Texte intégral
(Assemblée nationale le 27 novembre 2001)
La situation économique internationale et les angoisses nées de la mondialisation ont incité davantage de pays à partager ce souci de lancer un cycle. De plus, une exigence de transparence a facilité le travail préparatoire. Enfin on a bien pris conscience, chez les cent quarante-deux pays que si l'accord entre les Etats-Unis et l'Europe pour lancer un cycle était nécessaire, il n'était plus suffisant : il faut désormais répondre aux préoccupations des pays en développement. L'agenda adopté à Doha montre que ces pays ont obtenu satisfaction sur certains points : accès aux médicaments essentiels, mise en oeuvre des accords de Marrakech, mesures sur l'anti-dumping et dérogation pour la convention de Cotonou.
L'inflexion a également porté sur la régulation, avec l'introduction immédiate dans la négociation de l'environnement et dans deux ans de la concurrence et de l'investissement.
Je regrette comme vous que les préoccupations sociales n'aient pas débouché. Il faudra y travailler et convaincre les pays en développement qu'il ne s'agit pas d'un protectionnisme déguisé.
Quant au calendrier, un comité des négociations commerciales à l'OMC sera mis en place pour le 31 janvier ; au niveau européen, le comité 133 se mettra au travail dès vendredi prochain. Le dialogue engagé par le gouvernement avec le Parlement et les ONG sera institutionnalisé par la création d'un comité national de suivi des négociations commerciales, avec une volonté renforcée de dialogue et de transparence
5source http://www.Diplomatie.gouv.fr, le 29 novembre 2001)
(Sénat le 27 novembre 2001)
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Les passions suscitées par la conférence ministérielle de l'OMC ne sont pas encore retombées, ainsi qu'en témoignent les nombreuses réactions et points de vue publiés par la presse en l'espace d'une quinzaine. Je crois donc le moment bien choisi pour vous proposer une première analyse des résultats de la réunion de Doha et en évaluer les enjeux pour les négociations à venir.
Quatre membres de votre haute assemblée ont joué un rôle actif au sein de la délégation française sur place : vous me permettrez donc de remercier chaleureusement Jacques Bellanger, Jean Bizet, Aymery de Montesquiou et Claude Saunier. Ils seront j'en suis sûr, d'accord avec moi pour souligner la chaleur et l'efficacité de l'accueil réservé aux participants par les autorités du Qatar, qui ont su gérer à la satisfaction de tous cet événement dans un contexte difficile.
Le résultat enregistré à Doha donne raison à ceux qui, dès le lendemain de la réunion de Seattle, ont uvré pour restaurer la confiance et relancer la dynamique multilatérale. L'Union européenne a joué sur ce plan un rôle moteur, soulignant les vertus d'une approche multilatérale et la nécessité d'un projet ambitieux pour l'OMC, à la mesure de ses missions et des exigences nées de la mondialisation.
En dépit des difficultés et des divergences, l'accord final me renforce dans l'idée que les réponses aux incertitudes du moment sont à rechercher dans un renforcement de la coopération internationale.
Le succès qu'ont remporté à Doha les thèses communautaires en faveur d'un cycle large, porteur de développement et de régulation, ne doit rien au hasard.
Il consacre plusieurs années de travail, de négociations et de vigilance de la France pour que soit maintenue cette approche équilibrée. Les rapports parlementaires, tout comme le dialogue entretenu avec les représentants de la société civile nous ont convaincu de maintenir ce cap.
Mais je tiens également à saluer la détermination des négociateurs communautaires et singulièrement de Pascal Lamy, dont l'engagement au service du mandat arrêté par le Conseil, et le talent ont permis les avancées décisives enregistrées à l'heure du dénouement à Doha.
L'ambition de l'Union européenne était double : poursuivre l'ouverture maîtrisée des échanges et améliorer le système commercial multilatéral, en renforçant les règles communes et en améliorant l'intégration des pays en développement.
Mon sentiment aujourd'hui est que la déclaration adoptée à Doha correspond pour l'essentiel aux objectifs de l'Union et que l'OMC en sort plus forte et plus légitime.
* * *
I. L'Agenda pour le développement.
L'Union européenne avait maintes fois répété son ambition de lancer à cette occasion un "cycle de développement" dont l'initiative sur l'accès en faveur des PMA a été le signal le plus tangible.
L'Agenda pour le développement comprend la déclaration sur la santé et les médicaments, la dérogation ACP, une décision sur la mise en uvre des accords de Marrakech, et une série de dispositions spécifiques relatives aux programmes de travail et de négociation.
Une de nos plus grandes satisfactions concerne l'accès aux médicaments. La France avait, dès le mois de mai dernier, appelé ses partenaires communautaires et la Commission à une initiative sur ce dossier pour résoudre enfin ce paradoxe cruel qui veut que les médicaments soient au nord et les malades au sud.
Avant même la conférence de Doha, puis sur place, nous avons poursuivi ces efforts en liaison avec l'ensemble des parties intéressées. Le texte finalement adopté donne une interprétation du droit international des brevets favorable à la santé publique. Il a d'ailleurs été accueilli avec satisfaction, tant par les pays en développement que par les ONG engagées dans ce combat, sans pour autant remettre en cause les accords sur la propriété intellectuelle, nécessaires pour préserver les efforts de R D.
La reconnaissance par les membres de l'OMC des préférences commerciales accordées aux ACP par la convention de Cotonou a fait l'objet d'une décision séparée, saluée à juste raison comme un temps fort de la conférence. L'Union européenne y a gagné un crédit qui s'est révélé fort utile dans la phase de conclusion.
La décision sur la mise en uvre des accords de Marrakech marque une étape importante, après deux ans de travaux à Genève. Elle s'accompagne d'un engagement en faveur de l'adhésion rapide des PMA candidats à l'OMC, et de l'objectif d'un accès sans restrictions pour les produits des PMA.
Plus largement, les pays en développement ont obtenu la prise en compte du traitement spécial et différencié dans tous les éléments de la négociation, notamment dans le domaine agricole, et l'engagement de travaux sur des thèmes prioritaires, comme les liens entre commerce et dette, commerce et transferts de technologies, ainsi que la coopération technique. En outre, la protection des savoirs traditionnels est intégrée dans les travaux du conseil sur la propriété intellectuelle.
Enfin, la déclaration prévoit d'augmenter encore les moyens d'action en faveur du développement : un appel est lancé pour une coopération plus étroite de l'OMC avec les organisations financières internationales ; enfin l'engagement est pris de renforcer le cadre intégré pour les PMA, qui associe six organisations et agences internationales.
II. Au cours de cette conférence, nous avons fixé le cadre et le programme de ce cycle de négociations sur l'ouverture des marchés qui doit maintenant s'étaler sur plusieurs années.
Confrontés à des pressions très fortes sur la question essentielle de l'agriculture, nous avons préservé l'essentiel : notre politique agricole commune au sein de l'Union européenne, le rythme de nos réformes, ne seront pas dictés de l'étranger.
L'OMC valide notre conception de l'agriculture comme une activité économique et humaine à part, avec des impératifs de sécurité alimentaire, de développement rural, d'environnement et d'aménagement du territoire.
Pour les services, le droit des Etats à réglementer les services publics est confirmé. La méthode de négociation par listes positives permettra à chaque pays de conserver la maîtrise des offres de libéralisation qu'il soumettra à ses partenaires. Nous garantissons ainsi la préservation des services publics, et celle des politiques publiques dans des secteurs aussi sensibles que l'éducation, la santé et la culture.
Par ailleurs, pour les biens manufacturés, les négociations vont s'ouvrir sur les tarifs industriels et permettre d'ouvrir certains marchés encore très protégés : nos PME exportatrices et celles qui assurent la sous-traitance de grands groupes exportateurs vont tirer des bénéfices très directs de l'élimination d'un grand nombre de pics tarifaires qui subsistent.
Les biens, et les services environnementaux de même, donneront lieu à des négociations spécifiques visant à faciliter leur accès.
III. La prévisibilité et la sécurité de l'environnement juridique dans lequel se développent les échanges internationaux supposent un renforcement des règles multilatérales.
Les décisions prises sur l'investissement et sur la concurrence contribuent tout autant à l'amélioration de l'accès qu'au renforcement des règles communes. Des travaux additionnels seront conduits par les groupes de travail créés sur ces sujets en 1996, dans le but de préparer, dans chaque cas, la négociation d'un accord après la cinquième conférence ministérielle.
Les opérateurs économiques devraient trouver dans ces accords une meilleure sécurité juridique sur les marchés étrangers.
Par ailleurs, les accords sur l'anti-dumping et sur les subventions seront soumis à réexamen, pour en clarifier et en améliorer les disciplines.
L'articulation entre l'OMC et la convention sur la biodiversité, ainsi que la protection des savoirs traditionnels seront examinées dans le cadre du conseil des ADPIC ; notre agriculture de qualité et de terroir verra également ses avantages comparatifs mieux défendus grâce à l'établissement d'un registre mondial pour les vins et les spiritueux et le conseil des ADPIC étudiera l'extension de la protection des indications géographiques à d'autres produits. Ce dernier point était l'une des priorités de l'Union européenne.
Dans cette ébauche de bilan, je crois que l'environnement est un autre élément de satisfaction. Permettez-moi d'insister, Monsieur le président, sur ce qui apparaît comme l'un des résultats les plus novateurs de cette conférence : les règles de l'OMC devront s'articuler avec les obligations commerciales spécifiques contenues dans les accords environnementaux multilatéraux (AME) au travers de négociations dont le lancement est décidé par les ministres.
Il s'agit, de l'aveu général, d'un succès majeur pour les thèses européennes, puisque ces questions n'ont, jusqu'à présent, jamais fait l'objet de négociations spécifiques à l'OMC. Le principe de précaution, intégré dans plusieurs conventions environnementales, pourrait ainsi être abordé dans ces débats.
Cette avancée sur la voie d'une meilleure articulation des normes internationales se double d'un appel à une cohérence et à une coopération renforcée entre l'OMC et les organisations internationales dont l'action concourt à l'objectif du développement durable.
La déclaration de Doha encourage la coopération avec des institutions telles que celles de Bretton Woods, le PNUE, les secrétariats des AME, l'OCDE et la CNUCED.
En revanche, elle reste très timide sur le dialogue entre l'OMC et l'OIT en ne faisant que "prendre note" des travaux de l'OIT. Je vous dirai franchement que ce point précis est peut-être notre principale déception. Mais ces derniers mois, l'Union européenne s'était retrouvée très isolée entre l'hostilité affichée des PED et celle plus voilée des Etats-Unis.
Ce dialogue inter-institutionnel suppose donc une OMC plus forte et plus légitime.
Nous nous étions mobilisés pour progresser sur ce terrain au lendemain de la réunion de Seattle. Doha marque une étape majeure en ce sens, sur au moins trois plans.
L'universalité : l'accession de la Chine et de Taiwan restera comme un des résultats majeurs de cette quatrième réunion ministérielle de l'OMC. Elle souligne la vocation de l'organisation à l'universalité, et confirme le désir de la très grande majorité des Etats d'intégrer un système international fondé sur le droit.
L'efficacité, à travers la clarification et l'amélioration du mécanisme de règlement des différends.
La légitimité : à dire vrai, l'une des clefs du succès de Doha a été le changement de méthode par rapport à Seattle.
Les négociations ont été conduites dans un souci constant de transparence à l'égard de l'ensemble des pays membres et des représentants de la société civile.
Tout autant que le contenu même des décisions prises à Doha, qui répondent sur bien des points aux attentes exprimées à Seattle - je pense à l'environnement, à la santé ou à la sécurité des aliments, par exemple- la méthode retenue pour faire émerger le consensus a été la bonne.
Je souhaiterais conclure, Monsieur le Président, en me projetant dans l'avenir.
A Doha, nous avons arrêté un programme de travail. Les résultats restent à négocier.
La partie sera difficile pour l'Union européenne, l'accord souhaité par tous à Doha n'ayant pas fait disparaître les clivages entre les principaux acteurs. Les ambiguïtés constructives inévitables dans de telles déclarations portent en germe de futurs affrontements. La cinquième réunion ministérielle, qui pourrait se tenir au second semestre 2003, marquera une autre étape importante dans le processus qui s'engage.
La possibilité d'accords anticipés est prévue, comme cela avait été le cas à Punta del Este en 1986, lors du lancement du cycle d'Uruguay.
Mais la globalité et la cohérence des négociations seront garanties par l'engagement unique liant tous les sujets de négociation, en vertu duquel les résultats seront appréciés globalement en fin de période.
Les décisions qui devront être prises au bénéfice des pays en développement sur l'assistance technique et le renforcement des capacités en matière commerciale seront décisives.
Le report du lancement des négociations sur l'investissement et la concurrence après la cinquième conférence ministérielle ménage en effet le temps nécessaire pour préparer des programmes dans chacun de ces domaines.
L'évolution des rapports de force au sein de l'OMC orientera le cours des négociations futures. A cet égard, l'isolement de l'Inde à Doha, s'il se confirmait par la suite, ne pourrait que renforcer le rôle qu'ont joué le Brésil ou l'Afrique du Sud lors de la conférence, et demain, probablement, celui de la Chine.
Quant aux pays africains, très actifs à Doha, ils se sont rapprochés du groupe des ACP et des PMA, et ont annoncé leur intention de consolider ces alliances durant la négociation.
Tel est le contexte dans lequel vont reprendre, à Genève, les travaux de l'OMC.
L'Europe a des cartes en mains pour faire progresser l'objectif d'une meilleure gouvernance commerciale. La France pèsera au sein du conseil, comme elle l'a fait à Doha, pour que l'Union continue de promouvoir la vision ambitieuse et équilibrée qu'elle défend sur la scène internationale
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 novembre 2001)
(Assemblée nationale, le 28 novembre 2001)
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés,
Deux semaines après la conclusion de la conférence ministérielle de l'OMC à Doha, il est un peu tôt encore pour dresser un bilan définitif. Les opinions, points de vue et commentaires se sont multipliés en France et à l'étranger, dans le monde politique et la société civile. Essayons néanmoins de tirer ensemble de cette conférence une première analyse. A Doha, selon moi, nous avons su, et dû, tirer les leçons de Seattle, sur la forme comme sur le fond. Une parenthèse est refermée, mais naturellement, le combat continue.
Mais avant tout, je veux saluer les six d'entre vous qui ont vécu avec moi ces négociations jusqu'au suspense des ultimes prolongations. Je tiens donc à remercier chaleureusement Béatrice Marre, Chantal Robin-Rodrigo, Yann Galut, Jean-Jacques Jégou, Jean-Claude Lefort et Jean-Claude Lenoir du rôle précieux qu'ils ont joué au sein de la délégation française.
Le résultat final obtenu à Doha montre qu'au delà des marchandages, de l'âpreté des discussions, les nations du monde ont fait le choix de la coopération internationale, pas celui du moratoire.
Sur le fond, la vision française et européenne d'un cycle large, porteur de développement et de régulation a prévalu, pour l'essentiel, sur le projet d'un cycle étroit, centré sur la simple libéralisation.
Ce résultat consacre plusieurs années de travail et de vigilance de la part de la France pour que soit conservée une approche équilibrée. Mais je tiens à dire aussi combien les débats, les rapports, l'engagement de cette Assemblée ont été précieux. Le dialogue entretenu avec vous, comme avec les représentants de la société civile, les syndicats et les ONG nous ont convaincu que ce cap était le bon.
Sur place, la fermeté de la France, mais aussi la détermination de Pascal Lamy, ont permis les avancées décisives enregistrées à l'heure du dénouement.
L'ambition de l'Union européenne vous le savez, était double : poursuivre l'ouverture maîtrisée des échanges et améliorer le système commercial multilatéral, en renforçant les règles communes et en améliorant l'intégration des pays en développement.
Ni " marché de dupes ", ni triomphe du marché, la conférence ministérielle de l'OMC est - c'est déjà énorme - une première étape, un essai qu'il nous faut maintenant transformer.
*
Doha aura impulsé deux inflexions majeures dans le cours des négociations commerciales internationales.
La première concerne l'Agenda pour le développement qui comprend quatre chapitres importants : la déclaration sur la santé et les médicaments, la dérogation ACP, une décision sur la mise en uvre des accords de Marrakech, et des dispositions importantes sur le programme de travail et de négociations futures.
§ Une de nos grandes satisfactions concerne l'accès aux médicaments. La France avait, dès le mois de mai dernier, appelé ses partenaires communautaires et la Commission à une initiative sur ce dossier pour contribuer à résoudre enfin cette tragédie qui veut que les médicaments soient au nord et les malades au sud.
Avant même la conférence de Doha, puis sur place, nous avons poursuivi très activement ces efforts en liaison avec l'ensemble des parties intéressées, y compris les ONG, dont je salue ici l'action, notamment MSF et Act-up. Le texte finalement adopté donne une interprétation générale du droit international des brevets favorable à la santé publique. Il a d'ailleurs été accueilli avec satisfaction tant par les pays en développement que par les ONG, sans pour autant remettre en cause les accords sur la propriété intellectuelle. Mais, plus que sur tout autre sujet, le combat continue: nous avons un an pour préciser et fixer la portée du texte de Doha.
§ La reconnaissance par les membres de l'OMC des préférences commerciales accordées aux ACP par la convention de Cotonou a fait l'objet d'une décision séparée, saluée à juste titre comme un temps fort de la conférence. L'Union européenne y a gagné un crédit qui s'est révélé fort utile dans la phase de conclusion.
§ La décision très attendue sur la mise en uvre des accords de Marrakech marque une étape importante. S'y ajoutent l'engagement en faveur de l'adhésion rapide des PMA candidats à l'OMC, et l'objectif d'un accès sans restrictions pour les produits des PMA.
§ Plus largement, les pays en développement ont obtenu la prise en compte du traitement spécial et différencié dans tous les éléments de la négociation, notamment dans le domaine agricole. Des travaux vont s'engager sur les liens entre commerce et dette, commerce et transferts de technologies. En outre, la protection des savoirs traditionnels est intégrée dans les travaux du conseil sur la propriété intellectuelle. Tout cela correspond à des demandes des PED ou des ONG qui avaient jusqu'à présent toujours été rejetées.
Enfin, la déclaration prévoit d'augmenter encore les moyens d'action en faveur du développement : un appel est lancé pour une coopération plus étroite de l'OMC avec les organisations financières internationales. Surtout, les Etats ont pris des engagements en matière de financement de l'assistance technique.
La deuxième inflexion majeure apportée par la déclaration de Doha concerne un renforcement de la régulation.
A cet égard, ce qui apparaît comme l'un des résultats les plus novateurs de cette conférence concerne l'environnement. Les règles de l'OMC devront s'articuler avec les obligations commerciales spécifiques contenues dans les accords environnementaux multilatéraux (AME) au travers de négociations dont le lancement est décidé par les ministres.
Il s'agit d'une réelle avancée pour les thèses de l'Union, puisque ces questions n'ont, jusqu'à présent, jamais fait l'objet de négociations spécifiques à l'OMC. Le principe de précaution, intégré dans plusieurs conventions environnementales, pourrait ainsi être abordé dans ces débats. Il y a une première discussion sur la rédaction du passage concernant l'articulation AME/OMC. Tout cela se tranchera dans le cours des négociations. L'important est que l'environnement soit dans le cycle et bénéficie de l'effet de levier de l'engagement unique.
L'articulation entre l'OMC et la convention sur la biodiversité, ainsi que la protection des savoirs traditionnels seront examinées dans le cadre du Conseil des ADPIC ; notre agriculture de qualité et de terroir verra également ses avantages comparatifs mieux défendus grâce à l'établissement d'un registre mondial pour les vins et les spiritueux et le conseil des ADPIC étudiera l'extension de la protection des indications géographiques à d'autres produits. Ce dernier point était l'une des priorités de l'Union européenne.
Par ailleurs, les décisions prises sur l'investissement et sur la concurrence sont, comme vous le savez, retardées, ce que nous regrettons, mais non bloquées. Des travaux additionnels seront conduits par les groupes de travail créés sur ces sujets en 1996, dans le but de préparer, dans chaque cas, la négociation d'un accord après la cinquième conférence ministérielle.
Les opérateurs économiques devraient trouver dans ces accords une meilleure sécurité juridique sur les marchés étrangers. Par ailleurs, les accords sur l'anti-dumping et sur les subventions seront soumis à réexamen, pour être clarifiés.
Cette avancée sur la voie d'une meilleure articulation des normes internationales se double d'un appel à une cohérence et à une coopération renforcée entre l'OMC et les organisations internationales dont l'action concourt à l'objectif du développement durable. La déclaration de Doha encourage la coopération avec des institutions telles que celles de Bretton Woods, le PNUE, les secrétariats des AME, l'OCDE et la CNUCED.
En revanche, elle reste très timide sur le dialogue entre l'OMC et l'OIT en ne faisant que " prendre note " des travaux de l'OIT. Je vous dirai franchement que ce point précis est peut-être notre principale déception. Mais ces derniers mois, l'Union européenne s'était retrouvée très isolée entre l'hostilité affichée des PED et celle des Etats-Unis.
Mais plus généralement, le dialogue entre l'OMC et les autres institutions des Nations-Unies sera d'autant plus efficace et fructueux que l'OMC sera forte et légitime. Doha y a contribué sur trois plans.
L'universalité : la Chine et Taiwan ont été accueillis au sein l'OMC. Cette double accession, celle de la Russie qui se profile, tout cela renforce la vocation universelle de l'OMC. Cela confirme également que les Etats veulent intégrer un système international fondé sur le droit.
L'efficacité : à travers la clarification et l'amélioration du mécanisme de règlement des différends qui devront être décidés pour 2003.
La légitimité : l'une des clefs du succès de Doha a été le changement de méthode par rapport à Seattle. Les négociations ont été conduites dans une transparence absolue à l'égard de l'ensemble des pays membres et des représentants de la société civile, parfois en temps réel car les textes circulaient librement.
Plus globalement, il faut se demander si pour les PED et particulièrement les plus petits d'entre eux, l'OMC, qui n'a pas de directoire ni de super actionnaire, qui fonctionne sur le principe du consensus et sait prendre des décisions, n'est pas l'enceinte internationale la plus efficace aujourd'hui pour faire entendre leur voix.
Au cours de cette conférence, nous avons fixé le cadre et le programme de ce cycle de négociations sur l'ouverture des marchés qui doit maintenant s'étaler sur plusieurs années.
Sur la question essentielle de l'agriculture, en dépit de pressions très fortes exercées de toutes parts, nous avons préservé l'essentiel : l'Union européenne gardera la maîtrise de sa politique agricole commune et du rythme de ses réformes. Le calendrier de la PAC sera donc respecté et ne sera pas préempté par celui de l'OMC : c'était notre demande.
Pour les services, le droit des Etats à réglementer les services publics est confirmé. La méthode de négociation par listes positives permettra à chaque pays de conserver la maîtrise des offres de libéralisation qu'il entend soumettre à ses partenaires. Nous garantissons ainsi la préservation des services publics, et celle des politiques publiques dans des secteurs aussi sensibles que l'éducation, la santé et la culture.
Par ailleurs, pour les biens manufacturés, les négociations vont s'ouvrir sur les tarifs industriels et permettre d'ouvrir certains marchés encore très protégés: nos PME exportatrices et celles qui assurent la sous-traitance de grands groupes exportateurs vont tirer des bénéfices très directs de l'élimination d'un grand nombre de pics tarifaires qui subsistent.
Les biens, et les services environnementaux de même, donneront lieu à des négociations spécifiques visant à faciliter leur accès.
Je souhaiterais conclure, Monsieur le président, en me projetant dans l'avenir.
A Doha, c'est un programme de travail que nous avons élaboré. Les résultats restent à négocier et je dirais presque que le plus dur reste à faire, car l'accord trouvé à Doha n'a pas fait disparaître tous les clivages. Les ambiguïtés constructives inévitables dans de telles déclarations portent en germe de nombreuses discussions. La cinquième réunion ministérielle, qui pourrait se tenir au second semestre 2003, marquera donc une autre étape importante dans le processus qui s'engage.
La possibilité d'accords anticipés est prévue, comme cela avait été le cas à Punta del Este en 1986, lors du lancement du cycle d'Uruguay. Mais la globalité et la cohérence des négociations seront garanties par l'engagement unique liant tous les sujets de négociation : les résultats seront donc appréciés globalement en fin de période.
Les décisions qui devront être prises au bénéfice des pays en développement sur l'assistance technique et le renforcement des capacités en matière commerciale seront décisives.
Dernier point très important. L'évolution des rapports de force au sein de l'OMC va clairement orienter le cours des prochaines négociations. A Doha, l'Inde est apparue isolée, ce qui pourrait renforcer à l'avenir le rôle du Brésil, ou de l'Afrique du Sud. Nul doute également que la Chine s'impose rapidement comme un partenaire majeur.
Quant aux pays africains, très actifs à Doha, ils se sont rapprochés du groupe des ACP et des PMA, et ont annoncé leur intention de consolider ces alliances durant la négociation.
Tel est le contexte dans lequel vont reprendre, à Genève, les travaux de l'OMC.
L'Europe a réussi à introduire l'objectif d'une meilleure gouvernance commerciale, à nous de le faire progresser désormais. La déclaration de Doha nous offre de bonnes cartes pour y parvenir.
Mais ce que nous avons réussi à Doha, je l'ai dit en commençant, nous le devons à la méthode à laquelle le gouvernement se tient depuis les préparatifs de Seattle. C'est cette même méthode qui doit nous permettre de réussir le cycle. C'est pourquoi, ainsi que je l'ai annoncé hier en répondant à Jean-Claude Daniel, nous allons mettre en place un comité général de suivi des négociations du cycle de Doha auquel rapporteront les groupes de travail sur les principaux chapitres de cette négociation. Il ne s'agit pas pour nous d'une simple transparence mais de bénéficier de l'expertise de toutes les parties concernées.
Je vous remercie.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 3 décembre 2001)