobiles de sécurité, que nous envoyons lors de situations particulières, comme au collège Champollion, et de 500 assistants de prévention et de sécurité.
Sur le fond, l'école est surtout attendue en matière de prévention. Prévenir le narcotrafic, c'est d'abord préserver les élèves de son influence insidieuse, en les accueillant en sécurité dans nos murs. Prévenir, c'est aussi instruire. Pour reprendre l'expression d'une professeure du collège Champollion avec qui je discutais lundi, nous faisons en sorte que les élèves soient sur des chaises de classe pour qu'ils ne finissent pas sur des chaises de guetteurs. Prévenir, c'est enfin lutter contre les conduites addictives, et éviter que nos jeunes ne deviennent de futurs consommateurs. Soulignons ici les programmes que nous partageons avec la ministre de la santé, notamment Unplugged. Plus généralement, c'est bien par des cours scientifiquement fondés, notamment en sciences de la vie et de la terre, que nous parviendrons à former nos jeunes et à les outiller contre la tentation du narcotrafic.
Ce combat, c'est enfin celui pour la santé physique et psychique des élèves. Sur fond d'addiction croissante, la lutte passe par le fait de repérer, d'accompagner et d'orienter vers la médecine de ville ou hospitalière les jeunes concernés, en particulier grâce aux médecins, aux infirmières et aux psychologues scolaires.
Il s'agit d'un défi à relever sur le long terme, qui requiert d'investir dans la santé scolaire. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé, dans le projet de loi de finances pour 2026, la création de 300 postes supplémentaires –? 100 postes de psychologues de l'éducation nationale et 200 postes d'infirmières et d'assistants sociaux – afin de repérer plus tôt les problèmes, d'accompagner les familles et de faire reculer les ténèbres du narcotrafic à l'école. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem. –? M. Joël Bruneau applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
La France est submergée par le narcotrafic et la criminalité organisée qui l'accompagne. Tous les territoires de la République sont désormais concernés. Les conséquences ravageuses de ce phénomène menacent à la fois la santé et la sécurité des Français. Pour lutter contre ce fléau, la France s'est dotée d'un arsenal –? fruit de la loi du 13 juin 2025 – constitué notamment d'un état-major interministériel et d'un parquet anti-criminalité organisée.
M. Ugo Bernalicis
L'autosatisfaction !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Face à la mondialisation accélérée des trafics, la guerre contre les trafiquants…
M. Ugo Bernalicis
Ah, la guerre !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
…appelle une action internationale sans relâche traitant les causes du problème. Éradiquer le mal à la racine, c'est la mission que le premier ministre a confiée au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui va déployer dans les douze prochains mois un plan de bataille contre les trafiquants, comprenant la multiplication des accords de coopération sécuritaire avec les pays de production, de transit et de rebond ; le renforcement, dans les pays concernés, des effectifs du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ainsi que des ministères de l'intérieur, des armées et de la justice, accueillis dans les postes diplomatiques ;…
M. Jean-Paul Lecoq
Que des budgets en baisse !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
…la réorientation de l'aide publique au développement vers les cultures de substitution, les projets de lutte contre le blanchiment d'argent ou la sécurisation des ports ; enfin, un régime de sanctions européen contre les criminels réfugiés à l'étranger et impliqués dans le trafic de drogue, le trafic d'armes et la traite d'êtres humains.
M. Jean-Paul Lecoq
Il n'y a pas de moyens !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Comme je l'ai annoncé il y a quelques semaines, en me rendant sur place aux côtés du président de la République, le premier axe d'effort porte sur l'Amérique latine et les Caraïbes. C'est dans cette région qu'est produite la totalité de la cocaïne qui déferle dans les rues des villes et des villages de France, où elle est désormais consommée par plus d'un million de personnes. La production, en pleine explosion, est localisée principalement en Colombie, au Pérou et en Bolivie. Elle transite vers l'Europe via l'Équateur, le Brésil, le Panama, le Venezuela, le plateau des Guyanes et les Caraïbes. Les territoires ultramarins se trouvent évidemment en première ligne.
Le deuxième axe d'effort porte sur l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. C'est au Maghreb qu'est produit l'essentiel du cannabis importé en France. De nombreux narcotrafiquants y sont réfugiés. L'enjeu est d'obtenir des extraditions, des judiciarisations sur place et des saisies d'avoirs. Le Maroc est aussi un pays de rebond pour la cocaïne. Par ailleurs, certains pays du Golfe constituent des points de vigilance en matière de blanchiment d'argent issu du narcotrafic.
Nous incitons également les pays des Balkans occidentaux à durcir leur réglementation et leur action en matière de lutte contre la criminalité organisée. La coalition européenne contre la drogue, instituée au sein de la Communauté politique européenne (CPE), permettra d'agir dans un grand nombre de dimensions. L'année prochaine, nous ferons de la lutte contre le narcotrafic une priorité de la présidence française du G7, car un fléau mondial nécessite une réponse internationale. Nous soutiendrons des initiatives en matière de renseignement, de résilience des infrastructures, de lutte contre les trafics en mer et les flux financiers illicites.
Le premier ministre l'a dit : la lutte contre le narcotrafic est un combat destiné à s'inscrire dans la durée. Il faudra adapter les moyens de l'État pour faire face à un adversaire en mutation. Ce combat nécessite des moyens indispensables, notamment pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ; ils ont été intégrés au projet de loi de finances pour 2026. Soyez assurés que mon ministère est pleinement mobilisé. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem. –? M. Corentin Le Fur applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l'action et des comptes publics.
M. Éric Coquerel
Montchalin, au moins, on la connaît ; les autres, on ne les voit pas !
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics
Face à la menace grave que le narcotrafic et la criminalité organisée font peser sur notre pacte républicain, la réponse de l'État doit être totale, cohérente et déterminée, sans angles morts. Mais chacun le sait : le narcotrafic s'adapte vite et l'État doit toujours avoir un temps d'avance. Depuis ma nomination, mon action est structurée autour de trois priorités, afin de reprendre l'avantage.
La première priorité, c'est l'argent. (M. Antoine Léaument applaudit.) L'argent est le carburant de ces organisations criminelles : couper l'argent, c'est couper le moteur le narcotrafic. C'est pourquoi nous renforçons la lutte contre le blanchiment ainsi que la saisie des avoirs criminels, avec une coopération resserrée et opérationnelle entre services au sein de l'état-major interministériel de lutte contre la criminalité organisée (Emco), mentionné par mon collègue Laurent Nuñez. Les services placés sous mon autorité –? Tracfin, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et l'Office national antifraude (Onaf) – sont pleinement mobilisés afin de traquer l'argent sale partout où il se cache, cibler les montages complexes et les circuits internationaux.
Les résultats sont là : les déclarations de soupçon ont augmenté de plus de 90% depuis 2020. Cette hausse devrait se poursuivre avec les nouvelles professions assujetties dans le cadre de la loi du 13 juin 2025 –? je pense notamment aux loueurs et aux vendeurs de voitures de luxe et de yachts.
M. Jean-François Coulomme
Ça suffit de taper sur les riches comme ça !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Toutefois, nous devons aller plus loin, notamment dans le secteur non financier, pour que chaque euro blanchi devienne un risque plutôt qu'une tentation. Les moyens de Tracfin ont été renforcés dès 2025 et continueront de l'être. Dès janvier prochain, la nouvelle procédure de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants (Gaban) entrera en vigueur. Concrètement, l'argent sera immobilisé avant qu'il ne puisse s'évaporer.
La deuxième priorité, c'est d'adapter nos méthodes et nos moyens. Là où les trafiquants ont industrialisé leurs pratiques, l'État doit moderniser les siennes. Cela implique avant tout de renforcer massivement les capacités de contrôle de la douane,…
M. Éric Coquerel
Il faut plus de douaniers, ce que ne prévoit pas le PLF !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…avec davantage de scanners dans les ports –? à Marseille, au Havre, à Dunkerque, à Fort-de-France –, dans les aéroports et sur les flux postaux que nous scannerons désormais à 100%. Davantage de moyens seront consacrés au contrôle des routes, avec une attention particulière aux outre-mer, qui sont en première ligne face aux trafics.
M. Jean-Paul Lecoq
Depuis le temps qu'on le demande !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Cette deuxième priorité inclut également l'intensification de notre présence en mer, avec notamment le renforcement de la garde côtière des douanes en complément de la marine nationale. C'est aujourd'hui une nécessité opérationnelle ; les saisies réalisées en témoignent. Certes, cette modernisation a un coût : un scanner coûte environ 5 millions d'euros. Mais, on le sait, le coût de l'inaction serait bien plus élevé.
M. Éric Coquerel
C'est comme pour l'environnement !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Je rappelle que les douaniers ont déjà saisi, en 2025, plus de 29 tonnes de cocaïne : cela représente 2 milliards d'euros de cash non injectés dans l'économie parallèle. (MM. Vincent Caure et Antoine Léaument applaudissent.)
La troisième priorité, c'est la défense de la probité des agents publics. La corruption constitue une attaque directe contre la République. Protéger nos agents et renforcer la prévention est essentiel, au moyen de nouveaux circuits de signalement et de nouveaux cadres de sanction. Je le dis avec force : chaque agent public qui serait pris dans cet engrenage doit pouvoir se signaler rapidement, se sentir autorisé à le faire et être protégé afin de sortir de cette emprise. Le plan pluriannuel de lutte contre la corruption 2025-2029 doit désormais être déployé dans toutes les administrations à risque.
La lutte contre le narcotrafic est une priorité pour les Français. Les administrations de Bercy y prennent toute leur part, sans naïveté et sans relâche. Face au narcotrafic, la République ne cède pas ; elle sait et doit toujours se défendre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
M. Éric Coquerel
Ce sont les étrennes des ministres !
M. Jean-Paul Lecoq
Vous manquez de place pour vous réunir à Matignon ? Dites-nous si vous avez besoin qu'on vous prête nos locaux !
Mme la présidente
C'est un conseil des ministres à l'Assemblée nationale, sans le Président ! (Sourires.)
Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer
Je commencerais en décrivant trois scènes ordinaires rencontrées par les forces de sécurité sur le terrain : un contrôle renforcé à l'embarquement, à Cayenne ; un signal détecté en mer dans la zone caraïbe ; un point d'entrée identifié sur une côte des Antilles. C'est ainsi que commence le narcotrafic, dans une géographie précise : celle des outre-mer. Ces territoires sont souvent exposés les premiers, car ils sont traversés par les grandes routes internationales de la drogue, y compris désormais dans le Pacifique, au large de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.
Les outre-mer encaissent les effets directs du trafic, mais ils protègent aussi l'Hexagone. Ce qui est bloqué en Guyane, en Martinique ou en Guadeloupe, ce sont des tonnes de cocaïne qui n'arriveront jamais ailleurs sur le territoire national. D'abord, parce que les moyens des forces armées, de la douane et des unités spécialisées positionnées là-bas concourent puissamment à l'interception de grandes quantités de stupéfiants, sur l'ensemble des océans. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2025, 35,2 tonnes de cocaïne ont été saisies en haute mer dans la zone caraïbe contre 28,3 tonnes en 2024 –? il y a dix ans, on parlait seulement de quelques tonnes. Cette progression dit l'ampleur du phénomène ; elle dit aussi l'intensité de l'action menée par l'État.
Nous veillons à ce que la coopération judiciaire et diplomatique permette l'interception non seulement des marchandises, mais aussi des navires et des équipages, dans le respect du droit de la mer et des conventions internationales.
Les outre-mer ne sont toutefois pas seulement des zones d'interception. Ils sont aussi des territoires de consommation, avec des phénomènes inquiétants comme la consommation d' ice, en Polynésie française, des territoires de trafic local et de rebond vers l'Hexagone –? c'est notamment le cas des Antilles. Nous devons donc intervenir à tous les niveaux.
En Guyane, la voie aérienne a été largement tarie par une politique volontariste de contrôles systématiques au départ des vols. Cette politique a fait ses preuves ; la remettre en cause serait une grave erreur.
Aux Antilles, la situation est particulièrement préoccupante. Le taux d'homicides y est cinq fois supérieur à la moyenne nationale, avec de nombreux faits directement liés aux trafics.
Confronté à cette situation, l'État agit. Deux radars de surveillance des approches maritimes sont désormais en service en Martinique et les mêmes équipements seront déployés en Guadeloupe. La gendarmerie y engagera, à titre expérimental, un drone de surveillance doté de moyens de détection modernisés.
Nous devons également renforcer la détection dans les aéroports, où les scanners sont un enjeu majeur. Une convention a été signée avec la collectivité de Martinique pour l'installation de scanners millimétriques et un dispositif équivalent est à l'étude en Guadeloupe.
Les ports doivent faire l'objet d'une attention vigilante, comme à La Réunion, où un important réseau opérant depuis l'Hexagone vient d'être démantelé.
Nous savons que la répression, à elle seule, ne suffira pas. Pour obtenir des résultats durables, la prévention et l'insertion sont indispensables, comme il est indispensable de favoriser les alternatives à l'argent facile de la drogue. Nous pouvons faire beaucoup pour la jeunesse dans les outre-mer, et j'y travaille.
Les outre-mer sont donc à l'avant-poste de la lutte contre le narcotrafic. Ils méritent que la nation leur donne les moyens de ce combat ; le budget qui vous est proposé s'inscrit dans cette trajectoire. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et HOR.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 19 décembre 2025