Aux origines de la laïcité (1/4)

L'Actualité de la vie publique - Podcast - N° 68

Temps de lecture  9 minutes 25 secondes

Par : La Rédaction

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Église républicaine

Quelle est la définition du mot « laïcité » ? Quelles sont les sources d’inspiration philosophique de la laïcité en France ? Comment les relations entre l’État et l’Église catholique ont-elles évolué durant la Révolution française et le Concordat ? Pourquoi les lois Ferry sur l’école à la fin du XIXe siècle relancent-elle la guerre des « deux France » ?

Aux origines de la laïcité (1/4)

Léa : Bonjour à tous,

Bonjour Patrice.

Patrice : Bonjour Léa.

Léa : La laïcité tient de nouveau, depuis plusieurs années, une place importante dans le débat public. Mais si ce terme semble en apparence familier, sa définition précise peut en réalité 
s’avérer plus obscure qu’il n’y paraît pour certains de nos auditeurs.

Ce concept à la fois juridique et de philosophie politique constitue la clé de voûte de la loi du 9 décembre 1905 portant sur la séparation des Églises et de l’État – bien qu’il n’y soit pas fait 
référence de manière explicite dans ce texte. Le principe de laïcité est protégé par la Constitution de 1946, puis par celle de 1958, qui affirment que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

À l’occasion du 120e anniversaire de la loi de 1905 « L’Actualité de la vie publique » consacre une nouvelle série de 4 épisodes à l’histoire et au principe de la laïcité.

Au sommaire de ce premier épisode : « Aux origines de la laïcité ».

Léa : Première question, Patrice, quel est le sens du mot laïcité ? 

Patrice : Il n’existe pas de définition unique de la laïcité. Les juristes comme les historiens ont donné plusieurs sens à ce concept. En outre, en dehors des langues latines, le mot est 
difficilement traduisible, notamment en anglais. On a ainsi tendance à voir dans la laïcité une 
exception typiquement française. La définition politique moderne du concept renvoie à la 
séparation des Églises et de l’État. Ce dernier n’exerçant aucun pouvoir religieux et les Églises aucun pouvoir politique. Mais dans une acception plus large, la laïcité correspond à une 
évolution des sociétés dans lesquelles la religion perd peu à peu de son influence.

[Intervention 1. Léa. À quelle époque le mot laïcité apparaît-il ?]

Patrice : Le terme « laïc » est en fait très ancien. Il apparaît au Moyen-Âge pour désigner tout ce qui n’est pas de condition religieuse. Quant à « laïcité », le mot est utilisé, au 
début des années 1870 en France, à propos de l’enseignement public. À cette époque, on avait l’habitude pour désigner l’école républicaine d’utiliser l’adjectif « laïque » (on parlait de « la laïque »). L’adjectif entre ensuite dans le droit via la loi scolaire du 30 
octobre 1886 qui impose que l’enseignement primaire soit exclusivement confié à un personnel non ecclésiastique

Léa : Et quelles sont les sources d’inspiration philosophique de la laïcité en France ?

Patrice : Le développement de la laïcité en tant que concept politique est le résultat d’un long processus historique qui pour l’essentiel va de la Révolution française jusqu’au début du XXe siècle. Mais l’idée émerge dès le XVIIsiècle à travers les écrits de certains philosophes, notamment le britannique John Locke qui, avec la fin des guerres de 
religion et les débuts du rationalisme, jette les bases d’une coexistence pacifiée des croyances et défend un nouveau rapport entre religion et gouvernement, notamment dans un essai intitulé La lettre sur la tolérance publié en 1689. Ensuite au cours du XVIIIe siècle, les philosophes des lumières introduisent à leur tour des idées nouvelles sur les rapports entre les individus et la religion, appelant les premiers, afin qu’ils deviennent des êtres autonomes à soumettre à un examen critique les préceptes religieux. 

[Intervention 2. Léa. Qu’est-ce que les philosophes des lumières remettent en question : l’Église, les dogmes ou la foi ?]

Patrice : Ce qu’ils remettent en question ce n’est pas le contenu des dogmes mais le rôle qu’ils jouent dans la société. Leurs critiques sont dirigées contre l’Église – en tant qu’institution détenant un pouvoir sur la société - mais pas contre la foi (les individus sont libres de croire ou de ne pas croire).

Léa : Vous nous avez dit que la Révolution française était le point de départ du 
développement progressif du concept politique de laïcité ? Pour quelles raisons ? Que se passe-t-il en France à partir de 1789 ?

Patrice : La Révolution française marque une rupture historique avec la situation qui prévalait sous l’Ancien régime. Rappelons d’abord quelques caractéristiques de la France d’avant 1789. Dans la France de l’Ancien régime :

• Nation et religion coïncide, ce qui signifie que l’identité nationale française et l’identité religieuse catholique se confondent presque totalement. Le roi tire sa légitimité de Dieu et l’unité du royaume repose sur la foi commune et la fidélité au roi qui est le 
représentant de Dieu sur terre ; 

• Ensuite l’État a un caractère confessionnel : le catholicisme est la religion officielle du royaume de France. Les autres confessions : protestante ou juive sont soit persécutées, soit tolérées de manière limitée, pour les protestants jusqu’à l’Édit de Nantes en 1598, puis ils sont à nouveau réprimés après sa révocation en 1685. En outre, protestants et les juifs ne bénéficient pas des droits civils et politiques. Il faut attendre 1787 avec l’édit de tolérance pour que les protestants se voient reconnaître des droits civils mais pas 
politiques ;

• Enfin l’Église catholique encadre la vie sociale, morale et culturelle, qu’il s’agisse de l’état civil : les baptêmes, les mariages, les décès ; de l’enseignement ; des soins 
hospitaliers ; des fêtes et des célébrations du calendrier.

La Révolution va remettre totalement en cause cet ordre politico-religieux en dissociant la religion et le politique. Entre autres mesures adoptées, on peut citer notamment : l’abolition des discriminations d’origine religieuse, notamment à l’égard des protestants et des juifs qui obtiennent l’égalité complète des droits civils et politiques en 1791, 
l’instauration d’un état civil séculier ou encore l’institution du pluralisme confessionnel qui devient la règle (la liberté de conscience et de culte est décrétée).

[Intervention 3. Léa. Mais il ne s’agit pas encore d’une conception moderne de la laïcité telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’est-ce pas ?]

Patrice : Oui c’est exact ! Car si toutes ces mesures constituent bien les prémices d’une conception libérale de la laïcité, elles restent néanmoins encore très éloignées de sa conception moderne. Ainsi, dès le début de la Révolution, un décret est adopté le 12 juillet 1790 : la Constitution civile du clergé dont l’objectif est d’instituer une nouvelle organisation de l’Église de France (L’Église constitutionnelle) et de renforcer le contrôle que l’État exerce sur le clergé. Les révolutionnaires n’envisagent donc nullement 
l’autonomie des deux institutions : l’État, d’un côté et l’Église, de l’autre.

Léa : Après la période révolutionnaire, comment les rapports entre l’État et l’Église évoluent-ils, notamment sous le Consulat et le Premier Empire ? 

Patrice : En 1801, un traité entre la République française et le Saint-Siège (le Vatican) est ratifié par Napoléon Bonaparte (alors Premier consul) et le pape Pie VII : c’est le Concordat. Ce texte définit les relations entre la France et l’Église catholique, sans pour autant remettre en question les principales mesures adoptées durant la Révolution. Le pluralisme confessionnel est consacré. Le catholicisme ne retrouve pas son statut de 
religion officielle et trois autres cultes sont reconnus (deux cultes protestants – réformé et calviniste – et la religion juive). L’État conserve en outre un contrôle important sur l’Église catholique.

Léa : Et de quelle manière les lois laïques du XIXe siècle préparent-elles le 
basculement vers une conception moderne de la laïcité ?

Patrice : Bien que le Concordat soit parvenu à apaiser les relations entre l’État et l’Église, après la chute de l’Empire, avec la Restauration de la monarchie, en 1814, l’Église 
catholique va chercher à reconquérir l’influence qu’elle avait avant la Révolution et 
chercher à retrouver son statut de religion officielle. Cette tentative n’aboutit pas mais elle entraîne un renforcement du courant laïque, républicain et anticlérical. Et c’est la question scolaire qui ranime à la fin du XIXsiècle ce que l’on a appelé la guerre des « deux France », entre les catholiques militants et les républicains anticléricaux. La 
laïcisation de l’enseignement, à travers les grandes lois scolaires de 1881 et 1882, prises à l’initiative de Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique à deux reprises de 1879 à 1883, qui marque un véritable tournant dans ce conflit. Les principales mesures sont l’instauration de l’enseignement primaire gratuit, laïque et obligatoire pour tous les 
enfants âgés de 6 à 13 ans, la construction d’une école républicaine ou encore 
l’abrogation de certaines dispositions de la loi Falloux de 1850 qui accordait une place importante à l’enseignement confessionnel. 

[Intervention 4. Léa. Pourquoi après l’adoption de ces lois Ferry le conflit entre les « deux France » redouble-t-il d’intensité ?]

Patrice : La laïcisation de l’institution scolaire est considérée comme un casus belli par les catholiques militants. Pourtant l’administration républicaine fait preuve de 
pragmatisme dans l’application des nouvelles règles en cherchant à ne pas heurter le sentiment religieux : un jour de congé par semaine est notamment instauré pour 
permettre aux enfants de suivre le catéchisme en dehors de l’école et les dispositions concernant le retrait des crucifix des classes est laissé à l’appréciation des préfets. Mais d’autres mesures comme l’adoption de manuels d’instruction morale et civile, qui est placée en tête des matières enseignées, déchaînent les passions. Quatre nouveaux 
manuels scolaires sont ainsi mis à l’index par le Vatican. Dès lors, le conflit va 
s’envenimer entre les partisans d’un retour à l’ordre ancien, du côté des catholiques 
militants et les tenants d’une « laïcité de combat », du côté des républicains. Ce conflit de nature politico-religieuse s’intensifie au cours des années 1880. D’autres grandes lois laïques vont être adoptées au cours de cette décennie, notamment la suppression du 
repos dominical obligatoire, la laïcisation des hôpitaux (plusieurs hôpitaux sont laïcisés entre 1878 à 1888) et la laïcisation également des cimetières, la fin des aumôneries 
militaires et des prières publiques, l’exigence de régularisation des congrégations non autorisées sous peine de fermeture de leurs établissements ou encore le rétablissement du divorce.

Fin de l’épisode :

Léa : Merci Patrice pour toutes ces explications ! On le comprend la laïcité plonge ses racines dans un passé très ancien. 

Le prochain épisode de notre série sera consacré à la conception moderne de la laïcité. Nous nous intéresserons, tout particulièrement, à la loi du 9 décembre 1905 qui met fin au Concordat et qui instaure la séparation des Églises et de l’État. 

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On se retrouve très bientôt ! Au revoir « Patrice », au revoir à toutes et à tous !

Patrice : Au revoir !

Sources

· Afroukh M. (2025), « La liberté religieuse et le principe de laïcité », Conseil constitutionnel, Publications, Titre VII, n° 14, avril
· Baubérot-Vincent J. (2025), 1882 – 1905 ou la laïcité victorieuse, PUF, septembre
· Baubérot-Vincent J. (2024), Histoire de la laïcité en France, coll. « Que sais-je , PUF, août
· Baubérot J. et Milot M. (2021), Parlons laïcité en 30 questions, coll. « Doc’en poche », La Documentation française, 2e édition, novembre
· Bherer M.-O. (2013), « L’inventeur de la laïcité », Le Monde, 23 novembre
· Bin F. (2025), « Les problèmes posés par le financement public et la fiscalité en matière de 
religion », Conseil constitutionnel, Publications, Titre VII, n° 14, avril
· Conseil d’État (2004), Un siècle de laïcité, Rapport public, novembre
· Forey E. (2025), « Religion et politique : l’influence de la religion dans les débats de société », Conseil constitutionnel, Publications, Titre VII, n° 14, avril
· Gonzalez P. (2025), « Transformer Washington en théocratie : Trump et les racines de la guerre chrétienne en Amérique », Le Grand Continent, 4 septembre
· Heinzlef J. (2025), « À quoi sert le White House Faith Office, le bureau de la foi créé par Donal Trump », Le Monde des religions, 11 septembre
· Héry T. (2025), « L’art français de la tolérance », La vie des idées, 4 novembre
· Kelly M. (2023), « La laïcité à l’anglaise : autre pays, autres mœurs ? », The Conversation, 7 
décembre
· Le Bret-Desaché C. (2025), « Les associations cultuelles », Conseil constitutionnel, Publications, Titre VII, n°15, septembre
· Mercier C. et Portier P. V. (2025), Les jeunes et leur laïcité, Presses de Science Po, 17 octobre, n° 8119 
· Policar A. (2025), Laïcité : le grand malentendu, Flammarion, 15 octobre
· Questions du soir : le débat (2025), « Trump II : les religieux sont-ils au cœur du pouvoir ? », France culture, 28 octobre, podcast (replay)
· Smolar P. (2025), « J.D. Vance se veut l’héritier du mouvement MAGA », Le Monde, 10 octobre
· Zuber V. (2017), La laïcité en France et dans le monde, Coll. La Documentation 
photographique, La Documentation française, septembre-octobre, n° 8119 
· « La laïcité », L’essentiel, Lettre thématique, Vie publique, n° 27, 28 novembre 2025
https://www.vie-publique.fr/les-archives-de-lessentiel-de-vie-publique
· Vie publique, Dossier laïcité, https://www.vie-publique.fr/

 

 

 

 

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