Les référendums ailleurs en Europe (3/3)
L'Actualité de la vie publique - Podcast - N° 54
Temps de lecture 10 minutes 45 secondes
Quelles sont les principales caractéristiques des dispositifs référendaires prévus par la constitution en Suisse ? Comment fonctionnent en Irlande les assemblées citoyennes adossées à des référendums ? Quels sont les principes du référendum abrogatif en Italie ? Quels enseignements la France pourrait-elle tirer de ces pratiques référendaires mis en œuvre chez nos voisins ?
Les référendums ailleurs en Europe (3/3)
[GENERIQUE] Vous écoutez « L’Actualité de la vie publique », un podcast du site Vie-publique.fr.
Signature sonore
Patrice : Bonjour à tous, Bonjour « Guillemette »
Guillemette : Bonjour « Patrice »
Patrice : Référendum d’initiative partagée (RIP), référendum d’initiative citoyenne (RIC), initiative populaire des lois (IPL)…etc., si le débat concernant les moyens de renforcer la participation des citoyens aux affaires de la cité a été relancé en France ces dernières années, le référendum plonge en réalité ses racines dans un passé très ancien. Voici une nouvelle série de « L’Actualité de la vie publique » consacrée à cet instrument de la démocratie directe qui suscite de nombreuses critiques mais représente, pour d’autres, un outil susceptible d’améliorer le fonctionnement de la démocratie représentative.
Au sommaire de ce troisième épisode et dernier épisode : « Les référendums ailleurs en Europe ».
Patrice : Pourquoi associe-t-on généralement le référendum à la démocratie directe ?
Guillemette : La démocratie directe désigne un ensemble de procédures permettant aux citoyens de prendre part directement aux décisions politiques. Pour ses défenseurs, la consultation des citoyens permise par le référendum, est donc un outil de la démocratie directe. Mais en vérité, il s’agit davantage d’un instrument de la démocratie semi-directe.
[Intervention 1. Patrice : Comment ça ? Quelle est la différence entre démocratie directe et semi-directe ?]
Guillemette : La démocratie semi-directe est une forme de démocratie qui combine à la fois des éléments de la démocratie directe et de la démocratie représentative. En France, le référendum est véritablement utilisé comme un instrument de démocratie semi-directe. D’un côté, il permet aux citoyens d’être consultés et donc impliqués dans la fabrique de la loi. Mais de l’autre, le choix du sujet et de la question posée ne leur appartient pas. De même que le travail législatif d’élaboration de la loi. Il s’agit bien d’une co-construction entre les citoyens et leurs responsables politiques.
[Intervention 2. Patrice Sous cette forme, le référendum est-il complémentaire ou contraire aux principes de la démocratie représentative ?]
Guillemette : Généralement, le débat autour du référendum renvoie à l’opposition entre deux grandes formes de démocratie : la démocratie représentative et la démocratie directe ou semi-directe. Ces deux formes sont elles-mêmes fondées sur deux principes : la souveraineté nationale, d’une part, qui appartient à la nation, une entité collective abstraite et indivisible. La souveraineté populaire, d’autre part, qui appartient aux citoyens et qui exercée par chacun d’eux. La Constitution de 1958 propose une synthèse. Elle dispose, je cite « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » (article 3). Cette conception rend théoriquement possible la cohabitation entre démocratie semi-directe et démocratie représentative.
[Intervention 3. Patrice Et dans la pratique, cette cohabitation est-elle réellement possible ?]
Guillemette : Disons que la multiplication des référendums et la diversification de leur usage, en France et à l’étranger, vont dans le sens d’une cohabitation entre ces deux formes de démocratie.
Patrice : Alors, allons regarder ce qu’il se passe à l’étranger. Commençons par la Suisse…
Guillemette : La Suisse a une longue tradition de démocratie directe. L’institutionnalisation du référendum y a été précoce. Celle-ci s’est faite d’abord au niveau des cantons, puis au niveau fédéral. Il existe aujourd’hui trois principaux types de référendums en Suisse : le référendum facultatif, le référendum obligatoire et l’initiative populaire.
[Intervention 4. Patrice. Quelles sont les principales caractéristiques de ces trois référendums ?]
Guillemette : D’abord, le référendum facultatif permet aux citoyens de demander l’organisation d’un scrutin populaire pour s’opposer à un acte législatif adopté par le Parlement. La procédure nécessite de réunir 50 000 signatures de citoyens dans les 100 jours suivant la publication officielle de l’acte législatif en question. La procédure peut également être enclenchée si huit cantons en font la demande. Ce référendum peut être utilisé pour s’opposer à l’entrée en vigueur d’une loi fédérale, d’un arrêté fédéral ou même de certains traités internationaux.
[Intervention 5. Patrice. Quelle est la différence entre ce référendum et le référendum obligatoire ?]
Guillemette : Le référendum obligatoire est une procédure qui prévoit de soumettre obligatoirement au vote du peuple et des cantons certains actes, après leur adoption par le Parlement. Alors que dans le cad d’un référendum facultatif, le scrutin populaire n’est pas automatique. Il n’est organisé que si un certain nombre de citoyens ou de cantons en font la demande. Le référendum obligatoire peut notamment porter sur les révisions constitutionnelles, l'adhésion à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales ou encore sur certaines lois fédérales déclarées urgentes.
[Intervention 6. Patrice. Et concernant le troisième dispositif ?]
Guillemette : Le troisième dispositif, c’est l’initiative populaire. Cela permet au peuple de proposer une modification partielle ou totale de la Constitution. Il faut que 100 000 signatures de citoyens soient réunies en 18 mois. Si l’ensemble des conditions légales sont remplies, la proposition est soumise au vote des citoyens par le biais d’un référendum obligatoire.
Patrice : Ces dernières années un autre pays, l’Irlande, a fait preuve d’une certaine inventivité en matière d’expérimentation démocratique. N’est-ce pas Guillemette ?
Guillemette : Oui Patrice. L’Irlande représente le premier cas d’approbation par référendum de propositions émanant directement d’assemblées tirées au sort. Ces assemblées citoyennes ont été adossées à des référendums pour conduire à des révisions constitutionnelles majeures sur des sujets sociétaux particulièrement sensibles comme la légalisation du mariage homosexuel ou de l’avortement, dans un pays encore profondément catholique.
[Intervention 7. Patrice. D’où sont venues ces initiatives ?]
Guillemette : À la suite de la crise financière de 2008 qui a frappé de plein fouet l’Irlande, le pays a connu des changements politiques importants. En 2011, le mouvement irlandais « We The Citizens » lance la première assemblée citoyenne informelle tirée au sort. Ses initiateurs se sont inspirés de l’exemple de provinces canadiennes, la Colombie-Britannique et l’Ontario. C’est ici qu’au début des années 2000, les premières assemblées citoyennes ont porté plusieurs révisions constitutionnelles.
[Intervention 8. Patrice. Comment les choses se passent-elles concrètement au sein de ces assemblées ?]
Guillemette : Les participants à la convention discutent avec des experts, délibèrent et cherchent des compromis avant de formuler des recommandations. Lors du référendum, une documentation distribuée dans les boîtes aux lettres explique clairement les conséquences du oui et du non. On trouve également l’ancien et le nouveau texte proposé de la Constitution. L’idée est de favoriser une décision éclairée. Mais le gouvernement sélectionne les recommandations qu’il souhaite conserver. Les changements proposés sont ensuite examinés, puis approuvés par le Parlement avant d’être soumis à référendum. Un nombre important de recommandations de la convention citoyenne n’ont ainsi pas de suite.
[Intervention 9. Patrice. Ce dispositif est-il devenu pérenne ?]
Guillemette : Depuis 2012, l’Irlande a organisé six conventions citoyennes. Mais avec le temps, le public semble progressivement de désintéresser de ces débats. Le dernier référendum en date, organisé en mars 2024, a enregistré une participation inférieure à 50 %. Il portait sur une réforme visant à moderniser les références à la femme et à la famille dans la Constitution.
Patrice : Allons voir maintenant du côté de l’Italie, qui pratique le référendum abrogatif. En quoi consiste-t-il ?
Guillemette : Le référendum abrogatif est introduit par la Constitution italienne de 1946. Après l’expérience du fascisme, ce dispositif devait permettre de limiter le pouvoir des majorités parlementaires. Le référendum abrogatif vise à modifier ou à abroger partiellement ou totalement une loi ou un acte de loi. Il exclut cependant les lois portant sur la fiscalité, le budget, l’amnistie, les remises de peine et la ratification des traités internationaux.
[Intervention 10. Patrice. Quelles sont ses conditions d’organisation ?]
Guillemette : La demande peut être présentée par 500 000 électeurs, 5 conseils régionaux ou encore 20% des parlementaires. L’abrogation est acquise si le « oui » l’emporte avec plus de 50% des suffrages exprimés. Il faut aussi que le scrutin ait atteint le taux de participation minimum de 50% du total des inscrits sur les listes électorales. Si les conditions légales sont réunies, la consultation est convoquée par le président de la République.
[Intervention 11. Patrice. Quels ont été les principaux projets de lois abrogés par référendum en Italie ?]
Guillemette : Le premier référendum abrogatif est organisé en 1974. Il vise à abroger la loi autorisant le divorce, entrée en vigueur le 1er décembre 1970. L’abrogation est rejetée à plus de 59 %. La participation est très forte avec près de 88 % de votants. Ce premier référendum mobilise fortement les citoyens et montre leur intérêt pour cet exercice, dans un contexte où l’Eglise catholique reste très influente. Quelques années plus tard, d’autres projets importants ont été abrogés : la privatisation de l’eau, les projets de construction de centrales nucléaires ou encore la faculté pour le président du Conseil et les membres du gouvernement de ne pas répondre aux convocations judiciaires, du fait de leurs fonctions. Mais en Italie aussi, la banalisation de la procédure et la multiplication des consultations ont entrainé le désintérêt et la démobilisation des électeurs. Les opposants s’abstenant systématiquement afin que le seuil de participation ne soit pas atteint. A partir des années 1990, la plupart des référendums d’initiative citoyenne échouent pour cette raison.
Patrice : Est-ce que la France pourrait s’inspirer de ces exemples étrangers ?
Guillemette : Le système politique français est très différent de celui de la Suisse, de la République d’Irlande ou encore de l’Italie. Les dispositifs référendaires mis en œuvre dans ces pays ne peuvent donc pas être transposés tel quel. Pour fonctionner, ils devraient nécessairement être adaptés à l’architecture institutionnelle de la France. L’enseignement le plus intéressant que l’on peut néanmoins tirer de ces expériences étrangères, c’est l’attention particulière portée à la qualité délibérative de la procédure. Les citoyens bénéficient de très nombreuses informations utiles pour se forger une opinion éclairée sur les enjeux de la question posée.
[Intervention 12. Patrice. Un peu comme les conventions citoyennes organisées en France ces dernières années ?
Guillemette : En effet, les conventions citoyennes consistent à rassembler environ 150 citoyens tirés au sort. Leur mission est de réfléchir à un sujet donné (comme le climat ou la fin de vie…). Pour cela, il peuvent auditionner des experts variés, afin de débattre puis de formuler un avis collectif. Malgré la volonté affichée en 2019, cette forme d’expression démocratique n’est toujours pas inscrite dans la Constitution.
Patrice : Merci beaucoup « Guillemette » ! C’est la fin de notre série consacrée au référendum ! Vous pouvez réécouter gratuitement cet épisode et toute notre série sur vos plateformes préférées et notre chaîne YouTube. N’hésitez pas à vous y abonner ! Et pour en savoir plus, RDV sur notre site internet Vie-publique.fr et nos réseaux sociaux. On se retrouve très bientôt ! Au revoir «
Guillemette », au revoir à tous !
[Guillemette : Au revoir !]
• Illustration : © Katrin Baumann
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• C. Legros (2023), « En Irlande, associer une convention citoyenne au référendum contribue à une décision éclairée », entretien avec Marie-Luce Paris, Le Monde, 15 décembre
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