Texte intégral
CHRISTOPHE BARBIER
François BAYROU, bonjour.
FRANÇOIS BAYROU
Bonjour.
CHRISTOPHE BARBIER
Dans un mois pile, le premier tour, les sondages se suivent et se ressemblent. Etes-vous un candidat résigné ?
FRANÇOIS BAYROU
Pas du tout. Pourquoi dites-vous que les sondages se suivent et se ressemblent, d'abord ce n'est pas vrai. Et ensuite ce qui frappe, c'est le besoin de changement du peuple français. Quand vous vous trouvez dans une situation où ce que l'on appelle les candidats protestataires réunissent 30 % au moins des suffrages des Français, vous voyez qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans ce pays. Alors maintenant tout l'enjeu est de transformer ces votes négatifs de protestations négatives, avec naturellement simplement le souhait de dire " zut ! ", de les transformer en votes qui disent oui. De passer du négatif au positif.
CHRISTOPHE BARBIER
On peut passer d'un vote LAGUILLER ou LE PEN à un vote BAYROU ?
FRANÇOIS BAYROU
Mais bien sûr, parce que les Français, qui pour l'instant disent que leur intention est de voter pour ces candidats de protestation et marginaux, sont des Français comme les autres, c'est-à-dire qu'ils voudraient bien que la politique change en France. C'est-à-dire que l'on ait à la fois une approche nouvelle, une manière de s'exprimer nouvelle et une attention aux problèmes différents. Une manière de décider qui ne ressemble pas à ce que l'on a aujourd'hui. Et cela tout le monde le pense, les chefs d'entreprise, les médecins, les agriculteurs, les infirmières, les policiers, les gendarmes, vous voyez bien que la France est un pays qui se sent complètement abandonné par son pouvoir officiel. Il faut changer ce pouvoir là et le candidat et les candidats crédibles pour changer ce pouvoir là, ne sont pas légion.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors vous avez appelé François BAYROU de vos vux pendant plusieurs semaines, un vrai débat de premier tour avec tous les candidats en lice. CHIRAC et JOSPIN se sont lancés, ils débattent entre eux et vous, vous êtes évincés ?
FRANÇOIS BAYROU
J'ai dit vous avez peut-être vu hier, le CSA a adressé une mise en garde de plus, une mise en garde très sévère. Ils ont fait, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, a fait le décompte des temps d'antenne sur les grands médias télévisés en particulier. Ces temps d'antennes se comptent en heures, près de quatre heures pour Jacques CHIRAC et Lionel JOSPIN, et en quelques minutes pour nous. Ce n'est pas équitable et ce n'est pas juste.
CHRISTOPHE BARBIER
Ce n'est pas le reflet des écarts dans les sondages ?
FRANÇOIS BAYROU
Et c'est la raison pour laquelle j'ai pris la décision d'écrire à Lionel JOSPIN et à Jacques CHIRAC, ce que je fais ce matin, pour leur dire qu'il faut désormais qu'un véritable débat de premier tour à égalité devant les Français, soit organisé pendant une soirée par les chaînes.
CHRISTOPHE BARBIER
Tout le monde réuni dans le même studio ?
FRANÇOIS BAYROU
Oui, tous ceux qui auront les 500 signatures, tous ceux qui auront été déclarés candidats officiels, il faut que l'on puisse comparer leurs idées, leurs approches, leurs visions, leurs personnalités peut-être aussi devant les Français. Il n'y a rien de plus démocratique, il n'y a rien de plus normal et il n'y a rien aujourd'hui de plus nécessaire tant tous ceux qui nous écoutent savent que vraiment, le déséquilibre est désormais absolu entre les candidats. Or la démocratie, c'est évidemment l'équilibre.
CHRISTOPHE BARBIER
CHIRAC et JOSPIN ont intérêt à faire la sourde oreille à votre appel et à continuer leur duo ?
FRANÇOIS BAYROU
On le verra, en tout cas les Français eux entendront cela : il faut que vous mesuriez que ce duo-duel, c'est un duo qui est un duel, les Français n'en veulent pas. Quand vous faites l'addition des Français qui disent oui, nous allons voter au premier tour, pour l'un des deux, vous tombez je ne sais pas peut-être à 20 % du corps électoral. Les abstentionnismes, ceux qui n'ont pas pris leurs avis et tous les autres votes, ça fait les trois quarts du corps électoral. Il est normal, nécessaire et légitime qu'un débat soit organisé devant les Français pour qu'un autre espoir prenne corps. On ne peut pas en rester à cette espèce de désespérance absolue, écoutez vous le savez bien, vous avez fait sur les murs de Paris, vous BFM une campagne de pub. Cette campagne de pub, elle est entièrement construite sur le sentiment désabusé à l'égard des deux sortants. Alors il faut bien que quelque chose change. On ne va pas aller à cette élection uniquement en étant désabusé, en ayant le sentiment que l'on est forcé, contraint, qu'on ne peut pas faire autrement, que de voter pour ces deux-là. Une élection c'est un espoir, cet espoir-là, je le porterai.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors François BAYROU vous avez essayé de porter hier dans votre dîner-débat à Caen, un espoir pour les Cités. Vous dites " je m'engage à reconquérir les cités en 18 mois. " Comment ? En envoyant l'armée ?
FRANÇOIS BAYROU
Armée est un grand mot, on ne peut pas être un pays qui va faire la guerre au Kosovo, qui va mettre la paix au Kosovo et être incapable d'entrer dans nos cités. Il y a plusieurs centaines de quartiers dans nos villes, 300-400 peut-être 500 disent certains, dans lesquels aucun représentant de l'autorité publique ne peut plus entrer. Ni les policiers naturellement, interdit de cités, ni les pompiers, guet-apens, caillassés quand ils viennent. Ni les ambulanciers, ni le SAMU, un directeur de SAMU est venu dans une de mes réunions récemment dire " je ne peux plus recruter de médecin ". Et je lisais, vous l'avez lu aussi dans un journal, que même les réparateurs du téléphone ou de l'électricité ne veulent plus y entrer, vous croyez que l'on va laisser les choses en l'état.
CHRISTOPHE BARBIER
Donc il faut une phase de prise d'assaut ?
FRANÇOIS BAYROU
Il faut une phase où, énergiquement, on va imposer la fermeté et la présence des services publics dans ces cités. Et je dis que c'est aux modérés que nous sommes, d'assumer la fermeté parce que si les modérés ne le font pas, un jour d'autres le feront et ça ne sera pas la même musique.
CHRISTOPHE BARBIER
Et vous voulez confier tout cela, à la responsabilité des maires ? Ce n'est pas un peu " place au shérif " ?
FRANÇOIS BAYROU
Mais les maires, c'est les représentants des citoyens, prenez l'affaire d'Evreux, la bande qui a malheureusement et dramatiquement tué ce pauvre homme qui voulait défendre son fils racketté, cette bande elle existait depuis quand ? Des mois et des années. Mais simplement, le fait que vous avez affaire à une administration de l'Etat, le fait que pour protester on vous demande de porter plainte, donc d'avoir été victime vous-même, tout le monde n'est pas victime, tout le monde voit la bande, elle était sur le parking de la gare, je crois depuis des semaines et des semaines en train de se livrer à des rackets et à des deals.
CHRISTOPHE BARBIER
Un maire aurait agi mieux qu'un commissaire ?
FRANÇOIS BAYROU
Mais un maire aurait été le porte-parole de ses concitoyens et il aurait pu dire à l'autorité de la force publique, écoutez on ne va pas laisser ça comme ça, tous les pays qui ont fait reculer la violence, tous ces pays là, ont une police de proximité dirigée par une autorité de proximité. L'élu, le maire qui représente ses concitoyens. Pourquoi ? Parce que les citoyens de base peuvent s'adresser au maire et faire pression sur lui, lui parler, le mettre en demeure et lui demander des comptes. Il faut bien que d'une manière ou d'une autre enfin, le sentiment de ras-le-bol généralisé puisse s'exprimer sans avoir besoin d'aller dans l'extrémisme. Dans l'extrémisme, les maires ne sont jamais des extrémistes.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors les maires UDF, François BAYROU, vous soutiennent, les parlementaires en revanche, certains vous ont lâché pour Jacques CHIRAC. D'autres aujourd'hui comme Jean-Louis BORLOO tendent la main à la gauche ?
FRANÇOIS BAYROU
Un tout petit nombre.
CHRISTOPHE BARBIER
Ca vous inquiète ? C'est des forces centrifuges à l'UDF ?
FRANÇOIS BAYROU
Mais je ne sais pas où vous voyez cela. L'UDF est aujourd'hui une famille qui dont l'unité s'exprime et s'exprime avec force, vous avez remarqué vous-même que les maires de terrain, ont manifesté ce soutien et trois parlementaires sur quatre. Alors vraiment comme force centrifuge, il y a pire. Quant au reste, la vocation de l'UDF est que les problèmes ne soient plus uniquement exprimés en terme de droite-gauche.
CHRISTOPHE BARBIER
On peut tendre la main dans un sens et dans l'autre ?
FRANÇOIS BAYROU
Mais il faut rassembler. Le seul moyen de conduire les réformes, la raison pour laquelle je vous le disais il faut que le vote de protestation se transforme en vote d'adhésion, c'est qu'il faut rassembler, rassembler et être capable de rassembler au-delà de son camp.
CHRISTOPHE BARBIER
Comment pèserez-vous sur le second tour, si vous n'êtes pas qualifié ?
FRANÇOIS BAYROU
En y étant présent, j'espère, et pour le reste, on en parlera au soir du premier tour.
CHRISTOPHE BARBIER
C'est-à-dire ?
FRANÇOIS BAYROU
C'est-à-dire que le premier tour a lieu avant le second et que, quelle que soit, comment dirais-je la pression des médias, pour que le premier tour n'existe pas et que l'on aille directement au second, les Français, eux, vont se saisir du premier tour pour dire leur volonté de changement profond.
CHRISTOPHE BARBIER
Et derrière, il y a deux autres tours, ceux des législatives. Là vous serez prêt, avec quelque gouvernement que ce soit, de faire avancer vos idées, participer ?
FRANÇOIS BAYROU
Je sais bien que vous aimez outrer les choses. Nous vivrons les législatives quand les présidentielles seront derrière nous, un tour après l'autre et une échéance électorale après l'autre.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous redites comme il y a six mois " je ne ferai pas perdre mon camp " ?
FRANÇOIS BAYROU
Vous savez bien que je suis un homme loyal. Pour le reste, je veux faire le premier tour avant le second, c'est de cela dont on a besoin.
CHRISTOPHE BARBIER
François BAYROU, merci.
FRANÇOIS BAYROU
Merci à vous.
(source http://www.bayrou.net, le 22 mars 2002)