De la Révolution française à la Ve République : une brève histoire du référendum moderne (1/3)

L'Actualité de la vie publique - Podcast - N° 52

Temps de lecture  9 minutes 36 secondes

Par : La Rédaction

Podcast

Conférence de presse du général de Gaulle

Quelle est l’origine du référendum moderne ? Quelles sont les différentes conceptions de la démocratie qui s’opposent durant la Révolution française ? De quelle manière le référendum est-il utilisé par les régimes bonapartistes ? Pourquoi la pratique référendaire du général de Gaulle a-t-elle fait débat ? Quels ont été les référendums marquants en France ces trente dernières années ?

De la Révolution française à la Ve République : une brève histoire du référendum moderne (1/3)

 [GENERIQUE] 

Vous écoutez « L’Actualité de la vie publique », un podcast du site Vie-publique.fr. 

Signature sonore 

Guillemette : Bonjour à tous, Bonjour « Patrice » 

Patrice : Bonjour « Guillemette » 

Guillemette : Référendum d’initiative partagée (RIP), référendum d’initiative citoyenne (RIC), initiative populaire des lois (IPL)…etc., si le débat concernant les moyens de renforcer la participation des citoyens aux affaires de la cité a été relancé en France ces dernières années, le référendum plonge en réalité ses racines dans un passé très ancien. 
Voici une nouvelle série de « L’Actualité de la vie publique » consacrée à cet instrument de démocratie directe qui suscite de nombreuses critiques mais représente, pour d’autres, un outil susceptible d’améliorer le fonctionnement de la démocratie représentative. 

Au sommaire de ce premier épisode : « De la Révolution française à la Ve République : une brève histoire du référendum moderne ». 

Guillemette : Alors, première question Patrice, qu’est-ce qu’un référendum ? 

Patrice : Et bien c’est simple Guillemette ! La grande différence entre un référendum et une élection par exemple, c’est que le référendum est une consultation qui vise à approuver ou rejeter une politique, tandis qu’une élection quant à elle vise à élire les représentants qui seront chargés d’élaborer les politiques. L’élection relève donc de ce que l’on appelle la démocratie représentative, tandis que le référendum relève de la démocratie directe. 

Guillemette : Et quelle est l’origine du référendum ? Depuis quand existe-t-il ? Patrice : Le référendum moderne, tel qu’on l’entend aujourd’hui, est théorisé sous la Révolution française, donc à la fin du XVIIIe siècle. A cette époque, on ne parle pas encore de référendum mais par exemple « d’appel au peuple » ou de législation directe. 

[Intervention 1. Guillemette. Est-ce que cela veut dire qu’avant la Révolution cette pratique n’existe pas vraiment ?] 

Patrice : En France, avant la Révolution, des assemblées locales de villageois ou de membres d’un corps de métier pouvaient donner lieu à des consultations relatives à la gestion des affaires quotidiennes. A l’issue des délibérations, des résolutions pouvaient être adressées au représentant du Roi. Des consultations de populations au niveau local dont le but est de régler des questions de frontières ou d’annexion ont aussi été organisées en France. 

[Intervention 2. Guillemette. Et en dehors du cas de la France, avant la Révolution, est-ce que d’autres pays ont recours à des pratiques de type référendaire ?] 

Patrice : Il y a deux autres pays dans lesquels le référendum est une pratique ancienne (voire très ancienne) et où il va s’institutionnaliser de façon précoce : la Suisse, dès la fin du Moyen-Âge au sein de certaines assemblées cantonales et les États-Unis. L’adoption des Constitutions des Etats américains indépendants, comme dans le Massachusetts, a été soumise à des référendums. 

Guillemette : Pourquoi peut-on dire que la conception moderne du référendum date de la Révolution française, que se passe-t-il concrètement durant cette période ? 

Patrice : La Révolution française est un moment d’exaltation de la souveraineté populaire et d’effervescence des débats constitutionnels. Ce contexte semblait particulièrement favorable à la mise en œuvre des principes de la démocratie directe. La question de la place à accorder à l’expression directe du peuple en démocratie est donc l’un des enjeux majeurs des débats constitutionnels. 

[Intervention 3. Guillemette. Quelles sont les différentes conceptions de la démocratie qui s’opposent au cours de ces débats ?] 

Patrice : Deux grandes conceptions s’opposent au sein des philosophes des Lumières, celle de Montesquieu et celle Rousseau. Pour Montesquieu, le peuple (ou une partie de celui-ci) a le droit d’élire ses représentants mais il ne peut pas interférer dans leur activité législative. Montesquieu est favorable à la démocratie représentative. Pour Rousseau au contraire la volonté générale ne peut être exprimée que par le peuple lui-même et non par ses représentants. Il défend donc la démocratie directe et le référendum est un moyen pour le peuple de participer directement à la « fabrique de la loi ». 

[Intervention 4. Guillemette. Comment ce débat entre deux conceptions de la démocratie est-il finalement tranché ?] 

Patrice : La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ne tranche pas et retient une conception consensuelle de la démocratie. L’article 6 dit ceci : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation ». Mais chez de nombreux acteurs de la Révolution, la méfiance à l’égard de la souveraineté populaire et de la législation directe reste forte. 

[Intervention 5. Guillemette. A quel moment le référendum est-il consacré pour la première fois par la loi ?] 

Patrice : C’est la Constitution de 1793 approuvée par référendum au suffrage universel masculin qui consacre cette procédure. Elle autorise une minorité de citoyens à initier un processus de révision constitutionnelle et même à censurer les lois. Mais cette Constitution ne sera jamais appliquée. La Constitution suivante adoptée en 1795 ne retient que le référendum constitutionnel obligatoire pour toutes les révisions. 

Guillemette : Quel rôle joue le référendum après la période révolutionnaire ? Patrice : De 1795 à 1799, la période (post révolutionnaire) du Directoire est marquée par de nombreuses crises et l’avènement d’un exécutif fort. Bonaparte finit par prendre le pouvoir par la force. Plusieurs référendums vont ensuite être organisés pour obtenir l’approbation du peuple sur des révisions constitutionnelles qui vise à renforcer son pouvoir. Le référendum de 1802 demande par exemple à la population d’approuver le choix de Napoléon comme Consul à vie et celui de 1804 d’approuver l’Empire héréditaire de sa famille (les Bonaparte). S’appuyer sur la souveraineté populaire lui permet de légitimer son pouvoir face à un Parlement qui est opposé à certaines révisions par exemple l’instauration du Consulat à vie. Le référendum se transforme donc avec Napoléon en plébiscite (c’est-à-dire en « un appel au peuple » auquel on demande d’approuver les décisions du chef). 

[Intervention 5. Guillemette. Cette pratique plébiscitaire sera reprise plus tard par un autre Bonaparte : Napoléon III, c’est bien cela Patrice ?] 

Patrice : Oui Guillemette ! Cette pratique plébiscitaire est reprise et même théorisée sous le Second Empire par son neveu Napoléon III. Celui-ci va se servir à son tour du référendum pour s’attribuer des pouvoirs constitutionnels et rétablir l’Empire comme régime politique, après son coup d’Etat du 2 décembre 1851. Le référendum est ainsi inscrit à l’article 13 de la Constitution de 1870 je cite : « L’Empereur est responsable devant le peuple français, auquel il a toujours le droit de faire appel ». 

Guillemette : Que devient le référendum après la chute de Napoléon III et le rétablissement de la République ? 

Patrice : La pratique plébiscitaire des Bonaparte discrédite pour une longue période le référendum. Ce qui était de la méfiance à l’égard du procédé - depuis la Révolution déjà - se transforme avec le rétablissement de la République en rejet pur et simple. Sous la IIIe et la IVe République, la classe politique se prononce en faveur de la démocratie représentative et est très hostile à toute forme d’implication du peuple dans l’activité des législateurs : résultat le référendum disparaît des textes constitutionnels comme de la pratique. 

[Intervention 6. Guillemette. Est-ce qu’au niveau local des référendums sont organisés durant cette période ?] 

Patrice : À la fin du XIXe siècle, des référendums municipaux sont organisés mais ils seront considérés comme sans valeur juridique et les consultations locales finiront par être interdites en 1905. 

[Intervention 7. Guillemette. Quand la France renoue-t-elle avec le référendum ?] 

Patrice : À l’exception des deux référendums qui se tiennent à la Libération dont l’objet est le rétablissement de la République, il faut attendre 1958 pour que la France renoue avec le référendum. 

Guillemette : Pourquoi la pratique du référendum par le général de Gaulle au début de la Ve République fait elle débat ? 

Patrice : Le général de Gaulle se méfie de longue date des partis et du régime parlementaire. Il souhaite renforcer le pouvoir exécutif et contourner autant que possible le Parlement. La Constitution de la Ve République - dont il est l’inspirateur - va donc de nouveau accorder une place importante au référendum. L’article 3 dit ceci « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Le référendum devient ainsi un outil essentiel du régime et va bien au-delà de la ratification par le peuple des révisions constitutionnelles. L’article 11 donne au président de la République la capacité d’initier des référendums sur des projets de loi, sans avoir besoin de passer par le Parlement. Le domaine référendaire reste également suffisamment vague pour lui permettre d’organiser des consultations sur un large éventail de questions. 

[Intervention 8. Guillemette. Cette pratique du référendum rappelle donc par certains aspects celle en usage durant les régimes bonapartistes, n’est-ce pas ?] 

Patrice : Oui ! C’est ce risque de dérive plébiscitaire qui alimente les débats et nourrit de nouveau la défiance d’une large partie de la classe politique. L’élection du président de la République au suffrage universel direct qui est instituée en 1962 par référendum contre l’avis du Parlement provoque d’intenses débats politiques. C’est une parfaite illustration de cette relation directe avec le peuple que le général de Gaulle a cherché à instaurer. 

Guillemette : Pour finir, y a-t-il eu en France des référendums marquants ces trente dernières années ? 

Patrice : Les deux derniers référendums les plus marquants en France ont porté sur des questions liées à la construction européenne. Ce sont celui du 20 septembre 1992 portant sur la ratification du traité de Maastricht approuvée à une courte majorité et celui du 29 mai 2005 portant sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe rejeté à plus de 54 % des suffrages. Ce dernier résultat a pour effets de conforter les réticences de nombreux responsables politiques vis-à-vis du référendum. Ces derniers craignent que le procédé ne se retourne contre son initiateur. Dans le même temps, face à la crise de la démocratie représentative et à la défiance grandissante des citoyens à l’égard de la classe politique, il fait partie des revendications de la société civile comme en 2018, le référendum d’initiative populaire réclamé par les « gilets jaunes ». 

Guillemette : Merci beaucoup « Patrice » ! C’est la fin de cet épisode ! Dans le deuxième épisode, nous nous intéresserons aux différents types de référendum prévus par la Constitution et aux projets de réforme qui ont été envisagés au cours des dernières années. Vous pouvez réécouter gratuitement le premier épisode de cette série sur vos plateformes préférées et notre chaîne YouTube. N’hésitez pas à vous y abonner ! Et pour en savoir plus, RDV sur notre site internet Vie-publique.fr et nos réseaux sociaux. On se retrouve très bientôt ! 

[Patrice : Au revoir « Guillemette », au revoir à tous !]

Sources

• B. Bâcle (2016), « Le référendum, fin mot de la démocratie ? », The Conversation, 22 juillet 
• D. Chagnollaud de Sabouret (2019), « Référendum d’initiative citoyenne : en Italie, le référendum abrogatif est force de proposition », Le Monde, 8 janvier 
• Conseil constitutionnel https://www.conseil-constitutionnel.fr 
• D. Courant (2019), « Les assemblées citoyennes en Irlande. Tirage au sort, référendum et Constitution », La vie des idées 
• F. Gougou et S. Persico (2020), « Décider ensemble. La convention citoyenne pour le climat et le défi démocratique », La vie des idées, 29 mai 
• J. Fougerouse (2022), « Le référendum d’initiative partagée, un instrument démocratique neutralisé », The Conversation, 30 novembre 
• M. Fatin-Rouge Stéfanini (2020), « Assemblée citoyenne et référendum : quelques exemples étrangers à méditer », Pouvoirs, 4, n° 175 
• C. Legros (2023), « Comment rendre le référendum « démocratiquement correct » ? », Le Monde, 16 décembre 
• C. Legros (2023), « En Irlande, associer une convention citoyenne au référendum contribue à une décision éclairée », entretien avec Marie-Luce Paris, Le Monde, 15 décembre 
• R. Magni-Berton (2018), « Débat : le référendum d’initiative populaire, la solution ? », The Conversation, 11 décembre 
• L. Morel (2018), « Référendums, assemblées citoyennes : des propositions à ne pas sous-estimer », The Conversation, 17 décembre 
• L. Morel (2019), La question du référendum, Presses de Sciences Po 
• M.-L. Paris (2023), « Référendums en Irlande : le double non des électeurs doit être analysé comme un vote de protestation à l’égard du gouvernement », Le Monde, 29 mars 
• D. Rousseau (2014), « L’équivoque référendaire », La vie des idées 
• P.-E. Vandamme (2020), « Le référendum, un outil à améliorer », The Conversation, 19 mai

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