Texte intégral
Vous revenez d'un voyage en Algérie, Tunisie et Maroc. Pourquoi cette tournée au milieu de votre campagne présidentielle ?
J'ai fait ce choix symbolique pour montrer aux Français que la politique étrangère de la France et la construction européenne doivent être réorientées vers le Sud parce que c'est notre intérêt vital. Notre Sud le plus proche c'est le Maghreb. Nous vivons dans un monde dangereux, le 11 septembre l'a rappelé à ceux qui l'avaient oublié. Si l'Algérie, la Tunisie et le Maroc ne réussissaient pas leur développement et sombraient dans une forme d'intégrisme islamiste aisément imaginable, ce serait une catastrophe pour ces pays et également pour la France. L'élargissement de l'Europe vers l'Est, qui est le résultat de la chute du communisme mais répond aussi au tropisme de l'Allemagne, ne doit pas nous détourner du Sud, parce que c'est là que s'accumulent les problèmes. La misère est le terreau de l'intégrisme.
Souhaiteriez vous que les pays du Maghreb intègrent l'Union européenne ?
Pour ma part j'y serais favorable à terme. Je me sens plus d'affinités avec un Algérien qu'avec un Finlandais. Surtout, je préconise une coopération renforcée entre les pays européens du Sud et les pays du Maghreb. On ne peut pas concevoir le co-développement des économies maghrébines et de l'Europe uniquement au travers du libre échange. Il faut des aides structurelles en matière d'infrastructures, de formation, de santé. Et il faut un partenariat stratégique.
Vous vous étiez inquiété de l'arrivée de l'euro. Le succès de la monnaie unique vous étonne-t-il ?
L'opération a été un succès technique. Mais une mauvaise idée peut aussi être parfaitement exécutée, cela ne la valide pas pour autant. Le pont de la rivière Kwaï était une parfaite réussite technique. Il me parait prématuré de céder à l'"europhorie". On voit le Président de la République et le Premier ministre se disputer la paternité de l'euro agenouillés devant lui comme devant le Veau d'Or alors qu'ils ont longtemps rasé les murs sur cette question. Je les mets en garde : ils pourraient bien demain déchanter. Un mouvement de hausse des prix est en train de s'opérer par la valse des étiquettes et le pouvoir d'achat des Français pourrait s'en ressentir.
Surtout l'euro pose un problème de fond : c'est celui de la démocratie. Tous les pouvoirs ont été remis à une banque centrale indépendante. Nous sommes gouvernés en matière monétaire par une "expertocratie" aux idées profondément réactionnaires. J'appelle donc à une réorientation de la politique de l'euro vers le soutien à la croissance et à l'emploi et à une révision des dispositions du traité de Maastricht qui empêchent la mise en oeuvre d'une politique de relance nécessaire pour faire face à la récession. Il n'est pas normal que les Etats-Unis injectent cent milliards de dollars dans leur économie et que l'Europe ne fasse rien.
De la bioéthique à l'arrêt Perruche, les Français semblent de plus en plus attendre du politique qu'il investisse les problèmes éthiques. Partagez-vous ce sentiment ?
Sur l'arrêt Perruche, on ne doit pas substituer à une politique de solidarité avec les handicapés la recherche devant les tribunaux d'une responsabilité pour le préjudice d'être né. C'est une insulte à la vie et c'est une erreur politique. La recherche, quant à elle doit rester libre. On ne va pas voter pour savoir si la Terre tourne autour du soleil! Mais, s'agissant, par exemple, de l'utilisation d'embryons surnuméraires ou du clonage thérapeutique, les choix peuvent être soumis à la démocratie, c'est-à-dire au vote du Parlement ou des citoyens. Le débat sur le sens et sur les valeurs intéresse nos concitoyens. J'ai mis au premier rang des orientations que je propose aux Français le retour aux valeurs et aux principes de la République. Ce n'est pas par hasard.
La montée des problèmes d'insécurité ne marque-t-elle pas l'échec de votre politique comme ministre de l'intérieur?
Vous avez peut-être remarqué que tant que j'étais au gouvernement, la délinquance a été contenue. Chacun sait aussi que j'ai souvent eu le dessous dans les arbitrages interministériels. Le gouvernement a eu tort de refuser la loi de programmation sur la sécurité que je proposais en janvier 1999. De même, le gouvernement s'avise un peu tard qu'il n'y a pas de cohérence entre la politique du ministère de l'intérieur et celle de la Chancellerie. C'est Jacques Chirac qui a proposé l'indépendance des Parquets. C'est Lionel Jospin qui l'a réalisée. Résultat : il n'y a plus de politique pénale unifiée. Avec la loi sur la présomption d'innocence, les charges procédurales pesant sur les policiers ont été stupidement alourdies. J'ai été le seul à émettre des réserves sur ces dispositions qui ont été votées et par la droite et par la gauche.
Après l'euphorie de 2001, vous marquez le pas dans les sondages. Cela vous inquiète-t-il ?
Je suis en face de deux puissantes machines, de deux immenses " royaumes prébendiers " alors que je n'ai pour moi que la confiance des citoyens. Mais je ressens, dans le pays un profond besoin de sens. Partout je ne rencontre que des gens qui n'ont aucune visibilité sur leur avenir. Les Français attendent que l'on redonne sens à la France. Non pas pour casser l'Europe, bien au contraire, mais pour lui donner une âme, une signification dans le monde dangereux qui est le nôtre.
Si vous gagnez l'élection, comment pourriez-vous gouverner avec ce "pôle républicain" qui va d'anciens proches de Charles Pasqua à des communistes purs et durs?
Philippe Séguin compare cela à une auberge espagnole. Pensez-vous qu'autour du général de Gaulle à Londres, en 1940, ce n'était pas une auberge espagnole? Je suis fier de cette diversité qui fait la force d'un rassemblement qui s'opère sur les dix orientations prioritaires que j'ai proposées pour redresser la République. Faites-moi confiance le moment venu pour faire le choix des hommes, notamment du Premier ministre, pour renouveler la donne en profondeur.
Et que ferez-vous si vous n'êtes pas présent au second tour?
Je me concentre uniquement sur l'hypothèse que vous écartez. Si je progresse encore de quelques points, le système tout entier va entrer en turbulence. Le seul choix est entre les deux candidats sortants, qui sont d'accord sur l'essentiel, et ce que je représente : l'idée républicaine avec ce quelle implique de civisme, de grandeur morale et d'esprit de justice.
Propos recueillis par Laurent de BOISSIEU
et Mathieu CASTAGNET
(Source http://www.chevènement2002.net, le 14 janvier 2002)
J'ai fait ce choix symbolique pour montrer aux Français que la politique étrangère de la France et la construction européenne doivent être réorientées vers le Sud parce que c'est notre intérêt vital. Notre Sud le plus proche c'est le Maghreb. Nous vivons dans un monde dangereux, le 11 septembre l'a rappelé à ceux qui l'avaient oublié. Si l'Algérie, la Tunisie et le Maroc ne réussissaient pas leur développement et sombraient dans une forme d'intégrisme islamiste aisément imaginable, ce serait une catastrophe pour ces pays et également pour la France. L'élargissement de l'Europe vers l'Est, qui est le résultat de la chute du communisme mais répond aussi au tropisme de l'Allemagne, ne doit pas nous détourner du Sud, parce que c'est là que s'accumulent les problèmes. La misère est le terreau de l'intégrisme.
Souhaiteriez vous que les pays du Maghreb intègrent l'Union européenne ?
Pour ma part j'y serais favorable à terme. Je me sens plus d'affinités avec un Algérien qu'avec un Finlandais. Surtout, je préconise une coopération renforcée entre les pays européens du Sud et les pays du Maghreb. On ne peut pas concevoir le co-développement des économies maghrébines et de l'Europe uniquement au travers du libre échange. Il faut des aides structurelles en matière d'infrastructures, de formation, de santé. Et il faut un partenariat stratégique.
Vous vous étiez inquiété de l'arrivée de l'euro. Le succès de la monnaie unique vous étonne-t-il ?
L'opération a été un succès technique. Mais une mauvaise idée peut aussi être parfaitement exécutée, cela ne la valide pas pour autant. Le pont de la rivière Kwaï était une parfaite réussite technique. Il me parait prématuré de céder à l'"europhorie". On voit le Président de la République et le Premier ministre se disputer la paternité de l'euro agenouillés devant lui comme devant le Veau d'Or alors qu'ils ont longtemps rasé les murs sur cette question. Je les mets en garde : ils pourraient bien demain déchanter. Un mouvement de hausse des prix est en train de s'opérer par la valse des étiquettes et le pouvoir d'achat des Français pourrait s'en ressentir.
Surtout l'euro pose un problème de fond : c'est celui de la démocratie. Tous les pouvoirs ont été remis à une banque centrale indépendante. Nous sommes gouvernés en matière monétaire par une "expertocratie" aux idées profondément réactionnaires. J'appelle donc à une réorientation de la politique de l'euro vers le soutien à la croissance et à l'emploi et à une révision des dispositions du traité de Maastricht qui empêchent la mise en oeuvre d'une politique de relance nécessaire pour faire face à la récession. Il n'est pas normal que les Etats-Unis injectent cent milliards de dollars dans leur économie et que l'Europe ne fasse rien.
De la bioéthique à l'arrêt Perruche, les Français semblent de plus en plus attendre du politique qu'il investisse les problèmes éthiques. Partagez-vous ce sentiment ?
Sur l'arrêt Perruche, on ne doit pas substituer à une politique de solidarité avec les handicapés la recherche devant les tribunaux d'une responsabilité pour le préjudice d'être né. C'est une insulte à la vie et c'est une erreur politique. La recherche, quant à elle doit rester libre. On ne va pas voter pour savoir si la Terre tourne autour du soleil! Mais, s'agissant, par exemple, de l'utilisation d'embryons surnuméraires ou du clonage thérapeutique, les choix peuvent être soumis à la démocratie, c'est-à-dire au vote du Parlement ou des citoyens. Le débat sur le sens et sur les valeurs intéresse nos concitoyens. J'ai mis au premier rang des orientations que je propose aux Français le retour aux valeurs et aux principes de la République. Ce n'est pas par hasard.
La montée des problèmes d'insécurité ne marque-t-elle pas l'échec de votre politique comme ministre de l'intérieur?
Vous avez peut-être remarqué que tant que j'étais au gouvernement, la délinquance a été contenue. Chacun sait aussi que j'ai souvent eu le dessous dans les arbitrages interministériels. Le gouvernement a eu tort de refuser la loi de programmation sur la sécurité que je proposais en janvier 1999. De même, le gouvernement s'avise un peu tard qu'il n'y a pas de cohérence entre la politique du ministère de l'intérieur et celle de la Chancellerie. C'est Jacques Chirac qui a proposé l'indépendance des Parquets. C'est Lionel Jospin qui l'a réalisée. Résultat : il n'y a plus de politique pénale unifiée. Avec la loi sur la présomption d'innocence, les charges procédurales pesant sur les policiers ont été stupidement alourdies. J'ai été le seul à émettre des réserves sur ces dispositions qui ont été votées et par la droite et par la gauche.
Après l'euphorie de 2001, vous marquez le pas dans les sondages. Cela vous inquiète-t-il ?
Je suis en face de deux puissantes machines, de deux immenses " royaumes prébendiers " alors que je n'ai pour moi que la confiance des citoyens. Mais je ressens, dans le pays un profond besoin de sens. Partout je ne rencontre que des gens qui n'ont aucune visibilité sur leur avenir. Les Français attendent que l'on redonne sens à la France. Non pas pour casser l'Europe, bien au contraire, mais pour lui donner une âme, une signification dans le monde dangereux qui est le nôtre.
Si vous gagnez l'élection, comment pourriez-vous gouverner avec ce "pôle républicain" qui va d'anciens proches de Charles Pasqua à des communistes purs et durs?
Philippe Séguin compare cela à une auberge espagnole. Pensez-vous qu'autour du général de Gaulle à Londres, en 1940, ce n'était pas une auberge espagnole? Je suis fier de cette diversité qui fait la force d'un rassemblement qui s'opère sur les dix orientations prioritaires que j'ai proposées pour redresser la République. Faites-moi confiance le moment venu pour faire le choix des hommes, notamment du Premier ministre, pour renouveler la donne en profondeur.
Et que ferez-vous si vous n'êtes pas présent au second tour?
Je me concentre uniquement sur l'hypothèse que vous écartez. Si je progresse encore de quelques points, le système tout entier va entrer en turbulence. Le seul choix est entre les deux candidats sortants, qui sont d'accord sur l'essentiel, et ce que je représente : l'idée républicaine avec ce quelle implique de civisme, de grandeur morale et d'esprit de justice.
Propos recueillis par Laurent de BOISSIEU
et Mathieu CASTAGNET
(Source http://www.chevènement2002.net, le 14 janvier 2002)