Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RFI et à l'AFP à Bucarest le 3 décembre 2001, sur l'aggravation de la situation au Proche-Orient et les propos de M. Ariel Sharon concernant le rôle de M. Arafat dans le processus de paix, le bilan de la réunion ministérielle de l'Osce à Bucarest, notamment le volet de la lutte contre le terrorisme, et sa rencontre avec la délégation russe.

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Circonstance : Réunion du Conseil ministériel de l'OSCE à Bucarest le 3 décembre 2001

Média : Agence de presse - Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Comment jugez-vous ces nouvelles évolutions au Proche-Orient et surtout la déclaration d'Ariel Sharon qui dit que "M. Yasser Arafat n'est plus indispensable au processus de paix au Proche-Orient" ?
R - La situation est vraiment très grave maintenant. Cela fait des mois que nous sommes un certain nombre à le dire et à expliquer pourquoi la situation ne cesse de s'aggraver et on en voit les résultats absolument tragiques en ce qui concerne les pertes de vies humaines et en ce qui concerne les perspectives qui peuvent être encore pires. Dans une situation de ce type, il faudrait, je parle au conditionnel et j'espère que certaines choses se réaliseront, d'abord il faudrait que Yasser Arafat prenne d'extrême urgence, des mesures concrètes, visibles pour juguler, - autant qu'il peut le faire avec les moyens dont il dispose, parce qu'il n'est pas à la tête d'un véritable Etat -, donc pour juguler toutes les formes de violence et essayer de remonter à ceux qui fanatisent et qui commanditent ce type de démarche. C'est très important pour lui et pour l'autorité palestinienne, pour le peuple palestinien.
Il faudrait, d'autre part, que les pays, et il y en a, qui peuvent avoir une influence sur le comportement du Hamas, sur le comportement du Djihad, changent d'attitude et emploient toute leur influence pour faire baisser la tension et arrêter cette fuite en avant dans le terrorisme aveugle avec toutes ces abominations et tout ce que cela peut entraîner.
Et il faudrait faire malheureusement le contraire de tout ce qui a été fait ces derniers temps. Il faudrait que les Israéliens renoncent à tous les préalables qui ont été posés avant de reprendre une négociation politique et entament immédiatement, dans l'urgence, une négociation politique avec des Palestiniens.
Tout le monde le sait qu'il n'y a pas d'autre solution. En fait il y a d'autres solutions mais elles sont toutes épouvantables et absurdes en même temps. Il faudrait avoir le courage de prendre cela à bras le corps et de recommencer une négociation politique sur comment aboutir pour qu'il y ait un Etat palestinien viable, responsable, pacifique naturellement, non seulement respectant la sécurité d'Israël, ce qui est bien sûr essentiel, mais devenant un élément, une garantie de la sécurité israélienne. Voilà ce qu'il faudrait faire de toute urgence et je crains que tous les raisonnements qui nous éloigneront de ce type d'attitude ne fassent que préparer des moments encore pires.
Q - Vous êtes à la fin de votre visite à la réunion ministérielle de l'OSCE à Bucarest. Vous avez eu des rencontres avec la délégation roumaine, avec le président de la Roumanie, avec la délégation russe, est-ce que l'on peut faire un point sur votre présence ici ?
R - L'OSCE est une organisation qui se renforce, qui s'installe, qui a beaucoup d'intérêts, elle apporte une valeur ajoutée par rapport à beaucoup d'autres organisations, pour les 55 pays qui en font partie parce que l'OSCE s'occupe de mieux en mieux de deux choses. D'abord des élections. Quand il faut préparer des élections dans des pays où ce n'est pas encore habituel, comme par exemple cela a été le cas le 17 novembre, au Kosovo, l'OSCE a joué un rôle très utile pour que les élections se déroulent. Elles se sont très bien déroulées avec la participation non seulement des Albanais du Kosovo mais également des Serbes. Cela est un exemple frappant de ce que peut apporter l'OSCE.
Mais d'autre part, il y a toute une série de conflits oubliés, à tort, qui apparaissent de petits conflits mais à partir desquels pourraient se développer de grands conflits. Par exemple, dans la région du Caucase, où il y a toute une série de contestations, que je ne vais énumérer ici mais qui sont connues, il est très important qu'il y ait des missions de l'OSCE, des observateurs qui font un travail dont je souligne la qualité, parfois dans des conditions très dangereuses. Ceci est un élément très important de stabilisation, de paix, de recherche de solutions aux conflits ou de prévention de l'aggravation des conflits dans toute cette zone. Pour ces raisons, l'OSCE mérite d'être encouragée et je suis venu dans cet esprit d'autant plus que je trouve que la présidence roumaine qui s'achève - maintenant cela va être le Portugal pour la période qui s'engage -, la présidence roumaine a très bien travaillé. L'OSCE apporte maintenant une valeur ajoutée dans le paysage international par rapport à d'autres organisations qui ont d'autres domaines de compétence.
Q - Deux mots sur vos rencontres avec la délégation russe ?
R - J'ai rencontré Igor Ivanov, mon collègue russe qui est un ami que je vois souvent, et nous avons fait le point, sur les grandes questions stratégiques. On sait que, depuis la visite du président Poutine au Ranch de Crawford du président Bush, beaucoup de discussions ont été relancées entre les Russes et les Américains sur les questions de désarmement stratégique, sur l'affaire du Traité ABM et naturellement cela intéresse beaucoup la France, puissance nucléaire.
Sous quelle forme cela va se développer ? Sur quel point ? Selon quel calendrier ?
Nous avons parlé de la question afghane. Nous sommes tous les deux relativement optimistes sur les résultats des discussions de Petersberg entre les Afghans et nous espérons vivement qu'il va en sortir un exécutif de transition qui va pouvoir s'installer en Afghanistan et se mettre au travail pour pacifier le pays et entreprendre de le reconstruire ou même de le construire. Il y a à faire. La communauté internationale est prête à aider beaucoup l'Afghanistan. Elle a besoin d'un interlocuteur responsable pour faire cela.
Nous avons parlé d'autre part, des travaux qui ont eu récemment au sein du Conseil de sécurité sur l'Iraq qui ont permis de faire avancer le consensus entre les membres permanents sur cette question et nous avons parlé de la situation tragique au Proche-Orient.
Q - Comment jugez-vous l'ambition de cette Conférence ministérielle de l'OSCE de donner un nouvel élan à la lutte contre le terrorisme ?
R - La lutte contre le terrorisme est multiforme. Cela concerne un peu chaque pays et chaque organisation et pour que tout ceci reste cohérent, il faut d'abord que cela se déroule sous l'égide de l'ONU et on a vu que depuis le 17 septembre il y a eu trois résolutions sur les questions de l'Afghanistan, le terrorisme qui ont été votées pour encadrer la lutte générale contre le terrorisme et après, chaque organisation, dans son domaine ou dans sa zone géographique, doit s'engager à fond. Mais il n'y a pas une organisation spécialisée, c'est vrai pour toutes les organisations : l'Union européenne, l'ONU, l'OTAN, c'est vrai de beaucoup d'autres organisations régionales, c'est vrai de tous les lieux dans lesquels on peut coopérer pour lutter contre le financement du terrorisme, avec, par exemple, le GAFI. La France a obtenu que l'on élargisse ses compétences récemment. Chaque organisation doit donc s'engager à fond dans cette lutte contre le terrorisme, car c'est une lutte à long terme, sur de très nombreux terrains et il ne suffit pas de réagir au terrorisme, de le punir même quand c'est entièrement légitime, comme c'est le cas actuellement, il faut aller plus loin. Il faut détruire les réseaux, détruire les financements, s'attaquer aux causes immédiates ou anciennes et profondes et finalement l'éradiquer. Chacun doit jouer son rôle pleinement et donc logiquement l'OSCE également.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 décembre 2001)