Déclaration de M. Robert Hue, président du PCF et candidat à l'élection présidentielle, sur ses propositions en matière de politique culturelle, à Paris le 7 avril 2002.

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Circonstance : Rencontre avec l'Association des réalisateurs producteurs.

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie de votre invitation à parler ici de mon projet de politique culturelle pour la France.
J'y suis d'autant plus sensible que l'histoire du Parti communiste français - quels qu'en aient été les aléas - est jalonnée d'engagements nombreux en faveur de la culture.
Nos actes, dans tous les lieux où nous assumons des responsabilités - des collectivités locales jusqu'au gouvernement - témoignent d'une permanente volonté de proposer l'accès à la culture et à la création artistique au plus grand nombre.
La culture n'est pas, ne doit surtout pas être un ornement, dont la politique et les responsables politiques auraient à s'occuper, accessoirement, quand d'autres choses, réputées plus sérieuses, leur en laisseraient le temps.
Je revendique, à l'exact contraire de cette posture condescendante, une attention et un soutien publics constants à la culture, à la création artistique.
Je souhaite, avant de dialoguer avec vous, faire deux remarques susceptibles, me semble-t-il, de rompre avec certains discours consensuels sur cette question majeure.
D'abord ceci : l'ambition culturelle et l'élaboration d'une politique culturelle ne sont pas indépendantes, coupées en quelque sorte, d'une démarche politique générale. Elles ne sont pas les mêmes selon que l'on inscrit son projet politique dans un objectif de régulation sociale, d'aménagement de la société, ou, au contraire, de transformation sociale.
D'autre part - c'est ma seconde remarque - il est plus que jamais nécessaire, voire impérieux, de penser la culture dans et hors les murs ; de lier notre réflexion à la construction d'une autre Europe, à l'exigence d'une francophonie solidaire et d'un monde civilisé. C'est à cela que les peuples aspirent, de plus en plus. Et quant à nous, citoyens d'ici, nous nous vivons également, désormais, citoyens du monde.
Quand la mondialisation est devenue notre quotidien, il y a obligation à travailler le singulier et l'universel, pour ne pas succomber aux hégémonies globalisantes, mutilantes ; au "prêt à penser unique", au conformisme dominant qui menace richesse et diversité humaines.
Pour moi, il est une question obsédante : comment définir et défendre aujourd'hui l'irréductible humanité de l'homme ? Comment échapper aux régressions, à la barbarie qui menacent parce que les critères dominants sont ceux du capitalisme mondialisé ?
Parce que l'enjeu est le devenir de l'humain, de l'humanité, l'enjeu culturel doit être au cur de toute démarche et de tout acte politiques concrets.
La culture a besoin d'un projet politique. Bien plus : elle y a droit.
La société dont je parle est celle des droits. Elle ne peut accepter que le nouveau paysage social intègre comme une fatalité l'existence de citoyens que l'on a pris coutume de désigner comme les "sans" : les "sans toit", "sans logement", "sans papiers", "sans terre", "sans droits", et pourquoi pas "sans culture" ?
Moi je veux l'emploi, le salaire décent, le logement pour tous.
Je revendique le droit, pour chaque citoyen, de vivre dans une communauté solidaire et fraternelle. Je veux la transformation du service public et son extension aux domaines qui conditionnent le respect d'une égale dignité de tous les citoyens. Je propose de donner à la démocratie participative un nouvel et puissant élan, afin que les citoyens puissent se faire réellement entendre et débattre, décider de ce qui intéresse leur vie quotidienne et leur avenir. Et j'affirme que la culture, dans toutes ses dimensions, leur est due de la même façon.
Permettez-moi de citer quelques mots d'un texte de Victor Hugo, précisément intitulé La question sociale : "La principale fonction de l'homme n'est pas de manger, mais de penser. Sans doute qui ne mange pas, meurt. Mais qui ne pense pas, rampe. Et c'est pire".
Cette formule va loin. Au-delà du consommateur, au-delà même du citoyen - qui sont évidemment des dimensions indispensables de la vie - elle touche à ce qui fait l'éminente dignité de la personne humaine. Elle affirme le droit à l'avoir et aussi le droit à l'être de l'individu.
Nous rejoignons là encore la question de la culture. Parce que parler culture, c'est parler d'humanité, de libre développement de la personne humaine.
L'objectif d'une mondialisation du progrès humain, dégagée des critères mercantiles auxquels le soumet le libéralisme, ne va-t-il pas de pair avec la défense des identités culturelles singulières ? Cette reconnaissance de l'apport de chaque peuple à la civilisation humaine est absolument indispensable pour le développement d'une humanité cultivée, libérée, émancipée.
Elle fait obstacle aux replis identitaires et sectaires, qui isolent jusqu'à l'enfermement dans des folies trop souvent meurtrières.
Oui, pour moi, avoir l'ambition d'une politique culturelle va de pair, est même structurante d'un projet de société qui place au cur de sa démarche l'émancipation humaine.
Une politique culturelle c'est d'abord un instrument de liberté - liberté pour chaque individu d'être citoyen, acteur de son devenir, artisan oeuvrier du développement de notre civilisation. Parce que la culture a besoin de démocratie et la démocratie a besoin d'être cultivée.
Nous voyons bien à quel point la non reconnaissance, l'étouffement des cultures, ce viol de l'imaginaire dont parle Aminata Traoré s'agissant de l'Afrique, comportent de douleurs, de souffrances, d'impasses au développement de toute notre civilisation. La culture doit demeurer le plus beau lien entre les hommes. Elle a besoin pour vivre de respirer l'air de la liberté.
Un tel projet de société, parce qu'il part de l'être humain, pense d'abord sa démarche politique en termes de satisfaction des besoins humains et de développement de droits émancipateurs.
Il s'oppose donc fondamentalement à la marchandisation de toutes les activités humaines, à la financiarisation des industries culturelles.
Il parle du rôle irremplaçable de l'art dans la société. Il reconnaît l'uvre comme l'expression humaine la plus élaborée, sa projection symbolique, son empreinte, sa trace. Même quand elle est incarnée dans des objets, des marchandises - comme les films, les logiciels - l'uvre n'est pas devenue une marchandise comme un autre.
Elle demeure l'uvre originale et élaboré d'un artiste, d'un auteur. Et parce qu'elle est cela, la reconnaissance du droit d'auteur et des droits voisins, la propriété intellectuelle est inaliénable. Il s'agit par là de la reconnaissance sociale du travail de l'artiste, de son inscription reconnue dans et par la société.
Ces deux notions, droits d'auteur et reconnaissance sociale de l'auteur, de l'artiste, sont le point de départ d'une conception de la culture qui tourne le dos aux diktats des industries culturelles financiarisées.
Je parle volontairement de financiarisation parce que nous en sommes à ce stade là aujourd'hui et c'est pour cela que l'enjeu de l'exception culturelle est essentiel. Je rejoins ici la remarque d'Henri Guaino, ancien Commissaire au Plan, lorsqu'il écrit : "C'est la frontière entre la civilisation et une nouvelle forme de barbarie que trace l'exception culturelle".
C'est cette frontière là - et pas une autre - que je veux maintenir en affirmant et tentant de faire partager l'idée que la culture mais aussi l'éducation et la santé n'ont pas à être soumises au rendement financier et à la loi du profit.
Jean-Marie Messier n'a pas fait d'erreur lorsqu'il a dit que "l'exception culturelle était morte". Il a exprimé le résultat de sa logique de patron d'une société européenne, oligopole mondiale installée à New-York et prônant les fonds de pensions.
Cette financiarisation dont il est le porte-parole, banalise l'économie de ce secteur et permet aux investisseurs de la gérer comme n'importe quelle autre activité commerciale. Tout simplement parce que l'intérêt qui les guide n'a strictement rien à voir avec l'intérêt général et la culture. Ce qui entre en ligne de compte ce sont d'abord les critères de rentabilité définis par le résultat d'exploitation, l'importance de la capitalisation boursière générée par les fusions. La conséquence en est l'extrême concentration des pouvoirs entre les mains des grandes banques, des compagnies d'assurances et des fonds de pensions.
Nous sommes loin des amoureux de l'art, fondateurs en leur temps de maisons d'éditions, de disques ou de studios de cinéma, novateurs et soucieux du bien commun.
Incontestablement, ce processus opéré au niveau mondial menace le pluralisme.
C'est pour cette raison que je suis déterminé à ne rien céder aux injonctions de ceux qui - en Europe et dans les institutions internationales - veulent faire passer toute l'activité humaine sous les fourches caudines du traité de Maastricht. A Barcelone ils ont poussé les feux de la libéralisation des services publics et ils veulent imposer la baisse des dépenses publiques donc des aides et subventions à la création culturelle.
Ils prônent la suppression du périmètre d'intervention des services, secteurs et entreprises publics, singulièrement de la communication. Ils veulent enfin - et c'est d'une particulière actualité - la suppression de la directive "télévision sans frontières", des quotas et obligations de production, du prix unique du livre, le remplacement par le copyright du droit d'auteur, et inscrire la culture dans l'Accord général sur les services
C'est pour toutes ces raisons que je suis aux côtés des intermittents du spectacle contre Monsieur Seillière, Président du Medef.
Les exemples pullulent des ravages que ces orientations provoquent. Regardons la faillite de l'Argentine, pourtant bon élève du FMI et de la Banque mondiale. En ce moment même, le cinéma argentin appelle à la solidarité des cinéastes du monde pour pouvoir exister.
Face aux menaces que font peser de telles dérives, il y a donc urgence à élargir l'espace public et à développer le soutien public - je préfère ce mot à "aide" - à toutes les expressions artistiques, et à tous ceux qui risquent d'être broyés par les machines de la "World company".
Plus que jamais, la culture mérite que la politique se préoccupe d'elle pour la libérer. Et elle doit aussi s'inscrire dans les démarches et orientations de tous les ministères. Singulièrement, celui de l'éducation.
L'éducation artistique, la formation esthétique ouvertes à toutes les expressions artistiques, à toutes les écritures, de la littérature à l'image, doivent faire partie de l'enseignement. Pas comme des "activités de raccroc" mais, au contraire, pour ce qu'elles sont : des activités structurantes du développement de la personne humaine, citoyenne et libre.
De telles ambitions permettraient de lever l'inquiétude pour la culture ressentie par 92 % des Français selon une enquête publiée par Beaux-Arts magazine. Et, selon cette même enquête, la majorité d'entre eux estime qu'une politique culturelle conséquente rendrait les gens plus heureux, plus libres, et qu'elle contribuerait à lutter contre les inégalités sociales. C'est un bel hommage rendu aux artisans de la vie artistique de notre pays.
Mais il faut atteindre cet objectif.
Je suis très attentif à ce que me disent tous ceux que j'ai rencontrés ces derniers mois - artistes et citoyens - et j'en tire une conclusion : la culture ne quémande pas une place dans la société, elle est la société-même en train de se réinventer.
Et cette remarque en amène une autre. La présence, le soutien public en matière culturelle est une dimension de la politique de la France depuis des siècles. C'est une exception que beaucoup d'autres peuples nous envient.
Je pense qu'il est urgent de réévaluer, à l'aune des enjeux de notre temps, notre politique culturelle.
La France, la France dans l'Europe, la France dans la francophonie, la France dans toutes les instances internationales, doit être porteuse de ces voix-là. Elle doit être une référence pour tous ceux qui agissent pour construire un autre monde, une société cultivée et qui rêvent d'une culture humaine, porteuse des valeurs universelles de liberté, de démocratie, de reconnaissance de l'autre, et d'accueil des autres.
C'est à cette société d'une mondialité - comme la nomme le philosophe Jean-Luc Nancy - "partagée", en un mot culturelle, pétrie de cette mêlée des cultures, des diversités artistiques qui fondent l'Humanité de notre civilisation, que je veux contribuer, avec d'autres, des millions d'autres, à construire.
Je vous remercie de votre attention.

(source http://www.roberthue2002.net, le 12 avril 2002)