Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, à France Culture le 24 février 2002, sur la nécessité de maintenir des différences entre les partis de droite et du centre et sur ses propositions en matière de construction européenne.

Prononcé le

Média : France Culture

Texte intégral

FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
CONFERENCE DE REDACTION, spécial élections présidentielles. Après Robert HUE et Noël MAMERE, le magazine hebdomadaire de la rédaction de FRANCE CULTURE, dans son dispositif spécial élections présidentielles accueille, ce soir, François BAYROU, candidat de l'UDF, de la nouvelle UDF devrais-je dire puisque c'est le nom exact de cette formation depuis qu'Alain MADELIN l'a quittée pour créer Démocratie Libérale. Ceci nous amène, naturellement, à constater que pour cette élection, la famille centriste est prolixe en candidatures, en particulier si on y ajoute celle dissidente de Christine BOUTIN. Une prolixité que les enquêtes d'opinions ne saluent guère tant les intentions de vote affichées jusqu'ici semblent l'ignorer ou en tout cas minorer l'attrait de ce centre, dont nous évoquerons avec vous, François BAYROU, l'avenir s'il en a. Marie-Christine VALLET et Jean-Michel LAMY et moi-même, nous vous demanderons aussi si, tout compte fait, vous n'avez pas entamé votre campagne trop tôt, avec peut-être trop de petits pas calés sur les procédures d'investiture de votre parti, et si vous pensez avoir eu raison de l'interrompre après les attentats du 11 septembre. Nous reviendrons aussi sur vos tâtonnements programmatiques, sur ces différences que vous revendiquez par rapport aux autres candidats de la droite, mais sans convaincre, semble-t-il, et bien entendu sur les incessantes critiques de vos plus proches adjoints, sans parler des élus UDF, et non des moindres, qui s'évertuent depuis des mois à marquer contre leur chapelle, ou en tout cas contre son candidat. Encore que, cette semaine, vous ayez à votre tour décidé de vous ébrouer et de prendre des sanctions qui viennent peut-être un peu tard, jusqu'à ce point d'orgues, cette rebuffade d'hier à Toulouse, les yeux dans les yeux, face à un aréopage confit en chiraquie. Alors revenons-y d'entrée de jeu, si vous le voulez bien, pour plonger dans cette tambouille de l'Union en mouvement, quel ressort s'est subitement déclenché en vous, quelle indignation vous a saisie, vous qu'on connaît plus "équanime", presque impavide, disent vos détracteurs.
FRANÇOIS BAYROU
J'avais besoin de clarté et je ne peux pas vivre sans clarté, je n'aimais pas le tour que prenait ce début de campagne électorale terne, et je voulais poser les véritables questions, qui sont sous-jacentes à la campagne électorale, et qui sont de l'ordre des priorités pour la France et de l'ordre des méthodes de gouvernement. Et comme cette réunion était construite sur un faux-semblant, l'idée que toutes les familles de l'opposition s'apprêtaient à soutenir Jacques CHIRAC, ce qui évidemment et s'agissant du peuple, des militants, des sympathisants et des citoyens n'était pas vraie. Alors il m'a semblé que l'attitude la plus au fond vraie, consistait à aller leur dire, comme vous l'avez dit, les yeux dans les yeux, à ne prendre le détour des conférences de presse, des petites phrases et des écrans de télévision, mais à aller confronter, pour ne pas dire affronter
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Affronter, oui.
FRANÇOIS BAYROU
Une salle acquise à la cause de Jacques CHIRAC sur le point de savoir si l'opposition et la France avaient ou non besoin de cette diversité, sans laquelle on ne peut pas vivre. Ma vision est que si on continuait à s'enfoncer dans l'idée que, au fond, toutes les différences doivent être supprimées, on rendait le plus mauvais des services, pas seulement à l'opposition mais à la France.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Vous avez carrément affronté, vous l'avez dit, la salle et affiché vos convictions et vous avez même exigé qu'on les prenne en compte, notamment en vue du second tour.
FRANÇOIS BAYROU
Oui, le Général de GAULLE depuis longtemps a expliqué que la détermination était plus forte que le nombre des troupes apparentes. Et donc en effet, c'est d'exigences qu'il s'agit, mais encore une fois n'écrivez pas trop vite le premier tour. A partir de maintenant, la campagne s'ouvre et quelque chose est en marche, qui ne s'arrêtera pas et qui est l'exigence profonde des citoyens qu'on leur parle en vérité de leur pays, des enjeux, des choix possibles et de la manière de gouverner ce pays et c'est cela que j'assumerai.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
On vous a dit, vous avez su, vous avez sans doute appris le vent de panique qui a saisi tous ces leaders, le vendredi soir, lorsqu'ils ont appris votre venue et surtout, cette espèce de méfiance, " Que va-t-il dire ?, " Comment va réagir la salle ? ", " Et si la salle réagit trop mal en son encontre, ça y est ça en fera une victime et presque une vedette ".
FRANÇOIS BAYROU
Oui mais ça, vous voyez, c'est comment, dirais-je, c'est la mare, autour de laquelle vivent les personnages du monde politique, BARRE disait autrefois le microcosme. La petite mare et alors on y parle grenouilles et délices de vers de terre, mais ça n'est pas la question. La question, ça n'est pas la mare politique. La question, c'est la France. A l'heure probablement la plus exigeante, je ne dis pas la plus grave, je dis la plus exigeante de son histoire, si l'on prenait la hauteur suffisante pour voir la dimension des problèmes qui se posent à nous, alors on découvrirait que nous avons des réponses à apporter à des questions qui ne peuvent pas être éludées et toute la campagne électorale a été construite pour les éluder, chacun des candidats sacrifiant au marketing et pas à la vérité, cherchant des mots comme désir, passion, je ne sais quoi, qui sont des mots de marketing, qui ne sont pas les mots de la vérité. On a, comme pays, comme peuple, comme citoyen, on a à prononcer des choix qui sont très importants, en tout cas à poser les questions sur la table et c'est bien là qu'était l'enjeu, à mon avis, central de ce qui s'est dit à Toulouse, samedi. C'est que d'un côté, on faisait comme si, au fond, il n'y avait qu'une ligne, ou qu'un et qu'on pouvait gommer toutes les différences, que le seul combat qui comptait c'était front contre front et gauche contre droite. Et moi, je sais que l'opposition sera plus riche, plus nombreuse et mieux entendue, si des discours cohérents et forts s'expriment en son sein, parce que c'est ce que les Français attendent. Contrairement à ce que les hommes politiques croient généralement, les Français ne sont en rien dupes du marketing. Le marketing est quelque chose qui, le premier jour, les amuse et, le deuxième jour, les agace.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Donc pour en terminer avec cet événement microcosmique donc
FRANÇOIS BAYROU
Ah non, non, pardonnez-moi, la question posée n'était pas microcosmique, mais les agitations autour de
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Précisément, la poignée de mains qu'a réussi à vous arracher Alain JUPPE pour sauver le naufrage, finalement va rester microcosmique.
FRANÇOIS BAYROU
Il n'y a aucune raison qu'on ne se serre pas la main, on n'est pas des ennemis, on n'est même pas des étrangers. On est des responsables politiques français, lui d'une famille et moi de l'autre, ayant exercé des responsabilités et s'adressant à leur pays pour lui proposer un chemin. Donc il n'y a aucune raison qu'on ait des relations de
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Tendues
FRANÇOIS BAYROU
D'affrontement, en rien et en tout cas, je ne me situe pas dans cette perspective.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Alors je précise, François BAYROU, que justement votre intervention d'hier à Toulouse a été entièrement chargée sur le site RADIO-FRANCE.FR, dans les pages thématiques consacrées naturellement à l'élection présidentielle. Alors ces explications données, nous en venons tout de suite au reportage qui ouvre
FRANÇOIS BAYROU
Puisque vous en êtes aux sites, on les trouve aussi sur le site WWW.BAYROU. NET.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
BAYROU.NET, bien entendu. Cette explication donnée donc, nous en venons tout de suite au reportage qui ouvre chacun des rendez-vous de cette spéciale élection et c'est pour vous proposer un détour par la bonne ville de Blois et ce Loir-et-Cher que l'on peut qualifier de terre centriste ; en mars dernier, le jeune UDF Nicolas PERRUCHOT a repris la ville à Jack LANG. Alors Blois, ses 50.000 habitants, ses quartiers nord et ses militants qui ont vibré, vous allez l'entendre, qui vibrent encore de vous voir figurer au second tour. Ce succès et beaucoup d'autres aux dernières municipales vous ont permis à la fin de l'été de prendre la route à bord d'un autobus carburant au colza, que l'on n'a plus besoin de présenter, c'est un reportage de Mathieu LAURENT.
INTERVENANTE
C'est d'abord un bus très confortable, avec une vraie salle de conférences, en fait, de très beaux sièges, on est à l'aise et vraiment c'était très impressionnant, de visiter nos quartiers nord dans un si beau bus. Donc on a beau dire ce qu'on veut sur le bus au colza, toujours est-il que
MATHIEU LAURENT
Oui mais il l'a rangé.
INTERVENANTE
Eh bien, c'est bien dommage.
INTERVENANTE
Je voyais en lui le papa qui n'a pas accepté, par exemple, une petite débauche à ses enfants.
TEMOIGNAGE
C'est un type qui est tellement naturel au quotidien, qu'il soit devant une caméra ou pas, que ça passe mal, ça rend mal à la télé. Alors moi, je l'ai vu dans l'émission d'ARDISSON, je le sentais mal à l'aise, mais il a été cohérent jusqu'au bout. Quand on l'a interrogé sur la possibilité de fumer un joint ou pas, de légaliser le cannabis, légaliser le joint ou pas, là il a eu une fermeté extraordinaire, la même fermeté qu'il avait eue pour l'interdiction du foulard à l'école, il a dit, " Moi, je ne souhaite pas que mes enfants fument la cigarette, parce que c'est dangereux pour la santé. Donc j'aurai le même principe de fermeté concernant le joint. Ce n'est pas parce que ça va m'apporter 50.000 voix de plus, les voix des jeunes qui fument des joints, je dis non, on ne légalise pas le cannabis parce que le joint, ça n'est pas bon pour la santé des gamins ", je me dis que c'est un type qui est cohérent, même devant une caméra. Alors bon, c'est celui qui a le moins de risques de tricher lorsqu'il sera président, ce type.
MATHIEU LAURENT
Shérifa, Satène, Fadila (ph), trois militantes et/ou élues, enthousiastes, comme Annie FENDRION(ph), chargée de la réinsertion des jeunes. Lionel HENRI(phon) est un jeune UDF, de sensibilité UDF.
LIONEL HENRI
Moi, ma position, elle est toute simple, l'UDF a une certaine position, mais je pense qu'il faut se retrouver derrière Jacques CHIRAC, parce que Jacques CHIRAC, quand même, incarne la présidence de la République. Je suis originaire quand même du monde agricole et puis du monde ouvrier, donc je pense que je peux difficilement adhérer directement au RPR. Peut-être qu'un jour, je convergerai vers le RPR, pour l'instant l'UDF est plus ma sensibilité. J'attends si Jacques CHIRAC est élu président de la République, je pense que je rejoindrai le RPR directement, sans me poser de questions.
MATHIEU LAURENT
Mais au premier tour, c'est BAYROU ?
LIONEL HENRI
Au premier tour, non, je suis quand même derrière Jacques CHIRAC parce que je pense que BAYROU a de très bonnes idées, mais ce n'est pas encore un homme qui est tout à fait mur pour être président de la République. Il est ce qu'il est mais bon, 4%, c'est quand même très ce n'est pas mal et je pense qu'il faut qu'il soit pris en considération quand même par Jacques CHIRAC.
TEMOIGNAGE
Je souhaite que tous les futurs chefs d'Etat aient des n'aient pas de relief justement, qu'ils nous ressemblent, que ce soit des mortels.
MATHIEU LAURENT
Ne pas s'émouvoir du dénivelé des sondages, mais de l'amertume. Nicole FONTAINE, Philippe DOUSTE-BLAZY n'ont pas résisté au relief du président candidat.
TEMOIGNAGE
J'ai l'impression que, en fait, elle s'est servie de tous les militants que nous sommes, parce qu'on l'a tous soutenue pour qu'elle soit à la tête de l'Europe et du jour au lendemain, elle s'est dit, " Il n'y aura rien pour moi demain, il faut que j'aille séduire CHIRAC ". Moi, je trouve ça inacceptable, pareil pour DOUSTE-BLAZY. Je me dis que, en fait, ce sont des gens qui ne pensent qu'à leur tronche, à leur carrière et parce qu'ils n'assument pas un sondage à 5%, à 4%, mais moi je m'en fous. Tous les jours, je sais qu'on ramène des voix au quotidien, pour François BAYROU, pour sa candidature future, pour sa candidature présente et pour celle qu'il sera amené à porter encore dans cinq ou six ans. Je me dis que c'est un homme qui pense à nous tous, même il n'a pas peur il assume le sondage.
MATHIEU LAURENT
Jérôme DANAVE(phon), responsable des jeunes RPR du Loir-et-Cher.
JEROME DANAVE
François BAYROU a commencé la campagne très tôt, il y a à peu près plus d'un an, puisque c'était en avril 2001 et dans son discours, il avait quand même des propos un petit peu inquiétants, il avait tendance à critiquer à la fois la gauche et la droite. Jusqu'à preuve du contraire, pour moi, François BAYROU a toujours été un ami politique. Je pense que Monsieur BAYROU pourrait avoir un petit peu plus de retenue. C'est vrai qu'il doit défendre les idées de sa famille politique, mais sans pour autant attaquer ses cousins politiques.
MATHIEU LAURENT
Inquiétants, propos inquiétants à l'égard de Jacques CHIRAC. Lionel BACART(phon), élu RPF, pose, lui, la question de la dynamique du second tour.
LIONEL BACART
On ne peut pas dire quoi que ce soit, c'est un garçon intelligent, c'est un garçon qui a du cur. Il manque sûrement en ce moment d'un peu de lisibilité sur le plan des idées qu'il voudrait présenter à l'ensemble des Français, ça ne joue plutôt pas en sa faveur. Bon moi, j'ai un candidat aux présidentielles, je n'ai pas d'état d'âme non plus. Ce que je crois, aujourd'hui, c'est que l'UDF ne doit pas bien juger son candidat ou que ce n'est peut-être pas le bon candidat ou que je pense que l'UDF est peut-être en train de mettre en danger l'ensemble de la droite, dans la mesure où chaque mouvement de droite devra apporter sa pierre pour aider le président qui se présentera au deuxième tour et qu'il faut quand même faire un score.
TEMOIGNAGE
Je crois en la vie, je crois en la France et je crois aussi en Dieu.
TEMOIGNAGES CHANTANT
Dans la forêt lointaine, on entend les vieux loups, chanter la vieille rengaine, votez, votez pour nous. Mais nous, mais nous, mais nous votons BAYROU, mais nous, mais nous, mais nous votons BAYROU.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Voilà, ça c'était pour votre moral, François BAYROU. Donc vous avez vu qu'il y a encore des enthousiastes
FRANÇOIS BAYROU
Beaucoup, beaucoup.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Même si quelques-uns se posent il y en a beaucoup, quelques autres qui se posent la question de savoir si vous êtes le bon candidat
FRANÇOIS BAYROU
Ah non, non
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Et d'autres c'était un RPR
FRANÇOIS BAYROU
C'était un RPF
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
J'entends bien et d'autres qui disent
FRANÇOIS BAYROU
C'est-à-dire quelqu'un de Charles PASQUA.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Voilà et qui disent, " Par contre, nous aussi, les sondages on s'en fout ". Alors, vous vous en foutez tant que ça ?
FRANÇOIS BAYROU
Oui.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Oui ?
FRANÇOIS BAYROU
Vous savez bien, ça n'a aucune importance
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Pour le moral, ça n'est pas terrible.
FRANÇOIS BAYROU
Oui, mais l'important c'est ce qui va se passer dans les deux mois dans ce dialogue, on dit toujours débat, c'est plus direct encore. Ça ne se passe pas entre les candidats, ce sont les citoyens qui jugent quel homme et quelles visions ou quels projets, chemins, il offre au pays.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Alors cette vision justement, on va essayer d'y rentrer à l'aide de Jean-Michel LAMY et de Marie-Christine VALLET et peut-être tout de suite d'essayer de dire ces différences avec les autres candidats de la droite, quelles sont-elles ? Moi, je vous ai entendu dire, hier à Toulouse, que, en particulier, sur deux-trois grands débats de société, il y aura union des partisans de la droite mais nécessairement dialogue avec des gens de gauche.
FRANÇOIS BAYROU
On est là dans la méthode de gouvernement, ça n'est peut-être pas l'essentiel, peut-être faudrait-il commencer pour le bon ordre par les
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Bien sûr, mais le dire devant l'assemblée que vous aviez hier
FRANÇOIS BAYROU
Ceci est un différentiel ou une différence. Je ne crois pas que l'affrontement systématique, brut j'allais dire, droite contre gauche, ait permis depuis 20 ans de résoudre les deux ou trois grandes questions majeures qui font se déliter le tissu de la France. Violence, tout le monde dit insécurité, violence, sentiment d'agression, d'être mal dans sa peau. Ca fait 20 ans que ça monte, 15 ans, 10 ans que ça monte à coup sûr, année après année, et que personne ne la fait reculer.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Au ministère de l'Education nationale, vous l'aviez déjà constaté ? Ca commençait ?
FRANÇOIS BAYROU
Bien sûr, bien entendu, Lionel JOSPIN dans son discours d'investiture à l'Assemblée nationale, a dit " avec nous, il n'y aura plus de violence dans les établissements scolaires ". Tu parles ! Je veux dire, c'était d'une naïveté Je ne crois pas qu'on puisse, après les affrontements partisans, c'est pourquoi j'ai voulu le dire hier devant une salle qui était chaude, j'ai dit : vous sifflez chaque fois qu'on prononce le mot de gauche ou le gouvernement JOSPIN, c'est naturel. D'ailleurs ils font la même chose en face. Mais il y a un lendemain, et c'est une des différences du centre que de dire " il y a des problèmes qui requièrent la mobilisation de tous les Français, en tout cas tout ceux qui acceptent la fermeté d'une politique ou la volonté d'une politique ".
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Alors quelles sont-elles qui sont-ils ?
FRANÇOIS BAYROU
Moi gouvernant, je ferai que sur ces problèmes on propose une démarche d'union nationale. Alors quels sont-ils, ces problèmes ? Sécurité, c'en est un, retraite c'en est un second, définition de l'Europe c'en est sûrement un troisième. Les frontières droite/gauche ne sont pas adaptées à la définition de l'Europe, il y a des anti-Européens à gauche, on le voit bien, il y a des anti-Européens à droite et des pro-Européens dans les deux camps. Quel leurre que de laisser croire que la frontière passe entre les deux ! En réalité, la frontière sépare des gens qui pensent la même chose et qui sont incapables de porter leur vision parce qu'ils sont séparés, et donc voilà. J'ajoute illettrisme, parce que je considère que c'est un des grands problèmes, un des grands maux de la nation et que là non plus ça ne se réglera pas. Et il faudrait dire banlieues, parce que la situation des banlieues, ou de la ruralité d'une autre nature, échappe aux frontières droite/gauche. Voilà, pas tous les problèmes. On a des différences, il faut les assumer, en matière de fiscalité, en matière d'économie, en matière de vision sociale, ça c'est naturel de les assumer. Mais je considère comme une erreur, sur les 20 dernières années, que personne n'ait jamais assumé le fait qu'il faut parfois tendre la main par-dessus les frontières pour considérer comme ennemis non pas le parti d'en face mais le chômage, l'insécurité ou l'illettrisme.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Alors sur l'Europe, vous n'avez pas le sentiment que c'est tellement tombé dans le domaine public - vous l'avez dit vous-même - que c'est tellement bien partagé à droite et à gauche que finalement votre position à vous, elle a tendance à se dissoudre.
FRANÇOIS BAYROU
Vous voyez c'est parce qu'on ne pose pas les questions et qu'on ne dit pas les mots. Ma position à moi est une position cohérente et lourde en face de nuances très peu explicites exprimées par messieurs JOSPIN ou CHIRAC qui n'ont pas la même vision que moi de l'avenir de l'Europe, comme on va l'expliquer, j'imagine.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Marie-Christine VALLET ?
MARIE-CHRISTINE VALLET
Oui alors justement l'avenir de l'Europe va être dessiné par une convention, une assemblée d'une centaine de personnes qui va ouvrir ses travaux jeudi prochain à Bruxelles et donc qui a un mandat très large, deux ou trois questions précises auxquelles cette convention doit répondre mais aussi un mandat très large. Alors l'une des questions qui se pose, c'est de savoir s'il faut une constitution pour l'Europe. Votre avis ?
FRANÇOIS BAYROU
Permettez-moi d'abord de dire que je considère que cette convention est une chance et peut-être la dernière chance de l'Europe et que je considère comme très heureux, comme une chance, que Valéry GISCARD D'ESTAING en soit chargé. Ca va être très difficile, le travail de la convention, mais c'est probablement un des hommes qui ont la créativité, la capacité imaginative nécessaires pour trouver le chemin ou frayer le chemin difficile de la convention. En tout cas j'y vois un signe d'espoir, il n'y en a pas beaucoup dans le paysage aujourd'hui. Alors vous dites constitution européenne. Vous savez que j'ai été le premier dans le débat politique non seulement à demander une constitution mais même à mettre sur la table, avec toute la modestie nécessaire, un projet de constitution écrit, que vous avez certainement eu entre les mains. Et donc pourquoi faut-il une constitution ? Pour deux raisons : la première, parce qu'il faut clarifier les compétences, et pour que le citoyen prenne à son compte l'Europe qui se construit, il faut lui dire ce qu'elle fait, et je donne ma ligne, il faut qu'elle s'occupe des grandes choses et pas des petites. Il faut qu'elle s'occupe de défense et pas de chasse. On doit trouver d'autres procédures pour la chasse que la saisine des institutions européennes mais, en revanche, il faut qu'elle investisse la réflexion sur la défense ou l'armée pour que, à terme, il n'y ait plus ce déséquilibre entre les Etats-Unis et l'Europe dont évidemment la force de notre voix souffre et est profondément amoindrie.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
L'armée, avez-vous dit, un second porte-avions?
FRANÇOIS BAYROU
Pour moi, s'il y a second porte-avions, et il est nécessaire parce qu'un seul porte-avions c'est rien, je veux dire pendant une partie de l'année, le second porte-avions sera européen ou ne sera pas. Un porte-avions ça coûte combien, entre 60 et 80 milliards armé ? On aura armé le premier que dans 10 ans, 8 ans, donc franchement imaginez que les budgets, les finances publiques permettraient en claquant des doigts d'assumer le porte-avions et tous les autres armements, ce n'est pas raisonnable. Il faut que cela soit placé dans le cadre de la construction d'une force européenne sur laquelle chacun des pays aurait un droit de tirage. On ne va pas décider d'un seul coup que la France n'a plus aucune autonomie en matière de défense, c'est notre liberté et c'est précisément ce que le mot fédéral veut dire. Fédéral, ça ne signifie pas autre chose que : j'assume mon identité et tout ce que je peux réaliser tout seul, je le fais. En revanche, nous travaillons ensemble pour ce qui est hors de portée de chacun d'entre nous.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Donc c'est la fédération d'Etats-Nations ? Non, ce n'est pas tout à fait ça.
FRANÇOIS BAYROU
Le mot a été détourné profondément, je suis pour une construction fédérale de l'Europe, et d'ailleurs c'est déjà une construction fédérale. Quand on a une monnaie unique, on est évidemment dans la construction d'une fédération, alors pourquoi ne pas le dire ? Moi je l'assume, je suis je crois pouvoir dire et revendiquer ce terme, je suis le candidat le plus franchement européen de tous les candidats du
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Jean-Michel LAMY ?
JEAN-MICHEL LAMY
Il faut toujours un élément déclenchant pour arriver à du fédéralisme, à une défense européenne. Est-ce que vous pensez que l'attitude actuelle des Etats-Unis qui traitent en satellites les différents pays européens, même l'Allemagne par exemple, est-ce que cette attitude américaine, du gouvernement, de l'ensemble même de l'équipe BUSH, peut être un facteur mobilisateur ?
FRANÇOIS BAYROU
Satellites, dites-vous. Ils nous traitent en satellites parce que
JEAN-MICHEL LAMY
Joschka FISCHER l'a dit, c'est le terme qu'il a employé.
FRANÇOIS BAYROU
Parce que nous, nous comportons en satellites. Après le 11 septembre, vous faisiez allusion à ces événements dramatiques, après le 11 septembre, voir les chefs d'Etat et de gouvernement européens se précipiter chacun pour son compte pour être le premier ou pour recevoir le compliment le plus chaleureux dans le bureau de Monsieur BUSH, au lieu d'établir une position commune, de s'adresser aux Etats-Unis en partenaire à part entière. Pour moi c'était triste, ça ne correspondait pas à l'intérêt même de nos pays que d'agir ainsi en ordre dispersé. On a vu des scènes pendant cette période que je souhaite ne jamais revoir, souvenez-vous de ce malencontreux dîner au 10 Downing Street, où les uns étaient invités à l'apéritif, les autres au plat de résistance, les troisièmes au dessert et les quatrièmes au café. Quelle vision de l'Europe pouvons-nous avoir ?
JEAN-MICHEL LAMY
Oui mais vous ne pourrez jamais effacer une réalité, des pays au sein de l'Union européenne ont une armée, ont une réalité militaire, les autres non.
FRANÇOIS BAYROU
Oui, monsieur LAMY. Eh bien, il faut inviter les autres à y participer, il faut se servir de ces disponibilités-là. Il faut, en tout cas, que la France soit porteuse d'une vision de l'avenir de l'Europe, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. On a vu dans le désastreux traité de Nice, car à mes yeux il est désastreux tant la vision d'une Europe en construction a reculé, s'est amoindrie, s'est racornie. ..
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Vous avez été sévère avec le bilan de la présidence européenne.
FRANÇOIS BAYROU
Et tant des déséquilibres ont été créés pour l'avenir. Dans le nouveau Parlement européen, l'avantage relatif de l'Allemagne sera énorme par rapport
JEAN-MICHEL LAMY
Oui mais là vous citez un fait précis. Il y a une démographie. Que le nombre de députés soit en corrélation, en relation avec la population n'est pas infamant.
FRANÇOIS BAYROU
Attendez, on ne va pas s'étendre sur le sujet parce qu'il faudrait une discussion pour spécialistes. Je rappelle seulement qu'il y avait déjà eu une négociation, qu'on avait déjà marqué la différence entre France et Allemagne dans l'accord précédent et qu'on l'a remis en cause simplement en refusant de donner une voix supplémentaire au conseil à l'Allemagne. Enfin, bref, ce sont des débats de spécialistes qui n'ont pas grand intérêt. J'ai trouvé que le traité de Nice faisait marchand de tapis au lieu de faire vision de l'avenir de l'Europe. Je crois ne pas être le seul et je n'ai pas trouvé une vision forte exprimée par la France, ni Monsieur CHIRAC ni Monsieur JOSPIN qui conduisaient tous deux ces négociations.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Marie-Christine VALLET.
MARIE-CHRISTINE VALLET
Alors justement dans l'avenir de l'Europe, on va aussi évoquer la réforme des institutions. A votre avis, est-ce qu'il faut un président pour l'Europe ? C'est une idée qui avait été lancée par GISCARD et par Jacques DELORS aussi.
FRANÇOIS BAYROU
C'est une idée que j'ai défendue depuis longtemps. Pourquoi faut-il un président pour l'Europe ? Parce qu'il faut une voix et un visage légitimes. Aujourd'hui, il y a un président de la Commission, c'est un homme qui est désigné par les gouvernements, et donc il ne peut pas se placer en face des gouvernements comme le fédérateur dont ils ont besoin car sa légitimité n'est pas enraciné dans les citoyens européens. Donc je dis il faut un président et un président élu, pour que sa légitimité, sa voix, puissent se faire entendre. Alors on peut imaginer que, pendant une période transitoire, il soit élu par les parlementaires européens et nationaux, c'est ce que j'ai proposé dans ce projet de constitution. Un jour viendra où les peuples demanderont, exigeront de s'investir dans la désignation de ceux qui porteront un certain nombre de ces grands choix. Alors ça ne veut pas dire que la France ne continuera pas à jouer pleinement ce rôle de démocratie intégrée, nationale que nous avons, heureusement. C'est une nation et c'est un Etat.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Oui mais ça veut dire que c'est la dernière fois qu'on vote pour élire un président de la République français.
FRANÇOIS BAYROU
Non, vous voulez rire ! Ce n'est pas parce que vous élisez un maire que vous n'élisez pas un président de région. Ce n'est pas parce que vous élisez un président de la République que le président de région n'a pas son importance et un président d'un Etat national restera le personnage incontournable, pivot, roc de la politique de cet Etat.
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Il ne sera pas subsidiaire par rapport au président européen ?
FRANÇOIS BAYROU
En rien et ce que je veux, au contraire, faire c'est que son rôle s'affirme car j'ai demandé que, à côté d'une légitimité de la démocratie européenne, il y ait une affirmation de ce dialogue entre les Etats. Chaque fois qu'un projet fédéral a été fait dans le monde, il y a deux piliers : d'un côté, un Parlement qui représente les peuples - Monsieur LAMY le disait il y a une minute - ; et de l'autre, une instance qui représente les Etats et où les Etats s'expriment en tant que tel. Moi, je dis, construisons cette instance pour que le président de la République française s'adresse à l'Europe en disant, je ne sais pas, en matière de défense " voilà ce que la France exige, en matière de lutte contre la maladie de la vache folle voilà ce que la France propose "
FRANÇOIS-RENE CHRISTIANI
Et on y arrive sans reconstituer la petite scène un peu tristounette du 10 Downing Street de l'autre jour ?
FRANÇOIS BAYROU
Le 10 Downing Street, c'est exactement le contraire. Au lieu d'avoir une délibération publique où le président de la République française s'exprime en tant que président de la République française devant les citoyens français et européens

(source http://www.bayrou.net, le 4 mars 2002)