Déclaration de M. Georges Sarre, président du Mouvement des Citoyens, sur la proposition de loi sur "la reconnaissance du 19 mars comme Journée nationale du souvenir à la mémoire des victimes des combats en Afrique du Nord", Paris, le 19 mars 2002.

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Circonstance : Commération du 40ème anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie à Paris, le 19 mars 2002

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Nous sommes réunis aujourd'hui pour commémorer le 40ème anniversaire des accords d'Evian et de l'ordre du jour du Général Ailleret, qui marquent la fin officielle, donc légale, de l'engagement de l'armée de la République, ordonnée par les autorités légitimes de la République, dans la guerre d'Algérie. Dans ce conflit furent engagés, entre 1954 et 1962, un peu plus de 2 millions de jeunes soldats français. Pour les citoyens de ma génération, pour ceux qui comme vous combattirent en Algérie, simplement parce que l'âge leur était venu d'être appelés sous les drapeaux, ou parce qu'ils s'engagèrent dans la carrière militaire, cette période reste pleine de souvenirs douloureux, encore vivaces. Et de l'autre côté de la Méditerranée, dans ce pays si intimement lié à la France, comme chez celles et ceux qui, d'origine algérienne, vivent désormais sur notre sol et ont acquis, souvent, la nationalité française, la date du 19 mars 1962 est également l'occasion d'un questionnement sur l'histoire, sur le passé commun, sur les perspectives d'avenir.
Le 15 janvier dernier, parlant au nom du Mouvement des Citoyens devant l'Assemblée Nationale, je suis intervenu dans la discussion en première lecture de la proposition de loi sur la " Reconnaissance du 19 mars comme Journée nationale du souvenir à la mémoire des victimes des combats en Afrique du Nord ", puisque tel est son intitulé.
J'ai redis, à cette occasion, que nous sommes nombreux, de tous les horizons politiques, de droite comme de gauche, a avoir souhaité que cette journée du 19 mars reçoive une reconnaissance officielle, selon le désir de nombreux anciens combattants d'Afrique du Nord et de leurs associations, particulièrement la FNACA.
Je suis en effet convaincu que l'officialisation de la date du 19 mars 1962 serait un acte hautement symbolique et qu'il est indispensable d'instaurer une journée officielle de souvenir et de recueillement. La représentation nationale l'a d'ailleurs compris, qui a adopté cette proposition en première lecture. Le calendrier électoral a interrompu la session parlementaire et ce texte reste donc en suspens. Je continuerai, soyez-en certains, à me battre pour qu'il soit définitivement adopté.
Reste que la commémoration de la fin de la guerre d'Algérie doit se faire dans un climat de sérénité, d'objectivité historique. Il ne s'agit pas de mettre un point final à un chapitre douloureux du passé commun de la France et de l'Algérie. Il ne s'agit pas non plus de se défaire dans la précipitation d'un trop lourd fardeau, en oubliant l'engagement sincère des combattants des deux camps et en ayant une vision univoque ou partisane des faits. Non, il nous faut regarder en face, sans complaisance ni masochisme, tous les aspects de notre histoire, sans chercher à éluder les épisodes les plus tragiques du conflit algérien, mais aussi en nous opposant à ceux qui, de manière irresponsable, sont toujours prêts à saisir toutes les occasions qui se présentent pour flétrir la France.
Le travail de mémoire est désormais possible. Les archives s'ouvrent, exploitées avec tact et intelligence par de jeunes historiens soucieux, comme Raphaëlle BRANCHE, de la seule objectivité scientifique. Mais en même temps, tirant profit des outrances du livre du général AUSSARESSES, mauvaise action s'il en est contre les intérêts des anciens combattants d'Algérie, certains savent s'emparer des épisodes les plus tristes de notre histoire pour pratiquer l'amalgame à outrance et salir l'honneur de nos soldats en laissant croire que tous furent des tortionnaires. Or cela est faux, vous les avez tous. Et cela est inacceptable.
Dans l'école de la République, dans l'école laïque qui sert de creuset d'intégration et de lieu de préparation à la citoyenneté, on n'enseigne plus, à des jeunes qui ont pourtant soif d'idéal et de repères, le souvenir du sacrifice consenti, au nom de la France, par la génération de jeunes français qui a combattu en Algérie. On ne leur enseigne pas le contexte réel, les déchirements cruels qu'engendrèrent, pour des millions d'hommes et de femmes, cette période de notre histoire. Au nom d'une vision manichéenne et d'une sorte d'obsession de la repentance qui a saisi notre pays depuis quelques années, on oublie les cas de conscience qui se posèrent à ceux qui, il y a quarante ans et plus, apprirent qu'il n'était pas facile d'avoir vingt ans dans les Aurès. On oublie d'honorer le souvenir des souffrances endurées par les harkis, dont l'abandon fut injustifiable. On oublie aussi de rendre aux Pieds Noirs la légitime fierté de l'oeuvre accomplie par leurs aïeux sur cette terre qui était aussi la leur, et où ils auraient du pouvoir rester, pour ceux qui le souhaitaient.
Or cette vision déformée de la guerre d'Algérie, manipulée par ceux qui veulent en tous domaines abaisser la France, a une autre conséquence négative : elle met en porte à faux les jeunes de l'immigration algérienne nés sur notre sol, elle les met en difficulté pour trouver toute leur place au sein de la Nation. Cette vision déformée à dessein conduit ces jeunes à mettre en doute le principe même de la Nation citoyenne et les capacités de la République, malgré les doutes, les regrets et les erreurs, à se relever une fois de plus d'une terrible épreuve, se relever par elle même en restant fidèle à ses propres valeurs.
Quoique l'on puisse penser de la façon dont les accords d'Evian ont été négociés, de la manière dont ils furent ensuite appliqués, le gouvernement de la République, sous l'autorité du général de Gaulle, a pris la lourde responsabilité, ce 19 mars 1962, de tirer toutes les conséquences de l'effondrement d'un rêve pour certains, d'un mythe pour d'autres, celui d'une Algérie française.
Mon opinion personnelle est qu'entre le débarquement de Sidi Ferruch, en 1830, et les accords d'Evian, en passant par le royaume arabe de Napoléon III et par le projet BLUM-VIOLLETTE en 1936, beaucoup d'occasions ont été manquées pour éviter le drame final. Beaucoup de ceux qui combattirent en Algérie n'ont pas partagé les convictions du général de Gaulle. Lui-même, son discours de Constantine le prouve, avait encore cru à la possibilité d'un avenir commun aux français de souche, aux arabes et aux kabyles algériens, sur le territoire de l'Algérie, dans un cadre démocratique qui aurait fait accéder chacun à l'égalité juridique et sociale. Mais il était trop tard et il s'en rendit compte. Son courage fut de tirer les conséquences politiques de la situation, et, quarante ans plus tard, son attitude ne souffre aucune remise en cause.
Oui, la guerre d'Algérie s'est terminée définitivement le 19 mars 1962. Après cette date, l'Algérie devient indépendante. Pour autant, elle reste un pays ami, dont le peuple nous sera toujours proche par la langue et l'histoire partagés, avec lequel la France doit construire une grande politique de coopération. Celle-ci devrait se doubler d'un effort pour faire le point sue le passé, et je suis persuadé qu'il serait bon qu'une Commission d'historiens français et algériens se réunisse pour écrire cette histoire commune.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce qui me paraît indispensable pour que soit honoré le souvenir de tous les combattants d'Algérie, pour qu'il soit enfin possible d'aller de l'avant, sans honte et sans reniement, pour permettre cette réconciliation nationale dont notre pays a aujourd'hui grandement besoin.
Je vous remercie.
(Source http://georges-sarre.net, le 25 mars 2002)