Extraits de l'entretien de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, avec "France Inter" le 25 août 1999, sur le poids de ses attributions ministérielles en matière de coopération, francophonie et action humanitaire (préparation du sommet francophone de Moncton, réforme de la coopération, renégociation des accords de Lomé) et sur la gestion de l'aide humanitaire à la Turquie.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - Vous êtes ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie en charge de l'Action humanitaire. Cela fait beaucoup pour un seul homme.
R - Oui, c'est beaucoup.
Q - Commençons par la Francophonie. La semaine prochaine, se tient à Moncton, au Canada, le 8ème Sommet de la Francophonie. Qu'est-ce que c'est exactement la Francophonie ? On a un peu l'impression que c'est un peu un rideau de fumée dans un environnement mondial très anglophone ?
R - La Francophonie, c'est d'abord ceux qui parlent français ou en français. Ce sont les pays où l'on parle français plus ou moins complètement. C'est aussi un ensemble de pays qui voudraient bien adhérer à cette communauté francophone, parce que d'accord avec nous sur un certain nombre de principes, y compris de droit et de démocratie. Sur le plan institutionnel, la Francophonie rassemble 49 Etats-membres et 3 observateurs : la Pologne, l'Albanie et la Macédoine - Albanie et Macédoine ont d'ailleurs demandé à devenir membres. Il n'est pas impossible, compte tenu de l'actualité, qu'on accède à cette demande, mais cette décision sera prise au cours du sommet. La Francophonie, c'est donc, en tout, 500 millions de personnes représentées par ces 52 pays. Tous ne parlent pas français, mais il faut y ajouter aussi ceux qui, en dehors de la Francophonie, apprennent le français. En tout cas, c'est une réalité importante.
Q - Une fois que c'est dit, à quoi ça sert ?
R - Je pense que la Francophonie sert d'abord à éviter que l'anglais ne devienne le seul vecteur sur le plan aussi bien de la conversation que de la création culturelle. Elle sert à affirmer une solidarité Nord-Sud entre francophones. Elle sert aussi à atteindre un objectif auquel nous tenons fortement les uns les autres : l'accès à l'éducation, à la culture, à la langue pour les populations jeunes de ces pays du Sud qui ont bien du mal à attendre cet objectif, seuls. Et je rappelle que le Sommet de Moncton va être notamment marqué par une présence forte de la jeunesse. J'espère bien que ce sommet va faire la preuve que la Francophonie n'est pas un souvenir, mais un avenir.
Q - Parlons maintenant de la Coopération. C'est un dossier qui sent le souffre depuis très longtemps. La coopération, pour la France, ça a été surtout l'aide à l'Afrique pendant pas mal d'années, marquée par les réseaux gaullistes, les réseaux mitterrandistes. Vous êtes arrivé dans ce ministère en prônant la transparence. Etes-vous arrivé à vos fins ?
R - D'abord, les réseaux, on ne les utilise plus. Nous espérons qu'ils vont mourir de leur belle mort, si j'ose dire.
Q - Cela veut dire qu'il en existe encore un peu ?
R - Oh ! il est difficile de savoir exactement ce qui se passe de cette manière. Mais je prends en tout cas l'engagement que le gouvernement français a fait le choix de ne plus jamais utiliser cette forme d'influence. Je crois que les Etats africains ont compris, en tout cas, que la réforme de la Coopération - en ouvrant notre coopération à l'ensemble de l'Afrique mais aussi au reste du monde - a eu pour résultat de les désenclaver sur le plan diplomatique, et d'éviter cette marginalisation de l'Afrique francophone par rapport au reste de la planète. Je crois que les efforts que nous faisons pour mieux impliquer la société civile dans la coopération-développement sert la démocratie et le développement. Je pense que les positions que la France a défendues en matière de Droits de l'Homme et de la démocratie marque un changement significatif auquel les Africains - je pense en particulier aux jeunes Africains - sont sensibles.
R - La France, aujourd'hui, est dirigée par un gouvernement de gauche, et Jacques Chirac est l'héritier du gaullisme. Y a-t-il des pressions sur vous lorsqu'il s'agit des dossiers africains ? Des coups de fil de temps en temps ?
R - La relation en termes de cohabitation en matière d'Affaires étrangères est bonne. Il arrive que des nuances nous opposent sur tel ou tel pays. Mais, globalement, j'observe que le consensus se réalise et que les positions que Lionel Jospin a voulues sur différents dossiers sont celles finalement de la France.
Q - Des nuances opposent Jacques Chirac et le gouvernement ?
R - Non. Il n'y a pas d'opposition de ce point de vue autour de l'Afrique. Et, s'agissant de la réforme de la Coopération, après les réserves exprimées par l'Elysée, j'observe finalement que Jacques Chirac défend cette réforme et nous aide à convaincre de son bien-fondé les chefs d'Etat africains.
Q - La Coopération, c'est de l'argent, certainement beaucoup d'argent, pas assez peut-être à votre goût. On a parlé cet été de détournements d'aide internationale en Bosnie de la part des dirigeants bosniaques. Je suppose que ça doit se passer ailleurs. Vous en avez peut-être quelques échos ! Y a-t-il un moyen sûr de suivre le cheminement des aides ?
R - Il y a toujours conflit entre d'une part le besoin d'aller vite et d'atteindre l'objectif d'urgence qui est en général poursuivi, et d'autre part le besoin de contrôler. Plus les procédures sont multinationales, plus le risque d'opacité est grand. Je crois que tout le monde convient - et c'est vrai aussi au plan européen - que les procédures d'évaluation doivent être renforcées. Je souhaite en tout cas que le souci légitime de lutter contre ces détournements ne vienne pas alourdir les procédures, ce qui aurait pour conséquence de faire arriver l'aide trop tard.
Q - Les Européens parlent d'une même voix dans ce domaine ?
R - Oui. J'observe là aussi que les choses avancent bien et je pense que, dans le cadre de la renégociation des accords de Lomé, qui est en cours - et c'est une grande affaire pour la coopération, puisque c'est la relation entre l'Europe et 71 pays de l'Afrique, Caraïbes et Pacifique - nous finirons par faire prévaloir un point de vue univoque de la part des Européens, et pouvoir convaincre les Africains aussi d'aller vite, car je rappelle que si cette convention de Lomé n'est pas renégociée avant le mois de février 2000, le vide juridique qui va en résulter pourrait bien être mis à profit par ceux qui aimeraient bien qu'il n'y ait plus cette relation privilégiée entre l'Europe et les pays du Sud.
Q - Parlons un peu de l'Action humanitaire. Il y a une controverse en Turquie sur l'accueil des équipes humanitaires françaises et étrangères. Qu'en dit le ministre ?
R - J'observe, quant à moi, que nous avons été parmi les premiers à réagir à la demande du gouvernement turc. Dès le 17 août, une première équipe de sauvetage arrivait à Izmit en particulier. J'observe aussi que si nos équipes de sauvetage vont, cette semaine, revenir en France, les équipes médicales restent sur place, à la fois un poste médical avancé, mais aussi un hôpital mobile que le ministère de la Défense vient d'installer, le 22 août. Il est clair que les moyens médicaux, eux, vont devoir être mis en place, rester, être consolidés, en attendant de pouvoir aider les Turcs à reconstruire leur pays. J'étais hier à Hourtin, et le président du Conseil général, P. Madrelle, me disait la sensibilité extrême de la population bordelaise, à ce drame qui touche directement la communauté turque installée là-bas. Je pense que les Français doivent aider les Turcs à reconstruire leur pays
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 août 1999)