Déclaration de M. Claude Goasguen, vice-président et porte-parole de Démocratie libérale, sur la proposition de reconnaissance de la date du 19 mars comme journée nationale du souvenir, à l'Assemblée nationale le 15 janvier 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

INTERVENTION SUR L'ARTICLE 1ER DE LA PROPOSITION DE LOI
Monsieur le secrétaire d'Etat, lorsqu'on évoque devant l'Assemblée nationale une journée du souvenir, le paradoxe veut que cet acte ne soit pas tourné vers le passé, mais vers le présent et vers l'avenir. Vous le savez très bien puisque c'est en tant que membre du Gouvernement pour l'avenir que vous avez décidé de soutenir cette proposition de loi.
Il est de tradition que les journées du souvenir soient des journées d'unanimité. Et il est vrai que nous formions, que la nation formait le vu unanime de célébrer la mémoire des victimes militaires et civiles tuées à la fin des guerres coloniales, non seulement en Afrique du Nord, mais aussi dans cette Indochine que vous avez oubliée.
Mais vous n'avez pas choisi la voie de l'unanimité, car vous avez mélangé volontairement deux questions : la célébration de la mémoire de tous ceux qui ont été victimes des guerres depuis 1945 et la réconciliation avec l'Algérie. Ce ne sont pas des questions identiques et le fait de les avoir assemblées n'est pas neutre.
Il va de soi qu'en procédant ainsi vous renonciez à l'unanimité et que, par rapport au 8 mai, par rapport au 11 novembre, nous aurions, si nous votions cette loi, l'impression qu'une petite moitié des Français appelle à cette journée du souvenir contre une autre. Bien entendu, c'est exactement le contraire de ce que nous devons tous souhaiter.
Il n'est pas de tradition, en revanche, de célébrer des dates qui ne soient pas représentatives, d'une part, d'un moment d'exultation et de victoire pour la nation et, d'autre part, d'un acte diplomatique appliqué et respecté. Or celle que vous proposez correspond exactement à ces deux cas de figure.
Je considère comme normal que les Algériens célèbrent ce qui est pour eux une victoire obtenue au prix de leur sang. Il est normal que les Allemands célèbrent ce qui a été pour eux la victoire de 1870, mais la France ne célèbre pas la défaite de 1870. Il est normal que les Anglais aient donné à une gare de Londres le nom de Waterloo, victoire anglaise.
A l'inverse, on ne peut reprocher aux Allemands de ne pas célébrer, le 8 mai, le souvenir du jour où l'Allemagne a été défaite. Et pourtant, ce sont les nazis qui ont été vaincus. On aurait donc parfaitement compris qu'ils le fassent ; ils ne l'ont pas fait.
Le 8 mai n'est pas une fête allemande, que je sache ! Le 8 mai est une fête française de la victoire de la France contre le nazisme. Ça ne vous plaît peut-être pas, mais c'est comme ça !
Il est donc de tradition que les journées du souvenir soient choisies à l'unanimité et commémorent des moments forts de la vie nationale. Mais, en l'occurrence, vous avez honte d'un certain passé de la France. Mais oui, vous avez honte de notre passé colonial.
Eh bien, monsieur le secrétaire d'Etat, je fais appel à votre sens de l'intérêt général et je vous demande de retirer ce texte. Nous devons procéder au travail de mémoire indispensable à la réconciliation avec l'Algérie, nous le réclamons tous et le Premier ministre lui-même a souhaité, l'an dernier, la création d'une commission mixte paritaire d'historiens français et algériens qui pourra consulter les archives algériennes comme les archives françaises et qui préparera ainsi, dans la clarté, la réconciliation avec l'Algérie.
En réalité, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous ne faites pas ce geste c'est que la proposition procède d'un tout autre état d'esprit : elle n'est pas un acte de réconciliation, elle est profondément cynique.
En réalité, cette proposition qui divise et dont vous savez parfaitement qu'elle n'ira pas au terme de la navette parlementaire s'inscrit dans un climat préélectoral. Par conséquent, je ne vous donne pas le droit de parler de l'unité alors que vous savez très bien qu'il s'agit d'un texte de division répondant à des intérêts de politique interne.
Vous voulez, en réalité, depuis quelques mois, parce que vous êtes en difficulté sur le plan politique, attirer un certain électorat en lui faisant miroiter des promesses. Vous voulez vous servir des anciens combattants pour une manuvre politique.
Tout cela s'inscrit dans une politique marquée par deux autres événements : le Stade de France Monsieur le président, je suis ravi d'entendre les porteurs de valise me dire que j'ai tort ... et je me félicite d'avoir souligné à quel point cette affaire est une manuvre électorale et n'est qu'une manuvre électorale.
(Source http://www.claude-goasguen.org, le 1er février 2002)
INTERVENTION SUR L'ARTICLE 2 DE LA PROPOSITION DE LOI :
Si, effectivement, sur l'article 1er, nous avons été un certain nombre à nous abstenir parce qu'il n'y a aucune raison de ne pas célébrer le souvenir de ceux, anciens combattants aussi, qui sont tombés en Indochine et dans tous les combats après 1945, et si, je le répète, nous restons favorables à l'établissement d'une journée du souvenir, sans exclusive, pour tous ceux qui sont tombés dans les guerres coloniales après 1945, en revanche, sur l'article 2, nous ne posons plus de questions. Car fixer au 19 mars la date anniversaire de cette journée du souvenir, c'est se mettre en contradiction avec le titre même de la proposition de loi. En effet, les accords d'Evian, dont on propose la célébration, ne concernaient ni la Tunisie ni le Maroc, mais essentiellement l'Algérie.
Je voudrais rappeler deux choses.
D'abord, après le 19 mars, le cessez-le-feu a été appliqué par la France et par la France seule, puisque c'est à partir de cette date que l'armée de libération nationale, qui était hors des frontières, est entrée en Algérie et que les massacres ont commencé. La prise d'Alger par l'armée de libération nationale, c'est le 3 août 1962. Par conséquent, laisser croire à l'opinion française que les accords d'Evian ont été respectés par leurs signataires algériens est une malhonnêteté historique.
Ensuite, on ne peut pas accepter, même avec les raisonnements les plus tortueux, d'exclure de l'énumération des victimes tous ceux qui sont tombés parce que les accords d'Evian n'ont pas été respectés par nos partenaires algériens : 700 militaires, 2 100 pieds-noirs, un nombre incalculable de Harkis, assassinés parce que les accords d'Evian n'étaient pas respectés ! Voilà la vérité ! Et vous voudriez faire de ces accords-là le symbole de la journée du souvenir ? Vous n'en avez pas le droit !
Enfin, je voudrais rappeler à tous ceux, dans cet hémicycle, qui avaient de la famille, des parents, des amis de l'autre côté de la Méditerranée que c'est à partir des accords d'Evian qu'a commencé cet exode que personne n'a oublié en France, l'exode des pieds-noirs, exclus de l'Algérie par un mécanisme qu'on ne qualifiait pas à l'époque d'" épuration ethnique ".Vous ne pouvez pas, chers collègues de la majorité, lutter contre l'épuration ethnique ailleurs et accepter celle qui a été réalisée en Algérie ! C'est l'histoire, certes. Au moins, ayons la décence, dans notre pays, de ne pas célébrer ce qui reste comme un échec de notre diplomatie et comme une tache, pour les gouvernants algériens de l'époque, sur des accords de paix.
La paix se fait à deux, elle n'est pas unilatérale. Le devoir de mémoire est un devoir bilatéral. Il n'est pas la repentance systématique devant ceux qui n'ont pas respecté leurs engagements. C'est la raison pour laquelle nous voterons contre l'article 2.
(Source http://www.claude-goasguen.org, le 1er février 2002)