Texte intégral
Le 1er octobre, le Medef ne sera plus présent dans les organismes de Sécurité sociale. Qu'est-ce que cela signifie ?
C'est un échec. C'est un échec de la société française. Au lendemain de la guerre, on a mis en place un principe : les acteurs de l'économie sont à la source de la solidarité. Ils en fournissent les moyens par les cotisations, éventuellement les impôts, et sont responsables des grandes décisions de gestion. Ce principe a été, je crois, extrêmement apprécié. C'était logique, c'était bon et sain.
Et puis, au fil des décennies, avec d'ailleurs des responsabilités partagées, le système s'est dévoyé pour passer sous l'autorité directe des pouvoirs publics, c'est-à-dire du Parlement, du gouvernement, de l'administration.
Cet excellent principe du paritarisme auquel nous croyons s'est ainsi trouvé vidé de son contenu jusqu'à devenir comme une espèce de parodie, de théâtre japonais dans lequel chacun prend des attitudes pour faire semblant, mais où la réalité du pouvoir quotidien est passée dans les mains de l'Etat.
Nous avons donc, en proposant la "refondation sociale", essayé de convaincre qu'il fallait moderniser la gestion de ces systèmes en vue de retrouver un vrai paritarisme. Comment ? Nous avons proposé au gouvernement dix points qui disent clairement comment une gouvernance moderne du paritarisme peut, selon nous, être mise en uvre.
Que fait le gouvernement ? Il les refuse. En maintenant une disposition fondamentalement contraire à tout ce que nous avons à l'esprit dans cette refondation, en effectuant un prélèvement direct dans les caisses de la Sécurité sociale pour financer les 35 heures, c'est-à-dire une décision politique qui n'a rien à voir avec la gestion des systèmes sociaux. En ignorant nos propositions, le gouvernement met un terme au paritarisme dans le domaine de la Sécurité sociale.
Le refus du gouvernement est incompréhensible. Quoi de plus conforme à son éthique politique que de vouloir moderniser le principe fondamental de la gestion en commun par les partenaires sociaux du système de protection sociale ? Cela, bien entendu, sous la haute main de l'Etat, dont les compétences et les pouvoirs importants seraient simplement délimités et respectés.
Quelles sont les conséquences des décisions que vous avez prises ?
Sur le plan pratique, cela ne change rien aux prestations de la Sécurité sociale. Nous le disons avec beaucoup de force : à court terme les Françaises et les Français n'ont pas à s'inquiéter de quoi que ce soit. Notre décision n'implique aucune conséquence négative pour le dispositif actuel des prestations.
Cela n'empêchera pas non plus la Sécurité sociale de se gérer. On trouvera sûrement les voies et moyens administratifs pour faire en sorte que le système continue dans l'immédiat. Notre but n'est pas de bloquer le système. Nous ne sommes en position ni de menace ni de chantage. Nous proposons pour moderniser.
Sur le fond, cela oblige la société française à se poser des questions fondamentales sur la manière dont, à l'avenir, va s'organiser et se gérer tout le système social français. Sur ce plan, la conséquence est lourde, elle pose une question devenue inévitable compte tenu des travers innombrables du fonctionnement et de l'absence de perspectives du système de sécurité sociale français, à l'heure où l'Europe entière réforme ses systèmes.
Il est évident qu'un paritarisme dans lequel il n'y aurait plus que des syndicats n'est pas défendable à terme, et les syndicats eux-mêmes ne le souhaiteraient pas. Alors, faut-il étatiser, faut-il faire gérer démocratiquement par des conseils élus par les salariés, faut-il régionaliser, faut-il privatiser ? La question est posée.
Or que voulons-nous, nous entrepreneurs, dans la société française ? Ne pas imposer notre solution, mais obliger à ouvrir le débat dans une société qui a fait du non-dit et de l'escamotage des problèmes une attitude constante, saluée comme une habilité politique. Notre rôle d'entrepreneurs est de mettre en débat les questions clés qui sont de notre compétence. Parce que ça se passe comme ça dans les entreprises : quand le problème est là, si on ne le traite pas, on disparaît.
Plusieurs milliers de membres du Medef vont cesser de le représenter dans les différentes organisations de la Sécurité sociale. Cela ne va-t-il pas créer des difficultés à l'intérieur du mouvement ?
Nous sommes en permanence au contact du terrain sur ces sujets depuis maintenant dix-huit mois. Et le sentiment presque unanime qui remonte est celui de la perte de temps et de l'inutilité du rôle des entrepreneurs dans les organismes de Sécurité sociale, compte tenu de l'absence de pouvoir et de responsabilité.
Certes, c'est une rupture dans une sorte d'habitude de société et un enchaînement de convivialité sociale.
Mais, d'un autre côté, les dizaines de milliers de gens d'entreprise qui, mus par un intérêt pour la collectivité, ont fait la démarche de s'engager au service de la collectivité, et qui ont été depuis des années dirigés dans une sorte d'impasse, vont pouvoir s'impliquer dans des missions autrement utiles. Cela concerne bien entendu la formation, sur laquelle nous avons un énorme effort à faire, mais aussi tous les autres débats de la cité dans lesquels le monde de l'entreprise a été beaucoup trop absent, muet, non communicant. Nous ne disons pas à nos mandataires : "C'est fini les gars", mais : "Vous allez en profiter pour vous réinvestir là où l'entreprise aujourd'hui a besoin de vous."
Lorsque vous faites le bilan de ces dix-huit derniers mois depuis que vous avez lancé la "refondation sociale", quelles réflexions en tirez-vous ?
Je crois qu'il faut regarder les choses en face. C'était une initiative extraordinairement risquée. En effet, si elle échouait parce que les syndicats refusaient de s'y engager, c'était purement et simplement la mort du dialogue social. Si l'on s'engageait dans cette démarche et qu'elle ne se développait pas, cela montrait l'incapacité structurelle de développer un dialogue social. Or les syndicats ont accepté la méthode, se sont engagés dans le dialogue, et certains l'ont réellement fait progresser.
Notre vrai problème a été de garder le cap de la refondation sociale entre partenaires sociaux, face à des pouvoirs publics qui ont tout fait pour l'empêcher. Le dialogue social a vécu une période d'épreuve. Cette période est derrière nous. Nous avons réussi, malgré les difficultés rencontrées, à surmonter les blocages politiques et administratifs, qui ont atteint leur paroxysme dans l'affaire de l'assurance chômage. Toutes les manuvres, bien entendu médiatiques et politiques, ont été utilisées pour tuer la réforme du Pare. Or elle a résisté et s'est imposée.
Le dernier accord conclu, celui qui porte sur la négociation collective, a un contenu véritablement porteur de modifications en profondeur du dialogue social : l'idée qu'il y a un domaine de la loi et un domaine de dialogue social, l'ouverture vers des accords majoritaires, vers des interlocuteurs dans la négociation en entreprise qui soient des élus du personnel, tout cela est un succès, avec un vrai contenu et l'adhésion de quatre syndicats sur cinq.
Autre élément d'espoir : le monde politique, pendant longtemps très méfiant à l'égard de tout cela, commence à bien comprendre notre démarche. Du côté gouvernemental, c'était le combat de Martine Aubry, ouvertement contre ; et du côté de l'opposition, en dehors du signal très clair donné dès le départ par le chef de l'Etat, le souci de ne pas s'identifier au Medef s'est traduit par des ambiguïtés : on saluait le contenu tout en maintenant de la distance vis-à-vis de notre organisation.
Maintenant, le gouvernement et le parti socialiste lancent les thèmes de la rénovation sociale et de la démocratie sociale, deux dérivés de notre refondation sociale. Dans le même temps, ce thème est omniprésent dans les préparations des programmes de l'opposition.
Au fond, nous engageons la société française, en ce qui concerne les relations sociales et la gestion des institutions sociales, dans la voie de la démarche générale en Europe en vue d'un vrai partenariat confiant entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux. Nous espérons beaucoup que ce thème sera au cur du débat politique des législatives et des présidentielles. Nous comptons bien y veiller.
Les campagnes électorales présidentielle et législative vont dominer la vie politique à partir du mois d'octobre. Comment comptez-vous vous faire entendre ?
Nous lançons à notre conseil exécutif de ce 29 août un plan d'action qui comportera un engagement très fort du Medef, de ses adhérents territoriaux, à la mise en place des éléments du débat.
Qu'attendez-vous de l'évolution des uns et des autres concernant les 35 heures ?
Sur les 35 heures, nous considérons d'abord que demander l'abrogation de la loi serait irréaliste. Nous constatons que cette initiative a pénétré en profondeur dans la sociologie française, et qu'elle y est installée, très peu pour le meilleur et beaucoup pour le pire. Mais gouverner ne signifie pas fermer les yeux sur les imperfections d'un dispositif législatif. On doit pouvoir l'adapter en amendant ses aspects les plus criants d'irréalisme. Nous avons dit récemment à Lionel Jospin : " Monsieur le premier ministre, n'ayez pas d'inquiétude, votre loi est un réel triomphe ", la formule Aubry " du temps pour moi, un travail pour les autres " a été largement appréciée et traduite en : "moins j'en fais, plus je rends service à la société française".
Ce slogan a fait des ravages et nous vivrons ses conséquences négatives dans les années qui viennent. Nous les considérons comme lourdement dommageables pour la compétitivité française, mais c'est un fait.
Cela n'empêche pas que, sur les aspects les plus criants des dysfonctionnements, il faille adapter d'urgence. Je l'ai dit à Mme Guigou : " Un gouvernement qui se respecte ne peut pas jouer avec les problèmes fondamentaux de centaines de milliers d'entreprises. Vous ne pouvez pas continuer à dire : "Oui on va assouplir, j'ai rencontré les boulangers." Si vous devez assouplir, allez-y, dites-nous comment et dites-le-nous vite ! " La ministre nous a paru sensible à la nécessité de traiter la question en septembre. On verra
Du point de vue des programmes de l'opposition, il y aura là aussi des avancées sur l'affaire des 35 heures, c'est-à-dire en fait la libération des heures supplémentaires.
Cette libération est une mesure nécessaire. Cela ouvre beaucoup de possibilités à partir du moment où il y a un contingent considéré par les salariés et les entreprises comme acceptable à la fois socialement et techniquement pour les entreprises. Cent quatre-vingts heures paraît être le minimum.
Un grand débat concerne aussi l'entreprise et va occuper beaucoup d'heures de votre université d'été : il porte sur la contradiction entre création de valeur, résultats et plans de licenciements. Comment répondez-vous à cette contradiction ?
Création de valeur et adaptation de l'entreprise sont liées. Vouloir faire progresser le produit national brut et figer les entités responsables de la production, c'est vouloir la quadrature du cercle. Dans un processus de création de richesse, il faut permettre, faciliter, accompagner, comprendre l'adaptation et bien entendu s'organiser pour qu'elle fonctionne le mieux possible pour tous ceux qui sont impliqués.
A partir du moment où vous avez créé les conditions du dialogue, alors vous avez créé les conditions de la conciliation entre le processus de création de valeurs et celui d'adaptation. En effet, quand on l'anticipe, on l'explicite, on le comprend, on l'aménage.
Tous les réflexes politiques à caractère émotionnel, qui viennent bloquer le processus d'adaptation en le considérant en lui-même comme coupable et négatif, inspirent des phénomènes de refus et de blocage qui sont mortels pour les entreprises, donc pour la croissance et l'emploi.
Notre université d'été, qui traite du sujet "création de valeur, respect des valeurs", mettra en débat la capacité des entreprises à enrichir les Français par la croissance tout en respectant chacun et chacune l'environnement de notre société.
Je l'ai dit au gouvernement : " Vous avez la chance d'avoir un patronat ouvert et réformiste. Pourquoi n'en profitez-vous pas ? "
La démarche de refondation sociale et la démarche de l'université d'été sont des attitudes d'ouverture et de progrès.
N'est-ce pas de la mauvaise conscience de la part des entreprises de se placer dans la situation d'avoir à répondre à toutes ces attaques ?
A force d'être systématiquement en position d'accusé, l'entrepreneur ressent un certain accablement qui peut aller jusqu'à un sentiment de mauvaise conscience contre lequel nous luttons en engageant le monde de l'entreprise à l'explication, au dialogue et à la communication.
Les entrepreneurs ont un argumentaire positif : l'entreprise, dans sa démarche, dans les occasions qu'elle offre aux Françaises et aux Français, par les produits qu'elle crée, par les améliorations qu'elle apporte à la vie de chacun, est un phénomène fondamentalement positif.
Beaucoup en ont par-dessus la tête d'être traités comme des accusés et sont décidés à faire entendre et comprendre que si, en France, contrairement à ce qui se passe dans toute l'Europe, on continue à faire de la surenchère politique sur le dos de l'entreprise, alors il ne faudra pas s'étonner de voir revenir la récession et le chômage.
(source http://www.medef.fr, le 3 septembre 2001)
C'est un échec. C'est un échec de la société française. Au lendemain de la guerre, on a mis en place un principe : les acteurs de l'économie sont à la source de la solidarité. Ils en fournissent les moyens par les cotisations, éventuellement les impôts, et sont responsables des grandes décisions de gestion. Ce principe a été, je crois, extrêmement apprécié. C'était logique, c'était bon et sain.
Et puis, au fil des décennies, avec d'ailleurs des responsabilités partagées, le système s'est dévoyé pour passer sous l'autorité directe des pouvoirs publics, c'est-à-dire du Parlement, du gouvernement, de l'administration.
Cet excellent principe du paritarisme auquel nous croyons s'est ainsi trouvé vidé de son contenu jusqu'à devenir comme une espèce de parodie, de théâtre japonais dans lequel chacun prend des attitudes pour faire semblant, mais où la réalité du pouvoir quotidien est passée dans les mains de l'Etat.
Nous avons donc, en proposant la "refondation sociale", essayé de convaincre qu'il fallait moderniser la gestion de ces systèmes en vue de retrouver un vrai paritarisme. Comment ? Nous avons proposé au gouvernement dix points qui disent clairement comment une gouvernance moderne du paritarisme peut, selon nous, être mise en uvre.
Que fait le gouvernement ? Il les refuse. En maintenant une disposition fondamentalement contraire à tout ce que nous avons à l'esprit dans cette refondation, en effectuant un prélèvement direct dans les caisses de la Sécurité sociale pour financer les 35 heures, c'est-à-dire une décision politique qui n'a rien à voir avec la gestion des systèmes sociaux. En ignorant nos propositions, le gouvernement met un terme au paritarisme dans le domaine de la Sécurité sociale.
Le refus du gouvernement est incompréhensible. Quoi de plus conforme à son éthique politique que de vouloir moderniser le principe fondamental de la gestion en commun par les partenaires sociaux du système de protection sociale ? Cela, bien entendu, sous la haute main de l'Etat, dont les compétences et les pouvoirs importants seraient simplement délimités et respectés.
Quelles sont les conséquences des décisions que vous avez prises ?
Sur le plan pratique, cela ne change rien aux prestations de la Sécurité sociale. Nous le disons avec beaucoup de force : à court terme les Françaises et les Français n'ont pas à s'inquiéter de quoi que ce soit. Notre décision n'implique aucune conséquence négative pour le dispositif actuel des prestations.
Cela n'empêchera pas non plus la Sécurité sociale de se gérer. On trouvera sûrement les voies et moyens administratifs pour faire en sorte que le système continue dans l'immédiat. Notre but n'est pas de bloquer le système. Nous ne sommes en position ni de menace ni de chantage. Nous proposons pour moderniser.
Sur le fond, cela oblige la société française à se poser des questions fondamentales sur la manière dont, à l'avenir, va s'organiser et se gérer tout le système social français. Sur ce plan, la conséquence est lourde, elle pose une question devenue inévitable compte tenu des travers innombrables du fonctionnement et de l'absence de perspectives du système de sécurité sociale français, à l'heure où l'Europe entière réforme ses systèmes.
Il est évident qu'un paritarisme dans lequel il n'y aurait plus que des syndicats n'est pas défendable à terme, et les syndicats eux-mêmes ne le souhaiteraient pas. Alors, faut-il étatiser, faut-il faire gérer démocratiquement par des conseils élus par les salariés, faut-il régionaliser, faut-il privatiser ? La question est posée.
Or que voulons-nous, nous entrepreneurs, dans la société française ? Ne pas imposer notre solution, mais obliger à ouvrir le débat dans une société qui a fait du non-dit et de l'escamotage des problèmes une attitude constante, saluée comme une habilité politique. Notre rôle d'entrepreneurs est de mettre en débat les questions clés qui sont de notre compétence. Parce que ça se passe comme ça dans les entreprises : quand le problème est là, si on ne le traite pas, on disparaît.
Plusieurs milliers de membres du Medef vont cesser de le représenter dans les différentes organisations de la Sécurité sociale. Cela ne va-t-il pas créer des difficultés à l'intérieur du mouvement ?
Nous sommes en permanence au contact du terrain sur ces sujets depuis maintenant dix-huit mois. Et le sentiment presque unanime qui remonte est celui de la perte de temps et de l'inutilité du rôle des entrepreneurs dans les organismes de Sécurité sociale, compte tenu de l'absence de pouvoir et de responsabilité.
Certes, c'est une rupture dans une sorte d'habitude de société et un enchaînement de convivialité sociale.
Mais, d'un autre côté, les dizaines de milliers de gens d'entreprise qui, mus par un intérêt pour la collectivité, ont fait la démarche de s'engager au service de la collectivité, et qui ont été depuis des années dirigés dans une sorte d'impasse, vont pouvoir s'impliquer dans des missions autrement utiles. Cela concerne bien entendu la formation, sur laquelle nous avons un énorme effort à faire, mais aussi tous les autres débats de la cité dans lesquels le monde de l'entreprise a été beaucoup trop absent, muet, non communicant. Nous ne disons pas à nos mandataires : "C'est fini les gars", mais : "Vous allez en profiter pour vous réinvestir là où l'entreprise aujourd'hui a besoin de vous."
Lorsque vous faites le bilan de ces dix-huit derniers mois depuis que vous avez lancé la "refondation sociale", quelles réflexions en tirez-vous ?
Je crois qu'il faut regarder les choses en face. C'était une initiative extraordinairement risquée. En effet, si elle échouait parce que les syndicats refusaient de s'y engager, c'était purement et simplement la mort du dialogue social. Si l'on s'engageait dans cette démarche et qu'elle ne se développait pas, cela montrait l'incapacité structurelle de développer un dialogue social. Or les syndicats ont accepté la méthode, se sont engagés dans le dialogue, et certains l'ont réellement fait progresser.
Notre vrai problème a été de garder le cap de la refondation sociale entre partenaires sociaux, face à des pouvoirs publics qui ont tout fait pour l'empêcher. Le dialogue social a vécu une période d'épreuve. Cette période est derrière nous. Nous avons réussi, malgré les difficultés rencontrées, à surmonter les blocages politiques et administratifs, qui ont atteint leur paroxysme dans l'affaire de l'assurance chômage. Toutes les manuvres, bien entendu médiatiques et politiques, ont été utilisées pour tuer la réforme du Pare. Or elle a résisté et s'est imposée.
Le dernier accord conclu, celui qui porte sur la négociation collective, a un contenu véritablement porteur de modifications en profondeur du dialogue social : l'idée qu'il y a un domaine de la loi et un domaine de dialogue social, l'ouverture vers des accords majoritaires, vers des interlocuteurs dans la négociation en entreprise qui soient des élus du personnel, tout cela est un succès, avec un vrai contenu et l'adhésion de quatre syndicats sur cinq.
Autre élément d'espoir : le monde politique, pendant longtemps très méfiant à l'égard de tout cela, commence à bien comprendre notre démarche. Du côté gouvernemental, c'était le combat de Martine Aubry, ouvertement contre ; et du côté de l'opposition, en dehors du signal très clair donné dès le départ par le chef de l'Etat, le souci de ne pas s'identifier au Medef s'est traduit par des ambiguïtés : on saluait le contenu tout en maintenant de la distance vis-à-vis de notre organisation.
Maintenant, le gouvernement et le parti socialiste lancent les thèmes de la rénovation sociale et de la démocratie sociale, deux dérivés de notre refondation sociale. Dans le même temps, ce thème est omniprésent dans les préparations des programmes de l'opposition.
Au fond, nous engageons la société française, en ce qui concerne les relations sociales et la gestion des institutions sociales, dans la voie de la démarche générale en Europe en vue d'un vrai partenariat confiant entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux. Nous espérons beaucoup que ce thème sera au cur du débat politique des législatives et des présidentielles. Nous comptons bien y veiller.
Les campagnes électorales présidentielle et législative vont dominer la vie politique à partir du mois d'octobre. Comment comptez-vous vous faire entendre ?
Nous lançons à notre conseil exécutif de ce 29 août un plan d'action qui comportera un engagement très fort du Medef, de ses adhérents territoriaux, à la mise en place des éléments du débat.
Qu'attendez-vous de l'évolution des uns et des autres concernant les 35 heures ?
Sur les 35 heures, nous considérons d'abord que demander l'abrogation de la loi serait irréaliste. Nous constatons que cette initiative a pénétré en profondeur dans la sociologie française, et qu'elle y est installée, très peu pour le meilleur et beaucoup pour le pire. Mais gouverner ne signifie pas fermer les yeux sur les imperfections d'un dispositif législatif. On doit pouvoir l'adapter en amendant ses aspects les plus criants d'irréalisme. Nous avons dit récemment à Lionel Jospin : " Monsieur le premier ministre, n'ayez pas d'inquiétude, votre loi est un réel triomphe ", la formule Aubry " du temps pour moi, un travail pour les autres " a été largement appréciée et traduite en : "moins j'en fais, plus je rends service à la société française".
Ce slogan a fait des ravages et nous vivrons ses conséquences négatives dans les années qui viennent. Nous les considérons comme lourdement dommageables pour la compétitivité française, mais c'est un fait.
Cela n'empêche pas que, sur les aspects les plus criants des dysfonctionnements, il faille adapter d'urgence. Je l'ai dit à Mme Guigou : " Un gouvernement qui se respecte ne peut pas jouer avec les problèmes fondamentaux de centaines de milliers d'entreprises. Vous ne pouvez pas continuer à dire : "Oui on va assouplir, j'ai rencontré les boulangers." Si vous devez assouplir, allez-y, dites-nous comment et dites-le-nous vite ! " La ministre nous a paru sensible à la nécessité de traiter la question en septembre. On verra
Du point de vue des programmes de l'opposition, il y aura là aussi des avancées sur l'affaire des 35 heures, c'est-à-dire en fait la libération des heures supplémentaires.
Cette libération est une mesure nécessaire. Cela ouvre beaucoup de possibilités à partir du moment où il y a un contingent considéré par les salariés et les entreprises comme acceptable à la fois socialement et techniquement pour les entreprises. Cent quatre-vingts heures paraît être le minimum.
Un grand débat concerne aussi l'entreprise et va occuper beaucoup d'heures de votre université d'été : il porte sur la contradiction entre création de valeur, résultats et plans de licenciements. Comment répondez-vous à cette contradiction ?
Création de valeur et adaptation de l'entreprise sont liées. Vouloir faire progresser le produit national brut et figer les entités responsables de la production, c'est vouloir la quadrature du cercle. Dans un processus de création de richesse, il faut permettre, faciliter, accompagner, comprendre l'adaptation et bien entendu s'organiser pour qu'elle fonctionne le mieux possible pour tous ceux qui sont impliqués.
A partir du moment où vous avez créé les conditions du dialogue, alors vous avez créé les conditions de la conciliation entre le processus de création de valeurs et celui d'adaptation. En effet, quand on l'anticipe, on l'explicite, on le comprend, on l'aménage.
Tous les réflexes politiques à caractère émotionnel, qui viennent bloquer le processus d'adaptation en le considérant en lui-même comme coupable et négatif, inspirent des phénomènes de refus et de blocage qui sont mortels pour les entreprises, donc pour la croissance et l'emploi.
Notre université d'été, qui traite du sujet "création de valeur, respect des valeurs", mettra en débat la capacité des entreprises à enrichir les Français par la croissance tout en respectant chacun et chacune l'environnement de notre société.
Je l'ai dit au gouvernement : " Vous avez la chance d'avoir un patronat ouvert et réformiste. Pourquoi n'en profitez-vous pas ? "
La démarche de refondation sociale et la démarche de l'université d'été sont des attitudes d'ouverture et de progrès.
N'est-ce pas de la mauvaise conscience de la part des entreprises de se placer dans la situation d'avoir à répondre à toutes ces attaques ?
A force d'être systématiquement en position d'accusé, l'entrepreneur ressent un certain accablement qui peut aller jusqu'à un sentiment de mauvaise conscience contre lequel nous luttons en engageant le monde de l'entreprise à l'explication, au dialogue et à la communication.
Les entrepreneurs ont un argumentaire positif : l'entreprise, dans sa démarche, dans les occasions qu'elle offre aux Françaises et aux Français, par les produits qu'elle crée, par les améliorations qu'elle apporte à la vie de chacun, est un phénomène fondamentalement positif.
Beaucoup en ont par-dessus la tête d'être traités comme des accusés et sont décidés à faire entendre et comprendre que si, en France, contrairement à ce qui se passe dans toute l'Europe, on continue à faire de la surenchère politique sur le dos de l'entreprise, alors il ne faudra pas s'étonner de voir revenir la récession et le chômage.
(source http://www.medef.fr, le 3 septembre 2001)