Texte intégral
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Monsieur RICHARD, bonjour, bienvenue ! Surtout un 14 juillet, la fête continue, on va entonner dans quelques instants l'hymne à la joie de Beethoven, l'Europe, l'Europe, l'Europe pour ce 14 juillet 2000. Est-ce que c'est un gadget ou une conviction durable ?
ALAIN RICHARD
Si vous me posez la question à moi, c'est une conviction depuis trente et quelques années et je pense être dans une situation formidablement favorable de pouvoir, alors que beaucoup avant nous n'ont pas pu, développer la dimension de défense de l'Europe. Mais je pense aussi que c'est une conviction très largement majoritaire chez nos concitoyens. Toutes les enquêtes que nous faisons démontrent que, d'une part les gens, dans une période optimiste, croient plus à l'Europe, il y a un lien entre les deux et qu'à travers les éléments de ces dernières années, ils pensent que l'Europe a besoin de savoir se défendre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, les huit armées de pays européens qui vont défiler en plus de la France avenue de la Grande armée tout à l'heure, Place de la Concorde, pour la prochaine défense de l'Europe, est-ce que c'est " un + un + un + un = neuf " ou " neuf = un " ?
ALAIN RICHARD
Non, c'est plutôt " un + un " parce que nous sommes dans les premières marches. Avant, rien n'a été possible, donc on y va prudemment et on s'aventure sur terrain solide. Donc aujourd'hui, on parle de forces conjointes mais qui restent sous l'autorité politique finale de leur gouvernement, il n'y a pas de supra-nationalité de défense. Si on voulait forcer le rythme, on se casserait la figure.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais un jour, il y aura un Alain RICHARD européen ?
ALAIN RICHARD
J'espère qu'il sera encore mieux ! Mais ce que je veux dire, c'est que c'est quand même " un + un " parce qu'on va harmoniser, on va coordonner et naturellement, ces forces vont s'entraîner pour pouvoir agir comme une vraie armée, comme c'est déjà le cas de l'EUROCORPS. L'EUROCORPS, c'est aujourd'hui lui qui encadre la force internationale du Kosovo et c'est crédible, ça marche.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Aujourd'hui, ils vont marcher au même pas les soldats de l'Europe ?
ALAIN RICHARD
Oui, c'est coordonné ! Ils se sont entraînés à cela.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ca a posé un problème ? Chacun dans son pays marque son rythme
ALAIN RICHARD
Oui, il y a quelques pas différents, oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais il n'y aura pas de soldats autrichiens, l'Autriche est punie ?
ALAIN RICHARD
Ecoutez, on a souhaité montrer que l'Europe de la Défense avançait et puis avec la présidence française, on s'est dit très franchement, s'il doit y avoir des controverses parce qu'il y aura une garde de six soldats autrichiens, ça gâchera un peu le symbole. Donc, on l'a fait avec les forces européennes déjà constituées.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais un jour ou l'autre, on verra peut-être des Autrichiens ou des Tyroliens défiler à Paris
ALAIN RICHARD
Moi, je pense que ça ne va plus s'arrêter. Ce sont les bonnes choses de l'Europe, c'est qu'une fois qu'une orientation politique a été prise, on peut rouspéter parce que ça va trop lentement, mais cela progresse.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, " allons enfants de la patrie ", c'est d'actualité, est-ce qu'il y aura bientôt une patrie européenne ?
ALAIN RICHARD
Ca, c'est une question de conviction et une question d'appréciation politique. Ma conviction à moi, c'est que oui et je crois qu'une des choses qui réussit dans la construction européenne depuis 40 ans, c'est que les gens vivent de plus en plus près les uns des autres et que nous ressentons de plus en plus que les problèmes des autres européens sont nos problèmes. Donc, cette composante du sentiment d'appartenance et du vivre ensemble qui est importante dans l'idée de patrie, je crois que les Européens ressentent l'Europe comme leur super patrie en quelque sorte.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce qui est intéressant à noter aussi, c'est que dans l'histoire, chacun des Etats qui va défiler a combattu à un moment ou à un autre son allié d'aujourd'hui
ALAIN RICHARD
Bien sûr : après plus d'un demi-siècle de paix entre Européens, la vision qu'auront les gens des rapports entre Européens et la violence des guerres que nous avons eues pendant pratiquement un millénaire, va apparaître comme quelque chose de plus en plus étrange.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, aujourd'hui, on voit que les Européens vont être ensemble et qu'il y a une conviction européenne, vous la manifestez en tout cas, Monsieur le Ministre de la Défense. A terme, on aura un pilier européen de la Défense ?
ALAIN RICHARD
A terme, c'est même proche, c'est en 2003 et dans le deuxième semestre qui est sous notre responsabilité pour piloter l'Union, nous espérons bien recueillir fin novembre ce que l'on appelle les engagements de capacité. On aura défini ce que c'est que le corps de réaction rapide européen, le nombre d'hommes, les matériels les capacités d'encadrement qu'il faut et chacun apportera sa contribution. On vérifiera que ça fait bien le total, on définira ce qui manque encore, notamment en terme de niveau technique et on devra s'entendre pour combler les manques.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et nous, les Français, est-ce que nous avons une défense modernisée, crédible ? Je veux dire, au niveau des armements, de la recherche pour les armes nouvelles et au niveau des hommes et des femmes ?
ALAIN RICHARD
Même si ce n'est qu'une appréciation relative, nous sommes au premier rang européen ex æquo avec nos partenaires britanniques. Cela contribue d'ailleurs à ce que nous ayons un petit rôle d'entraînement avec eux. C'est ensuite quelque chose qui tient parce que nous avons une certaine continuité. On n'a pas trop d'à-coups dans notre politique budgétaire depuis que notre gouvernement est en place, nous avons suivi à 95, 97, 98% la loi de programmation et donc, les contrats, les programmes de recherche se déroulent sans à-coups.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Monsieur RICHARD, des marins vont défiler tout à l'heure sur les Champs-Elysées avec l'équipage du sous-marin d'attaque " L'émeraude ", nous sommes européens, j'entends votre hymne européen, la force française de dissuasion, elle est à nous, rien qu'à nous ou est-ce qu'un jour, au niveau de l'Europe, il faudra la partager ?
ALAIN RICHARD
Ecoutez, dans les jours que vous et moi verrons, à coup sûr, non. L'étape que nous franchissons, c'est de nous donner des moyens de défense européens pour certaines finalités, c'est-à-dire en gros agir dans des crises régionales du type Kosovo, Bosnie et donner un coup de main important à l'ONU sur une opération à laquelle on veut participer. Mais cela ne signifie pas la mise en commun de tous les engagements de défense.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais si un jour, comme on le dit, il y a un président élu de l'Europe, avec toutes sortes de nouveaux pouvoirs, est-ce que ce sera lui qui sera le patron de l'arme dissuasive et nucléaire française ?
ALAIN RICHARD
Je ne peux absolument pas le prévoir parce que c'est un jour qui est encore lointain. D'ici là, peut-être les positions de nos amis européens auront évolué. Aujourd'hui, beaucoup de nos amis européens ne sont pas d'accord avec la force de dissuasion. Nos concitoyens sont largement en faveur de ce système mais il y a une différence entre Européens sur ce sujet et donc, ça risque de rester un sujet de différence pendant encore longtemps.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et puis nous, les Français, vous n'avez peut-être pas envie ou nous n'avons pas envie de donner notre force de dissuasion
ALAIN RICHARD
C'est un basculement. A ce moment-là, ça veut dire que vous ne faites plus du tout de différence entre la sécurité nationale et la sécurité européenne. On n'en est pas là.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous défendez la nation, la République indivisible encore ce matin, est-ce que vous accepteriez qu'on en coupe un morceau, la Corse ?
ALAIN RICHARD
Non et je crois que ça n'est pas du tout ce qui est envisagé. Il y a déjà des principes d'organisation qui sont un peu différents dans certains espaces du territoire, notamment dans l'outre-mer et donc, la proposition qui a été faite par le gouvernement pour faire avancer les réflexions sur le statut de la Corse sont des propositions qui restent à l'intérieur de l'unité nationale.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne voyez pas l'île s'en aller tout doucement, d'autonomie en autonomie, de privilèges en avantages, loin du continent ?
ALAIN RICHARD
Moi, je ne le souhaiterais pas par affection pour la Corse et je crois savoir que 80 à 85% des Corses excluent totalement cette hypothèse, ce qui doit nous rappeler tout de même qu'il y a l'interlocuteur nationaliste dans les forces politiques corses, mais il est très minoritaire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
De 96 à 2002, je reviens aux armées françaises, elles seront passées de 610000, si je suis bien renseigné, à 400000 hommes ?
ALAIN RICHARD
Non, la baisse est moindre que ça. En gros, elle est de 150000. Mais elles auront fait un formidable effort. C'est une énorme réforme de l'Etat avec les contraintes qui vont avec.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'armée de Terre a perdu le moral ?
ALAIN RICHARD
Alors ça, c'est inexact et en plus, quand on écrit ce genre de chose, ça a l'avantage que l'on a absolument pas besoin de le démontrer. Moi, ce que je vois, c'est qu'il y a des centaines de milliers de personnels qui sont des gens accrochés à leur métier, convaincus, très professionnels, qui font vraiment ce qu'il faut pour que cette transformation réussisse et elle réussit. Je crois que tous les engagements opérationnels que l'on a eus dans cette première moitié de l'année ont été tenus.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quelle est la parole du ministre de la Défense ce matin, 14 juillet, aux armées de Terre ou à l'armée de Terre qui peut avoir un peu du bourdon ?
ALAIN RICHARD
D'abord bravo, vous faites ce que l'on attend de vous. Les Français vous font confiance et vous apprécient. Deuxièmement, on a les moyens pour tenir le contrat et on y arrivera.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'armée a fait ce que l'on attend d'elle, c'est-à-dire la tempête et la marée noire ?
ALAIN RICHARD
Oui plus le Kosovo, Timor, la Bosnie et les préparatifs pour le Liban si ça se révélait utile etc.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un député UDF, Monsieur PAILLE, a demandé au président de la République, auteur de la réforme de l'armée professionnelle avec vous et avec Monsieur JOSPIN, d'avancer d'un an la suspension du service national. Vous direz oui ?
ALAIN RICHARD
Je redirai à Monsieur PAILLE comme j'ai déjà eu l'occasion de lui dire que ce serait un facteur de désorganisation et qu'il le sait très bien. Donc, il a tort de faire cette proposition, dont il sait qu'elle ne sera pas retenue. Mais ça, c'est le jeu de rôle en politique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord mais vous avez tellement besoin de ces hommes ?
ALAIN RICHARD
Ils sont 50000 et ils remplissent d'ailleurs consciencieusement leur rôle. Je veux souligner qu'ils sont vraiment nécessaires aux armées pendant la fin de la réforme.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un député socialiste, Bernard GRASSET, a proposé un médiateur civil pour les armées. Vous lui répondez est-ce que cette idée a un avenir ?
ALAIN RICHARD
Je ne crois pas. Je crois qu'il y a des mécanismes de recours et d'expression des droits individuels à l'intérieur des armées que j'ai d'ailleurs essayé de perfectionner et qui donnent de bons résultats, il n'y a pas de problème, si vous voulez, d'opacité des armées et le point qui me préoccupe plus, c'est l'expression collective, c'est-à-dire le dialogue professionnel au sein des armées et là-dessus, je fais des évolutions.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le journal LA CROIX racontait et montrait hier que l'armée allait distribuer à l'automne un code du soldat
ALAIN RICHARD
Oui, on fait de plus en plus de droit.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec 11 règles parmi lesquelles il faut respecter l'adversaire, d'ailleurs, vous ne dites plus l'ennemi, s'adapter, faire preuve d'initiative mais nulle part il est dit dans ce code "désobéir, c'est quelque fois résister"
ALAIN RICHARD
Ca fait partie du statut des militaires et il y a des procédures que j'ai d'ailleurs essayé de clarifier sur la façon de résister aux ordres illégaux.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On peut ? Il y a des exemples dans l'histoire où on s'est dressé contre les officiers, son armée
ALAIN RICHARD
Heureusement, nous ne sommes pas dans des situations dramatiques de ce genre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les militaires dont vous parlez ne sont pas des militaires de parade ou de salon, Monsieur RICHARD. En 2003, jusqu'où ils pourraient être déployés et envoyés s'il y avait des tensions ou des conflits ?
ALAIN RICHARD
Jusqu'où les autorités politiques l'auront décidé. A coup sûr en Europe et dans la périphérie immédiate de l'Europe où sont beaucoup de nos intérêts stratégiques. Mais j'imagine tout à fait que s'il y a une opération humanitaire et de sécurité voulue par les Nations-Unies plus loin, les Européens qui sont conscients de leurs responsabilités internationales seront d'accord pour y aller ensemble.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qu'il pleuve ou non, tout à l'heure pour le défilé, les militaires seront là et ils marcheront au pas
ALAIN RICHARD
Oui mais à l'heure qu'il est, il y a encore un petit doute pour les avions
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors justement, si le ciel est trop bas, qu'est-ce qui se passe ?
ALAIN RICHARD
On peut les faire passer au-dessus des nuages mais ce sera moins bien. Mais si le plafond est très, très bas, il ne faut pas prendre de risque.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qu'est-ce que vous allez personnellement ressentir quand vous allez passer en revue ces troupes classiques ou modernes aux côtés du président de la République, pour la 3ème ou la 4ème fois ?
ALAIN RICHARD
Personnellement, que j'ai beaucoup de chance de servir dans ce poste à un moment où on fait de grandes réformes, où la défense est bien comprise par les Français et où elle joue un rôle dans l'Europe et qu'avec un peu de durée. Les relations sont tranquilles et solides au sein du gouvernement sur les questions de défense et aussi avec le chef de l'Etat, nous pouvons préparer l'avenir parce que c'est un travail où l'on fait beaucoup d'histoire par anticipation.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et je veux dire, pendant la cohabitation, d'un même pas ?
ALAIN RICHARD
Comme vous le voyez, il n'y a pas un fait en 38 mois qui sème le doute sur la convergence des autorités de l'Etat dans le secteur de l'armée.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Laurent CABROL vient de me dire que le plafond est à 500 mètres
ALAIN RICHARD
C'est bon.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est bon ? Il y aura des avions ?
ALAIN RICHARD
C'est bon. Sauf si ça rebaisse !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Laurent CABROL, attention ! Bon euro défilé, qu'il ne pleuve pas des trombes d'eau comme pour la première fête de la fédération, le 14 juillet 1790
ALAIN RICHARD
Ca a quand même été utile à l'époque !
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 1er août 2000)
Monsieur RICHARD, bonjour, bienvenue ! Surtout un 14 juillet, la fête continue, on va entonner dans quelques instants l'hymne à la joie de Beethoven, l'Europe, l'Europe, l'Europe pour ce 14 juillet 2000. Est-ce que c'est un gadget ou une conviction durable ?
ALAIN RICHARD
Si vous me posez la question à moi, c'est une conviction depuis trente et quelques années et je pense être dans une situation formidablement favorable de pouvoir, alors que beaucoup avant nous n'ont pas pu, développer la dimension de défense de l'Europe. Mais je pense aussi que c'est une conviction très largement majoritaire chez nos concitoyens. Toutes les enquêtes que nous faisons démontrent que, d'une part les gens, dans une période optimiste, croient plus à l'Europe, il y a un lien entre les deux et qu'à travers les éléments de ces dernières années, ils pensent que l'Europe a besoin de savoir se défendre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, les huit armées de pays européens qui vont défiler en plus de la France avenue de la Grande armée tout à l'heure, Place de la Concorde, pour la prochaine défense de l'Europe, est-ce que c'est " un + un + un + un = neuf " ou " neuf = un " ?
ALAIN RICHARD
Non, c'est plutôt " un + un " parce que nous sommes dans les premières marches. Avant, rien n'a été possible, donc on y va prudemment et on s'aventure sur terrain solide. Donc aujourd'hui, on parle de forces conjointes mais qui restent sous l'autorité politique finale de leur gouvernement, il n'y a pas de supra-nationalité de défense. Si on voulait forcer le rythme, on se casserait la figure.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais un jour, il y aura un Alain RICHARD européen ?
ALAIN RICHARD
J'espère qu'il sera encore mieux ! Mais ce que je veux dire, c'est que c'est quand même " un + un " parce qu'on va harmoniser, on va coordonner et naturellement, ces forces vont s'entraîner pour pouvoir agir comme une vraie armée, comme c'est déjà le cas de l'EUROCORPS. L'EUROCORPS, c'est aujourd'hui lui qui encadre la force internationale du Kosovo et c'est crédible, ça marche.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Aujourd'hui, ils vont marcher au même pas les soldats de l'Europe ?
ALAIN RICHARD
Oui, c'est coordonné ! Ils se sont entraînés à cela.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ca a posé un problème ? Chacun dans son pays marque son rythme
ALAIN RICHARD
Oui, il y a quelques pas différents, oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais il n'y aura pas de soldats autrichiens, l'Autriche est punie ?
ALAIN RICHARD
Ecoutez, on a souhaité montrer que l'Europe de la Défense avançait et puis avec la présidence française, on s'est dit très franchement, s'il doit y avoir des controverses parce qu'il y aura une garde de six soldats autrichiens, ça gâchera un peu le symbole. Donc, on l'a fait avec les forces européennes déjà constituées.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais un jour ou l'autre, on verra peut-être des Autrichiens ou des Tyroliens défiler à Paris
ALAIN RICHARD
Moi, je pense que ça ne va plus s'arrêter. Ce sont les bonnes choses de l'Europe, c'est qu'une fois qu'une orientation politique a été prise, on peut rouspéter parce que ça va trop lentement, mais cela progresse.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, " allons enfants de la patrie ", c'est d'actualité, est-ce qu'il y aura bientôt une patrie européenne ?
ALAIN RICHARD
Ca, c'est une question de conviction et une question d'appréciation politique. Ma conviction à moi, c'est que oui et je crois qu'une des choses qui réussit dans la construction européenne depuis 40 ans, c'est que les gens vivent de plus en plus près les uns des autres et que nous ressentons de plus en plus que les problèmes des autres européens sont nos problèmes. Donc, cette composante du sentiment d'appartenance et du vivre ensemble qui est importante dans l'idée de patrie, je crois que les Européens ressentent l'Europe comme leur super patrie en quelque sorte.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce qui est intéressant à noter aussi, c'est que dans l'histoire, chacun des Etats qui va défiler a combattu à un moment ou à un autre son allié d'aujourd'hui
ALAIN RICHARD
Bien sûr : après plus d'un demi-siècle de paix entre Européens, la vision qu'auront les gens des rapports entre Européens et la violence des guerres que nous avons eues pendant pratiquement un millénaire, va apparaître comme quelque chose de plus en plus étrange.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, aujourd'hui, on voit que les Européens vont être ensemble et qu'il y a une conviction européenne, vous la manifestez en tout cas, Monsieur le Ministre de la Défense. A terme, on aura un pilier européen de la Défense ?
ALAIN RICHARD
A terme, c'est même proche, c'est en 2003 et dans le deuxième semestre qui est sous notre responsabilité pour piloter l'Union, nous espérons bien recueillir fin novembre ce que l'on appelle les engagements de capacité. On aura défini ce que c'est que le corps de réaction rapide européen, le nombre d'hommes, les matériels les capacités d'encadrement qu'il faut et chacun apportera sa contribution. On vérifiera que ça fait bien le total, on définira ce qui manque encore, notamment en terme de niveau technique et on devra s'entendre pour combler les manques.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et nous, les Français, est-ce que nous avons une défense modernisée, crédible ? Je veux dire, au niveau des armements, de la recherche pour les armes nouvelles et au niveau des hommes et des femmes ?
ALAIN RICHARD
Même si ce n'est qu'une appréciation relative, nous sommes au premier rang européen ex æquo avec nos partenaires britanniques. Cela contribue d'ailleurs à ce que nous ayons un petit rôle d'entraînement avec eux. C'est ensuite quelque chose qui tient parce que nous avons une certaine continuité. On n'a pas trop d'à-coups dans notre politique budgétaire depuis que notre gouvernement est en place, nous avons suivi à 95, 97, 98% la loi de programmation et donc, les contrats, les programmes de recherche se déroulent sans à-coups.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Monsieur RICHARD, des marins vont défiler tout à l'heure sur les Champs-Elysées avec l'équipage du sous-marin d'attaque " L'émeraude ", nous sommes européens, j'entends votre hymne européen, la force française de dissuasion, elle est à nous, rien qu'à nous ou est-ce qu'un jour, au niveau de l'Europe, il faudra la partager ?
ALAIN RICHARD
Ecoutez, dans les jours que vous et moi verrons, à coup sûr, non. L'étape que nous franchissons, c'est de nous donner des moyens de défense européens pour certaines finalités, c'est-à-dire en gros agir dans des crises régionales du type Kosovo, Bosnie et donner un coup de main important à l'ONU sur une opération à laquelle on veut participer. Mais cela ne signifie pas la mise en commun de tous les engagements de défense.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais si un jour, comme on le dit, il y a un président élu de l'Europe, avec toutes sortes de nouveaux pouvoirs, est-ce que ce sera lui qui sera le patron de l'arme dissuasive et nucléaire française ?
ALAIN RICHARD
Je ne peux absolument pas le prévoir parce que c'est un jour qui est encore lointain. D'ici là, peut-être les positions de nos amis européens auront évolué. Aujourd'hui, beaucoup de nos amis européens ne sont pas d'accord avec la force de dissuasion. Nos concitoyens sont largement en faveur de ce système mais il y a une différence entre Européens sur ce sujet et donc, ça risque de rester un sujet de différence pendant encore longtemps.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et puis nous, les Français, vous n'avez peut-être pas envie ou nous n'avons pas envie de donner notre force de dissuasion
ALAIN RICHARD
C'est un basculement. A ce moment-là, ça veut dire que vous ne faites plus du tout de différence entre la sécurité nationale et la sécurité européenne. On n'en est pas là.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous défendez la nation, la République indivisible encore ce matin, est-ce que vous accepteriez qu'on en coupe un morceau, la Corse ?
ALAIN RICHARD
Non et je crois que ça n'est pas du tout ce qui est envisagé. Il y a déjà des principes d'organisation qui sont un peu différents dans certains espaces du territoire, notamment dans l'outre-mer et donc, la proposition qui a été faite par le gouvernement pour faire avancer les réflexions sur le statut de la Corse sont des propositions qui restent à l'intérieur de l'unité nationale.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne voyez pas l'île s'en aller tout doucement, d'autonomie en autonomie, de privilèges en avantages, loin du continent ?
ALAIN RICHARD
Moi, je ne le souhaiterais pas par affection pour la Corse et je crois savoir que 80 à 85% des Corses excluent totalement cette hypothèse, ce qui doit nous rappeler tout de même qu'il y a l'interlocuteur nationaliste dans les forces politiques corses, mais il est très minoritaire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
De 96 à 2002, je reviens aux armées françaises, elles seront passées de 610000, si je suis bien renseigné, à 400000 hommes ?
ALAIN RICHARD
Non, la baisse est moindre que ça. En gros, elle est de 150000. Mais elles auront fait un formidable effort. C'est une énorme réforme de l'Etat avec les contraintes qui vont avec.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'armée de Terre a perdu le moral ?
ALAIN RICHARD
Alors ça, c'est inexact et en plus, quand on écrit ce genre de chose, ça a l'avantage que l'on a absolument pas besoin de le démontrer. Moi, ce que je vois, c'est qu'il y a des centaines de milliers de personnels qui sont des gens accrochés à leur métier, convaincus, très professionnels, qui font vraiment ce qu'il faut pour que cette transformation réussisse et elle réussit. Je crois que tous les engagements opérationnels que l'on a eus dans cette première moitié de l'année ont été tenus.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quelle est la parole du ministre de la Défense ce matin, 14 juillet, aux armées de Terre ou à l'armée de Terre qui peut avoir un peu du bourdon ?
ALAIN RICHARD
D'abord bravo, vous faites ce que l'on attend de vous. Les Français vous font confiance et vous apprécient. Deuxièmement, on a les moyens pour tenir le contrat et on y arrivera.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'armée a fait ce que l'on attend d'elle, c'est-à-dire la tempête et la marée noire ?
ALAIN RICHARD
Oui plus le Kosovo, Timor, la Bosnie et les préparatifs pour le Liban si ça se révélait utile etc.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un député UDF, Monsieur PAILLE, a demandé au président de la République, auteur de la réforme de l'armée professionnelle avec vous et avec Monsieur JOSPIN, d'avancer d'un an la suspension du service national. Vous direz oui ?
ALAIN RICHARD
Je redirai à Monsieur PAILLE comme j'ai déjà eu l'occasion de lui dire que ce serait un facteur de désorganisation et qu'il le sait très bien. Donc, il a tort de faire cette proposition, dont il sait qu'elle ne sera pas retenue. Mais ça, c'est le jeu de rôle en politique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord mais vous avez tellement besoin de ces hommes ?
ALAIN RICHARD
Ils sont 50000 et ils remplissent d'ailleurs consciencieusement leur rôle. Je veux souligner qu'ils sont vraiment nécessaires aux armées pendant la fin de la réforme.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un député socialiste, Bernard GRASSET, a proposé un médiateur civil pour les armées. Vous lui répondez est-ce que cette idée a un avenir ?
ALAIN RICHARD
Je ne crois pas. Je crois qu'il y a des mécanismes de recours et d'expression des droits individuels à l'intérieur des armées que j'ai d'ailleurs essayé de perfectionner et qui donnent de bons résultats, il n'y a pas de problème, si vous voulez, d'opacité des armées et le point qui me préoccupe plus, c'est l'expression collective, c'est-à-dire le dialogue professionnel au sein des armées et là-dessus, je fais des évolutions.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le journal LA CROIX racontait et montrait hier que l'armée allait distribuer à l'automne un code du soldat
ALAIN RICHARD
Oui, on fait de plus en plus de droit.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec 11 règles parmi lesquelles il faut respecter l'adversaire, d'ailleurs, vous ne dites plus l'ennemi, s'adapter, faire preuve d'initiative mais nulle part il est dit dans ce code "désobéir, c'est quelque fois résister"
ALAIN RICHARD
Ca fait partie du statut des militaires et il y a des procédures que j'ai d'ailleurs essayé de clarifier sur la façon de résister aux ordres illégaux.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On peut ? Il y a des exemples dans l'histoire où on s'est dressé contre les officiers, son armée
ALAIN RICHARD
Heureusement, nous ne sommes pas dans des situations dramatiques de ce genre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les militaires dont vous parlez ne sont pas des militaires de parade ou de salon, Monsieur RICHARD. En 2003, jusqu'où ils pourraient être déployés et envoyés s'il y avait des tensions ou des conflits ?
ALAIN RICHARD
Jusqu'où les autorités politiques l'auront décidé. A coup sûr en Europe et dans la périphérie immédiate de l'Europe où sont beaucoup de nos intérêts stratégiques. Mais j'imagine tout à fait que s'il y a une opération humanitaire et de sécurité voulue par les Nations-Unies plus loin, les Européens qui sont conscients de leurs responsabilités internationales seront d'accord pour y aller ensemble.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qu'il pleuve ou non, tout à l'heure pour le défilé, les militaires seront là et ils marcheront au pas
ALAIN RICHARD
Oui mais à l'heure qu'il est, il y a encore un petit doute pour les avions
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors justement, si le ciel est trop bas, qu'est-ce qui se passe ?
ALAIN RICHARD
On peut les faire passer au-dessus des nuages mais ce sera moins bien. Mais si le plafond est très, très bas, il ne faut pas prendre de risque.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qu'est-ce que vous allez personnellement ressentir quand vous allez passer en revue ces troupes classiques ou modernes aux côtés du président de la République, pour la 3ème ou la 4ème fois ?
ALAIN RICHARD
Personnellement, que j'ai beaucoup de chance de servir dans ce poste à un moment où on fait de grandes réformes, où la défense est bien comprise par les Français et où elle joue un rôle dans l'Europe et qu'avec un peu de durée. Les relations sont tranquilles et solides au sein du gouvernement sur les questions de défense et aussi avec le chef de l'Etat, nous pouvons préparer l'avenir parce que c'est un travail où l'on fait beaucoup d'histoire par anticipation.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et je veux dire, pendant la cohabitation, d'un même pas ?
ALAIN RICHARD
Comme vous le voyez, il n'y a pas un fait en 38 mois qui sème le doute sur la convergence des autorités de l'Etat dans le secteur de l'armée.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Laurent CABROL vient de me dire que le plafond est à 500 mètres
ALAIN RICHARD
C'est bon.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est bon ? Il y aura des avions ?
ALAIN RICHARD
C'est bon. Sauf si ça rebaisse !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Laurent CABROL, attention ! Bon euro défilé, qu'il ne pleuve pas des trombes d'eau comme pour la première fête de la fédération, le 14 juillet 1790
ALAIN RICHARD
Ca a quand même été utile à l'époque !
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 1er août 2000)