Texte intégral
Première partie - 7h45
J.-L. Hees : Bonjour monsieur L. Jospin, je dis "L. Jospin", je ne dis pas "monsieur le Premier ministre", puisque c'est effectivement le candidat à la présidentielle qui est avec nous ce matin et je vous en remercie. Puis-je me permettre de vous demander ce qui ne va pas actuellement dans la maison Jospin ? On vous a vu très souriant à la télévision dimanche soir, on vous a vu très décontracté - en tout cas les observateurs l'ont noté -, on a senti qu'il y avait quelques références personnelles. Est-ce simplement parce que c'est le parcours obligé du candidat qui doit essayer de réunir le plus grand nombre possible de suffrages ou est-ce les bonnes nouvelles des sondeurs qui vous parviennent et qui aujourd'hui sont bonnes ; ou bien est-ce simplement que l'armure - comme on disait il y sept ans en parlant de vous - est vraiment en train de se fendre et parce que c'est le moment, et parce qu'il y a un moment privilégié, une relation privilégiée avec les Français à 55 jours de l'élection ?
- "Peut-être peut-on parfois me trouver réservé mais je n'ai pas d'armure, donc il n'y a rien à fendre. Cela fait des années que je gouverne, maintenant cinq ans, mais cela fait aussi des années que je me présente devant les Français tel que je suis, avec mes idées, sans faux semblant. Je considère dans cette élection que c'est une chance que d'aller à nouveau à cette rencontre avec les Français, d'avoir ce débat. Nous devons le conduire sur de très grandes orientations, sur les grands choix qui sont devant nous. Je le fais avec l'énergie suffisante et la sérénité qui convient. Donc, pour moi, le moment qui s'ouvre est un moment de liberté de rencontre et je ne vois pas pourquoi cela devrait créer chez moi une tension particulière."
J.-L. Hees : Non, justement, c'est un plaisir - ou alors je me trompe ainsi qu'un certain nombre de gens - mais on sent qu'il y a un plaisir, une décontraction qu'il n'y avait peut-être pas avant dans l'exercice du Premier ministre.
- "Diriger le Gouvernement, c'est une contrainte forte, les problèmes sont là tous les jours ; il faut décider, il faut arbitrer, il faut aussi conduire une équipe, veiller à son harmonie. Des catastrophes se présentent - on a vu les catastrophes de décembre, les inondations qui frappent d'ailleurs encore un certain nombre de nos concitoyens ces jours-ci dans le Nord. Ce n'est pas un poste d'action dans lequel on peut peut-être se livrer autant qu'une campagne permet de le faire. Une campagne, c'est au fond un moment de liberté entre des temps de responsabilité. Enfin, quand il vous en est confié à l'issue de la campagne."
S. Paoli : Est-ce difficile pour un homme politique de sacrifier à l'affect quand on est à la gestion des affaires quotidiennes, tout à coup on voit un candidat parler de sa passion, un autre parler de son désir. Faut-il dire aux Français, dans ces moments-là, qu'on les aime ? Est-ce quelque chose d'important ? Et d'ailleurs, est-ce difficile à faire ?
- "Si l'affect devait être un sacrifice, ça ne vaudrait vraiment pas la peine."
S. Paoli : Est-ce difficile de parler ainsi, de sortir un peu du cadre habituel, au fond ?
- " Il faut arriver à réconcilier ou à concilier dans un message public qui s'adresse à des millions de gens potentiellement ou à des centaines de milliers de gens, parfois simplement à des milliers lorsque l'on est dans un contact physique lors d'un meeting, d'une rencontre, il faut arriver à réconcilier l'homme qu'on est et le responsable public. C'est donc un exercice difficile parce qu'il oblige à sortir un peu de soi-même, il oblige à bousculer sa pudeur quand on en a. Mais comment ne pas le faire si l'on veut convaincre ? Moi, je vais dans cette campagne pour convaincre, pour convaincre que je peux proposer, avec tous ceux qui m'entourent. Je crois qu'une partie de la force que je ressens en moi vient du fait que je ne suis pas seul, je suis entouré, je l'ai été en gouvernant mais je peux l'être encore dans l'avenir. Donc, à partir de là, je pense que je peux proposer au pays des orientations, je peux aussi présenter une conception de la présidence, une façon d'être dans cette responsabilité qui valent la peine, à mon avis, d'être suivies. Donc à la fois un rôle pour la France, en même temps une façon de vivre ensemble pour les Français, un destin collectif ; c'est ce qui doit me guider dans cette campagne et c'est ce que je vais essayer d'exprimer. Et parfois, il faut un peu sortir de soi-même."
P. Le Marc : Les sondages montrent une opinion qui n'aura jamais été aussi indécise. Elle exprime à la fois beaucoup de scepticisme, le sentiment d'avoir à faire à une offre indistincte, qui ne correspond pas à un vrai clivage. Elle exprime aussi une certaine irritation à l'égard de la domination que vous exercer avec J. Chirac sur la politique et sur cette élection. Que répondez-vous à cette France qui reste à distance de la présidentielle et de ses enjeux ?
- "Le scepticisme, je le comprends. La campagne doit être faite pour le lever en partie ; nous ne le ferons pas totalement, un certain nombre de nos concitoyens ne s'affirmeront pas comme des citoyens dans cette campagne, n'iront pas voter mais notre rôle est de faire reculer ce scepticisme. Il y a beaucoup de choses, la crise, le chômage, le rapport des politiques au pouvoir parfois, un certain nombre d'autres questions qui ont pu conduire à ce scepticisme. A nous et à moi en tant que candidat de le faire reculer. Le caractère indistinct des propositions, ça je n'y crois pas. C'est un classique de début de campagne et je pense, en réalité, que si on ne se réfère pas à de grands noms de constructions idéologiques mais on prend les grands projets - quand on parle de retraite, des 35 heures, des visions culturelles - je pense qu'il y a des différences extrêmement importantes, de même pour la politique sociale."
P. Le Marc : Elles ne sont pas perçues...
- "...ça, c'est le travail de la campagne. Nous sommes au début de la campagne mais si nous en parlons ce matin en prenant un de ces dossiers, je pourrais vous montrer très clairement en quoi, sans qu'il y ait un abîme, sans qu'il s'agisse de conceptions du monde totalement opposées, en fait les visions sont différentes, par exemple sur les retraites où notre position est une position qui permet de confirmer et de renforcer les régimes de répartitions. L'élément - si j'ose dire - original des propositions de J. Chirac, c'est la capitalisation, ce sont les fonds de pension. On peut développer si vous voulez. La domination - mais les Français ne peuvent pas, d'une certaine façon, nous reprocher les indications qu'ils donnent eux-mêmes -, donc, ça, c'est le rapport de force, c'est l'influence des formations politiques et de toute façon le débat est libre."
J.-L. Hees : J'entendais hier soir vos partenaires de la gauche plurielle sur France Télévision : eux sont crispés parce qu'ils disent que l'on a confisqué le premier tour de l'élection. C'est vrai que c'est lié à votre stature, la vôtre et celle de J. Chirac. Mais que dites-vous à ces gens qui sont frustrés du débat ? Est-ce que c'est comme ça à chaque présidentielle - pas forcément ?
- "Pendant un temps quelques uns se sont plaints que nous ne soyons pas entrés en campagne, maintenant, c'est fait. Le motif de cette plainte doit cesser et maintenant, que chacun débatte."
S. Paoli : N'est-il pas dommage que les Français aient parfois le sentiment qu'il y a plus de stratégie que de projets ? Quel est le premier des deux qui va démarrer ? Quand va-t-il donner son axe de campagne et pourquoi il attend aussi longtemps...
- "Quand peut-être vous cesserez de m'interroger comme vous le faites depuis cinq ou six minutes sur la stratégie..."
S. Paoli : ...mais c'est important de comprendre !
- "Oui, je vais vous aider à comprendre, enfin, je vais essayer. Quand vous cesserez de me poser ces questions sur ma psychologie, sur mon état d'esprit et que vous m'interrogerez concrètement sur un grand projet, une grande approche, si on parle de l'Europe par exemple, peut-être qu'on rentrera dans le débat du projet. Alors allons-y !"
S. Paoli : Mais c'est bien de comprendre l'homme aussi !
- "Je vous attends. Vous regrettez le projet, je dis "parlons-en, posez moi des questions sur le fond" et vous me parlez de l'homme..."
S. Paoli : On va y venir, on a jusqu'à neuf heures !
- "L'homme et le projet sont ensemble en tout cas.
J.-L. Hees : Un petit sursis, après on entre directement - je vous le promets - dans le programme et dans les idées. Mais tout de même : il y a une motivation quand on veut être président de la République et on a le sentiment - parce que de temps en temps vous avez la dent dure avec l'actuel président de la République, parfois il y a de l'ironie et du sourire mais parfois on sent que cela va vraiment très loin, le RPR vous le reproche beaucoup -, est-ce une des motivations fortes d'un candidat que de se dire "la France, c'est la France, j'aime, tout le monde aime la France, tous les candidats mais je ne veux pas laisser la France à cet homme-là, ou à ce projet là." Est-ce que c'est une motivation très forte ? Je suis sûr que les Français aimeraient le savoir.
- "Je l'ai déjà dit, je le redis : J. Chirac a été Président pendant sept ans, on sait comment il a été élu, sur quel discours, sur quelles promesses, on sait comment il a agi pendant deux ans. On a vu ce qu'était la présidence pendant cinq ans, pendant que nous gouvernions. Je pense très profondément qu'il a exercé ses pouvoirs pendant sept ans et je ne crois pas qu'il soit souhaitable pour notre pays que J. Chirac soit à nouveau président de la République pendant cinq ans. Donc si c'est ça votre question, j'y réponds très tranquillement, très simplement."
J. -L. Hees : Je vous en remercie.
P. Le Marc : Rentrons dans le projet : dans le livre que vous publiez, "Le Temps de répondre", vous dites que la France est un pays moderne qui garde des traits archaïques. Quels sont ces archaïsmes qu'il faut changer, qu'il faut bousculer, est-ce que la gauche n'est pas, par ses comportements, parfois une belle conservatrice de ces archaïsmes ? Est-ce que vous sentez à gauche une vraie volonté d'avancer vers la modernité ?
- "Oui mais je l'ai dit : cette modernité doit être partagée. C'est là toute la difficulté des choix que nous devons faire. Nous devons faire en sorte que notre pays s'inscrive dans le courant de la modernité, y compris dans les nouveaux flux mondiaux. Mais il ne doit, en même temps, y disparaître et c'est un peu cet équilibre d'une France qui prend sa place dans l'évolution du monde, qui ne se crispe pas sur elle-même, qui ne se renferme pas - ce qui serait d'ailleurs impossible au plan européen et même au plan mondial - et qui, en même temps, continuer à affirmer une personnalité, une originalité et a quelque chose à dire au monde, sans prétention."
P. Le Marc : Quels sont ces archaïsmes ?
- "Je crois qu'il y a dans notre pays des traits individualistes, ils sont classiques, c'est une description classique des Français. Mais ils se trouvent peut-être un peu renforcés au cours des dernières années peut-être parce que c'est un réflexe de défense devant les conséquences de la crise, par un certain corporatisme. Je crois qu'il faut que nous arrivions ensemble, par le dialogue, à réduire ce corporatisme, c'est-à-dire une conception des choses dans lesquelles des individus mais regroupés ensemble par leur profession, par leur statut, par leur protection, parfois aussi par leurs craintes, se disent qu'ils essaient de prendre leur part du revenu national, des fonds de l'Etat, sans se préoccuper trop du destin collectif ou de la part que les autres peuvent y prendre aussi. C'est bien sûr de la responsabilité de l'Etat que d'être l'arbitre, que d'aiguiller les choses, que de veiller à cette répartition..."
P. Le Marc : ...et d'offrir une vision.
- "...et d'offrir une vision. Ce corporatisme est à mes yeux un certain trait d'archaïsme dans un monde qui est devenu extraordinairement mobile. On doit se regrouper autour de valeurs, on doit défendre aussi des revendications mais on ne doit pas se crisper trop sur des statuts."
S. Paoli : Est-ce que la modernité, c'est aussi un peu sortir des clivages ? Vous disiez, il y a quelques jours, que vous ne présentiez pas un programme socialiste ; est-ce que pour vous, gouverner différemment, c'est sortir de ce découpage dans lequel la politique française a été longtemps inscrite, entre la droite et la gauche ?
- "J'ai clarifié cette phrase puisqu'elle semblait devoir l'être, en disant que, de même qu'il ne me semblait pas que R. Hue proposait le communisme aux Français, même s'il est communiste, de même, ne proposais-je pas le socialisme aux Français. Je suis socialiste, donc mes valeurs sont des valeurs de la gauche et je propose des orientations dans lesquelles, je pense, les Français peuvent vivre ensemble. A la fois ceux qui sont le plus à l'aise dans la société aujourd'hui, qui épousent cette modernité sans problème et ceux aussi qui ont des difficultés. Et c'est cette conciliation qui évite deux France l'une contre l'autre, qui est au coeur des propositions que je fais. Ensuite, le socialisme reste pour moi une référence au sens où il signifie "justice sociale", au sens où il signifie "désir du progrès scientifique, technique", au sens où il signifie "harmonie", tentative d'avoir une harmonie dans la société, dans le sens où il signifie "goût de l'intérêt général, du service public". Je peux donc structurer autour de grandes valeurs, de grands principes, cette inspiration socialiste, mais je ne propose pas, effectivement, dans une présidentielle, à l'ensemble des Français, et au moins à la majorité que je souhaite dégager autour de mes propositions, un programme socialiste au sens strict."
P. Le Marc : L'ouverture au centre reste tabou pour vous, homme de gauche ?
- "Mais dans une présidentielle, c'est par définition, en tout cas au deuxième tour, ce n'est pas l'ouverture au centre qui se fait. Vous avez deux candidats, vous avez une bipolarisation et on se rassemble sur l'homme, la femme, les propositions, la crédibilité aussi du propos que les Français préfèrent. Donc, le centre c'est une référence un peu littéraire."
J.-L. Hees : Pourra-t-on revenir sur cette question à la sortie du journal de 8 heures parce que ça nous intéresse encore ?
- "Oui."
S. Paoli : On reviendra aussi sur le programme et le contenu.
Deuxième partie - 8h15
S. Paoli : Suite du petit-déjeuner de France Inter en compagnie du candidat L. Jospin, encore que cette question s'adresse plutôt au Premier ministre. Nous entendions à l'instant, pendant le journal, que les combats se poursuivent en Afghanistan avec des avions français. Quand le président Bush dit que la guerre continue, que dites-vous ?
- "Il est clair qu'il y a encore des forces d'Al-Qaida qui sont rassemblées, sans doute d'ailleurs de façon assez puissante, au sud-est de Kaboul. Une grande opération a été engagée, une opération dite Anaconda, pour réduire ces forces qui pourraient présenter une menace pour l'équilibre que nous cherchons à restaurer en Afghanistan, avec les Afghans. Et nos forces participent à ces opérations en ce moment - il y a encore quelques dizaines de minutes avant de venir ici, j'en avais la confirmation - à la fois nos Super-Etendard embarqués sur le porte-avions et puis les Mirage 2000 qui viennent du Khirzikistan. Donc, nous prenons notre part de cette offensive ; il faut que les forces qui subsistent de ce réseau terroriste soient effectivement brisées. Sur ce plan, notre détermination est totale."
S. Paoli : Est-ce qu'on peut poursuivre dans cette pause de nos affaires franco-françaises de la campagne électorale ? Il y a le Proche-Orient aussi, où il se passe toujours des choses abominables. Quelle serait l'attitude du Président Jospin ? Ce problème est récurrent depuis des années et des années. Quelle serait l'attitude du Président Jospin face à ce genre de problème ? Quelle serait l'attitude de la France et qu'est-ce que vous essayeriez de faire avec la Communauté européenne ?
- "La seule solution est de proposer une issue politique. C'est ainsi qu'on avait ramené la paix et l'espoir au Proche-Orient. Et si on s'en éloigne, c'est l'engrenage de la violence, c'est l'engrenage de la vengeance. On venge les morts d'un côté, on venge les morts de l'autre. Il y a des attentats qui tuent des civils ou des militaires, il y a des répliques extrêmement violentes qui tuent également des civils ou des combattants. Il y a actuellement la politique de Sharon qui en est pour bonne part responsable parce qu'elle a coupé la perspective politique, un désespoir chez les Palestiniens qui sont dans une situation terrible et cela déclenche, à partir de là, des réactions extrêmement violentes. Mais les hommes, et parfois même les femmes, qui commettent ces attentats-suicide, qui évidemment nous révoltent, par leurs conséquences d'une certaine façon s'appliquent à eux-mêmes la mort d'ailleurs puisqu'ils meurent avec leurs bombes. Donc, il y a cette situation de désespoir absolu pour les Palestiniens, y compris ceux qui ne participent pas à ces mouvements violents, à ces attentats-suicide, mais qui vivent dans des conditions absolument désespérées aujourd'hui. La société palestinienne est en train de se déstructurer ; plus personne ne contrôle plus rien. Arafat est lui-même enfermé, donc il ne peut pas exercer une autorité. Donc, je ne vois de solution que - et S. Perès paraît être sur cette orientation - dans la recherche d'une solution politique à nouveau. Il y a ce plan Abou Allah-S. Perès ; il y a la nécessité d'un cessez-le-feu mais il faut que, du côté israélien, du gouvernement israélien qui, vous l'avez rappelé tout à l'heure, est composite, il faut ré-offrir une possibilité politique, une discussion politique. C'est la seule solution."
J.-L. Hees : Et l'Europe ?
- "C'est la France qui pense cela. Donc, la France qui pense cela continuera à l'exprimer et cela le serait aussi si j'étais en responsabilité de le faire. L'Europe partage, au fond maintenant, le même point de vue, même s'il peut y avoir des nuances dans la façon d'oser l'affirmer. Et puis, il faut que les Américains se réengagent : Clinton avait joué un rôle utile, Bush est en retrait ; donc, il y a un vide. Il faut que l'Europe et les Etats-Unis dialoguent avec le gouvernement israélien bien sûr mais aussi avec les Palestiniens, disent : "Ne continuez pas dans cette impasse". En tout cas, la politique conduite actuellement est à l'évidence un échec parce qu'elle ferme l'espoir et elle n'assure même pas la sécurité aux Israéliens. Je voulais dire d'ailleurs que cette prise de conscience existe dans la société israélienne elle-même. Mais, en même temps, lorsque la population est victime de tels attentats, on comprend aussi qu'elle se soude. Donc, il y a un engrenage qu'il faut absolument couper."
J.-L. Hees : Pourquoi si peu d'Europe dans cette campagne ? 66 % des Français le regrettent, disent qu'ils aimeraient qu'il y ait un peu plus d'Europe. Et quand P. Moscovici, la semaine dernière, parlait des Etats-Unis d'Europe, est-ce que vous iriez jusqu'à reprendre cette formule ?
- "Je trouve que les Etats-Unis sont déjà suffisamment présents dans le monde pour qu'on ne soit pas en plus obligés de les mettre dans l'Europe. Mais une fédération d'Etats-nation, des nations et des Etats qui s'unissent dans l'Union européenne, oui sûrement. Nous avons réussi le défi de l'euro : on se plaint toujours de l'Europe, on se plaint toujours qu'elle ne fait pas assez. Elle vient de se doter d'une monnaie unique pour douze pays en tout cas, parmi les Quinze, et elle vient de le faire avec une grande réussite technique, avec une adhésion des peuples, particulièrement en France. Ça, c'est quand même un acte concret et c'est une réussite. Nous avons deux défis devant nous. Nous avons le défi de l'élargissement : l'Europe comporte quinze membres, elle va s'ouvrir aux pays provenant, pour l'essentiel, de l'ancienne Europe de l'Est et le fait de passer à vingt, à vingt-cinq ou à trente, va évidemment poser des problèmes de gouvernance de l'Europe - c'est plus difficile de décider à trente que de décider à quinze - et puis, cela pourrait, si l'on n'y prenait pas garde, changer un peu le contenu de l'Europe. Donc, dans ces discussions sur l'élargissement, la France doit veiller à la défense de ses intérêts nationaux - moi, j'y serai particulièrement vigilant ; je pense en particulier au dossier agricole - mais elle doit aussi veiller à ce que l'élargissement de l'Europe ne transforme pas son modèle et son contenu, en particulier qu'elle ne se dissolve pas en une zone de libre-échange. Donc, l'affirmation du modèle européen, d'une Europe qui existe sur la scène mondiale, qui a des choses à dire, qui a un modèle économique et social particulier, qui est fait d'un certain équilibre, est quelque chose d'absolument essentiel. Le deuxième grand défi qui est devant l'Union européenne, c'est le défi de la réforme de ses institutions, de son fonctionnement ; c'est cette fameuse Convention, dont le président Giscard d'Estaing assume justement la présidence, et P. Moscovici représente le gouvernement français et la France même - puisque M. Giscard d'Estaing est le président. Là aussi, j'ai déjà fait des propositions concrètes et j'espère que la campagne me permettra d'en faire de nouvelles."
P. Le Marc : Venons-en aux problèmes intérieurs et au plus obsédant d'entre eux ! A Mantes-la-Jolie hier, J. Chirac a durci le ton, dénonçant la culture de permissivité et de laxisme de la gauche. Est-ce qu'il y a une sorte de fatalité devant la violence ? Votre commentaire.
- "Si vous avez lu mon livre, vous avez vu que je parle de 1968, que je dis qu'en 1968 - j'étais évidemment plus jeune que maintenant - j'étais fonctionnaire au Quai d'Orsay et donc, je n'ai pas participé aux événements mais, en tout cas, une certaine libération des rapports entre les gens m'avait séduit dans ce mouvement, indépendamment des questions sociales qu'il posait. Mais, il y avait en tout cas une dérive que, dès ce moment-là, je n'avais absolument pas, moi, pris à mon compte : c'est cette dérive de la permissivité - Il est interdit d'interdire -, du laxisme, par exemple sur le plan éducatif. Et il se trouve qu'après les événements de 1968, un an après, j'ai quitté les Affaires étrangères pour être plus libre comme citoyen, pour m'engager - ce que j'ai fait après dans le Parti socialiste - et que j'ai été enseignant pendant onze ans dans un IUT. Donc, j'avais de bons étudiants, se destinant à des carrières professionnelles dans les entreprises. Je n'avais pas spécialement - j'avais de très bons rapports avec les étudiants - la réputation d'être laxiste. Je n'ai jamais été sur cette ligne personnellement. Je pense qu'on a besoin de règles, pas d'autoritarisme, pas des conceptions étroitement hiérarchiques - la société a évolué, il faut convaincre -, mais des règles, des repères, une autorité. Je n'ai jamais vécu cela dans ma vie professionnelle et comme responsable politique, même avant que je devienne chef du Gouvernement, j'ai toujours insisté, au contraire, sur cette nécessité d'une autorité bien comprise mais affirmée. Et j'ai toujours considéré que l'insécurité était une injustice supplémentaire, qui frappait d'ailleurs le plus souvent les milieux les plus défavorisés. Parce que quand une voiture brûle dans les quartiers, ce sont les voitures des gens qui vivent dans ces mêmes quartiers. Donc, dès le début, avec J.-P. Chevènement - une façon de dire un mot à propos de G. Sarre qui m'interpellait tout à l'heure ..."
P. Le Marc : Vous ne regrettez pas les arbitrages que vous avez rendus à ce moment-là qui étaient plutôt en faveur du Garde des Sceaux que du ministre de l'Intérieur ?
- "Quand nous avons augmenté les moyens de la police - mais aussi les moyens de la justice d'ailleurs parce que la chaîne pénale veut que les policiers agissent sous l'autorité des juges et si vous n'avez pas suffisamment de juges pour conduire les enquêtes policières, vous avez moins d'enquêtes policières ; moi, je n'oppose pas la police et la justice. Nous avons augmenté le nombre des magistrats d'un millier environ - ce qui est sans précédent - nous avons augmenté le nombre des policiers, nous avons en plus adjoint des adjoints de sécurité pour augmenter la présence sur le terrain. Et quand nous avons pris des décisions, les premières de ce type, quand nous avons commencé à comprendre qu'il y avait un problème particulier de la délinquance des mineurs, de certains mineurs, nous avons créé ces centres d'éducation renforcée, ces centres de placement immédiat. C'étaient les premières structures particulières pour les jeunes en difficulté, en risque de délinquance ou même en délinquance. Nous avons abordé cette démarche. Il faut aller plus loin. On se pose aujourd'hui - et je propose d'ailleurs l'idée de centres qui soient peut-être plus totalement fermés - encore que ces centres dont je viens de parler soient évidemment surveillés. Nous avons amorcé cette démarche et nous l'avons fait avec J.-P. Chevènement. En règle générale, je pense que J.-P. Chevènement - d'ailleurs il n'a pas proposé de partir à ce moment-là - n'a pas eu à se plaindre des arbitrages que j'ai rendus."
J.-L. Hees : Chacun des candidats va apporter ou proposer ses solutions en ce qui concerne l'insécurité et la délinquance. Mais sur le fond, sur ce côté désespérant d'avoir des enfants dans la rue, d'avoir des jeunes qui brûlent [des voitures] - il y a cette énorme violence : qu'est-ce que vous en pensez, vous L. Jospin ? Ça ne va pas simplement être un problème de répression ou même d'éducation dans les prochaines années. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
"Ça m'inspire que chacun doit, dans la société, assumer ses responsabilités. On parle d'impunité zéro, il faut alors qu'il n'y ait aucune impunité pour personne. Là, le principe est clair : du haut jusqu'en bas. L'Etat a la responsabilité essentielle en ce qui concerne la sécurité ; il doit assumer. Ça passe par des moyens, ça passe par des politiques pénales ; j'ai entendu le candidat J. Chirac dire hier qu'il n'y avait plus de politique pénale, je peux vous indiquer les circulaires de politique pénale, précises, qui ont été envoyées aux magistrats et donc, à travers eux, aux policiers : une circulaire de politique pénale contre le proxénétisme, une circulaire sur la réponse aux violences commises sur les policiers et les gendarmes, une circulaire sur la lutte contre les discriminations raciales, une circulaire sur la lutte contre les trafics et l'économie souterraine, une circulaire sur l'action publique et la sécurité. Donc, il y a bien une politique pénale qui est indiquée. L'Etat doit assumer ses responsabilités, donner les moyens, trouver des structures nouvelles pour encadrer les jeunes, affirmer le principe que tout acte délictueux doit trouver sa sanction, faire que les sanctions soient prises aussi vite que possible, adaptées aux cas des délinquants ou des premières incivilités. Mais cette question doit être aussi assumée par l'ensemble de la société. Par les corps de l'Etat d'abord : c'est pourquoi nous avons refusé la politique municipale qui nous était proposée par la droite. Pendant toutes ces années, elle nous a dit : "il faut renoncer à la responsabilité de l'Etat - donc, je ne comprends pas, là, l'argument sur l'insécurité - et donner le pouvoir de police aux communes". Ils ont abandonné cette position. Alors, il faut aussi que les organismes HLM, les élus - d'où les contrats locaux de sécurité - mais aussi les parents assument leurs responsabilités. Quand ils ne le peuvent pas assez, il faut les aider. Il y a effectivement des familles déstructurées. Ça doit être un combat de tous, où la responsabilité essentielle est assumée par l'Etat mais où les autres acteurs de la société se considèrent comme responsables de ce retour aux règles, de ce retour à une forme de discipline collective et de l'acceptation de la sanction."
Troisième partie - 8h45
S. Paoli : Seriez-vous un faux naïf ? Quand on a passé autant d'années à Matignon à gérer les affaires de la France, est-ce qu'on peut même être naïf ?
J.-L. Hess : Et si vous pouviez définir la naïveté ?
- "En l'espèce, j'aurais pu aussi bien dire optimiste. J'avais pêcher par optimisme en pensant que les résultats forts obtenus contre le chômage permettraient, effectivement, de contribuer à un apaisement dans un certain nombre de quartiers notamment sur le terrain de la violence. C'est le choix d'un mot; tant mieux s'il a plu ou tant pis si certains, du coup, m'en font reproche. Je crois qu'il faut garder une ressource d'optimisme, il faut croire, en tout cas, quand on est comme moi un homme de gauche, à une certaine possibilité de changer l'état des choses. Il ne faut pas se résigner. C'est un fondement d'optimisme. Parfois, la réalité peut vous rappeler qu'on peut pêcher par une certaine naïveté; en tout cas cela concernait le rapport un peu trop mécanique sans doute dans mon esprit, que j'instaurais entre la baisse du chômage et une possible baisse de la délinquance. Cela n'a pas du tout concerné le problème de la délinquance en général qui a été, dès l'entrée de mon gouvernement, une priorité de ce gouvernement après l'emploi. Il sera certainement dans une autre phase si les responsabilités nous étaient confiées : une priorité absolument essentielle même si la priorité à l'emploi doit être poursuivie. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'avoir encore plus de 2 millions de chômeurs en France."
J.-L. Hess : On parle programme et je voudrais qu'on fixe le cadre sur cette notion de compromis politique. Une élection présidentielle est un compromis entre différents vecteurs, différentes familles politiques. Il y a des gens qui vous posent des problèmes à droite et puis il y en a à gauche aussi. Est-ce que les électeurs de gauche, ceux qui ont voté déjà pour L. Jospin pour qu'il devienne Premier ministre vont s'y retrouver dans le projet que vous allez leur présenter dans les semaines qui viennent ? Il y a des gens qui s'interrogent sur la qualité du candidat Jospin sur le plan des idées de gauche ?
- "C'est un peu général ce que vous me dites. Si vous me posez une question précise sur un sujet donné, je pourrais vous répondre."
S. Paoli : Alors les retraites. Capitalisation, répartition, fonds de pension, épargne salariale ? Est-ce que tout cela, c'est la même chose d'abord ?
- "Ce n'est absolument pas la même chose. Pour nous, l'essentiel est le contrat de génération, ce sont les actifs qui, par leurs cotisations, assurent les retraites des inactifs et qui les règlent. C'est un exercice de solidarité nationale. Cela va impliquer des mesures puisque la démographie - le nombre de personnes âgées par rapport aux actifs qui est une résultante de l'espérance de vie plus longue et est un phénomène positif - peut déséquilibrer le système. Pas tout de suite. Il n'y a pas de problème pour les retraites. Personne ne dit que les retraites actuelles des Français ne vont pas être versées. La question se pose à 20 ans environ. Naturellement, comme ce sont des phénomènes lourds, il faut le préparer dès maintenant. Le diagnostic a été fait très nettement avec les organisations syndicales, avec les organisations patronales qui contribuent avec l'Etat qui finance les retraites des fonctionnaires, à l'équilibre de ce système. C'est pourquoi, j'ai dit que le premier dossier de négociation sociale entre les partenaires sociaux et l'Etat, au lendemain des élections présidentielles et législatives, serait ce dossier de la retraite. Tous les éléments sont sur la table. Il faut maintenant discuter, négocier et puis le Gouvernement fera ses propositions le moment venu. Nous restons sur un système de répartition. Le fait que J. Chirac propose de revenir aux fonds de pensions mais à des fonds de pensions individuels, c'est-à-dire à des assurances privées que souscrit pour compléter sa retraite chaque Français, introduit bien évidemment une rupture dans le système de la répartition parce que cela introduit une inégalité individuelle des revenus ou des patrimoines. Assurer sa propre retraite. Nous nous restons fondés sur un système de répartition. Et ce que nous y ajoutons, à travers les fonds salariaux, les fonds d'épargne salariaux, c'est quelque chose de très différent. Ce n'est pas l'indifférence individuelle qui joue entre les revenus des Français, c'est le fait qu'on pense qu'une partie de l'épargne collective dans les entreprises peut aller au financement de retraites complémentaires. Il s'agit, là, de quelque chose de collectif, il s'agit, là, de quelque chose qui est négocié par les syndicats. Et il s'agit, là, de systèmes qui seraient mis en place sous le contrôle des représentants des salariés. Cela offre les garanties tout en complétant le système de répartition. Il va falloir poser les problèmes. Mon objectif essentiel sur la retraite est de maintenir le niveau des retraites. C'est ça l'objectif que je fixe pour la période qui vient. Pour maintenir ce niveau, il faudra peut-être accepter de faire des efforts plus grands sur d'autres choses : la durée des cotisations, des éléments de ce genre. Mais l'essentiel est que le niveau des retraites soit assuré et soit maintenu. C'est ça l'objectif central que je fixe à la négociation qui aurait lieu au lendemain des élections"
P. Le Marc : Que répondez-vous à M. Blondel qui vous dit " détrompez-vous, l'état d'esprit des syndicats n'a pas changé" et que ferez-vous si la négociation est une impasse ? Est-ce que le Gouvernement, vous même, vous prendrez vos responsabilités pour demander aux Français de trancher ?
- "Si cela était nécessaire, oui absolument. Nouons les termes de la négociation. On ne peut pas nous demander à la fois de régler le problème des retraites et de dire que le problème n'existe pas. Sur ce point, j'ai une nuance - c'est le moins que l'on puisse dire - avec M. Blondel. Ce sont des positions avant la discussion."
P. Le Marc : Vous en appelleriez aux Français, si cela était nécessaire ?
- "Je suis convaincu que l'on peut dégager avec les représentants des organisations professionnelles et des syndicats, et l'Etat, en prenant à la fois le système dans sa globalité et dans sa diversité - parce qu'il y a des système de retraites différents et je ne propose pas d'uniformiser tout - les termes d'une solution de compromis. En tout cas, c'est celle qui sera proposée. Effectivement, si cela était nécessaire, les Français auraient à trancher. De toute façon, certaines décisions, après ces négociations, auront certainement à passer par la loi."
S. Paoli : A travers cette question de l'épargne salariale, y-a-t-il pour vous une voie politique intéressante en matière d'économie ? Quand par exemple N. Notat dit : "ce capitalisme syndical est peut-être un moyen de réguler l'économie mondiale", est-ce qu'il y a, là, pour vous, un espace de réflexions intéressant ?
- "On ne voit pas pourquoi dans la réalité de l'entreprise, en particulier des grandes entreprises, les salariés ne devraient ne représenter que le salaire en quelque sorte. Et comme on est dans une société où le capital joue un rôle absolument essentiel dans les entreprises, il est assez normal qu'on puisse penser que les salariés et leurs représentants, s'il le souhaitent, aient leur part aussi de cette épargne salariale qui peut représenter du capital. Quand nous avons, par exemple, ouvert le capital d'un certain nombre d'entreprises du public, c'est passé par une distribution d'actions en direction des salariés. Je pense, par exemple, à France Télécom. C'est un exemple parmi d'autres, de façon à ce que les salariés eux-mêmes, qui sont une force essentielle de l'entreprise, puissent avoir une certaine part de ce capital. A condition, bien sûr, que ce soit eux qui le maîtrisent. Ce qui peut d'ailleurs impliquer que les représentants des salariés prennent une part plus active aux décisions des entreprises, aux décisions d'investissements, aux décisions de localisation par exemple. Ce sont des propositions que je fais dans cette campagne."
J.-L. Hess : On peut parler fiscalité et je vais essayer d'être moins général et plus précis. Il y a deux propositions de deux candidats, en l'occurrence MM Chirac et Madelin. Quel est votre commentaire sur 33 % d'impôts de moins sur 5 ans ? Vous trouvez cela sexy pour le contribuable ou miraculeux ? Possible ou irréaliste ?
- "Sexy et miraculeux : on n'est pas dans les termes du réalisme le plus cru. Cru est le mot qui convient; le problème, je crois, de J. Chirac - un des problèmes fondamentaux de J. Chirac - c'est la crédibilité de ce qu'il avance compte tenu de ce qu'il a fait en 1995 dans la campagne et puis de ce qu'il a effectivement appliqué ou chargé M. Juppé d'appliquer entre 1995 et 1997. Je crois que dans cette campagne, J. Chirac a deux problèmes. Il a un problème de crédibilité indiscutable. On le voit à chaque fois qu'il fait des propositions surtout quand elles sont mirobolantes. Et puis il a un problème d'identité aussi. Au fond qui est J. Chirac ? Quelles sont vraiment ses convictions ? Quelle est sa politique ?"
J.-L. Hess : Vous avez une idée ?
- "Je réponds sur les questions précises. Sur la fiscalité : dans les propositions de J. Chirac, 50 % des Français ne sont pas concernés. Les 50 % des Français qui ne payent pas d'impôts ne sont pas concernés par les baisses d'impôts. Quand nous avons proposé et puis fait voter la prime pour l'emploi, nous avons, au contraire, pris en compte avec des baisses du revenu pour ceux qui payent des impôts, de l'impôt sur le revenu. Nous avons aussi pris en compte ces salariés, ces personnes qui ne sont pas forcément des salariés dont les revenus sont plus faibles et se situent au Smic ou un peu au-dessus du Smic et, à qui, par la prime pour l'emploi, nous avons redonné de l'argent. Ce qui a aidé d'ailleurs la consommation française face à la crise et a permis que cette crise soit plutôt moins forte en France que dans d'autres pays. Il ne faut pas oublier ces autres 50 % qui gagnent le moins en France. Ensuite il faut voir que dans les promesses de J. Chirac, ce qui est à peu près sûr c'est ce qui va vers les entreprises. Je ne suis pas contre les baisses de charges pour les entreprises - nous en avons fait pour la baisse des 35 heures - mais à condition qu'il y ait des contreparties. Là, ce sont des propositions de baisses de charges sans contrepartie. Les propositions de baisse des impôts sur le revenu telles qu'elles sont proposées - c'est-à-dire de façon proportionnelle - vont là aussi favoriser les hautes tranches de revenus et non pas les tranches intermédiaires. Il y a quelque chose à la fois d'injuste mais aussi un peu irréaliste - il faut bien le dire - dans les propositions qui sont faites."
J.-L. Hess : Vous faites des propositions, ce soir, en ce qui concerne la famille. Est-ce qu'on peut en savoir un peu plus dès ce matin ?
- "Vous voulez toujours savoir avant que le temps vienne."
J.-L. Hess : Cela intéresse pas mal de familles quand même.
- "Naturellement."
J.-L. Hess : C'est aussi une des solutions du problème de l'insécurité.
- "Bien évidemment. Je vais à Lunéville, cet après-midi, pour parler de ces problèmes y compris parce qu'il y a des actions sur le terrain qui sont menées, là bas, et qui sont tout à fait positives. Je crois que dans cette campagne on ne doit pas parler simplement de grands problèmes. On doit aussi parler à la fois de grandes institutions ou de cellules de base de la société. C'est le cas de la famille. On ne peut pas dire simplement "sécurité", "chômage". On doit aussi parler "famille". On doit aussi parler "jeunes" et "jeunesse"."
J.-L. Hess : Culture aussi.
- "Absolument. Il faut donc partir du fait que la famille désormais est diverse. Moi, ce qui me frappe, c'est qu'aujourd'hui la famille est une institution ou une cellule de base de la société au fond mieux admise qu'il y a 20 ans. Il y a 20 ans, les discours dominants - au moins dans certains milieux - étaient plutôt une critique de la famille. Et puis on est passé par une phase historique pendant laquelle la famille a évolué. Il y a ce qu'on appelle maintenant les familles recomposées. Des gens qui ont divorcé, qui ont reconstruit et qui essayent pourtant de garder des liens entre eux ou en tout cas de garder des liens avec les enfants. On a une famille moins homogène, moins traditionnelle qu'elle ne l'était avant. On a aussi des familles monoparentales. Quand ces familles monoparentales sont, comme elles le sont souvent, des familles où c'est une femme qui est le chef de famille, dans des conditions parfois précaires sur le plan social, cela pose de très grands problèmes, y compris parfois des problèmes d'autorité. Il faut partir de cette diversité de la famille. Il faut accepter des évolutions nouvelles . C'est ce que nous avons fait avec le Pacs par exemple qui répond à une approche de la sexualité - j'espère que je dis le mot correctement cette fois-ci - différente pour un certain nombre de personnes. Et, en même temps, on constate que cela ne détruit, cela ne déstabilise pas la famille parce qu'on a eu un record des mariages et un record des naissances."
J.-L. Hees : Vos propositions ?
- "Si vous voulez, je les ferai à Luneville cet après-midi."
S. Paoli : Une question que je n'ai encore jamais entendu poser, qui est très importante, parce qu'elle concerne l'image de la France : la recherche. Pourquoi personne n'en parle ? Elle attire, apparemment de moins en moins des cerveaux et de l'intelligence dans notre pays. L'image de la France portée à l'extérieur est, semble-t-il - en tout cas à en lire certaines lettres de chercheurs qui nous parviennent ici - de moins en moins forte. Que comptez-vous faire pour la recherche française ?
- "La recherche est le moteur du progrès technique et de l'avenir. C'est certainement un secteur de la vie publique - qu'il s'agisse des laboratoires publics ou des laboratoires privés, par ailleurs - dans lequel nous devons agir avec le plus de force. Cela suppose d'accroître la part du revenu national qui va à la recherche. Cela suppose de diminuer les barrières qui existent entre l'université et les laboratoires. D'ailleurs, C. Allègre, dont vous parliez tout à l'heure, a fait à cet égard des réformes extrêmement profondes qui ont permis aux chercheurs universitaires par exemple de créer leur entreprise. Il a cassé un peu la situation des statuts, donc il a joué un rôle tout à fait positif. C. Allègre et D. Strauss-Kahn, ensemble, ont présenté au Parlement une loi sur l'innovation qui permet aussi d'aider les jeunes équipes de chercheurs ou les nouvelles entreprises dans les nouvelles technologies, que ce soit celles de l'information, que ce soit celles de la biologie, qui permettent de faire avancer les nouveaux problèmes, des nouvelles solutions. Il y a aussi, je pense, la nécessité de rassembler les forces à l'échelle de l'Europe. Donc, il y a toute une politique européenne de la recherche notamment pour financer les très grands équipements. C'est l'orientation que R.-G. Schwartzenberg, l'actuel ministre de la Recherche, défend dans l'Union européenne. C'est pourquoi nous nous battons par exemple pour le projet Galiléo qui est un projet qui permet de faire, à partir de l'espace, de la direction [sic] de l'ensemble des mobiles à l'échelle de la planète. Nous dépendons du système des Américains actuellement. Donc, nous avons besoin de créer un système européen qui nous permette de nous émanciper des Etats-Unis. Voilà encore un deuxième grand thème sur lequel nous nous battons. Il faut bien voir que la bataille de l'avenir se fera aussi sur la recherche. On a des choix budgétaires à faire, sur les problèmes du chômage, de la sécurité, de la recherche, mais enfin l'effort pour la recherche devra être accru dans le futur."
J.-L. Hees : Justement, est-ce qu'il y aura une grosse place pour la culture ? Il est peut-être trop tôt dans la campagne, mais aucun candidat, pour l'instant, ne s'est prononcé sur une politique culturelle et on lisait avec Stéphane récemment un sondage très intéressant publié par la revue "Beaux Arts". Plus de la moitié des Français - 60 % des Français interrogés - disaient : la culture fait partie de la sécurité. Cela veut dire que s'il y a un épanouissement culturel dans un pays comme la France, il y a moins d'insécurité. Vous en pensez quoi ?
- "J'ai été à plusieurs reprises dans les Maisons de la Culture, dans des théâtres - je pense à Créteil qui est une ville où il y a des programmations culturelles, qu'il s'agisse du théâtre, de la danse, du spectacle vivant, extrêmement intéressantes."
J.-L. Hees : Partenariat France Inter.
- "Très bien, j'en suis ravi, je ne le savais pas. Donc, c'est vraiment innocemment et non pas naïvement que j'ai dit cela. Et j'ai vu par exemple comment à travers la danse les enfants des quartiers à Créteil ont été absolument associés à un travail d'artiste qui, par ailleurs, est un travail d'artiste extrêmement exigeant. Donc, l'idée de marier la création, qui appartient à un homme, une femme ou à des groupes, l'exigence et en même temps cette aspiration à la danse, au mouvement, à la culture des plus jeunes dans les quartiers me paraît une très belle idée qui, pour moi, représente l'idéal de la conception de la culture. Disons, dans ce domaine, qu'on a quand même tenu nos engagements, puisque j'avais dit que je ferais passer le budget de la Culture à 1 %, et il est passé en cinq ans à 1 %. Donc, c'est pour moi, une dimension absolument essentiel. C'est d'ailleurs une dimension de l'identité de notre pays et de l'identité européenne. C'est bien pourquoi nous nous battons pour ce qu'on appelle "l'exception culturelle", à l'échelle internationale "la diversité culturelle". J'étais aux César du cinéma, il y a deux jours."
J.-L. Hees : On vous a vu.
- "C'était simplement pour dire que là aussi, cette exigence des créateurs, des producteurs, des metteurs en scène, des acteurs, des artistes, a été de dire : maintenez bien ces systèmes d'aides publiques à la création, les systèmes d'avances sur recettes qui fait qu'on peut encore produire des films français, qu'on peut aider à des coproductions. J'avais reçu à Matignon Youssef Chahine. Ce grand metteur en scène égyptien fait des films égyptiens parce qu'il est aidé finalement par la France et on pourrait dire cela des metteurs en scène iraniens ou d'autres. Donc, cette dimension pour moi est tout à fait essentielle. Là, vraiment, on rejoint l'homme privé et l'homme public : c'est que j'en ai besoin moi-même pour vivre. C'est pour cela que je vais au théâtre, à la danse, que je vais au cinéma."
J.-L. Hees : En dix secondes, monsieur Jospin : est-il normal qu'une radio comme Radio France ait à payer des droits pour la retransmission des matchs de foot ? Vous me direz que c'est un peu corporatiste comme question, mais cela nous intéresse.
- "C'est un problème assez vaste que je ne suis pas sûr qu'on va traiter, là, maintenant, dans l'instant."
J.-L. Hees : On attendra.
P. Le Marc : Comment voyez-vous l'évolution de la majorité plurielle - je relance un peu la question de J.-L. Hees. Est-ce que la présidentielle va créer de nouvelles dynamiques mais aussi de nouveaux équilibres ? Comment voyez-vous cette évolution ?
- "La présidentielle est faite pour proposer de grandes orientations aux Français, à la fois sur la place et le rôle de la France, et en même temps sur le projet collectif qu'on leur propose pour vivre ensemble. C'est pourquoi la campagne présidentielle doit se faire sur ces grandes orientations, sinon on ne voit pas très bien ce que le Premier ministre qui serait nommé par un Président élu après le 5 mai, aurait à faire lui-même. On ne voit pas ce qu'il mettrait dans sa déclaration de politique générale si le débat présidentiel était descendu dans le détail. On ne voit pas non plus ce que pourrait être la discussion des élections législatives. Je rappelle que juste derrière l'élection présidentielle, il y a des élections législatives. On va y discuter de programmes de gouvernement. Donc, il faut laisser ces temps distincts au débat et le débat de la présidentielle doit être, à mon avis, concentré sur de grandes orientations, sur la crédibilité de celles-ci, sur la capacité de rassembler des équipes d'hommes et de femmes qui sont prêts à travailler ensemble, qui parfois l'ont montré, qui sont animés par un esprit suffisant de fraternité pour pouvoir gouverner ensemble, et la force et la diversité de ces équipes est à mon avis un élément de choix, parce qu'il ne s'agit pas d'élire un homme seul - ou une femme - et en l'espèce, compte tenu de ce que sont les indications, plutôt un homme et en plus, on va avoir un quinquennat, donc une Assemblée nationale et un mandat présidentiel qui vont être de même durée. Donc, il faut élire à la tête du pays un ou une président de la République et puis ensuite avoir des équipes gouvernementales et une majorité qui puissent fonctionner ensemble. Donc, l'élection présidentielle au bout du compte va créer sa propre majorité. On en connaît les éléments pour ce qui me concerne, mais c'est la dynamique de la présidentielle qui permettra de créer cette majorité qui, elle, se constituera au Parlement à l'occasion des élections législatives, je le crois."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 mars 2002)
J.-L. Hees : Bonjour monsieur L. Jospin, je dis "L. Jospin", je ne dis pas "monsieur le Premier ministre", puisque c'est effectivement le candidat à la présidentielle qui est avec nous ce matin et je vous en remercie. Puis-je me permettre de vous demander ce qui ne va pas actuellement dans la maison Jospin ? On vous a vu très souriant à la télévision dimanche soir, on vous a vu très décontracté - en tout cas les observateurs l'ont noté -, on a senti qu'il y avait quelques références personnelles. Est-ce simplement parce que c'est le parcours obligé du candidat qui doit essayer de réunir le plus grand nombre possible de suffrages ou est-ce les bonnes nouvelles des sondeurs qui vous parviennent et qui aujourd'hui sont bonnes ; ou bien est-ce simplement que l'armure - comme on disait il y sept ans en parlant de vous - est vraiment en train de se fendre et parce que c'est le moment, et parce qu'il y a un moment privilégié, une relation privilégiée avec les Français à 55 jours de l'élection ?
- "Peut-être peut-on parfois me trouver réservé mais je n'ai pas d'armure, donc il n'y a rien à fendre. Cela fait des années que je gouverne, maintenant cinq ans, mais cela fait aussi des années que je me présente devant les Français tel que je suis, avec mes idées, sans faux semblant. Je considère dans cette élection que c'est une chance que d'aller à nouveau à cette rencontre avec les Français, d'avoir ce débat. Nous devons le conduire sur de très grandes orientations, sur les grands choix qui sont devant nous. Je le fais avec l'énergie suffisante et la sérénité qui convient. Donc, pour moi, le moment qui s'ouvre est un moment de liberté de rencontre et je ne vois pas pourquoi cela devrait créer chez moi une tension particulière."
J.-L. Hees : Non, justement, c'est un plaisir - ou alors je me trompe ainsi qu'un certain nombre de gens - mais on sent qu'il y a un plaisir, une décontraction qu'il n'y avait peut-être pas avant dans l'exercice du Premier ministre.
- "Diriger le Gouvernement, c'est une contrainte forte, les problèmes sont là tous les jours ; il faut décider, il faut arbitrer, il faut aussi conduire une équipe, veiller à son harmonie. Des catastrophes se présentent - on a vu les catastrophes de décembre, les inondations qui frappent d'ailleurs encore un certain nombre de nos concitoyens ces jours-ci dans le Nord. Ce n'est pas un poste d'action dans lequel on peut peut-être se livrer autant qu'une campagne permet de le faire. Une campagne, c'est au fond un moment de liberté entre des temps de responsabilité. Enfin, quand il vous en est confié à l'issue de la campagne."
S. Paoli : Est-ce difficile pour un homme politique de sacrifier à l'affect quand on est à la gestion des affaires quotidiennes, tout à coup on voit un candidat parler de sa passion, un autre parler de son désir. Faut-il dire aux Français, dans ces moments-là, qu'on les aime ? Est-ce quelque chose d'important ? Et d'ailleurs, est-ce difficile à faire ?
- "Si l'affect devait être un sacrifice, ça ne vaudrait vraiment pas la peine."
S. Paoli : Est-ce difficile de parler ainsi, de sortir un peu du cadre habituel, au fond ?
- " Il faut arriver à réconcilier ou à concilier dans un message public qui s'adresse à des millions de gens potentiellement ou à des centaines de milliers de gens, parfois simplement à des milliers lorsque l'on est dans un contact physique lors d'un meeting, d'une rencontre, il faut arriver à réconcilier l'homme qu'on est et le responsable public. C'est donc un exercice difficile parce qu'il oblige à sortir un peu de soi-même, il oblige à bousculer sa pudeur quand on en a. Mais comment ne pas le faire si l'on veut convaincre ? Moi, je vais dans cette campagne pour convaincre, pour convaincre que je peux proposer, avec tous ceux qui m'entourent. Je crois qu'une partie de la force que je ressens en moi vient du fait que je ne suis pas seul, je suis entouré, je l'ai été en gouvernant mais je peux l'être encore dans l'avenir. Donc, à partir de là, je pense que je peux proposer au pays des orientations, je peux aussi présenter une conception de la présidence, une façon d'être dans cette responsabilité qui valent la peine, à mon avis, d'être suivies. Donc à la fois un rôle pour la France, en même temps une façon de vivre ensemble pour les Français, un destin collectif ; c'est ce qui doit me guider dans cette campagne et c'est ce que je vais essayer d'exprimer. Et parfois, il faut un peu sortir de soi-même."
P. Le Marc : Les sondages montrent une opinion qui n'aura jamais été aussi indécise. Elle exprime à la fois beaucoup de scepticisme, le sentiment d'avoir à faire à une offre indistincte, qui ne correspond pas à un vrai clivage. Elle exprime aussi une certaine irritation à l'égard de la domination que vous exercer avec J. Chirac sur la politique et sur cette élection. Que répondez-vous à cette France qui reste à distance de la présidentielle et de ses enjeux ?
- "Le scepticisme, je le comprends. La campagne doit être faite pour le lever en partie ; nous ne le ferons pas totalement, un certain nombre de nos concitoyens ne s'affirmeront pas comme des citoyens dans cette campagne, n'iront pas voter mais notre rôle est de faire reculer ce scepticisme. Il y a beaucoup de choses, la crise, le chômage, le rapport des politiques au pouvoir parfois, un certain nombre d'autres questions qui ont pu conduire à ce scepticisme. A nous et à moi en tant que candidat de le faire reculer. Le caractère indistinct des propositions, ça je n'y crois pas. C'est un classique de début de campagne et je pense, en réalité, que si on ne se réfère pas à de grands noms de constructions idéologiques mais on prend les grands projets - quand on parle de retraite, des 35 heures, des visions culturelles - je pense qu'il y a des différences extrêmement importantes, de même pour la politique sociale."
P. Le Marc : Elles ne sont pas perçues...
- "...ça, c'est le travail de la campagne. Nous sommes au début de la campagne mais si nous en parlons ce matin en prenant un de ces dossiers, je pourrais vous montrer très clairement en quoi, sans qu'il y ait un abîme, sans qu'il s'agisse de conceptions du monde totalement opposées, en fait les visions sont différentes, par exemple sur les retraites où notre position est une position qui permet de confirmer et de renforcer les régimes de répartitions. L'élément - si j'ose dire - original des propositions de J. Chirac, c'est la capitalisation, ce sont les fonds de pension. On peut développer si vous voulez. La domination - mais les Français ne peuvent pas, d'une certaine façon, nous reprocher les indications qu'ils donnent eux-mêmes -, donc, ça, c'est le rapport de force, c'est l'influence des formations politiques et de toute façon le débat est libre."
J.-L. Hees : J'entendais hier soir vos partenaires de la gauche plurielle sur France Télévision : eux sont crispés parce qu'ils disent que l'on a confisqué le premier tour de l'élection. C'est vrai que c'est lié à votre stature, la vôtre et celle de J. Chirac. Mais que dites-vous à ces gens qui sont frustrés du débat ? Est-ce que c'est comme ça à chaque présidentielle - pas forcément ?
- "Pendant un temps quelques uns se sont plaints que nous ne soyons pas entrés en campagne, maintenant, c'est fait. Le motif de cette plainte doit cesser et maintenant, que chacun débatte."
S. Paoli : N'est-il pas dommage que les Français aient parfois le sentiment qu'il y a plus de stratégie que de projets ? Quel est le premier des deux qui va démarrer ? Quand va-t-il donner son axe de campagne et pourquoi il attend aussi longtemps...
- "Quand peut-être vous cesserez de m'interroger comme vous le faites depuis cinq ou six minutes sur la stratégie..."
S. Paoli : ...mais c'est important de comprendre !
- "Oui, je vais vous aider à comprendre, enfin, je vais essayer. Quand vous cesserez de me poser ces questions sur ma psychologie, sur mon état d'esprit et que vous m'interrogerez concrètement sur un grand projet, une grande approche, si on parle de l'Europe par exemple, peut-être qu'on rentrera dans le débat du projet. Alors allons-y !"
S. Paoli : Mais c'est bien de comprendre l'homme aussi !
- "Je vous attends. Vous regrettez le projet, je dis "parlons-en, posez moi des questions sur le fond" et vous me parlez de l'homme..."
S. Paoli : On va y venir, on a jusqu'à neuf heures !
- "L'homme et le projet sont ensemble en tout cas.
J.-L. Hees : Un petit sursis, après on entre directement - je vous le promets - dans le programme et dans les idées. Mais tout de même : il y a une motivation quand on veut être président de la République et on a le sentiment - parce que de temps en temps vous avez la dent dure avec l'actuel président de la République, parfois il y a de l'ironie et du sourire mais parfois on sent que cela va vraiment très loin, le RPR vous le reproche beaucoup -, est-ce une des motivations fortes d'un candidat que de se dire "la France, c'est la France, j'aime, tout le monde aime la France, tous les candidats mais je ne veux pas laisser la France à cet homme-là, ou à ce projet là." Est-ce que c'est une motivation très forte ? Je suis sûr que les Français aimeraient le savoir.
- "Je l'ai déjà dit, je le redis : J. Chirac a été Président pendant sept ans, on sait comment il a été élu, sur quel discours, sur quelles promesses, on sait comment il a agi pendant deux ans. On a vu ce qu'était la présidence pendant cinq ans, pendant que nous gouvernions. Je pense très profondément qu'il a exercé ses pouvoirs pendant sept ans et je ne crois pas qu'il soit souhaitable pour notre pays que J. Chirac soit à nouveau président de la République pendant cinq ans. Donc si c'est ça votre question, j'y réponds très tranquillement, très simplement."
J. -L. Hees : Je vous en remercie.
P. Le Marc : Rentrons dans le projet : dans le livre que vous publiez, "Le Temps de répondre", vous dites que la France est un pays moderne qui garde des traits archaïques. Quels sont ces archaïsmes qu'il faut changer, qu'il faut bousculer, est-ce que la gauche n'est pas, par ses comportements, parfois une belle conservatrice de ces archaïsmes ? Est-ce que vous sentez à gauche une vraie volonté d'avancer vers la modernité ?
- "Oui mais je l'ai dit : cette modernité doit être partagée. C'est là toute la difficulté des choix que nous devons faire. Nous devons faire en sorte que notre pays s'inscrive dans le courant de la modernité, y compris dans les nouveaux flux mondiaux. Mais il ne doit, en même temps, y disparaître et c'est un peu cet équilibre d'une France qui prend sa place dans l'évolution du monde, qui ne se crispe pas sur elle-même, qui ne se renferme pas - ce qui serait d'ailleurs impossible au plan européen et même au plan mondial - et qui, en même temps, continuer à affirmer une personnalité, une originalité et a quelque chose à dire au monde, sans prétention."
P. Le Marc : Quels sont ces archaïsmes ?
- "Je crois qu'il y a dans notre pays des traits individualistes, ils sont classiques, c'est une description classique des Français. Mais ils se trouvent peut-être un peu renforcés au cours des dernières années peut-être parce que c'est un réflexe de défense devant les conséquences de la crise, par un certain corporatisme. Je crois qu'il faut que nous arrivions ensemble, par le dialogue, à réduire ce corporatisme, c'est-à-dire une conception des choses dans lesquelles des individus mais regroupés ensemble par leur profession, par leur statut, par leur protection, parfois aussi par leurs craintes, se disent qu'ils essaient de prendre leur part du revenu national, des fonds de l'Etat, sans se préoccuper trop du destin collectif ou de la part que les autres peuvent y prendre aussi. C'est bien sûr de la responsabilité de l'Etat que d'être l'arbitre, que d'aiguiller les choses, que de veiller à cette répartition..."
P. Le Marc : ...et d'offrir une vision.
- "...et d'offrir une vision. Ce corporatisme est à mes yeux un certain trait d'archaïsme dans un monde qui est devenu extraordinairement mobile. On doit se regrouper autour de valeurs, on doit défendre aussi des revendications mais on ne doit pas se crisper trop sur des statuts."
S. Paoli : Est-ce que la modernité, c'est aussi un peu sortir des clivages ? Vous disiez, il y a quelques jours, que vous ne présentiez pas un programme socialiste ; est-ce que pour vous, gouverner différemment, c'est sortir de ce découpage dans lequel la politique française a été longtemps inscrite, entre la droite et la gauche ?
- "J'ai clarifié cette phrase puisqu'elle semblait devoir l'être, en disant que, de même qu'il ne me semblait pas que R. Hue proposait le communisme aux Français, même s'il est communiste, de même, ne proposais-je pas le socialisme aux Français. Je suis socialiste, donc mes valeurs sont des valeurs de la gauche et je propose des orientations dans lesquelles, je pense, les Français peuvent vivre ensemble. A la fois ceux qui sont le plus à l'aise dans la société aujourd'hui, qui épousent cette modernité sans problème et ceux aussi qui ont des difficultés. Et c'est cette conciliation qui évite deux France l'une contre l'autre, qui est au coeur des propositions que je fais. Ensuite, le socialisme reste pour moi une référence au sens où il signifie "justice sociale", au sens où il signifie "désir du progrès scientifique, technique", au sens où il signifie "harmonie", tentative d'avoir une harmonie dans la société, dans le sens où il signifie "goût de l'intérêt général, du service public". Je peux donc structurer autour de grandes valeurs, de grands principes, cette inspiration socialiste, mais je ne propose pas, effectivement, dans une présidentielle, à l'ensemble des Français, et au moins à la majorité que je souhaite dégager autour de mes propositions, un programme socialiste au sens strict."
P. Le Marc : L'ouverture au centre reste tabou pour vous, homme de gauche ?
- "Mais dans une présidentielle, c'est par définition, en tout cas au deuxième tour, ce n'est pas l'ouverture au centre qui se fait. Vous avez deux candidats, vous avez une bipolarisation et on se rassemble sur l'homme, la femme, les propositions, la crédibilité aussi du propos que les Français préfèrent. Donc, le centre c'est une référence un peu littéraire."
J.-L. Hees : Pourra-t-on revenir sur cette question à la sortie du journal de 8 heures parce que ça nous intéresse encore ?
- "Oui."
S. Paoli : On reviendra aussi sur le programme et le contenu.
Deuxième partie - 8h15
S. Paoli : Suite du petit-déjeuner de France Inter en compagnie du candidat L. Jospin, encore que cette question s'adresse plutôt au Premier ministre. Nous entendions à l'instant, pendant le journal, que les combats se poursuivent en Afghanistan avec des avions français. Quand le président Bush dit que la guerre continue, que dites-vous ?
- "Il est clair qu'il y a encore des forces d'Al-Qaida qui sont rassemblées, sans doute d'ailleurs de façon assez puissante, au sud-est de Kaboul. Une grande opération a été engagée, une opération dite Anaconda, pour réduire ces forces qui pourraient présenter une menace pour l'équilibre que nous cherchons à restaurer en Afghanistan, avec les Afghans. Et nos forces participent à ces opérations en ce moment - il y a encore quelques dizaines de minutes avant de venir ici, j'en avais la confirmation - à la fois nos Super-Etendard embarqués sur le porte-avions et puis les Mirage 2000 qui viennent du Khirzikistan. Donc, nous prenons notre part de cette offensive ; il faut que les forces qui subsistent de ce réseau terroriste soient effectivement brisées. Sur ce plan, notre détermination est totale."
S. Paoli : Est-ce qu'on peut poursuivre dans cette pause de nos affaires franco-françaises de la campagne électorale ? Il y a le Proche-Orient aussi, où il se passe toujours des choses abominables. Quelle serait l'attitude du Président Jospin ? Ce problème est récurrent depuis des années et des années. Quelle serait l'attitude du Président Jospin face à ce genre de problème ? Quelle serait l'attitude de la France et qu'est-ce que vous essayeriez de faire avec la Communauté européenne ?
- "La seule solution est de proposer une issue politique. C'est ainsi qu'on avait ramené la paix et l'espoir au Proche-Orient. Et si on s'en éloigne, c'est l'engrenage de la violence, c'est l'engrenage de la vengeance. On venge les morts d'un côté, on venge les morts de l'autre. Il y a des attentats qui tuent des civils ou des militaires, il y a des répliques extrêmement violentes qui tuent également des civils ou des combattants. Il y a actuellement la politique de Sharon qui en est pour bonne part responsable parce qu'elle a coupé la perspective politique, un désespoir chez les Palestiniens qui sont dans une situation terrible et cela déclenche, à partir de là, des réactions extrêmement violentes. Mais les hommes, et parfois même les femmes, qui commettent ces attentats-suicide, qui évidemment nous révoltent, par leurs conséquences d'une certaine façon s'appliquent à eux-mêmes la mort d'ailleurs puisqu'ils meurent avec leurs bombes. Donc, il y a cette situation de désespoir absolu pour les Palestiniens, y compris ceux qui ne participent pas à ces mouvements violents, à ces attentats-suicide, mais qui vivent dans des conditions absolument désespérées aujourd'hui. La société palestinienne est en train de se déstructurer ; plus personne ne contrôle plus rien. Arafat est lui-même enfermé, donc il ne peut pas exercer une autorité. Donc, je ne vois de solution que - et S. Perès paraît être sur cette orientation - dans la recherche d'une solution politique à nouveau. Il y a ce plan Abou Allah-S. Perès ; il y a la nécessité d'un cessez-le-feu mais il faut que, du côté israélien, du gouvernement israélien qui, vous l'avez rappelé tout à l'heure, est composite, il faut ré-offrir une possibilité politique, une discussion politique. C'est la seule solution."
J.-L. Hees : Et l'Europe ?
- "C'est la France qui pense cela. Donc, la France qui pense cela continuera à l'exprimer et cela le serait aussi si j'étais en responsabilité de le faire. L'Europe partage, au fond maintenant, le même point de vue, même s'il peut y avoir des nuances dans la façon d'oser l'affirmer. Et puis, il faut que les Américains se réengagent : Clinton avait joué un rôle utile, Bush est en retrait ; donc, il y a un vide. Il faut que l'Europe et les Etats-Unis dialoguent avec le gouvernement israélien bien sûr mais aussi avec les Palestiniens, disent : "Ne continuez pas dans cette impasse". En tout cas, la politique conduite actuellement est à l'évidence un échec parce qu'elle ferme l'espoir et elle n'assure même pas la sécurité aux Israéliens. Je voulais dire d'ailleurs que cette prise de conscience existe dans la société israélienne elle-même. Mais, en même temps, lorsque la population est victime de tels attentats, on comprend aussi qu'elle se soude. Donc, il y a un engrenage qu'il faut absolument couper."
J.-L. Hees : Pourquoi si peu d'Europe dans cette campagne ? 66 % des Français le regrettent, disent qu'ils aimeraient qu'il y ait un peu plus d'Europe. Et quand P. Moscovici, la semaine dernière, parlait des Etats-Unis d'Europe, est-ce que vous iriez jusqu'à reprendre cette formule ?
- "Je trouve que les Etats-Unis sont déjà suffisamment présents dans le monde pour qu'on ne soit pas en plus obligés de les mettre dans l'Europe. Mais une fédération d'Etats-nation, des nations et des Etats qui s'unissent dans l'Union européenne, oui sûrement. Nous avons réussi le défi de l'euro : on se plaint toujours de l'Europe, on se plaint toujours qu'elle ne fait pas assez. Elle vient de se doter d'une monnaie unique pour douze pays en tout cas, parmi les Quinze, et elle vient de le faire avec une grande réussite technique, avec une adhésion des peuples, particulièrement en France. Ça, c'est quand même un acte concret et c'est une réussite. Nous avons deux défis devant nous. Nous avons le défi de l'élargissement : l'Europe comporte quinze membres, elle va s'ouvrir aux pays provenant, pour l'essentiel, de l'ancienne Europe de l'Est et le fait de passer à vingt, à vingt-cinq ou à trente, va évidemment poser des problèmes de gouvernance de l'Europe - c'est plus difficile de décider à trente que de décider à quinze - et puis, cela pourrait, si l'on n'y prenait pas garde, changer un peu le contenu de l'Europe. Donc, dans ces discussions sur l'élargissement, la France doit veiller à la défense de ses intérêts nationaux - moi, j'y serai particulièrement vigilant ; je pense en particulier au dossier agricole - mais elle doit aussi veiller à ce que l'élargissement de l'Europe ne transforme pas son modèle et son contenu, en particulier qu'elle ne se dissolve pas en une zone de libre-échange. Donc, l'affirmation du modèle européen, d'une Europe qui existe sur la scène mondiale, qui a des choses à dire, qui a un modèle économique et social particulier, qui est fait d'un certain équilibre, est quelque chose d'absolument essentiel. Le deuxième grand défi qui est devant l'Union européenne, c'est le défi de la réforme de ses institutions, de son fonctionnement ; c'est cette fameuse Convention, dont le président Giscard d'Estaing assume justement la présidence, et P. Moscovici représente le gouvernement français et la France même - puisque M. Giscard d'Estaing est le président. Là aussi, j'ai déjà fait des propositions concrètes et j'espère que la campagne me permettra d'en faire de nouvelles."
P. Le Marc : Venons-en aux problèmes intérieurs et au plus obsédant d'entre eux ! A Mantes-la-Jolie hier, J. Chirac a durci le ton, dénonçant la culture de permissivité et de laxisme de la gauche. Est-ce qu'il y a une sorte de fatalité devant la violence ? Votre commentaire.
- "Si vous avez lu mon livre, vous avez vu que je parle de 1968, que je dis qu'en 1968 - j'étais évidemment plus jeune que maintenant - j'étais fonctionnaire au Quai d'Orsay et donc, je n'ai pas participé aux événements mais, en tout cas, une certaine libération des rapports entre les gens m'avait séduit dans ce mouvement, indépendamment des questions sociales qu'il posait. Mais, il y avait en tout cas une dérive que, dès ce moment-là, je n'avais absolument pas, moi, pris à mon compte : c'est cette dérive de la permissivité - Il est interdit d'interdire -, du laxisme, par exemple sur le plan éducatif. Et il se trouve qu'après les événements de 1968, un an après, j'ai quitté les Affaires étrangères pour être plus libre comme citoyen, pour m'engager - ce que j'ai fait après dans le Parti socialiste - et que j'ai été enseignant pendant onze ans dans un IUT. Donc, j'avais de bons étudiants, se destinant à des carrières professionnelles dans les entreprises. Je n'avais pas spécialement - j'avais de très bons rapports avec les étudiants - la réputation d'être laxiste. Je n'ai jamais été sur cette ligne personnellement. Je pense qu'on a besoin de règles, pas d'autoritarisme, pas des conceptions étroitement hiérarchiques - la société a évolué, il faut convaincre -, mais des règles, des repères, une autorité. Je n'ai jamais vécu cela dans ma vie professionnelle et comme responsable politique, même avant que je devienne chef du Gouvernement, j'ai toujours insisté, au contraire, sur cette nécessité d'une autorité bien comprise mais affirmée. Et j'ai toujours considéré que l'insécurité était une injustice supplémentaire, qui frappait d'ailleurs le plus souvent les milieux les plus défavorisés. Parce que quand une voiture brûle dans les quartiers, ce sont les voitures des gens qui vivent dans ces mêmes quartiers. Donc, dès le début, avec J.-P. Chevènement - une façon de dire un mot à propos de G. Sarre qui m'interpellait tout à l'heure ..."
P. Le Marc : Vous ne regrettez pas les arbitrages que vous avez rendus à ce moment-là qui étaient plutôt en faveur du Garde des Sceaux que du ministre de l'Intérieur ?
- "Quand nous avons augmenté les moyens de la police - mais aussi les moyens de la justice d'ailleurs parce que la chaîne pénale veut que les policiers agissent sous l'autorité des juges et si vous n'avez pas suffisamment de juges pour conduire les enquêtes policières, vous avez moins d'enquêtes policières ; moi, je n'oppose pas la police et la justice. Nous avons augmenté le nombre des magistrats d'un millier environ - ce qui est sans précédent - nous avons augmenté le nombre des policiers, nous avons en plus adjoint des adjoints de sécurité pour augmenter la présence sur le terrain. Et quand nous avons pris des décisions, les premières de ce type, quand nous avons commencé à comprendre qu'il y avait un problème particulier de la délinquance des mineurs, de certains mineurs, nous avons créé ces centres d'éducation renforcée, ces centres de placement immédiat. C'étaient les premières structures particulières pour les jeunes en difficulté, en risque de délinquance ou même en délinquance. Nous avons abordé cette démarche. Il faut aller plus loin. On se pose aujourd'hui - et je propose d'ailleurs l'idée de centres qui soient peut-être plus totalement fermés - encore que ces centres dont je viens de parler soient évidemment surveillés. Nous avons amorcé cette démarche et nous l'avons fait avec J.-P. Chevènement. En règle générale, je pense que J.-P. Chevènement - d'ailleurs il n'a pas proposé de partir à ce moment-là - n'a pas eu à se plaindre des arbitrages que j'ai rendus."
J.-L. Hees : Chacun des candidats va apporter ou proposer ses solutions en ce qui concerne l'insécurité et la délinquance. Mais sur le fond, sur ce côté désespérant d'avoir des enfants dans la rue, d'avoir des jeunes qui brûlent [des voitures] - il y a cette énorme violence : qu'est-ce que vous en pensez, vous L. Jospin ? Ça ne va pas simplement être un problème de répression ou même d'éducation dans les prochaines années. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
"Ça m'inspire que chacun doit, dans la société, assumer ses responsabilités. On parle d'impunité zéro, il faut alors qu'il n'y ait aucune impunité pour personne. Là, le principe est clair : du haut jusqu'en bas. L'Etat a la responsabilité essentielle en ce qui concerne la sécurité ; il doit assumer. Ça passe par des moyens, ça passe par des politiques pénales ; j'ai entendu le candidat J. Chirac dire hier qu'il n'y avait plus de politique pénale, je peux vous indiquer les circulaires de politique pénale, précises, qui ont été envoyées aux magistrats et donc, à travers eux, aux policiers : une circulaire de politique pénale contre le proxénétisme, une circulaire sur la réponse aux violences commises sur les policiers et les gendarmes, une circulaire sur la lutte contre les discriminations raciales, une circulaire sur la lutte contre les trafics et l'économie souterraine, une circulaire sur l'action publique et la sécurité. Donc, il y a bien une politique pénale qui est indiquée. L'Etat doit assumer ses responsabilités, donner les moyens, trouver des structures nouvelles pour encadrer les jeunes, affirmer le principe que tout acte délictueux doit trouver sa sanction, faire que les sanctions soient prises aussi vite que possible, adaptées aux cas des délinquants ou des premières incivilités. Mais cette question doit être aussi assumée par l'ensemble de la société. Par les corps de l'Etat d'abord : c'est pourquoi nous avons refusé la politique municipale qui nous était proposée par la droite. Pendant toutes ces années, elle nous a dit : "il faut renoncer à la responsabilité de l'Etat - donc, je ne comprends pas, là, l'argument sur l'insécurité - et donner le pouvoir de police aux communes". Ils ont abandonné cette position. Alors, il faut aussi que les organismes HLM, les élus - d'où les contrats locaux de sécurité - mais aussi les parents assument leurs responsabilités. Quand ils ne le peuvent pas assez, il faut les aider. Il y a effectivement des familles déstructurées. Ça doit être un combat de tous, où la responsabilité essentielle est assumée par l'Etat mais où les autres acteurs de la société se considèrent comme responsables de ce retour aux règles, de ce retour à une forme de discipline collective et de l'acceptation de la sanction."
Troisième partie - 8h45
S. Paoli : Seriez-vous un faux naïf ? Quand on a passé autant d'années à Matignon à gérer les affaires de la France, est-ce qu'on peut même être naïf ?
J.-L. Hess : Et si vous pouviez définir la naïveté ?
- "En l'espèce, j'aurais pu aussi bien dire optimiste. J'avais pêcher par optimisme en pensant que les résultats forts obtenus contre le chômage permettraient, effectivement, de contribuer à un apaisement dans un certain nombre de quartiers notamment sur le terrain de la violence. C'est le choix d'un mot; tant mieux s'il a plu ou tant pis si certains, du coup, m'en font reproche. Je crois qu'il faut garder une ressource d'optimisme, il faut croire, en tout cas, quand on est comme moi un homme de gauche, à une certaine possibilité de changer l'état des choses. Il ne faut pas se résigner. C'est un fondement d'optimisme. Parfois, la réalité peut vous rappeler qu'on peut pêcher par une certaine naïveté; en tout cas cela concernait le rapport un peu trop mécanique sans doute dans mon esprit, que j'instaurais entre la baisse du chômage et une possible baisse de la délinquance. Cela n'a pas du tout concerné le problème de la délinquance en général qui a été, dès l'entrée de mon gouvernement, une priorité de ce gouvernement après l'emploi. Il sera certainement dans une autre phase si les responsabilités nous étaient confiées : une priorité absolument essentielle même si la priorité à l'emploi doit être poursuivie. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'avoir encore plus de 2 millions de chômeurs en France."
J.-L. Hess : On parle programme et je voudrais qu'on fixe le cadre sur cette notion de compromis politique. Une élection présidentielle est un compromis entre différents vecteurs, différentes familles politiques. Il y a des gens qui vous posent des problèmes à droite et puis il y en a à gauche aussi. Est-ce que les électeurs de gauche, ceux qui ont voté déjà pour L. Jospin pour qu'il devienne Premier ministre vont s'y retrouver dans le projet que vous allez leur présenter dans les semaines qui viennent ? Il y a des gens qui s'interrogent sur la qualité du candidat Jospin sur le plan des idées de gauche ?
- "C'est un peu général ce que vous me dites. Si vous me posez une question précise sur un sujet donné, je pourrais vous répondre."
S. Paoli : Alors les retraites. Capitalisation, répartition, fonds de pension, épargne salariale ? Est-ce que tout cela, c'est la même chose d'abord ?
- "Ce n'est absolument pas la même chose. Pour nous, l'essentiel est le contrat de génération, ce sont les actifs qui, par leurs cotisations, assurent les retraites des inactifs et qui les règlent. C'est un exercice de solidarité nationale. Cela va impliquer des mesures puisque la démographie - le nombre de personnes âgées par rapport aux actifs qui est une résultante de l'espérance de vie plus longue et est un phénomène positif - peut déséquilibrer le système. Pas tout de suite. Il n'y a pas de problème pour les retraites. Personne ne dit que les retraites actuelles des Français ne vont pas être versées. La question se pose à 20 ans environ. Naturellement, comme ce sont des phénomènes lourds, il faut le préparer dès maintenant. Le diagnostic a été fait très nettement avec les organisations syndicales, avec les organisations patronales qui contribuent avec l'Etat qui finance les retraites des fonctionnaires, à l'équilibre de ce système. C'est pourquoi, j'ai dit que le premier dossier de négociation sociale entre les partenaires sociaux et l'Etat, au lendemain des élections présidentielles et législatives, serait ce dossier de la retraite. Tous les éléments sont sur la table. Il faut maintenant discuter, négocier et puis le Gouvernement fera ses propositions le moment venu. Nous restons sur un système de répartition. Le fait que J. Chirac propose de revenir aux fonds de pensions mais à des fonds de pensions individuels, c'est-à-dire à des assurances privées que souscrit pour compléter sa retraite chaque Français, introduit bien évidemment une rupture dans le système de la répartition parce que cela introduit une inégalité individuelle des revenus ou des patrimoines. Assurer sa propre retraite. Nous nous restons fondés sur un système de répartition. Et ce que nous y ajoutons, à travers les fonds salariaux, les fonds d'épargne salariaux, c'est quelque chose de très différent. Ce n'est pas l'indifférence individuelle qui joue entre les revenus des Français, c'est le fait qu'on pense qu'une partie de l'épargne collective dans les entreprises peut aller au financement de retraites complémentaires. Il s'agit, là, de quelque chose de collectif, il s'agit, là, de quelque chose qui est négocié par les syndicats. Et il s'agit, là, de systèmes qui seraient mis en place sous le contrôle des représentants des salariés. Cela offre les garanties tout en complétant le système de répartition. Il va falloir poser les problèmes. Mon objectif essentiel sur la retraite est de maintenir le niveau des retraites. C'est ça l'objectif que je fixe pour la période qui vient. Pour maintenir ce niveau, il faudra peut-être accepter de faire des efforts plus grands sur d'autres choses : la durée des cotisations, des éléments de ce genre. Mais l'essentiel est que le niveau des retraites soit assuré et soit maintenu. C'est ça l'objectif central que je fixe à la négociation qui aurait lieu au lendemain des élections"
P. Le Marc : Que répondez-vous à M. Blondel qui vous dit " détrompez-vous, l'état d'esprit des syndicats n'a pas changé" et que ferez-vous si la négociation est une impasse ? Est-ce que le Gouvernement, vous même, vous prendrez vos responsabilités pour demander aux Français de trancher ?
- "Si cela était nécessaire, oui absolument. Nouons les termes de la négociation. On ne peut pas nous demander à la fois de régler le problème des retraites et de dire que le problème n'existe pas. Sur ce point, j'ai une nuance - c'est le moins que l'on puisse dire - avec M. Blondel. Ce sont des positions avant la discussion."
P. Le Marc : Vous en appelleriez aux Français, si cela était nécessaire ?
- "Je suis convaincu que l'on peut dégager avec les représentants des organisations professionnelles et des syndicats, et l'Etat, en prenant à la fois le système dans sa globalité et dans sa diversité - parce qu'il y a des système de retraites différents et je ne propose pas d'uniformiser tout - les termes d'une solution de compromis. En tout cas, c'est celle qui sera proposée. Effectivement, si cela était nécessaire, les Français auraient à trancher. De toute façon, certaines décisions, après ces négociations, auront certainement à passer par la loi."
S. Paoli : A travers cette question de l'épargne salariale, y-a-t-il pour vous une voie politique intéressante en matière d'économie ? Quand par exemple N. Notat dit : "ce capitalisme syndical est peut-être un moyen de réguler l'économie mondiale", est-ce qu'il y a, là, pour vous, un espace de réflexions intéressant ?
- "On ne voit pas pourquoi dans la réalité de l'entreprise, en particulier des grandes entreprises, les salariés ne devraient ne représenter que le salaire en quelque sorte. Et comme on est dans une société où le capital joue un rôle absolument essentiel dans les entreprises, il est assez normal qu'on puisse penser que les salariés et leurs représentants, s'il le souhaitent, aient leur part aussi de cette épargne salariale qui peut représenter du capital. Quand nous avons, par exemple, ouvert le capital d'un certain nombre d'entreprises du public, c'est passé par une distribution d'actions en direction des salariés. Je pense, par exemple, à France Télécom. C'est un exemple parmi d'autres, de façon à ce que les salariés eux-mêmes, qui sont une force essentielle de l'entreprise, puissent avoir une certaine part de ce capital. A condition, bien sûr, que ce soit eux qui le maîtrisent. Ce qui peut d'ailleurs impliquer que les représentants des salariés prennent une part plus active aux décisions des entreprises, aux décisions d'investissements, aux décisions de localisation par exemple. Ce sont des propositions que je fais dans cette campagne."
J.-L. Hess : On peut parler fiscalité et je vais essayer d'être moins général et plus précis. Il y a deux propositions de deux candidats, en l'occurrence MM Chirac et Madelin. Quel est votre commentaire sur 33 % d'impôts de moins sur 5 ans ? Vous trouvez cela sexy pour le contribuable ou miraculeux ? Possible ou irréaliste ?
- "Sexy et miraculeux : on n'est pas dans les termes du réalisme le plus cru. Cru est le mot qui convient; le problème, je crois, de J. Chirac - un des problèmes fondamentaux de J. Chirac - c'est la crédibilité de ce qu'il avance compte tenu de ce qu'il a fait en 1995 dans la campagne et puis de ce qu'il a effectivement appliqué ou chargé M. Juppé d'appliquer entre 1995 et 1997. Je crois que dans cette campagne, J. Chirac a deux problèmes. Il a un problème de crédibilité indiscutable. On le voit à chaque fois qu'il fait des propositions surtout quand elles sont mirobolantes. Et puis il a un problème d'identité aussi. Au fond qui est J. Chirac ? Quelles sont vraiment ses convictions ? Quelle est sa politique ?"
J.-L. Hess : Vous avez une idée ?
- "Je réponds sur les questions précises. Sur la fiscalité : dans les propositions de J. Chirac, 50 % des Français ne sont pas concernés. Les 50 % des Français qui ne payent pas d'impôts ne sont pas concernés par les baisses d'impôts. Quand nous avons proposé et puis fait voter la prime pour l'emploi, nous avons, au contraire, pris en compte avec des baisses du revenu pour ceux qui payent des impôts, de l'impôt sur le revenu. Nous avons aussi pris en compte ces salariés, ces personnes qui ne sont pas forcément des salariés dont les revenus sont plus faibles et se situent au Smic ou un peu au-dessus du Smic et, à qui, par la prime pour l'emploi, nous avons redonné de l'argent. Ce qui a aidé d'ailleurs la consommation française face à la crise et a permis que cette crise soit plutôt moins forte en France que dans d'autres pays. Il ne faut pas oublier ces autres 50 % qui gagnent le moins en France. Ensuite il faut voir que dans les promesses de J. Chirac, ce qui est à peu près sûr c'est ce qui va vers les entreprises. Je ne suis pas contre les baisses de charges pour les entreprises - nous en avons fait pour la baisse des 35 heures - mais à condition qu'il y ait des contreparties. Là, ce sont des propositions de baisses de charges sans contrepartie. Les propositions de baisse des impôts sur le revenu telles qu'elles sont proposées - c'est-à-dire de façon proportionnelle - vont là aussi favoriser les hautes tranches de revenus et non pas les tranches intermédiaires. Il y a quelque chose à la fois d'injuste mais aussi un peu irréaliste - il faut bien le dire - dans les propositions qui sont faites."
J.-L. Hess : Vous faites des propositions, ce soir, en ce qui concerne la famille. Est-ce qu'on peut en savoir un peu plus dès ce matin ?
- "Vous voulez toujours savoir avant que le temps vienne."
J.-L. Hess : Cela intéresse pas mal de familles quand même.
- "Naturellement."
J.-L. Hess : C'est aussi une des solutions du problème de l'insécurité.
- "Bien évidemment. Je vais à Lunéville, cet après-midi, pour parler de ces problèmes y compris parce qu'il y a des actions sur le terrain qui sont menées, là bas, et qui sont tout à fait positives. Je crois que dans cette campagne on ne doit pas parler simplement de grands problèmes. On doit aussi parler à la fois de grandes institutions ou de cellules de base de la société. C'est le cas de la famille. On ne peut pas dire simplement "sécurité", "chômage". On doit aussi parler "famille". On doit aussi parler "jeunes" et "jeunesse"."
J.-L. Hess : Culture aussi.
- "Absolument. Il faut donc partir du fait que la famille désormais est diverse. Moi, ce qui me frappe, c'est qu'aujourd'hui la famille est une institution ou une cellule de base de la société au fond mieux admise qu'il y a 20 ans. Il y a 20 ans, les discours dominants - au moins dans certains milieux - étaient plutôt une critique de la famille. Et puis on est passé par une phase historique pendant laquelle la famille a évolué. Il y a ce qu'on appelle maintenant les familles recomposées. Des gens qui ont divorcé, qui ont reconstruit et qui essayent pourtant de garder des liens entre eux ou en tout cas de garder des liens avec les enfants. On a une famille moins homogène, moins traditionnelle qu'elle ne l'était avant. On a aussi des familles monoparentales. Quand ces familles monoparentales sont, comme elles le sont souvent, des familles où c'est une femme qui est le chef de famille, dans des conditions parfois précaires sur le plan social, cela pose de très grands problèmes, y compris parfois des problèmes d'autorité. Il faut partir de cette diversité de la famille. Il faut accepter des évolutions nouvelles . C'est ce que nous avons fait avec le Pacs par exemple qui répond à une approche de la sexualité - j'espère que je dis le mot correctement cette fois-ci - différente pour un certain nombre de personnes. Et, en même temps, on constate que cela ne détruit, cela ne déstabilise pas la famille parce qu'on a eu un record des mariages et un record des naissances."
J.-L. Hees : Vos propositions ?
- "Si vous voulez, je les ferai à Luneville cet après-midi."
S. Paoli : Une question que je n'ai encore jamais entendu poser, qui est très importante, parce qu'elle concerne l'image de la France : la recherche. Pourquoi personne n'en parle ? Elle attire, apparemment de moins en moins des cerveaux et de l'intelligence dans notre pays. L'image de la France portée à l'extérieur est, semble-t-il - en tout cas à en lire certaines lettres de chercheurs qui nous parviennent ici - de moins en moins forte. Que comptez-vous faire pour la recherche française ?
- "La recherche est le moteur du progrès technique et de l'avenir. C'est certainement un secteur de la vie publique - qu'il s'agisse des laboratoires publics ou des laboratoires privés, par ailleurs - dans lequel nous devons agir avec le plus de force. Cela suppose d'accroître la part du revenu national qui va à la recherche. Cela suppose de diminuer les barrières qui existent entre l'université et les laboratoires. D'ailleurs, C. Allègre, dont vous parliez tout à l'heure, a fait à cet égard des réformes extrêmement profondes qui ont permis aux chercheurs universitaires par exemple de créer leur entreprise. Il a cassé un peu la situation des statuts, donc il a joué un rôle tout à fait positif. C. Allègre et D. Strauss-Kahn, ensemble, ont présenté au Parlement une loi sur l'innovation qui permet aussi d'aider les jeunes équipes de chercheurs ou les nouvelles entreprises dans les nouvelles technologies, que ce soit celles de l'information, que ce soit celles de la biologie, qui permettent de faire avancer les nouveaux problèmes, des nouvelles solutions. Il y a aussi, je pense, la nécessité de rassembler les forces à l'échelle de l'Europe. Donc, il y a toute une politique européenne de la recherche notamment pour financer les très grands équipements. C'est l'orientation que R.-G. Schwartzenberg, l'actuel ministre de la Recherche, défend dans l'Union européenne. C'est pourquoi nous nous battons par exemple pour le projet Galiléo qui est un projet qui permet de faire, à partir de l'espace, de la direction [sic] de l'ensemble des mobiles à l'échelle de la planète. Nous dépendons du système des Américains actuellement. Donc, nous avons besoin de créer un système européen qui nous permette de nous émanciper des Etats-Unis. Voilà encore un deuxième grand thème sur lequel nous nous battons. Il faut bien voir que la bataille de l'avenir se fera aussi sur la recherche. On a des choix budgétaires à faire, sur les problèmes du chômage, de la sécurité, de la recherche, mais enfin l'effort pour la recherche devra être accru dans le futur."
J.-L. Hees : Justement, est-ce qu'il y aura une grosse place pour la culture ? Il est peut-être trop tôt dans la campagne, mais aucun candidat, pour l'instant, ne s'est prononcé sur une politique culturelle et on lisait avec Stéphane récemment un sondage très intéressant publié par la revue "Beaux Arts". Plus de la moitié des Français - 60 % des Français interrogés - disaient : la culture fait partie de la sécurité. Cela veut dire que s'il y a un épanouissement culturel dans un pays comme la France, il y a moins d'insécurité. Vous en pensez quoi ?
- "J'ai été à plusieurs reprises dans les Maisons de la Culture, dans des théâtres - je pense à Créteil qui est une ville où il y a des programmations culturelles, qu'il s'agisse du théâtre, de la danse, du spectacle vivant, extrêmement intéressantes."
J.-L. Hees : Partenariat France Inter.
- "Très bien, j'en suis ravi, je ne le savais pas. Donc, c'est vraiment innocemment et non pas naïvement que j'ai dit cela. Et j'ai vu par exemple comment à travers la danse les enfants des quartiers à Créteil ont été absolument associés à un travail d'artiste qui, par ailleurs, est un travail d'artiste extrêmement exigeant. Donc, l'idée de marier la création, qui appartient à un homme, une femme ou à des groupes, l'exigence et en même temps cette aspiration à la danse, au mouvement, à la culture des plus jeunes dans les quartiers me paraît une très belle idée qui, pour moi, représente l'idéal de la conception de la culture. Disons, dans ce domaine, qu'on a quand même tenu nos engagements, puisque j'avais dit que je ferais passer le budget de la Culture à 1 %, et il est passé en cinq ans à 1 %. Donc, c'est pour moi, une dimension absolument essentiel. C'est d'ailleurs une dimension de l'identité de notre pays et de l'identité européenne. C'est bien pourquoi nous nous battons pour ce qu'on appelle "l'exception culturelle", à l'échelle internationale "la diversité culturelle". J'étais aux César du cinéma, il y a deux jours."
J.-L. Hees : On vous a vu.
- "C'était simplement pour dire que là aussi, cette exigence des créateurs, des producteurs, des metteurs en scène, des acteurs, des artistes, a été de dire : maintenez bien ces systèmes d'aides publiques à la création, les systèmes d'avances sur recettes qui fait qu'on peut encore produire des films français, qu'on peut aider à des coproductions. J'avais reçu à Matignon Youssef Chahine. Ce grand metteur en scène égyptien fait des films égyptiens parce qu'il est aidé finalement par la France et on pourrait dire cela des metteurs en scène iraniens ou d'autres. Donc, cette dimension pour moi est tout à fait essentielle. Là, vraiment, on rejoint l'homme privé et l'homme public : c'est que j'en ai besoin moi-même pour vivre. C'est pour cela que je vais au théâtre, à la danse, que je vais au cinéma."
J.-L. Hees : En dix secondes, monsieur Jospin : est-il normal qu'une radio comme Radio France ait à payer des droits pour la retransmission des matchs de foot ? Vous me direz que c'est un peu corporatiste comme question, mais cela nous intéresse.
- "C'est un problème assez vaste que je ne suis pas sûr qu'on va traiter, là, maintenant, dans l'instant."
J.-L. Hees : On attendra.
P. Le Marc : Comment voyez-vous l'évolution de la majorité plurielle - je relance un peu la question de J.-L. Hees. Est-ce que la présidentielle va créer de nouvelles dynamiques mais aussi de nouveaux équilibres ? Comment voyez-vous cette évolution ?
- "La présidentielle est faite pour proposer de grandes orientations aux Français, à la fois sur la place et le rôle de la France, et en même temps sur le projet collectif qu'on leur propose pour vivre ensemble. C'est pourquoi la campagne présidentielle doit se faire sur ces grandes orientations, sinon on ne voit pas très bien ce que le Premier ministre qui serait nommé par un Président élu après le 5 mai, aurait à faire lui-même. On ne voit pas ce qu'il mettrait dans sa déclaration de politique générale si le débat présidentiel était descendu dans le détail. On ne voit pas non plus ce que pourrait être la discussion des élections législatives. Je rappelle que juste derrière l'élection présidentielle, il y a des élections législatives. On va y discuter de programmes de gouvernement. Donc, il faut laisser ces temps distincts au débat et le débat de la présidentielle doit être, à mon avis, concentré sur de grandes orientations, sur la crédibilité de celles-ci, sur la capacité de rassembler des équipes d'hommes et de femmes qui sont prêts à travailler ensemble, qui parfois l'ont montré, qui sont animés par un esprit suffisant de fraternité pour pouvoir gouverner ensemble, et la force et la diversité de ces équipes est à mon avis un élément de choix, parce qu'il ne s'agit pas d'élire un homme seul - ou une femme - et en l'espèce, compte tenu de ce que sont les indications, plutôt un homme et en plus, on va avoir un quinquennat, donc une Assemblée nationale et un mandat présidentiel qui vont être de même durée. Donc, il faut élire à la tête du pays un ou une président de la République et puis ensuite avoir des équipes gouvernementales et une majorité qui puissent fonctionner ensemble. Donc, l'élection présidentielle au bout du compte va créer sa propre majorité. On en connaît les éléments pour ce qui me concerne, mais c'est la dynamique de la présidentielle qui permettra de créer cette majorité qui, elle, se constituera au Parlement à l'occasion des élections législatives, je le crois."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 mars 2002)