Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, sur les problèmes d'effectif rencontrés par les professionnels de santé, Paris le 4 mars 2002.

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Circonstance : Entretiens de Ségur sur la démographie médicale à Paris le 4 mars 2002

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Mes Chers Collègues,
Je suis heureux, en cette période troublée, de vous accueillir aujourd'hui dans ce ministère - vôtre ministère - à l'occasion de cette journée consacrée à la démographie médicale.
Cette question de la démographie est, nous le savons tous, cruciale.
Ce gouvernement n'est pas resté inactif dans ce domaine, et je voudrais tout d'abord rappeler le chemin parcouru en cinq ans.
1/Tout d'abord nous avons relevé très sensiblement le numerus clausus.
Lorsque je suis revenu au ministère de la santé en 1997, le nombre d'étudiants en médecine que nous formions était au plus bas : 3650. Le numerus clausus a été progressivement relevé pour être aujourd'hui porté à 4700, soit plus d'un millier en plus.
Nous aurons, au long de la journée qui commence, l'occasion de débattre sur un " nombre optimum ". Ce nombre est-il suffisant ? Pour ma part, ce n'est pas mon sentiment. A ceux qui pense comme moi je promets une bonne surprise.
Les contempteurs de l'action gouvernementale que j'ai entendu récemment déplorer l'insuffisance du nombre de nouveaux médecins formés chaque année doivent se rappeler que c'est sous le précédent gouvernement que le nombre de médecins formés a été au plus bas et que nous sommes en train, trop progressivement à mon goût, de redresser la situation. La décision en santé publique, c'est ainsi dans un système aussi socialisé que le nôtre, on appartient pas au seul ministre de la santé.
2/Nous avons également confié deux études respectivement aux professeurs Lucien Abenhaim et Guy Nicolas. Ces études ont été rendues publiques. Vous aurez l'occasion d'entendre les deux rapporteurs lors des deux tables rondes qui ont lieu ce matin.
Je ne vais donc pas revenir dans le détail sur le contenu de leurs travaux
Ces deux rapports constituent un élément central du débat sur notre démographie professionnelle, celle des médecins mais aussi celle de l'ensemble des professionnels de santé. Ces deux réflexions doivent être menées de concert.
Vous aurez également l'occasion de travailler cet après midi dans des ateliers qui abordent directement ou indirectement le thème de la démographie professionnelle.
Cinq ateliers : l'approche par spécialité, la question de la densité médicale cible, le développement de parcours professionnel diversifiés, la complémentarité entre professionnels de santé et enfin les inégalités territoriales.
A l'orée de vos travaux, je souhaite formuler un voeu : celui que nous sachions durant cette journée dépasser tout nombrilisme professionnel pour adopter une approche la plus large possible, la moins autocentrée. En effet derrière cette question de la démographie se cachent au moins quatre enjeux principaux :
les conditions et les modalités d'exercice professionnel,
la qualité de notre système de santé,
l'évolution des métiers,
l'évolution globale du marché du travail en France.
1 - Les conditions d'exercice professionnel tout d'abord :
Nous avons avec E. Guigou entendu les revendications des médecins libéraux.
Ils ont raison de nous rappeler ce paradoxe qui veut qu'au moment où notre société opère une redistribution du travail et où chacun peut désormais travailler moins afin que plus de salariés aient un emploi, les médecins libéraux continuent à travailler cinquante à soixante heures par semaine. Ils ont également raison de souligner que dans certaines zones, par manque de médecins, les sujétions liées aux gardes deviennent de moins en moins acceptables.
Par ailleurs, ce Gouvernement a voulu la réduction du temps de travail et a décidé de l'appliquer à l'hôpital. En vertu de l'accord négocié et conclu avec les quatre organisations représentatives de la profession, les praticiens hospitalier verront leur durée hebdomadaire de travail progressivement diminuer.
Ces deux facteurs convergent en faveur d'un relèvement de numerus clausus. Il nous faudra former plus de médecins si l'on veut, au moins, maintenir la qualité de notre système de santé. Et nous voulons plus.
2- la qualité de notre système de santé :
La densité en médecins et plus généralement en professionnels de santé constitue également un critère déterminant de la qualité de notre système de soin.
La densité en professionnels doit permettre une couverture correcte du territoire national, un renouvellement permanent des générations de médecins et une disponibilité suffisante des médecins pour faire face à la demande des patients.
La démographie professionnelle participe à la qualité de l'exercice médical et à la qualité de vie du médecins lui même, mais elle est avant tout une garantie de l'efficacité du système de santé et elle doit être tournée vers les besoins de la population. Ces deux exigences me semblent infiniment complémentaires.
3- l'évolution des métiers encore :
Il n'est pas possible de fixer le nombre optimal de médecins formés sans intégrer dans le même temps l'évolution des différents métiers médicaux. Ceux-ci tendent de plus en plus à se décloisonner, à s'enrichir de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences.
Les travaux des professeurs Abenhaim et Nicolas nous obligent à réfléchir sur le maintien de notre densité médicale à hauteur de ce qu'elle est aujourd'hui. Est-ce possible, est-ce compatible avec notre capacité à former de nouveaux médecins ? L'évolution des métiers médicaux est perceptible. Cela constitue peut être un élément complémentaire de réponse à la question de la densité médicale. La pratique évolue, les médecins évoluent, les patients et la société aussi : faisons évoluer le métier.
J'ai eu l'occasion de dire - et cela m'a d'ailleurs été vivement reproché - par certains- que je trouvais l'expression " paramédicaux " exécrable. Vous tous ici, dans votre diversité, incarnez la santé et êtes tous à mes yeux les représentants des professions médicales. Nous devons raisonner en termes dynamiques et dépasser les séparations traditionnelles, les prés carrés qui rendent les dialogues si difficiles entre les professionnels. Certes, le métier de médecin doit demeurer ce qu'il est : la clé de voûte de l'édifice.
J'ai souhaité que nous intégrions dans notre réflexion non seulement l'exercice médical en ville et à l'hôpital mais également l'exercice médical salarié. Les médecins salariés participent à nos travaux ; ils constituent un secteur en fort développement, qu'il s'agisse des médecins de santé publique, des médecins du travail, des médecins scolaires ou encore des médecins conseils des caisses pour ne citer que quelques uns d'entre eux. Et il faudra bien un jour travailler ensemble, regroupés, solidaires, garant de la santé publique. Dans ce domaine aussi les besoins se font sentir et nous devons examiner les voies et moyens d'y mieux répondre.
4- l'évolution globale du marché du travail en France :
Les problèmes de démographie médicale sont réels, mais ils doivent être mis en rapport avec les difficultés globales du marché du travail. La France est une société vieillissante, même si les statistiques récentes ont montré que notre situation était bien moins critique que celle de nos voisins européens. Ceci se traduit, mécaniquement, par une contraction relative de notre population active. La question de la démographie professionnelle se pose pour les professions de santé comme elle se pose pour d'autres secteurs professionnels, notamment le secteur tertiaire où la pénurie de main d'oeuvre peut être réelle, même si l'existence d'un numerus clausus constitue clairement un facteur aggravant.
Il vous faudra également mesurer les conséquences sur l'ensemble du marché du travail des stratégies qui seront mises en oeuvre concernant la démographie des professionnels de santé.
Je vous invite, à regarder autour de nous, à comparer les questions qui se sont posées dans d'autres pays, pour d'autres praticiens et les réponses qui y furent apportées.
Dans le même souci d'ouverture et de compréhension, je souhaite que vous puissiez étudier les expériences étrangères. Ainsi, pour ne prendre que deux ou trois exemples, des éléments aussi importants que la densité médicale comparée d'une région à une autre, la répartition des compétences entre les différents professionnels, la formation initiale ou continue prennent un sens tout autre à la lumière de ce qui se pratique ailleurs en Europe, ou même Outre-Atlantique.
De même les modalités de régulation de l'offre de professionnels de santé sur un plan géographique sont très variées selon les pays et nous avons à les analyser à la lumière du contexte français.
Parce que ces sujets sont particulièrement importants et sensibles, il nous fallait aussi, au delà même de cette journée qui ne saurait être que le lieu d'un premier échange approfondi entre nous, nous doter d'un outil pérenne de suivi, de réflexion et de proposition sur l'évolution de notre démographie professionnelle et de nos métiers. C'est pourquoi l'observatoire de la démographie professionnelle et de l'évolution des métiers de la santé est désormais créé. Vous trouverez, dans le dossier qui vous a été remis le texte de l'arrêté qui fixe ses missions et sa composition, que nous avons voulue la plus large possible. Ce sera, notre, votre outil privilégié
Je souhaite que votre travail de ce jour soit constructif et qu'il pose les bases d'une approche nouvelle de la démographie des professions de santé et de l'évolution des métiers. Je suivrai avec attention vos travaux et je vous retrouverai en fin d'après-midi avec beaucoup de plaisir pour partager avec vous les conclusions de cette journée.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 12 mars 2002)