Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la politique étrangère et la situation internationale, notamment la lutte contre le terrorisme, la régulation de la mondialisation, les perspectives ouvertes par le passage à l'euro et la Convention sur l'avenir de l'Europe, Paris le 11 janvier 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation des voeux à la presse de M. Hubert Védrine le 11 janvier 2002 à Paris

Texte intégral

Je suis venu vous dire quelques mots et vous présenter mes vux bien sûr. Je vous redis à quel point je pense que vous faites un beau métier, un métier difficile mais très original. Je considère toujours votre activité avec sympathie et une sorte d'envie secrète, plus ou moins refoulée. Je regarde parfois les résultats de ce que vous faites avec perplexité, mais je contemple l'exercice comme quelque chose de séduisant. Vous le savez, il y a un certain temps que nous cheminons ensemble. Nous nous connaissons bien maintenant, nous avons eu l'occasion de parler souvent, non seulement des problèmes du monde que nous avons à traiter, mais aussi de la responsabilité qui est la vôtre ou de celle qui est la mienne.
Je ne vais pas vous faire un exposé sur l'état du monde, juste deux ou trois remarques.
La première, - j'y tiens beaucoup, je l'ai développée aux Nations unies, lors de l'Assemblée générale de novembre -, tient en deux ou trois mots simples : nous devons être complètement engagés dans la lutte contre le terrorisme, mais le 11 septembre n'a pas fait disparaître les problèmes du monde qui étaient là et que nous connaissions. Ils ont été particulièrement révélés cette année, au travers des débats sur la mondialisation - tout le processus de Seattle jusqu'à Gênes -, au travers de la Conférence de Durban et de beaucoup d'autres événements sans parler du drame du Proche-Orient.
Il y a énormément de problèmes qui existaient auparavant, qui sont toujours là aujourd'hui. La lutte nécessaire qui doit être menée avec constance et logique contre le terrorisme et également contre tout ce qui alimente le terrorisme, tous les maux dont il se nourrit, cette lutte ne nous dispense de rien. D'autant que si nous avons eu quelques illusions durant la décennie qui a précédé ce moment tragique, ce moment dramatique, sur le fait que les problèmes du monde étaient surmontés, qu'un vaste consensus était établi et que nous progressions d'un même pas allègre vers notre conception de l'économie libérale et de l'économie de marché, de la démocratie à notre façon, nous avons été obligés de nous rendre compte que le monde était resté difficile. Nous pensions que les problèmes avaient été résolus comme par enchantement mais ils ne l'étaient pas. Nous devons reprendre nos efforts, ne pas nous décourager, connaître la réalité et continuer à avancer.
Pour avancer, il faut une régulation. On parle toujours de mondialisation, mais ce qui nous intéresse c'est la régulation de la mondialisation. Nous ne voulons pas d'une mondialisation sauvage, déstructurante, qui nivelle les identités et les cultures. Il y a un paradoxe car la mondialisation est en grande partie une dérégulation. C'est un paradoxe que nous assumons car c'est notre cap, notre volonté et nous y sommes particulièrement attachés en France.
Je crois simplement que dans ce travail nécessaire pour progresser dans la régulation, il ne faut pas se contenter d'annonces. Il faut analyser les obstacles aux propositions de régulation car il y a des forces dans le monde qui sont tout à fait opposées pour des raisons idéologiques, stratégiques, pour des raisons d'intérêt, aux efforts de régulation. C'est vrai dans tous les domaines et il faut le savoir car nous ne pourrons progresser qu'à travers une analyse plus affûtée de ces obstacles ou de ces comportements anti-régulation.
Dans ce contexte, l'unilatéralisme, même s'il tente des pays importants et influents parfois, ne peut pas être une solution. Nous ne pouvons progresser qu'à travers la gouvernance globale et nous devons persévérer. Qui est ce "nous" ? C'est la France bien sûr, mais aussi l'Europe par ce qu'elle est et ce qu'elle devient au travers de ses projets pour un monde plus organisé, plus régulé, plus humanisé et moins déstructuré.
Il y a deux signes récents tout à fait encourageants : le premier est la façon dont les populations de l'Union européenne, en tout cas des pays membres de l'euro l'ont accepté avec enthousiasme et s'y convertissent assez facilement. Je crois que l'on ne connaîtra absolument pas ce qui s'était passé en France à l'époque du passage au nouveau franc. Je crois que l'image que l'on a encore des personnes âgées qui, 30 ans après comptaient encore en anciens francs, n'existera pas pour l'euro car le monde a changé. Les sociétés ont changé, les gens sont familiarisés à cela et, à tous points de vue, nos sociétés sont différentes, beaucoup plus "modernes" naturellement, sans en faire une idéologie. Je crois que c'est une sorte de sympathique et encourageant révélateur de nous-mêmes que de voir toutes ces populations qui, avec une très grande aisance, prennent ce tournant. C'est un signe très encourageant qui doit nous conduire à aller beaucoup plus loin en ce qui concerne la coordination et la convergence des politiques économiques dans toutes leurs dimensions, jusqu'au gouvernement économique que la France appelle de ses vux.
L'autre élément d'optimisme, c'est le démarrage de la Convention sur l'avenir de l'Europe qui se réunira le 28 février et qui correspond à un vrai besoin. Nous avons beaucoup travaillé dans l'année écoulée pour savoir ce que serait cette convention et quel rôle elle jouerait. Nous sommes arrivés à une conception sur laquelle l'accord s'est fait entre les quinze Etats membres. C'est une convention qui ne se substitue pas à la nécessaire négociation entre les gouvernements qui viendra ensuite, dans une nouvelle Conférence intergouvernementale, mais qui la prépare, qui la décante, qui l'enrichit par son travail, ses options et ses propositions. Je trouve très juste la façon dont le président Giscard d'Estaing s'est déjà exprimé à plusieurs reprises sur ce que peut faire la convention. On voit à travers cette présentation la différence avec le contexte dans lequel nous avons dû travailler sur des sujets extrêmement compliqués lors de la Conférence intergouvernementale pour préparer le Sommet de Nice.
Je crois que le processus qui démarre maintenant et qui doit déboucher en 2004 se présente beaucoup mieux. Certes, nous l'aborderons avec réalisme, sur ce qui est possible, sur la répartition des compétences dans l'Europe élargie de demain, dans laquelle nous sommes déjà en fait. Nous l'aborderons avec ces considérations mais nous l'aborderons surtout avec ambition quant au rôle que la France doit y jouer.
J'ajouterai tout simplement que la politique étrangère sera définie, conduite et gérée jusqu'au soir du second tour exactement comme elle l'a été depuis juin 1997. Je crois pouvoir dire que tant le président de la République que le Premier ministre auront à cur de se mettre d'accord sur les sujets importants pour que la France continue de parler d'une même voix, même si c'est par plusieurs bouches, face à toutes les grandes échéances. En ce qui concerne l'avenir, le débat portera sur ce que doit être, après 2002, la façon dont la France doit se comporter, ce qu'elle doit proposer, ce qu'elle doit porter, ce qu'elle doit entraîner, ce qu'elle doit concevoir comme changement, comme rénovation et comme mouvement. Bien sûr, le débat est libre et démocratique, et chacun expliquera au pays ce qu'il propose pour l'avenir.
Je termine en disant que je souhaite à chacun d'entre vous une année heureuse sur le plan personnel et sur le plan professionnel. Je connais les risques de votre métier, vous les avez rappelés et je souhaite bien sûr que vous soyez épargnés. C'est un métier qui, à certains moments, lorsqu'il s'intéresse aux vrais drames, aux vraies convulsions du monde comporte une grande part de risques. Je suis extrêmement ému et touché chaque fois qu'un journaliste, un reporter, est touché dans ses fonctions, mais c'est la noblesse de ce que vous faites et l'exigence du témoignage. Le monde d'aujourd'hui ne serait pas ce qu'il est, avec ce que nous aimons tant, sans vous, sans ce que vous y apportez.
Bonne année à tous, sur tous les plans.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 janvier 2002)