Texte intégral
Lorsque j'ai lancé l'idée d'accompagner le processus de réforme de la formation professionnelle par une série d'expérimentations, j'avais à l'esprit plusieurs préoccupations que je tiens à rappeler au début de cette journée. Ce rappel me semble utile de deux points de vue.
Tout d'abord pour faciliter l'évaluation de ces expérimentations. Evaluer, ce n'est pas seulement apprécier si ce qui été entrepris a plus ou moins bien fonctionné. C'est avant tout rapprocher les résultats des intentions de départ.
Mais le rappel de ces objectifs est également indispensable pour nous permettre de mieux apprécier leur pertinence avec le recul que nous donnent les trois années écoulées. Depuis le printemps 1999 plusieurs projets de loi ont été votés, la négociation entre les partenaires sociaux est sans doute inachevée mais elle a d'ores et déjà permis de faire évoluer les positions des uns et des autres. Ces changements décisifs pour le devenir de notre système de formation doivent beaucoup à la mobilisation des différents acteurs sur le terrain et à leur volonté de coopérer à des objectifs communs. Les " expérimentations Péry ", puisque certains les appellent ainsi, ont contribué à cette mobilisation. Ferions-nous aujourd'hui les mêmes propositions ? Le contenu de notre brochure " Innovons ensemble " serait-il le même ? C'est à cela aussi qu'un travail d'évaluation doit servir : à dégager de nouvelles perspectives d'action fondées sur l'analyse des résultats obtenus, des difficultés rencontrées mais aussi de la pertinence des objectifs poursuivis.
Ces objectifs initiaux, quels étaient-ils ?
Plusieurs thèmes avaient été définis. Je pense notamment à la construction des parcours professionnels, à la certification et à la validation des acquis, à la mise en réseau des organismes de formation et d'orientation, à la recherche d'un accès plus égalitaire à la formation, notamment pour les femmes et les ressources humaines des TPE. Des initiatives ont été prises dans tous ces domaines comme le montre la diversité des protocoles d'expérimentations que j'ai signés.
Au-delà de cette diversité, trois préoccupations majeures m'ont animée dès le lancement de ce processus :
Tout d'abord montrer que seule une coopération étroite entre les différents acteurs peut permettre de redonner toute sa portée à la formation continue. Comme l'a fort justement réaffirmé Gérard Lindeperg dans son rapport au premier ministre, la formation est un " domaine de compétences partagées ". Je crois qu'il faut entendre cette expression dans son sens le plus fort. Non pas comme un territoire que l'on découperait et où chacun serait maître chez lui, mais comme un champ de l'action collective qui requiert une coopération permanente autour d'objectifs définis en commun - le partenariat, mot-clé de notre démarche -. Cela ne signifie pas que le rôle et les responsabilités de chacun ne doivent pas être clairement précisées et sans doute même redéfinis. J'y reviendrai dans un instant. Mais il faut nous garder en permanence de l'illusion qui consiste, pour chaque acteur, à croire que s'il pouvait agir seul, l'efficacité serait au rendez-vous. Je pourrais d'ailleurs formuler autrement l'intuition qui était la mienne au moment du lancement des expérimentations : c'est parce que les acteurs parviendront à montrer leur volonté et leur capacité à coopérer que nous dégagerons progressivement un meilleur partage des responsabilités et des règles du jeu plus claires. La définition des rôles n'est pas un préalable à l'action concertée, elle en est en grande partie l'effet. Le rapport qui vous sera présenté tout à l'heure illustre fort bien ce propos. Par exemple en matière d'information, d'orientation et de prescription des actions de formation, l'évaluation montre clairement la nécessité d'associer étroitement les différentes institutions qui interviennent dans ce domaine : les partenaires sociaux au sein des ASSEDIC, dans les branches professionnelles ou au sein des FONGECIF, l'Etat à travers les compétences des organismes dont il a la tutelle (ANPE, AFPA) ou qu'il finance (les CIBC par exemple), les régions à travers leur capacité à animer des bassins de formation ou à travers l'appui qu'elles apportent à des démarches originales d'accueil et d'information des salariés ou des demandeurs d'emploi. Chacun de ces acteurs souhaite disposer de son propre " guichet ". D'autres pensent que la solution est celle d'un " guichet unique ". Il me semble que la méthode de mise en réseau que nous avions proposée au début du processus d'expérimentation correspond mieux à l'aspiration des uns et des autres de mettre en commun leurs compétences tout en gardant leur identité propre. L'essentiel est d'assurer une meilleure qualité de service aux salariés et aux demandeurs d'emploi.
Le rapport d'évaluation montre à quel point cette coopération est parfois difficile. Certaines institutions se montrent plus volontiers soucieuses de préserver leurs prérogatives que de rechercher la mise en commun des moyens et la poursuite d'objectifs communs. Néanmoins les expérimentations ont bien souvent permis de dépasser les cloisonnements traditionnels. Lorsque des progrès ont été accomplis dans le cadre d'une expérimentation, je suis persuadée que cela rejaillit sur l'ensemble des relations entre les organismes et sur leur capacité à construire des partenariats solides.
Cette volonté de coopération pourra désormais s'exercer dans un cadre institutionnel plus clair :
Les nouveaux comités de coordination régionaux emploi-formation, créés dans le cadre de la loi de modernisation sociale, favoriseront l'élaboration de politiques communes au niveau régional. A la demande des régions, leur composition a été resserrée et il leur a été laissé de grands degrés de liberté pour organiser leurs travaux.
L'élargissement des plans régionaux de développement de la formation aux adultes constituera également un moyen de mieux harmoniser les actions conduites par les uns et les autres et d'élaborer de véritables politiques de formation professionnelle. La continuité entre formation initiale et formation continue doit être une de nos préoccupations majeures dans les années à venir.
Les PRDF traduiront cette préoccupation au niveau territorial. Je souhaite également souligner l'importance de la convention de coopération conclue entre l'Etat, l'UNEDIC et l'Association des Régions de France (ARF). Cette convention fixe un cadre qui était devenu indispensable pour améliorer la pertinence des actions de formation et faciliter la construction des projets pour les demandeurs d'emploi. Elle contribue donc, elle aussi, à la clarification du rôle des différents acteurs.
Ma deuxième préoccupation en lançant les expérimentations était de favoriser le pilotage des actions de formation au plus prés des réalités régionales et locales. Les difficultés institutionnelles ne sont pas nécessairement moindres à un niveau décentralisé. Les évaluations montrent que parfois les conflits de frontière et les rivalités entre organismes y sont particulièrement aiguës. Mais l'efficacité des actions de formation résulte avant tout de la proximité des acteurs et de leur capacité à construire des parcours de formation répondant à la fois aux aspirations des personnes et aux besoins des entreprises. Les grands dispositifs nationaux ne sont que des cadres qu'il faut faire vivre au niveau des régions et des bassins d'emploi. Comme je l'ai rappelé à maintes reprises, les régions constituent un échelon essentiel pour le coordination des acteurs et les Conseils régionaux doivent en assumer plus clairement la responsabilité. Plusieurs mesures adoptées récemment vont d'ailleurs dans ce sens. Je pense à la réforme du financement de l'apprentissage qui va permettre aux régions de mieux piloter le développement de cette voie de formation initiale. Je l'ai souhaité afin de réduire les inégalités de ressources entre les CFA et d'introduire plus de transparence dans la collecte. Pour ce faire, je n'ai pas hésité à faire voter des réformes après de longues négociations avec les partenaires sociaux et les acteurs concernés conformément à ma méthode. Je pense au recentrage de la collecte au niveau régional, à la clarification des règles de financement des CFA, au transfert aux régions des primes versées aux entreprises qui recrutent des apprentis - soit 5 milliards de francs, 762 millions d'euros. Je pense également à la possibilité désormais donnée aux régions, dans le cadre de la loi de démocratie de proximité, de définir en commun avec l'AFPA les programmes régionaux de ce service public de la formation continue.
Ces rappels peuvent vous sembler inutiles ; je n'en suis pas sûre. J'entends beaucoup parler autour de moi de notre société saturée d'informations qui rend plus courte notre mémoire individuelle et collective.
Sans doute nous faudra-t-il franchir de nouvelles étapes allant dans le sens d'une plus grande décentralisation de la formation professionnelle. Ne nous leurrons pas cependant sur les moyens d'y parvenir. J'entends encore ici où là, des revendications des régions pour que leur soient transférés davantage de moyens. L'essentiel des dispositifs gérés par l'Etat ont déjà été très largement transférés aux régions. Vous savez que l'essentiel du budget du secrétariat d'Etat à la formation professionnelle est constitué par la rémunération des stagiaires, les exonérations de charges des apprentis et des jeunes en formation en alternance. L'Etat conserve encore également quelques programmes destinées à des publics spécifiques (je pense à l'illettrisme) pour lesquels les actions sont d'ailleurs conduites de plus en plus souvent en partenariat avec les régions. Cela ne constitue pas une " cagnotte " qui, une fois transférée, permettrait de démultiplier les moyens des régions.
Je n'hésite pas à le dire, l'enjeu essentiel de la décentralisation est ailleurs. Il est dans la place qui reviendra aux Conseils régionaux et, plus largement, à l'ensemble des acteurs régionaux, dans la mise en uvre d'un véritable droit individuel à la formation. Ce droit doit reposer sur des garanties collectives. Il doit combiner un droit attaché à la personne, permettant à tous, mais en particulier à ceux qui n'ont pas bénéficié d'une scolarité longue d'accéder tout au long de leur vie aux connaissances et aux savoir-faire nécessaires à leur épanouissement personnel. Il doit aussi rester ancré dans les relations de travail, facteur de progression et d'autonomie professionnelle. Il doit aussi répondre au besoin grandissant des entreprises d'avoir des ressources humaines de plus en plus qualifiées. C'est un véritable choix de société et il n'est pas sans intérêt que ce débat soit posé à la veille d'échéances importantes pour notre vie démocratique. Il me semble que les Français souhaitent que l'exercice de ce nouveau droit laisse une large place à la dimension territoriale. Lors de leur négociation, les partenaires sociaux l'avaient eux-mêmes ressentis. Les " plans de développement concertés " et les " projets professionnels individuels " dont ils avaient projetés la mise en place conduisaient logiquement à gérer les droits ouverts et à accompagner les salariés dans leur projet à un niveau décentralisé. Cela a d'ailleurs constitué l'une des difficultés de la négociation, aujourd'hui suspendue. Mais elle reprendra et l'idée d'un droit individuel garanti collectivement s'est imposée.
Les réflexions en cours sur la mise en place de ce droit garanti par la collectivité devront nécessairement prendre également en compte cette dimension territoriale. Comment assurer la continuité de ce droit quel que soit le statut de la personne (salarié, indépendant, inactif, demandeur d'emploi) si ce n'est en assurant une gestion de proximité ? Nous devons développer une véritable offre de service tant en matière de conseil professionnel que d'information sur les droits, de validation des acquis - notre petite révolution -, d'aide à la construction du projet de formation. Ces questions appellent une révision en profondeur de nos schémas habituels. Ici encore les expérimentations ont été riches d'enseignement. Elles ont montré que le développement de partenariat ne se limite pas à la mise en commun de moyens mais suppose de repenser une offre de service mobilisant l'ensemble des compétences disponibles dans les organismes concernés.
Cela me conduit à évoquer la troisième intuition qui a guidé le lancement des expérimentations. La formation professionnelle ne prend sens que si elle s'inscrit dans un projet plus global pour chaque personne mais aussi du point de vue collectif. Pour un adulte, se former est rarement un objectif en soi. C'est avant tout un moyen par rapport à un projet professionnel ou personnel. Du point de vue collectif, la formation n'est pas un bien que l'on devrait distribuer équitablement ; c'est avant tout un moyen en vue d'une plus meilleure efficacité économique et d'une plus grande cohésion sociale. Il ne suffit donc pas d'ouvrir des stages, aussi bon soient-ils. Il faut avant tout faciliter la construction de parcours professionnels et inscrire les actions de formation dans une dynamique de développement des compétences et des qualifications dans les bassins d'emploi et dans les branches professionnelles. La notion de parcours, je l'ai rappelé tout à l'heure, était un des thèmes fort des expérimentations. Les expérimentations me semblent en avoir confirmé la pertinence.
La loi sur la validation des acquis de l'expérience constitue un levier de changement décisif à cet égard. Tous les témoignages dont j'ai eu connaissance le montrent : la validation des acquis est une occasion formidable pour tous ceux qui s'y sont déjà engagés de reprendre confiance en soi et de construire une nouvelle étape de progression professionnelle. Se former devient alors un élément d'un projet personnel et la motivation à apprendre n'en est que plus forte. La validation des acquis est aussi un moyen pour les entreprises et pour les branches professionnelles de développer de nouvelles stratégies de qualification des salariés.
Ici encore la dimension territoriale de ce nouveau droit est essentielle. L'expérimentation conduite par trois régions est exemplaire à cet égard. Il nous faut impérativement faire en sorte que les organismes qui valident et qui délivrent des certifications agissent en concertation étroite. Il faut également que les organismes qui accueillent le public intègrent la validation des acquis dans leurs démarches d'information et d'orientation. Les organismes publics comme l'ANPE et l'AFPA ont compris cet enjeu et se mobilisent. Je sais qu'ici où là, les services déconcentrés des différents ministères valideurs travaillent ensemble pour mettre sur pied des services communs en matière d'information et d'accompagnement vers la validation des acquis de l'expérience. Chaque université de France a nommé son responsable VAE. Cette mobilisation est indispensable pour que ce nouveau droit devienne effectif le plus rapidement possible. Prenons garde toutefois à ce que ne se reproduise dans ce domaine aussi les cloisonnements habituels. Ce domaine plus encore que d'autres que j'ai déjà évoqués, se prête à un travail en réseau. J'ai déjà fait savoir que j'étais disposée à apporter une aide à tous ceux qui s'engageront dans cette voie. Il n'est pas question dans mon esprit d'imposer un schéma uniforme selon les régions mais nous devons mettre en uvre un certain nombre de principes communs en matière de qualité d'accueil et d'information du public. De même nous devons faire en sorte que soient identifiées clairement des personnes particulièrement compétentes en matière de validation des acquis pour apporter un appui technique aux services en charge de l'accueil du public. C'est dans cet esprit que la délégation à l'emploi et à la formation professionnelle a ébauché des propositions concernant la mise en place d'une charte de qualité des " points relais-conseil sur la VAE " et de plates-formes communes pour animer ce réseau. La mise en place de la validation des acquis constitue donc une occasion à ne pas manquer pour repenser plus globalement le rôle et l'organisation des structures d'orientation et d'information sur la formation professionnelle. Nous devons continuer à y travailler dans le même esprit que celui qui a présidé au déroulement des expérimentations, c'est à dire en réaffirmant la responsabilité des conseils régionaux dans ce domaine et en nouant chaque fois que possible des relations contractuelles entre les différents acteurs concernés.
Vous savez que j'ai lancé une campagne nationale VAE à partir de 61 quotidiens de la presse régionale. La plate-forme téléphonique du ministère reçoit, à ce jour, 400 appels. Nous avons également produit des plaquettes e brochures pour les 4000 points d'accueil du public.
Mesdames et Messieurs, voilà ce que je voulais rappeler au début de cette journée, sachant que vos débats permettront sûrement d'approfondir et de renouveler les objectifs qui étaient les miens, mais je crois pouvoir dire aussi les vôtres, en lançant ces expérimentations. Le chantier de la réforme de la formation professionnelle est loin d'être achevé. Mais des étapes décisives ont été franchies. Au delà des progrès réalisés grâce aux mesures législatives et réglementaires que j'ai évoqués, la formation a progressivement retrouvé la place qui lui revient : celle d'un enjeu crucial pour notre développement économique et pour le développement personnel et professionnel de tous. Je suis persuadée que ce chantier se poursuivra autour de quelques objectifs aujourd'hui largement partagés. Je pense que l'esprit de concertation dans lequel j'ai travaillé depuis quatre ans a largement contribué à poser des bases solides à l'édifice. Ceux qui ont accepté de se lancer dans ce dispositif d'expérimentation y ont également largement contribué et je les en remercie vivement. Vous me permettrez d'avoir un mot de reconnaissance tout particulier pour Vincent Merle, sa coopération, sa compétence, son amitié.
Je remercie également chaleureusement le comité de coordination pour tout le travail effectué au cours de ces quatre années et en particulier sa présidente, Janine Jarnac, qui assume cette fonction elle aussi avec conviction et un grand dévouement. Sa tâche a été particulièrement difficile dans cette période de changements et donc de tensions entre les acteurs. Jusqu'au bout de mon mandat je resterai à l'écoute de ses remarques et de ses suggestions comme je me suis efforcée de le faire depuis sa nomination.
Merci également aux agents du ministère de l'emploi et de la solidarité qui se sont beaucoup mobilisés pour la réussite de ces expérimentations, même si cela a parfois quelque peu perturbé des services plus enclins à faire avancer les problèmes par circulaire que par des démarches expérimentales !
Continuons à construire ensemble. Ce n'est pas la voie la plus facile, je peux en témoigner après quatre ans dans cette fonction ministérielle qui n'est pas un " long fleuve tranquille " au milieu de tant d'intérêts divergents et de jeux de pouvoirs. C'est cependant la seule voie pour que la formation soit plus un univers plus transparent, mieux compris par l'opinion publique, moins dominé par une forêt de sigles pour initiés, moins dominé par des tensions institutionnelles permanentes ; la formation professionnelle tout au long de la vie doit au contraire être porteuse de progrès social, comme l'avaient souhaité ceux qui en ont posé les bases, il y a de cela un peu plus de trente ans. Je ne doute pas que ce sujet nous occupe beaucoup dans les semaines à venir.
(source http://www.travail.gouv.fr, le 15 février 2002)
Tout d'abord pour faciliter l'évaluation de ces expérimentations. Evaluer, ce n'est pas seulement apprécier si ce qui été entrepris a plus ou moins bien fonctionné. C'est avant tout rapprocher les résultats des intentions de départ.
Mais le rappel de ces objectifs est également indispensable pour nous permettre de mieux apprécier leur pertinence avec le recul que nous donnent les trois années écoulées. Depuis le printemps 1999 plusieurs projets de loi ont été votés, la négociation entre les partenaires sociaux est sans doute inachevée mais elle a d'ores et déjà permis de faire évoluer les positions des uns et des autres. Ces changements décisifs pour le devenir de notre système de formation doivent beaucoup à la mobilisation des différents acteurs sur le terrain et à leur volonté de coopérer à des objectifs communs. Les " expérimentations Péry ", puisque certains les appellent ainsi, ont contribué à cette mobilisation. Ferions-nous aujourd'hui les mêmes propositions ? Le contenu de notre brochure " Innovons ensemble " serait-il le même ? C'est à cela aussi qu'un travail d'évaluation doit servir : à dégager de nouvelles perspectives d'action fondées sur l'analyse des résultats obtenus, des difficultés rencontrées mais aussi de la pertinence des objectifs poursuivis.
Ces objectifs initiaux, quels étaient-ils ?
Plusieurs thèmes avaient été définis. Je pense notamment à la construction des parcours professionnels, à la certification et à la validation des acquis, à la mise en réseau des organismes de formation et d'orientation, à la recherche d'un accès plus égalitaire à la formation, notamment pour les femmes et les ressources humaines des TPE. Des initiatives ont été prises dans tous ces domaines comme le montre la diversité des protocoles d'expérimentations que j'ai signés.
Au-delà de cette diversité, trois préoccupations majeures m'ont animée dès le lancement de ce processus :
Tout d'abord montrer que seule une coopération étroite entre les différents acteurs peut permettre de redonner toute sa portée à la formation continue. Comme l'a fort justement réaffirmé Gérard Lindeperg dans son rapport au premier ministre, la formation est un " domaine de compétences partagées ". Je crois qu'il faut entendre cette expression dans son sens le plus fort. Non pas comme un territoire que l'on découperait et où chacun serait maître chez lui, mais comme un champ de l'action collective qui requiert une coopération permanente autour d'objectifs définis en commun - le partenariat, mot-clé de notre démarche -. Cela ne signifie pas que le rôle et les responsabilités de chacun ne doivent pas être clairement précisées et sans doute même redéfinis. J'y reviendrai dans un instant. Mais il faut nous garder en permanence de l'illusion qui consiste, pour chaque acteur, à croire que s'il pouvait agir seul, l'efficacité serait au rendez-vous. Je pourrais d'ailleurs formuler autrement l'intuition qui était la mienne au moment du lancement des expérimentations : c'est parce que les acteurs parviendront à montrer leur volonté et leur capacité à coopérer que nous dégagerons progressivement un meilleur partage des responsabilités et des règles du jeu plus claires. La définition des rôles n'est pas un préalable à l'action concertée, elle en est en grande partie l'effet. Le rapport qui vous sera présenté tout à l'heure illustre fort bien ce propos. Par exemple en matière d'information, d'orientation et de prescription des actions de formation, l'évaluation montre clairement la nécessité d'associer étroitement les différentes institutions qui interviennent dans ce domaine : les partenaires sociaux au sein des ASSEDIC, dans les branches professionnelles ou au sein des FONGECIF, l'Etat à travers les compétences des organismes dont il a la tutelle (ANPE, AFPA) ou qu'il finance (les CIBC par exemple), les régions à travers leur capacité à animer des bassins de formation ou à travers l'appui qu'elles apportent à des démarches originales d'accueil et d'information des salariés ou des demandeurs d'emploi. Chacun de ces acteurs souhaite disposer de son propre " guichet ". D'autres pensent que la solution est celle d'un " guichet unique ". Il me semble que la méthode de mise en réseau que nous avions proposée au début du processus d'expérimentation correspond mieux à l'aspiration des uns et des autres de mettre en commun leurs compétences tout en gardant leur identité propre. L'essentiel est d'assurer une meilleure qualité de service aux salariés et aux demandeurs d'emploi.
Le rapport d'évaluation montre à quel point cette coopération est parfois difficile. Certaines institutions se montrent plus volontiers soucieuses de préserver leurs prérogatives que de rechercher la mise en commun des moyens et la poursuite d'objectifs communs. Néanmoins les expérimentations ont bien souvent permis de dépasser les cloisonnements traditionnels. Lorsque des progrès ont été accomplis dans le cadre d'une expérimentation, je suis persuadée que cela rejaillit sur l'ensemble des relations entre les organismes et sur leur capacité à construire des partenariats solides.
Cette volonté de coopération pourra désormais s'exercer dans un cadre institutionnel plus clair :
Les nouveaux comités de coordination régionaux emploi-formation, créés dans le cadre de la loi de modernisation sociale, favoriseront l'élaboration de politiques communes au niveau régional. A la demande des régions, leur composition a été resserrée et il leur a été laissé de grands degrés de liberté pour organiser leurs travaux.
L'élargissement des plans régionaux de développement de la formation aux adultes constituera également un moyen de mieux harmoniser les actions conduites par les uns et les autres et d'élaborer de véritables politiques de formation professionnelle. La continuité entre formation initiale et formation continue doit être une de nos préoccupations majeures dans les années à venir.
Les PRDF traduiront cette préoccupation au niveau territorial. Je souhaite également souligner l'importance de la convention de coopération conclue entre l'Etat, l'UNEDIC et l'Association des Régions de France (ARF). Cette convention fixe un cadre qui était devenu indispensable pour améliorer la pertinence des actions de formation et faciliter la construction des projets pour les demandeurs d'emploi. Elle contribue donc, elle aussi, à la clarification du rôle des différents acteurs.
Ma deuxième préoccupation en lançant les expérimentations était de favoriser le pilotage des actions de formation au plus prés des réalités régionales et locales. Les difficultés institutionnelles ne sont pas nécessairement moindres à un niveau décentralisé. Les évaluations montrent que parfois les conflits de frontière et les rivalités entre organismes y sont particulièrement aiguës. Mais l'efficacité des actions de formation résulte avant tout de la proximité des acteurs et de leur capacité à construire des parcours de formation répondant à la fois aux aspirations des personnes et aux besoins des entreprises. Les grands dispositifs nationaux ne sont que des cadres qu'il faut faire vivre au niveau des régions et des bassins d'emploi. Comme je l'ai rappelé à maintes reprises, les régions constituent un échelon essentiel pour le coordination des acteurs et les Conseils régionaux doivent en assumer plus clairement la responsabilité. Plusieurs mesures adoptées récemment vont d'ailleurs dans ce sens. Je pense à la réforme du financement de l'apprentissage qui va permettre aux régions de mieux piloter le développement de cette voie de formation initiale. Je l'ai souhaité afin de réduire les inégalités de ressources entre les CFA et d'introduire plus de transparence dans la collecte. Pour ce faire, je n'ai pas hésité à faire voter des réformes après de longues négociations avec les partenaires sociaux et les acteurs concernés conformément à ma méthode. Je pense au recentrage de la collecte au niveau régional, à la clarification des règles de financement des CFA, au transfert aux régions des primes versées aux entreprises qui recrutent des apprentis - soit 5 milliards de francs, 762 millions d'euros. Je pense également à la possibilité désormais donnée aux régions, dans le cadre de la loi de démocratie de proximité, de définir en commun avec l'AFPA les programmes régionaux de ce service public de la formation continue.
Ces rappels peuvent vous sembler inutiles ; je n'en suis pas sûre. J'entends beaucoup parler autour de moi de notre société saturée d'informations qui rend plus courte notre mémoire individuelle et collective.
Sans doute nous faudra-t-il franchir de nouvelles étapes allant dans le sens d'une plus grande décentralisation de la formation professionnelle. Ne nous leurrons pas cependant sur les moyens d'y parvenir. J'entends encore ici où là, des revendications des régions pour que leur soient transférés davantage de moyens. L'essentiel des dispositifs gérés par l'Etat ont déjà été très largement transférés aux régions. Vous savez que l'essentiel du budget du secrétariat d'Etat à la formation professionnelle est constitué par la rémunération des stagiaires, les exonérations de charges des apprentis et des jeunes en formation en alternance. L'Etat conserve encore également quelques programmes destinées à des publics spécifiques (je pense à l'illettrisme) pour lesquels les actions sont d'ailleurs conduites de plus en plus souvent en partenariat avec les régions. Cela ne constitue pas une " cagnotte " qui, une fois transférée, permettrait de démultiplier les moyens des régions.
Je n'hésite pas à le dire, l'enjeu essentiel de la décentralisation est ailleurs. Il est dans la place qui reviendra aux Conseils régionaux et, plus largement, à l'ensemble des acteurs régionaux, dans la mise en uvre d'un véritable droit individuel à la formation. Ce droit doit reposer sur des garanties collectives. Il doit combiner un droit attaché à la personne, permettant à tous, mais en particulier à ceux qui n'ont pas bénéficié d'une scolarité longue d'accéder tout au long de leur vie aux connaissances et aux savoir-faire nécessaires à leur épanouissement personnel. Il doit aussi rester ancré dans les relations de travail, facteur de progression et d'autonomie professionnelle. Il doit aussi répondre au besoin grandissant des entreprises d'avoir des ressources humaines de plus en plus qualifiées. C'est un véritable choix de société et il n'est pas sans intérêt que ce débat soit posé à la veille d'échéances importantes pour notre vie démocratique. Il me semble que les Français souhaitent que l'exercice de ce nouveau droit laisse une large place à la dimension territoriale. Lors de leur négociation, les partenaires sociaux l'avaient eux-mêmes ressentis. Les " plans de développement concertés " et les " projets professionnels individuels " dont ils avaient projetés la mise en place conduisaient logiquement à gérer les droits ouverts et à accompagner les salariés dans leur projet à un niveau décentralisé. Cela a d'ailleurs constitué l'une des difficultés de la négociation, aujourd'hui suspendue. Mais elle reprendra et l'idée d'un droit individuel garanti collectivement s'est imposée.
Les réflexions en cours sur la mise en place de ce droit garanti par la collectivité devront nécessairement prendre également en compte cette dimension territoriale. Comment assurer la continuité de ce droit quel que soit le statut de la personne (salarié, indépendant, inactif, demandeur d'emploi) si ce n'est en assurant une gestion de proximité ? Nous devons développer une véritable offre de service tant en matière de conseil professionnel que d'information sur les droits, de validation des acquis - notre petite révolution -, d'aide à la construction du projet de formation. Ces questions appellent une révision en profondeur de nos schémas habituels. Ici encore les expérimentations ont été riches d'enseignement. Elles ont montré que le développement de partenariat ne se limite pas à la mise en commun de moyens mais suppose de repenser une offre de service mobilisant l'ensemble des compétences disponibles dans les organismes concernés.
Cela me conduit à évoquer la troisième intuition qui a guidé le lancement des expérimentations. La formation professionnelle ne prend sens que si elle s'inscrit dans un projet plus global pour chaque personne mais aussi du point de vue collectif. Pour un adulte, se former est rarement un objectif en soi. C'est avant tout un moyen par rapport à un projet professionnel ou personnel. Du point de vue collectif, la formation n'est pas un bien que l'on devrait distribuer équitablement ; c'est avant tout un moyen en vue d'une plus meilleure efficacité économique et d'une plus grande cohésion sociale. Il ne suffit donc pas d'ouvrir des stages, aussi bon soient-ils. Il faut avant tout faciliter la construction de parcours professionnels et inscrire les actions de formation dans une dynamique de développement des compétences et des qualifications dans les bassins d'emploi et dans les branches professionnelles. La notion de parcours, je l'ai rappelé tout à l'heure, était un des thèmes fort des expérimentations. Les expérimentations me semblent en avoir confirmé la pertinence.
La loi sur la validation des acquis de l'expérience constitue un levier de changement décisif à cet égard. Tous les témoignages dont j'ai eu connaissance le montrent : la validation des acquis est une occasion formidable pour tous ceux qui s'y sont déjà engagés de reprendre confiance en soi et de construire une nouvelle étape de progression professionnelle. Se former devient alors un élément d'un projet personnel et la motivation à apprendre n'en est que plus forte. La validation des acquis est aussi un moyen pour les entreprises et pour les branches professionnelles de développer de nouvelles stratégies de qualification des salariés.
Ici encore la dimension territoriale de ce nouveau droit est essentielle. L'expérimentation conduite par trois régions est exemplaire à cet égard. Il nous faut impérativement faire en sorte que les organismes qui valident et qui délivrent des certifications agissent en concertation étroite. Il faut également que les organismes qui accueillent le public intègrent la validation des acquis dans leurs démarches d'information et d'orientation. Les organismes publics comme l'ANPE et l'AFPA ont compris cet enjeu et se mobilisent. Je sais qu'ici où là, les services déconcentrés des différents ministères valideurs travaillent ensemble pour mettre sur pied des services communs en matière d'information et d'accompagnement vers la validation des acquis de l'expérience. Chaque université de France a nommé son responsable VAE. Cette mobilisation est indispensable pour que ce nouveau droit devienne effectif le plus rapidement possible. Prenons garde toutefois à ce que ne se reproduise dans ce domaine aussi les cloisonnements habituels. Ce domaine plus encore que d'autres que j'ai déjà évoqués, se prête à un travail en réseau. J'ai déjà fait savoir que j'étais disposée à apporter une aide à tous ceux qui s'engageront dans cette voie. Il n'est pas question dans mon esprit d'imposer un schéma uniforme selon les régions mais nous devons mettre en uvre un certain nombre de principes communs en matière de qualité d'accueil et d'information du public. De même nous devons faire en sorte que soient identifiées clairement des personnes particulièrement compétentes en matière de validation des acquis pour apporter un appui technique aux services en charge de l'accueil du public. C'est dans cet esprit que la délégation à l'emploi et à la formation professionnelle a ébauché des propositions concernant la mise en place d'une charte de qualité des " points relais-conseil sur la VAE " et de plates-formes communes pour animer ce réseau. La mise en place de la validation des acquis constitue donc une occasion à ne pas manquer pour repenser plus globalement le rôle et l'organisation des structures d'orientation et d'information sur la formation professionnelle. Nous devons continuer à y travailler dans le même esprit que celui qui a présidé au déroulement des expérimentations, c'est à dire en réaffirmant la responsabilité des conseils régionaux dans ce domaine et en nouant chaque fois que possible des relations contractuelles entre les différents acteurs concernés.
Vous savez que j'ai lancé une campagne nationale VAE à partir de 61 quotidiens de la presse régionale. La plate-forme téléphonique du ministère reçoit, à ce jour, 400 appels. Nous avons également produit des plaquettes e brochures pour les 4000 points d'accueil du public.
Mesdames et Messieurs, voilà ce que je voulais rappeler au début de cette journée, sachant que vos débats permettront sûrement d'approfondir et de renouveler les objectifs qui étaient les miens, mais je crois pouvoir dire aussi les vôtres, en lançant ces expérimentations. Le chantier de la réforme de la formation professionnelle est loin d'être achevé. Mais des étapes décisives ont été franchies. Au delà des progrès réalisés grâce aux mesures législatives et réglementaires que j'ai évoqués, la formation a progressivement retrouvé la place qui lui revient : celle d'un enjeu crucial pour notre développement économique et pour le développement personnel et professionnel de tous. Je suis persuadée que ce chantier se poursuivra autour de quelques objectifs aujourd'hui largement partagés. Je pense que l'esprit de concertation dans lequel j'ai travaillé depuis quatre ans a largement contribué à poser des bases solides à l'édifice. Ceux qui ont accepté de se lancer dans ce dispositif d'expérimentation y ont également largement contribué et je les en remercie vivement. Vous me permettrez d'avoir un mot de reconnaissance tout particulier pour Vincent Merle, sa coopération, sa compétence, son amitié.
Je remercie également chaleureusement le comité de coordination pour tout le travail effectué au cours de ces quatre années et en particulier sa présidente, Janine Jarnac, qui assume cette fonction elle aussi avec conviction et un grand dévouement. Sa tâche a été particulièrement difficile dans cette période de changements et donc de tensions entre les acteurs. Jusqu'au bout de mon mandat je resterai à l'écoute de ses remarques et de ses suggestions comme je me suis efforcée de le faire depuis sa nomination.
Merci également aux agents du ministère de l'emploi et de la solidarité qui se sont beaucoup mobilisés pour la réussite de ces expérimentations, même si cela a parfois quelque peu perturbé des services plus enclins à faire avancer les problèmes par circulaire que par des démarches expérimentales !
Continuons à construire ensemble. Ce n'est pas la voie la plus facile, je peux en témoigner après quatre ans dans cette fonction ministérielle qui n'est pas un " long fleuve tranquille " au milieu de tant d'intérêts divergents et de jeux de pouvoirs. C'est cependant la seule voie pour que la formation soit plus un univers plus transparent, mieux compris par l'opinion publique, moins dominé par une forêt de sigles pour initiés, moins dominé par des tensions institutionnelles permanentes ; la formation professionnelle tout au long de la vie doit au contraire être porteuse de progrès social, comme l'avaient souhaité ceux qui en ont posé les bases, il y a de cela un peu plus de trente ans. Je ne doute pas que ce sujet nous occupe beaucoup dans les semaines à venir.
(source http://www.travail.gouv.fr, le 15 février 2002)