Interview de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports et secrétaire nationale du PCF, à LCI le 7 janvier 2002, sur le cumul de ses fonctions entre ministre de la jeunesse et des sports et secrétaire nationale du PCF et la majorité plurielle.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser Est-ce que vous avez déjà fait vos courses en euro ?
- "Oui, oui. Je vais régulièrement acheter mon pain en euro et cela se passe bien. On discute avec la boulangère et cela se passe bien. On manque un peu de monnaie, mais ça va."
Etes-vous satisfaite globalement ?
- "Sur le passage lui-même, je crois que les choses se passent dans la bonne humeur. Mais après, il va falloir savoir à quoi va servir l'euro comme monnaie unique. Est-ce qu'il va servir à être une monnaie de domination face au yen ou face au dollar, ou est-ce que qu'il va être une monnaie qui va permettre un mieux-être social au niveau de l'Union européenne ? C'est cela tout l'enjeu, ce n'est pas l'euro en soi. C'est comment cet euro va servir soit au progrès social soit poursuivre une construction de l'Union européenne qui ne répond pas tout à fait aux attentes des peuples qui la constituent. Et puis, on a l'élargissement qui va venir."
Faut-il faire d'Europe ?
- "Il faut faire plus d'Europe et surtout, il faut faire mieux l'Europe, j'ai envie de dire. Mieux l'Europe, parce que l'Europe a besoin de démocratie, elle a besoin de social. J'ai eu l'occasion, sous la présidence française, vraiment d'essayer s'associer par exemple les jeunes et le mouvement sportif à la construction européenne. Il y a vraiment besoin de donner un souffle démocratique à cette institution, surtout avec les pays qui vont nous rejoindre et où on va avoir besoin de travailler à beaucoup plus nombreux. Donc, si on veut répondre aux attentes, oui. Par exemple, cette monnaie unique, je trouve que cela vaut le coup d'en débattre. Aujourd'hui, nos concitoyens et concitoyennes ont envie de débattre de ces questions."
On revient en France. Vous cumulez les fonctions de ministre de la Jeunesse et des Sports et de secrétaire nationale du Parti communiste. Est-ce facile, ce dédoublement de personnalité ?
- "Non, ce n'est vraiment pas le rêve, parce que c'est un emploi de temps quand même assez lourd. Et puis, il faut à la fois maintenir les chantiers ouverts au niveau du ministère de la Jeunesse et des Sports et puis assumer mes nouvelles responsabilités. Mais enfin, c'est une période transitoire. Ensuite, lorsqu'il y aura les échéances électorales, je ne serai plus ministre après, donc je pourrai me consacrer beaucoup plus à mes responsabilités de secrétaire nationale du Parti."
En attendant, quelles sont les limites de la solidarité gouvernementale ? Vous ne vous privez pas quand même d'émettre quelques critiques ?
- "Depuis 1997, on a appris à travailler ensemble, dans le respect de nos apports convergents et différents. La gauche plurielle est devenue une réalité où chacun peut s'exprimer, participer au débat et je pense que cela a plutôt donner de bons résultats. Si ce Gouvernement a pu obtenir cette durée, je pense que c'est justement parce qu'il n'a pas cherché à gommer les apports spécifiques de chaque partie de cette majorité plurielle."
Les communistes ont-ils pu rester eux-mêmes ?
- "Je pense que oui. Non seulement ils sont restés eux-mêmes, mais pas d'une façon partisane. Ils ont contribué à de belles avancées et à beaucoup d'aspects de ce bilan dont on va commencer à parler."
R. Hue rêvait d'être l'aiguillon du Gouvernement. Est-ce que vous pensez qu'il y a réussi ?
- "Je ne crois pas qu'il ait employé ce terme d'aiguillon. Il souhaitait que les communistes - le parti, le groupe, les ministres - apportent un plus à ce Gouvernement, et je pense que cela a été le cas. On l'a vu avec la loi sur la modernisation sociale, la loi qu'on appelle d'ailleurs la loi Hue sur le contrôle des fonds publics. Mais on l'a vu aussi dans bien d'autres aspects, le groupe communiste et le Parti communiste ont vraiment joué le mieux dans la politique gouvernementale."
La majorité plurielle doit-elle continuer ?
- "C'est une formule qui a montré son efficacité. Faut-il repartir de la même façon si - parce que c'est d'abord cela la condition - la gauche est majoritaire ? Je ne le pense pas. Je pense qu'il y a certainement à réfléchir, à partir du bilan, sur ce qui a empêché d'aller aussi loin et aussi vite que nos concitoyens l'attendaient. Il y a certainement à construire une nouvelle politique à gauche. C'est la proposition que R. Hue fait d'ailleurs à travers sa candidature. Donc, bien sûr, il ne faudra pas faire simplement de la continuité. Il y a certainement à tirer les enseignements..."
Quel serait le geste, l'acte le plus symbolique d'une politique plus à gauche, comme vous dites ?
- "Il y en a plusieurs. Il y a beaucoup d'attente, par exemple, sur les minima sociaux, mais il y a aussi des attentes de société. Par exemple, les jeunes nous parlent souvent du droit de vote. Ils nous disent : "Vous appelez à la citoyenneté, mais nos parents n'ont toujours pas le droit de vote". Ce serait des réformes qu'il faudrait dater : la proportionnelle, plus de démocratie... Il y a toute une série de réformes qui avaient été annoncées qui n'ont pas été faites. Il y a encore les retraites, etc. Je crois qu'il faudrait prendre date, mais de façon très rigoureuse, par rapport à ces grandes questions."
E. Guigou a dit hier que la réforme des retraites serait le premier chantier pour l'après-présidentielle et l'après-législative. Il y a un autre problème social, qui ne concerne pas les minima sociaux, c'est la grève des généralistes qui réclament une augmentation de leurs honoraires. 20 euros pour une consultation, cela vous semble excessif ?
- "Je crois qu'il faut négocier, c'est ce qui va se faire. Il faut ouvrir les négociations, parce que c'est une profession de plus en plus difficile. Souvent, dans les quartiers, ces médecins jouent un rôle important, pas simplement médical. Ils contribuent au lien entre des populations parfois en très grande difficulté. Je pense qu'il faut écouter aussi la situation de ces médecins généralistes."
Donc, leur accorder une augmentation ?
- "Je crois qu'on aboutira à cela."
Mais est-ce trop, 20 euros ?
- "Je ne pense pas. Il faut faire attention à des formules comme celle-là."
Il y a des ratées dans la justice. Récemment, un trafiquant de drogue a été relâché. A Barr, un seul des cinq incendiaires a été placé en détention provisoire et cela a provoqué des réactions dans la population. A Bordeaux, la justice est passée à côté de l'assassin du petit Larbi pendant un certain temps. Ce malaise vous incite à faire quelles propositions ?
- "D'abord, ne mélangeons pas ces trois affaires qui ne relèvent pas toutes de la même expression de "ratées". Il faut regarder de plus près ce qui a motivé les décisions du juge à Barr, par rapport à des très jeunes. Je crois qu'il y a un problème à la fois, comme l'a dit madame Lebranchu, de moyens - même s'il y a eu des efforts considérables faits par ce Gouvernement pour multiplier le nombre de postes - et il y a certainement à faire une évaluation des mesures qui ont été adoptées pendant toute cette dernière période - ce qui est en cours - et à voir comment il faut améliorer leur mise en oeuvre. Mais ne jetons pas le bébé avec l'eau sale. La loi de présomption d'innocence a été une très grande loi, une loi progressiste, qui a été d'ailleurs votée et approuvée au-delà de la majorité plurielle. Et donc, il faut voir ce qui pose problème dans la mise en oeuvre de cette loi - c'est en cours - mais sans remettre en cause le principe."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 7 janvier 2002)