Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur la politique de défense, à l'Assemblée nationale le 24 mai 1994.

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Circonstance : Présentation de la loi de programmation militaire à l'Assemblée nationale le 24 mai 1994

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les députés,
Il y a un peu plus d'un an, lors de ma déclaration de politique générale, je vous indiquais que l'une des priorités essentielles de l'action du Gouvernement serait de mieux assurer la place de la France en Europe et dans le monde. Un tel engagement n'aurait pas été crédible, sans une politique de défense forte et rénovée.
C'est pourquoi, j'ai aussitôt demandé au Ministre d'Etat, Ministre de la défense d'engager une réflexion sur les nouveaux enjeux et les nouveaux objectifs de notre politique de défense : le Livre blanc qui vous a été présenté au mois de février dernier a répondu à ce mandat.
Le projet de loi de programmation militaire, qui vous est présenté aujourd'hui, constitue la traduction législative de ces orientations.
Je laisserai au Ministre d'Etat, Ministre de la Défense le soin de vous exposer plus complètement ce projet de loi.
Je me contenterai, pour ma part, de rappeler les quelques principes directeurs que j'ai souhaité voir appliqués en ce domaine.
Il était en premier lieu nécessaire que notre politique de défense s'inscrive dans la durée.
Dans ce domaine, comme dans les autres actions de redressement du pays, l'effort entrepris au mois d'avril dernier doit s'inscrire et porter ses fruits sur plusieurs années.
Plus que toute autre, la politique de défense qui assure la permanence de l'Etat et de la Nation ne saurait fluctuer au gré des circonstances.
Le Livre blanc de la défense fixe ainsi des orientations à quinze ans. Le projet de loi de programmation militaire s'étend pour sa part de 1995 à la fin du siècle en fixant l'évolution des effectifs et des crédits d'équipement de la Défense pour les six années qui viennent. Il est ainsi mis un terme à une situation, sans précédent sous la cinquième République, dans laquelle la Défense ne disposait plus, et cela depuis bientôt trois ans, de référence pluriannuelle. Un véritable cap est désormais donné à notre Défense.
Inscrire la politique de défense dans la durée, cela implique de concilier deux objectifs : le respect des principes sur lesquels le Général de GAULLE a fondé la place de la France dans le monde ; l'adaptation de nos moyens pour être prêts à affronter les nouveaux défis de la société internationale.
De l'héritage du Général de GAULLE en matière de défense, je retiendrai, sans vouloir être exhaustif, trois principes qui ont guidé le gouvernement dans l'élaboration de ce projet de loi :
- Tout d'abord, la conviction profonde que la défense du pays, parce qu'elle est l'assurance ultime de son indépendance et de sa liberté, justifie un effort exceptionnel de tous, y compris dans la période de difficultés économiques et financières que nous traversons et dont, je l'espère, nous commençons à sortir.
C'est pourquoi, j'ai décidé, malgré les contraintes imposées par la loi d'orientation quinquennale relative à la maîtrise des finances publiques qui couvre les trois premières années de la programmation, de proposer au Parlement un accroissement du budget d'équipement de la défense de 0,5 % par an en volume pour les six prochaines années. Ainsi, la fabrication des matériels déjà développés sera-t-elle poursuivie. Au surplus, si la situation économique et celle de nos finances publiques le permettent, la progression du budget d'équipement pourra être portée à 1,5 % en 1997, ce qui permettrait de lancer plus tôt, ou de poursuivre à un rythme plus rapide, les programmes envisagés pour répondre aux besoins du futur.
Mais, préserver l'essentiel ne conduit pas à se soustraire à l'effort de rigueur. C'est pourquoi, le ministère de la Défense devra, aux termes de ce projet de loi, réduire ses effectifs de quelques 30 000 personnes en 6 ans. Il participera ainsi pleinement à l'action d'ensemble entreprise par l'administration en faveur de l'assainissement des finances publiques.
Cette réduction des effectifs s'accompagnera d'une action particulière visant à améliorer la qualité professionnelle des personnels et accroître le taux d'encadrement des unités
Il lui faudra enfin veiller avec un soin plus attentif au contrôle du coût des équipements militaires. Des objectifs précis seront notifiés aux services et aux entreprises.
- La seconde priorité que le Général de GAULLE a imprimé à notre politique de défense concerne la dissuasion.
Faut-il le répéter à nouveau ? Le Gouvernement prendra toutes les dispositions permettant à notre dissuasion de conserver son rôle essentiel dans notre stratégie de défense. La loi de programmation militaire qui vous est soumise donnera à l'Etat les moyens de maintenir la crédibilité de notre arsenal nucléaire dans le futur. Nos forces nucléaires seront maintenues au niveau de suffisance indispensable pour assurer la protection de nos intérêts vitaux.
Un effort important, sans précédent, sera entrepris dans le domaine de la simulation et de la modélisation, afin de préparer les décisions qui devront être prises dans les prochaines années sur les caractéristiques précises des armes futures qui seront destinées à remplacer la génération actuelle.
Je rappellerai que la France n'est engagée par aucune contrainte internationale. Je puis vous assurer que cette liberté de choix sera préservée.
- Enfin, troisième constante de notre politique de défense : réaffirmer le lien entre la défense et la Nation.
Le service national est maintenu. Il sera mis en valeur pour mieux répondre aux missions des forces armées.
C'est pourquoi le projet de loi de programmation définit une politique globale de gestion des personnels.
Celle-ci prévoit notamment : une meilleure utilisation des compétences de nos jeunes compatriotes, l'attribution de responsabilités élargies aux appelés et des mesures renforcées en matière de formation pour faciliter l'insertion des appelés dans la vie professionnelle à l'issue de leur service national.
Mais au delà de ces constantes qui restent adaptées à la nouvelle réalité du monde, il fallait conduire un effort particulier de rénovation pour être à même de relever les défis auxquels sera confrontée la France à l'aube du prochain siècle.
Là encore, le Livre blanc de la défense a fixé les orientations à long terme. La loi de programmation militaire commencera à les mettre en oeuvre.
Je retiendrai deux orientations essentielles :
Tout d'abord, l'adaptation et le renforcement de nos moyens d'actions, pour être en mesure de prévenir les crises, de limiter les conflits et, le cas échéant, d'arrêter les guerres.
Une telle politique ne se limite pas aux moyens de la défense. Une action peut être entreprise en amont, afin d'éviter d'avoir besoin de recourir aux armes. C'est l'objet du projet de Pacte de stabilité dont la conférence de lancement va s'ouvrir dans deux jours à Paris. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
Mais nous ne pouvons faire le pari que la diplomatie préventive, suffira toujours à éviter les conflits.
Il faut donc que la France soit dotée des moyens adaptés à des interventions d'un type nouveau, dont l'actualité internationale nous donne malheureusement de nombreux exemples.
La rapidité d'intervention, la mobilité des forces, leur capacité à travailler au sein de coalitions multinationales, parfois à longue distance du territoire national ; ces critères sont autant d'impératifs pour les armées de demain. Pour être capable de faire face à ces nouvelles situations, il faut que notre appareil de défense puisse maîtriser des situations de plus en plus complexes, qu'il dispose d'une capacité importante de projection de force ; qu'il puisse gérer des engagements de longue durée et enfin que l'intéropérabilité avec nos alliés soit accrue.
Ce dernier objectif m'amène à la seconde évolution majeure de notre politique de défense : l'engagement européen.
Notre outil de défense garantit l'indépendance et la souveraineté de notre pays. Il est également au service de l'Europe. Il serait vain de plaider pour une action plus forte de l'Union européenne sur la scène internationale sans la doter d'une capacité opérationnelle crédible.
L'ambition européenne est aussi l'une des raison de l'effort de défense que le Gouvernement vous demande d'approuver.
La loi de programmation donnera à la France les moyens de jouer tout son rôle dans l'émergence d'une défense européenne, en ayant bien conscience que celle-ci sera progressive et ne deviendra réalité que si nos partenaires unissent leur effort au nôtre.
Des projets encourageants ont déjà vu le jour. La loi de programmation permettra de les développer ou d'en lancer de nouveaux. C'est le cas du corps européen qui doit devenir un pôle de coopération pour les forces, mais également pour les armements afin de parvenir à une standardisation des équipements à terme. D'une manière plus générale notre politique d'armement devra privilégier la réalisation de programmes en coopération avec nos partenaires de l'Union Européenne. Il s'agit d'un objectif politique et industriel.
D'autres forces multinationales sont également envisagées. Elles devront se regrouper sous l'égide de l'UEO, afin que cette organisation puisse enfin donner à l'Union européenne la capacité militaire qui lui fait défaut. Voilà l'objectif à terme. La loi de programmation fournira les moyens d'y travailler sans attendre.
Mesdames et Messieurs les Députés, le Ministre d'Etat, Ministre de la Défense va vous exposer plus en détail le projet de loi de programmation qui vous est soumis.
J'ai tenu à m'adresser moi-même au Parlement à cette occasion, car ce que le Gouvernement vous demande n'est pas uniquement d'approuver le cadre budgétaire de notre défense pour les prochaines années.
L'enjeu va au delà.
Alors que le monde a perdu ses repères traditionnels depuis la chute du Mur de Berlin, une ère plus incertaine s'est ouverte. Je me veux optimiste, car le mouvement engagé depuis quelques années a d'abord permis à la liberté et à la démocratie de s'étendre sur notre continent.
Pour autant, qui peut oublier qu'aujourd'hui, pour la première fois depuis cinquante ans, des soldats français sont engagés dans des combats en Europe même. Et, pensant à nos compatriotes qui, sous les armes, défendent dans l'ex-Yougoslavie, nos idéaux de liberté et de paix, je pense aussi à ceux qui, il y a cinquante ans, défendaient le sol et l'honneur de la France dans l'action de libération de notre territoire qui s'amorçait.
Ce sont à ces soldats, à ceux d'aujourd'hui et à ceux d'hier, que nous devons de garder une ambition élevée pour le rôle et la place de la France dans le monde. Parce que l'histoire tumultueuse de notre continent nous a appris que les dangers anciens pouvaient ressurgir sous des visages nouveaux, il est du devoir du Gouvernement d'accorder à notre politique de défense la priorité qui lui revient "La défense de la France, est la première raison d'être de l'Etat" déclarait le Général de GAULLE le 14 juin 1952.
Voilà, Mesdames et Messieurs, l'enjeu réel du débat que le Gouvernement ouvre avec vous. Voilà l'ambition à laquelle je souhaite que la représentation nationale, et à travers elle, le pays dans son ensemble, puisse adhérer. Pour ma part, je peux vous assurer de la détermination du Gouvernement à poursuivre l'effort entrepris en ce domaine il y a un an. Le service de la liberté et la grandeur de notre pays fondent la politique de défense que je vous demande d'approuver.