Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur le passage complet à l'euro et ses conséquences dans la gestion courante des communes, Paris le 22 novembre 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Laurent Fabius - Ministre de l'économie des finances et de l'industrie

Circonstance : 84éme Congrès de l'Association des maires de France, à Paris le 22 novembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les maires,


Je suis particulièrement heureux d'être parmi vous et de pouvoir cette année participer à ce congrès auquel je suis très attaché. Je connais le mandat des élus que vous êtes, pour avoir été un des vôtres.

Je souhaite évoquer avec vous un événement prochain de première importance, pour lequel votre mission vous conduit déjà à déployer vos efforts : dans quarante jours exactement, l'introduction des pièces et des billets en euros simultanément dans les douze pays de la zone euro, auprès de plus de 300 millions d'Européens, qui va donner sa pleine dimension à la plus importante réforme monétaire des 50 dernières années. J'ai écrit à chacun de vous sur ce sujet, le 21 juillet dernier. J'ai voulu à la fois vous remercier des initiatives concrètes que vous aviez décidées et de celles que vous vous apprêtiez à prendre. Vous dire que les services locaux de mon ministère étaient et sont à votre disposition. Je vous annonçais l'envoi d'un nouveau guide sur le passage à l'euro, qui vous a été adressé en septembre. Beaucoup d'entre vous m'ont écrit en retour, je les en remercie. J'ai pu constater à la lecture de vos courriers et des dossiers qui les accompagnaient parfois, que les initiatives étaient nombreuses, émanant directement de vous ou bien issues du travail en profondeur de très nombreuses associations, relayées et soutenues par vous-mêmes.

Un mot d'abord du calendrier. Je l'ai rappelé, nous sommes à 40 jours du grand jour. En réalité, l'euro est déjà là, même s'il ne l'est pas tout entier. Juridiquement, c'est la première phrase du premier article de notre actuel code monétaire et financier, " la monnaie de la France est l'euro ", depuis maintenant près de trois ans. Nous nous servons déjà quotidiennement de l'euro pour nos paiements, dans la proportion notable d'un paiement sur quatre. Il s'agit bien entendu de paiements appelés scripturaux. Pourtant, s'il fallait fixer une date, c'est celle du 1er janvier 2002 que chacun d'entre nous indiquerait. Parce que c'est, à cette date, l'introduction concrète des pièces et des billets nouveaux, après une période transitoire de trois ans, qui permettra ensuite le retrait des monnaies nationales. Cela va modifier en profondeur notre vie quotidienne. Bien entendu, les choses ne se passeront pas seulement en une nuit. Je pense notamment à la difficulté de l'opération logistique qui consiste à rendre partout disponibles les pièces et les billets nouveaux : pour les pièces, ce sont 30 000 tonnes qu'il faut distribuer, au détail et sur tout le territoire, une moyenne de 500 grammes par Français. C'est d'ailleurs parce qu'il s'agit d'une opération difficile qu'il a été prévu que le retrait des monnaies nationales ne sera prononcé que le 17 février 2001 pour le franc, tandis que la plupart de nos voisins ont choisi la fin février.

C'est également parce qu'il s'agit d'une opération difficile que nous avons donné une grande importance aux paiements scripturaux, qu'il s'agisse des virements, des chèques ou des cartes par exemple. Il fallait que nous en prenions l'habitude avant même de passer à la nouvelle monnaie sonnante et trébuchante. Les choses vont bon train, la France fait d'ailleurs la course en tête parmi nos voisins de la zone euro. Pour les chèques par exemple, il y a trois semaines un chèque sur 6 était libellé en euros, il y a deux semaines c'était un chèque sur 5, nous en sommes désormais à un sur 4. Lorsque nous avons lancé le mouvement, les paiements en euros par chèques et par cartes représentaient 1 % des paiements Au total a été fixé pour la fin de l'année un objectif ambitieux de l'ordre de 70 %. Il fallait, je crois, cette ambition pour faire décoller les chiffres. Ce dont on s'aperçoit aujourd'hui, c'est que l'euro est désormais entré de plus en plus dans la vie quotidienne des Français. Lorsqu'on s'intéresse non plus au nombre de paiements en euros mais à celui des Français qui y ont recours, les données changent : 43 % des Français déclaraient en octobre avoir déjà payé en euros (16 % de plus qu'en septembre) et 20 % s'apprêtaient à le faire avant la fin de l'année. Un autre chiffre est intéressant, c'est le pourcentage de ceux qui déclarent qu'ils attendront le 1er janvier : ils étaient 48 % en août, 40 % en septembre, 35 % le mois dernier. Ceci contribue, c'était bien l'objectif, à faciliter le passage du 1er janvier prochain. Et sans faire de publicité, on connaît même des enseignes commerciales qui ont déjà, dans la bonne humeur, atteint l'objectif de plus de 70 % des règlements en euros. Tout cela est d'autant plus important qu'à partir du 1er janvier le chiffre sera de 100 % : les paiements scripturaux ne pourront plus se faire qu'en euros, sous réserve d'être non valables. Je compte sur vous pour aider au mouvement : si " l'euro, c'est déjà aujourd'hui ", on rend plus aisée la transition à venir.

Pendant les semaines qui viennent comme après le 1er janvier 2002, vous serez, Mesdames et Messieurs les Maires, très sollicités sur ce plan.

Vous le serez d'abord par le passage complet à l'euro de votre propre commune ou d'autres collectivités où vous exercez des responsabilités. On vient de me communiquer les résultats de l'enquête euro de novembre, qui est menée par la direction générale de la comptabilité publique de mon ministère. Ils montrent un net progrès dans tous les domaines : le double affichage des bulletins de salaire et des titres de recettes progresse, c'est aussi le cas pour l'acceptation des paiements en euros et l'adaptation des marchés publics. La formation des personnels s'est accélérée après un départ un peu lent. Les résultats provisoires sont particulièrement bons pour l'adaptation des logiciels informatiques.

Je sais par conséquent le travail considérable qui a été accompli dans chaque commune, en particulier au cours des derniers mois. J'en remercie chacune et chacun d'entre vous. Mais notre travail n'est pas achevé et je voudrais insister sur trois priorités :

  • a) Tout d'abord, bien veiller au passage à l'euro des marchés publics. Dans ce domaine, il y a ici et là du retard et il faut s'assurer de la conversion effective en euros avant la fin de l'année de tous les marchés publics pour lesquels c'est nécessaire : l'enjeu est important, il s'agit d'éviter des retards de paiement des entreprises contractantes en début d'année. J'ai d'ailleurs rappelé récemment cette exigence de conversion des marchés publics à l'euro à l'ensemble des présidents de conseils généraux et de conseils régionaux.
  • b) Une autre priorité, c'est d'achever la formation à l'euro des agents de nos collectivités locales. Il est important que tous les agents publics aient reçu d'ici la fin de l'année une formation à l'euro. Soit une formation généraliste, soit une formation " métier " adaptée aux fonctions de chacun. L'Etat s'est engagé pour l'ensemble de ses propres agents et nous avons signé une convention avec le Centre National de la Fonction Publique Territoriale afin de faciliter la formation à l'euro des agents des collectivités locales. Régisseurs, gestionnaires, agents d'accueil du public sont concernés au premier chef. Des milliers de formateurs ont été eux-mêmes formés avant l'été et ils sont au travail sur le terrain. Leur mission est essentielle pour le passage à l'euro des collectivités territoriales et pour la bonne information de tous nos concitoyens. Mon ministère met à la disposition de tous, par l'intermédiaire de son site internet " euro ", un site entièrement dédié à des modules de formation à l'euro téléchargeables. C'est le centre de ressources pédagogiques " Euro-talent ". Il ne faut pas hésiter à y recourir. C'est, de l'avis unanime, un outil de grande qualité.
  • c) Je voudrais aussi appeler votre attention sur la bonne préparation à l'euro fiduciaire, c'est-à-dire aux pièces et aux billets en euros de toutes les régies et caisses locales : cantines scolaires, piscines, transports publics, musées Il est très important que dès les premiers jours de janvier, tous ces services publics fonctionnent en euros de façon exemplaire. Pour cela, il faut que tous les tarifs en euros soient bien connus à l'avance et que chaque caisse soit approvisionnée en pièces et en billets en euros dès le 1er ou le 2 janvier 2002. Le réseau des comptables du Trésor, mobilisé sur l'échéance du 1er janvier 2002, est entièrement à votre disposition en la matière.

Le rendu systématique de monnaie en euros n'est pas une obligation, c'est je crois bien clair. Mais c'est également l'intérêt de tous, et notamment des commerçants et des guichets publics, que la double circulation soit la plus brève possible. Aussi le rendu de monnaie en euros est-il vivement recommandé, y compris par rapport à des paiements en francs. Pour l'Etat, les instructions sont claires : ce sera obligatoire. Pour les collectivités locales, qui sont partie intégrante du service public national que je souhaite exemplaire en la matière, je sais pouvoir compter sur chacun et chacune d'entre vous. Et là aussi je vous en remercie.

Vous serez donc beaucoup sollicités par le passage technique à l'euro de votre propre collectivité. Vous le serez également, et sans doute jusqu'au printemps de l'année prochaine, par les actions de proximité en vue de rendre plus aisée la dernière étape du passage à l'euro pour l'ensemble de la population de votre commune, car c'est en particulier vers vous qu'elle se tourne et qu'elle va se tourner pour obtenir des réponses à ses interrogations sur l'euro. Nous essaierons de vous aider de deux manières. Nous allons mettre en circulation d'ici un peu plus d'une semaine 14 millions d'exemplaires d'un guide " l'euro pratique ", qui sera distribué par 32 000 marchands de journaux (et 3 000 buralistes en zone rurale), un peu plus tard par la Poste, par les associations caritatives et humanitaires ainsi que par les " euro-formateurs " soutenus par l'Institut national pour une retraite active. De nombreux maires ont par ailleurs, souvent à la suite de l'envoi du " guide des élus et des collectivités locales ", manifesté le souhait d'obtenir des informations très concrètes sur les moyens de disposer de documentation, d'organiser localement une réunion d'information sur l'euro, de mobiliser les euro-formateurs. Un dossier d'information est en train d'être envoyé à chaque maire, en métropole et outre-mer. Il en a été aussi mis à votre disposition ici, vous verrez qu'il donne beaucoup d'informations utiles. Ce dossier vous invite à mettre en uvre dans la première quinzaine de décembre l'opération " l'euro ensemble " en direction des commerces de proximité. L'opération est conçue pour donner aux commerçants les moyens de préserver la confiance qui existe entre eux et leurs clients à l'occasion du passage à l'euro concret. Concrètement, je vous invite, au niveau de la commune ou du canton, à réunir autour des euro-formateurs de l'INRAC et de représentants des organismes consulaires, les commerçants de proximité, à la fois pour les informer et si nécessaire les rassurer. Pour organiser cela, mon ministère s'est associé, outre l'INRAC, avec l'Association des maires de France bien entendu, et aussi avec l'Assemblée des Chambres de commerce et d 'industrie. Au cours de ces réunions que je vous invite à organiser avant la fin de la première quinzaine de décembre, les euro-formateurs et les experts des chambres consulaires aborderont la question des comportements des consommateurs lors de la période cruciale du retrait des francs.

J'ajoute un point. Conformément aux engagements pris, mon ministère met des convertisseurs à la disposition des personnes susceptibles de rencontrer le plus de difficultés dans l'apprentissage de l'euro. Il y en a 1 200 000 pour les personnes les plus défavorisées économiquement et socialement et 100 000 spécialement conçus pour les aveugles et les mal voyants. La liste des associations avec lesquelles nous avons passé convention et qui les distribuent est disponible sur le numéro vert du ministère (0 800 01 2002). Cela vous permettra le cas échéant d'orienter les demandes vers les implantations locales de ces associations.

Mesdames, Messieurs les maires,
Le passage complet à l'euro et le retrait du franc s'accompagnent d'opérations logistiques ou techniques d'une ampleur exceptionnelle. Le maître mot doit être la sécurité. Dans cette affaire, elle est importante à double titre.
En premier lieu, des centaines de milliers de commerçants, d'artisans ou de professionnels, mais aussi vous-mêmes, à travers les tarifs des cantines ou des piscines, vont devoir ou ont déjà recalculé et réécrit leurs prix et leurs tarifs. Nos concitoyens, vous le savez, craignent que ce soit l'occasion d'une bouffée de hausse des prix dont ils seraient les victimes. Jusqu'à présent, à part des dérapages très localisés, l'inflation demeure bien maîtrisée, la sécurité du consommateur est assurée. Cette sécurité mérite toute notre attention, elle est la condition de la confiance, elle s'obtient aussi sur le terrain : voilà pourquoi j'ai demandé aux préfets, le 3 septembre, de réunir eux-mêmes rapidement les observatoires départementaux de l'euro et d'y inscrire la question des prix à l'ordre du jour, à travers l'examen des résultats des enquêtes de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes que j'ai fait mener depuis le début de l'été.

En second lieu, d'importants transports de fonds ont lieu et auront lieu à la fois pour installer l'euro partout sur le territoire et pour retirer les francs. Les banques et la Poste vont percer les billets en francs qui feront retour à partir du 1er janvier, ce qui leur ôtera toute valeur pour un cambrioleur. Nous avons mis en place pour l'occasion un important dispositif de sécurité ; la police et la gendarmerie, bien entendu, mais aussi les forces armées. Nous serons également attentifs à la sécurité des personnes qui se rendront dans les banques ou à la Poste pour procéder à l'échange des espèces en francs qu'elles pourraient encore détenir.

Vous le voyez, Mesdames, Messieurs les maires, c'est un sujet de première importance que cette dernière étape du passage à l'euro tant elle touche à tous les aspects de notre vie commune.
La date du 1er janvier 2002 va prendre une grande force. Elle ouvrira des espaces d'échange, de partage. Il deviendra clair que la réussite du passage à l'euro, c'est l'affaire de chacun et pas seulement de quelques uns. Et nous serons, je l'espère, tous fiers d'avoir réussi ce passage, et d'aider ceux pour qui c'est plus compliqué.
Le passage complet à l'euro sera alors une affaire dont on parlera en partie au passé, même si la construction de références monétaires nouvelles s'avèrera plus longue pour certains. Au-delà des aspects techniques du changement d'expression monétaire, nous serons alors pleinement en phase avec ce que l'euro va nous apporter de plus important : la volonté de rapprocher nos économies, de travailler sans cesse plus étroitement ensemble car la monnaie est un lien social, le pilier d'un projet politique européen de paix et de développement, autant qu'un outil économique.
On ne se rend plus tout à fait " à l'étranger " lorsqu'on n'a plus besoin d'y faire de change, car la monnaie est désormais la même. Une proximité nouvelle va naître de la création du nouvel espace monétaire. Des notions familières vont rejoindre les livres d'histoire, comme la dévaluation monétaire et la réévaluation.

Cette Europe-là, que nous avons espérée, à laquelle vous avez travaillé, j'en salue l'avènement. Elle ne fera pas disparaître les difficultés mais ensemble, nous en aurons été les auteurs et je rends hommage au travail que vous aurez accompli. Dans cette grande affaire comme dans beaucoup d'autres, vous portez haut les valeurs qui sont inscrites au fronton de nos mairies.
Merci.

(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 23 novembre 2001)