Texte intégral
Monsieur l'Ambassadeur,
Monsieur le Député,
Monsieur le Consul général,
Messieurs les Délégués au Conseil supérieur des Français de l'étranger,
Mesdames et Messieurs,
Chers compatriotes,
C'est pour moi un moment important que ce déplacement à Alger. Vous savez qu'il a été motivé d'abord par le Sommet de l'Organisation de l'Unité africaine, que préside en ce moment même le président Abdelaziz Bouteflika. Les relations diplomatiques multilatérales ont leurs exigences et le ministre de la coopération française a pris l'habitude de fréquenter ces sommets : j'étais l'an dernier à celui qui se tenait à Ouagadougou, et je suis donc cette année à Alger, à un moment intéressant de l'histoire de l'Algérie. Il était important que ce Sommet de l'OUA puisse permettre aux médias du monde entier de donner de l'Algérie à ce moment-ci une image peut-être différente, en tout cas un moment où je crois pouvoir sentir chez les Algériens ce que je qualifierai volontiers d'attente positive. Je sais que les Français d'Algérie, ou en Algérie, sont attachés à cette relation privilégiée de la France avec les pays du Sud.
Parmi ceux qui m'accompagnent, je veux mentionner Yves Tavernier, député de l'Essonne, maire de Dourdan, rapporteur du budget des Affaires étrangères à la commission des finances de l'Assemblée nationale : c'est quelqu'un qu'il faut donc ménager, mais sur qui je sais pouvoir compter pour plaider en faveur d'un budget dont vous êtes les premiers à reconnaître que ce serait mieux qu'il fût plus conséquent. C'est aussi mon point de vue ! J'espère en tout cas que les négociations que nous allons engager avec Bercy, et en particulier Christian Sautter, qui est le ministre en charge du budget, que les discussions que nous avons eues à Matignon aussi, nous permettront - j'en ai bon espoir, de vérifier qu'en l'an 2000, le temps de la déflation du budget des Affaires étrangères est terminé. Je prendrai garde de m'engager plus, mais je pense que vous pourrez le mesurer, et je voudrais déjà vous dire que pour les questions pour lesquelles vous êtes normalement sensibles - je pense à tout ce qui concerne les aspects sociaux de ce budget pour ce qu'il touche aux Français de l'étranger, l'effort engagé sera poursuivi, car nous sommes conscients des difficultés particulières que signifie l'expatriation, et aussi des contraintes particulières que tel ou tel pays oblige parfois à affronter.
Je sais qu'évidemment vous êtes d'abord préoccupés par la question des relations bilatérales franco-algériennes. Que vous dire à cet égard ? D'abord l'émotion que je ressens à être parmi vous à la veille d'une fête nationale. Ce sera aussi l'occasion de se souvenir, car le gouvernement français n'oublie pas le bilan extrêmement lourd payé par les agents de cette ambassade, et, de façon plus générale, par nos compatriotes, dans le contexte de violence qui a endeuillé ce pays. Hubert Védrine a honoré leur mémoire lors de son déplacement à Alger le 12 juillet 1997, en inaugurant la stèle du Parc Peltzer, sur laquelle je viens moi-même, en votre compagnie, de me recueillir il y a quelques instants, une stèle érigée à la mémoire des victimes civiles et militaires des attentats ayant visé nos personnels au cours de l'année 1994.
Je me garderai bien d'énumérer nominalement les quarante-trois noms de nos compatriotes tués en Algérie depuis 1993 : nous les avons tous en tête et ils méritent un hommage et un respect collectif.
La période d'insécurité enclenchée à l'automne 1993 par l'enlèvement de trois agents de notre consulat général à Alger nous a conduits progressivement à resserrer les activités de notre ambassade sur le Parc Peltzer. En août 1994, le drame d'Aïn Allah nous a contraints à fermer nos consulats d'Oran et d'Annaba, à instaurer une procédure particulière d'examen des demandes de visa, à travers le "BVA" de Nantes, et à suspendre l'activité de nos centres culturels. Nous le déplorons.
Si le détournement de l'Airbus d'Air France pendant le Noël 1994 a pu connaître un dénouement heureux, cela n'a pas effacé l'amertume suscitée par la lâche exécution de plusieurs passagers, dont un agent de l'ambassade de France en Algérie. Cet événement, en amenant en outre la compagnie nationale à suspendre ses vols à destination de l'Algérie, a contribué à rendre encore plus pénibles les conditions d'existence des Français vivant en Algérie. Pour les agents de l'ambassade, cela s'est traduit par la mise en place des "rotations", d'abord aériennes, puis maritimes.
Je voudrais, puisque j'évoque là le transport aérien, dire l'importance que les autorités algériennes attachent à la reprise de relations normales entre nos deux pays ; traduisez : la présence d'Air France sur l'aéroport d'Alger. Le président Bouteflika, sans nommer Air France, a, hier matin, lors de son discours inaugural au Sommet de l'OUA, regretté que les compagnies aériennes ne soient pas au rendez-vous, et, ce matin, le Premier ministre Hamdani, que j'ai rencontré pendant plus d'une heure, a de son côté beaucoup insisté, en rappelant que c'est souvent la position d'Air France qui détermine celle des autres compagnies d'aviation. Monsieur l'Ambassadeur a pu rappeler qu'une mission d'experts devait venir très rapidement, peut-être dès ce mois-ci, pour apprécier les conditions techniques et de sécurité, avant de décider de la reprise, souhaitable, d'une liaison aérienne normale, d'autant qu'on peut penser - j'ai été sensible à l'argument du Premier ministre algérien - que ce climat de l'Algérie d'aujourd'hui pourrait bien inciter davantage au voyage entre Paris et Alger. De ce point de vue, un partenariat entre Air Algérie et Air France serait évidemment indispensable pour assumer le besoin d'un trafic accru et d'échanges plus soutenus.
Je voudrais en tout cas vous convaincre que les autorités françaises mesurent pleinement les contraintes d'existence et de travail qu'entraînent pour chacun d'entre vous toutes ces mesures progressivement mises en place. Nous avons conscience des réalités d'une situation où les agents militaires détachés en Algérie doivent assurer la sécurité du personnel des différents services de l'ambassade, et cela sans pour autant les empêcher de mener à bien leur mission, ce qui n'est pas toujours facile : c'est une dialectique qui impose à chacun des concessions quotidiennes, car une sécurité intégrale supposerait une ambassade coupée de l'extérieur, ce qui serait une contradiction dans les termes, tandis qu'un exercice des missions de l'ambassade sans prise en compte de la contrainte de sécurité conduirait bien vite à leur extinction.
Le gouvernement français voudrait donc vous remercier par ma voix, vous tous, agents de l'ambassade, Français et Algériens, des efforts consentis pour préserver la relation de la France avec un partenaire à nos yeux essentiel comme l'est l'Algérie. Ces remerciements, je veux les adresser en premier lieu à la gendarmerie nationale, en charge de la sécurité de cette ambassade. C'est une mission que l'opinion française pourrait avoir tendance à oublier un peu aujourd'hui, peut-être parce que, menée avec efficacité, elle ne fait pas parler d'elle dans les médias. Souhaitons que cette discrétion-là, et pour cette raison-là, soient préservées.
Au sentiment d'enfermement des agents de l'Etat répond celui de nos compatriotes de l'extérieur, qui eux vivent au sein de la société algérienne, et qui peuvent parfois se sentir coupés de l'ambassade, puisqu'un accès sécurisé à celle-ci suppose logiquement des mesures de restriction et de contrôle. C'est encore plus vrai de tous nos compatriotes qui vivent en dehors de l'Algérois, et ils sont nombreux.
Je voudrais leur dire que cette contrainte qui leur est imposée vise essentiellement à maintenir notre présence, et donc la leur aussi. Je sais que notre ambassadeur et ses collaborateurs font tout pour maintenir le lien et je veux dire à nos compatriotes d'Algérie que le ministère des Affaires étrangères est à l'écoute de leur délégués pour préserver l'essentiel de cette mission de protection. Je note d'ailleurs avec une vive satisfaction que le nombre de Français immatriculés, après la brutale décrue de la période consécutive aux événements de 1994, est actuellement en hausse sensible.
En saluant la présence parmi nous de Monseigneur Teissier, archevêque d'Alger, je voudrais faire une mention particulière des communautés religieuses présentes en Algérie. Elles ont, elles aussi, payé un lourd tribut aux groupes armés et nous gardons tous en mémoire l'assassinat des sept moines de Tibéhirine comme de Monseigneur Claverie, évêque d'Oran.
Je sais que nombre de ces religieux sont des compatriotes, même s'ils ont souvent choisi la nationalité algérienne. Ils souhaitent témoigner d'une présence charnelle parmi leurs frères algériens et ne veulent pas inscrire cette relation dans un rapport d'Etat à Etat : c'est une préoccupation que nous respectons, même si nous sommes légitimement attentifs à leur sécurité.
L'hommage que nous rendons à nos morts est de toute façon indissociable de celui que nous devons à toutes les victimes de la violence en Algérie ces huit dernières années, dont nous savons malheureusement qu'elles se chiffrent par dizaines de milliers. Je forme le voeu que cette page soit bientôt tournée et exprime le soulagement ressenti à voir d'ores et déjà nettement refluer cette vague de violence, pour pouvoir envisager l'avenir avec optimisme.
Chers compatriotes,
Ce déplacement est aussi émouvant pour moi à un autre titre. Responsable étudiant - j'étais président des étudiants de Rennes -, je m'étais alors rendu à Alger il y a exactement quarante ans : c'était à Pâques 1959. C'était une autre période d'exception, celle de la "guerre d'Algérie", une expression depuis longtemps consacrée dans les livres d'histoire, passée tout récemment dans la terminologie officielle. Et je voudrais dire l'importance qu'à mes yeux revêt cette reconnaissance, revendiquée depuis très longtemps par le monde ancien combattant, et en particulier par les anciens de la FNACA, la reconnaissance qu'il y avait bien eu une guerre en Algérie. Je crois, pour avoir aussi évoqué cette question avec le Premier ministre algérien, que cette décision, prise il y a quelques semaines seulement, est vécue de manière très positive par les Algériens, parce que ce tabou qui vient de tomber et cette mémoire collective retrouvée ouvrent de nouvelles voies au partenariat franco-algérien. La décolonisation a épousé ici des contours particuliers, avec son cortège de rancoeurs de part et d'autre. Mais, comme je le dis souvent à mes interlocuteurs, la volonté de la France est aujourd'hui d'entretenir un dialogue qui soit exempt de tout esprit de nostalgie comme de culpabilité. La succession des générations doit d'ailleurs nous y aider très naturellement.
Dans le cas de l'Algérie, il est évident que l'aspiration à une relation forte est partagée des deux côtés de la Méditerranée : elle est un héritage de l'histoire et peut s'appuyer tant sur l'importante communauté algérienne en France que sur la communauté française en Algérie. Les autorités françaises sont disposées à construire avec l'Algérie une relation dynamique, tournée vers l'avenir. Elles souhaitent y travailler de manière concrète et sérieuse.
Plusieurs niveaux d'action existent qui devraient dépassionner le débat : l'Union européenne tout d'abord, qui est une dimension de plus en plus importante de la politique extérieure de la France, et qui, depuis la Conférence de Barcelone, s'est engagée dans un vaste partenariat avec les pays tiers méditerranéens, dont l'Algérie. L'imbrication des sociétés civiles ensuite, qui permet d'escompter le développement d'une active coopération "hors l'Etat". La société civile, c'est bien sûr le tissu associatif, particulièrement dense entre les deux rives de la Méditerranée. Ce sont aussi les entreprises, nombreuses à être restées en Algérie, et nombreuses à y revenir. Nous sommes attentifs à leur sécurité, j'entends par là non seulement la sécurité physique de leur cadres et employés, mais aussi la sécurité juridique, fiscale et financière.
Pour autant, les relations bilatérales doivent comporter également une importante dimension étatique. Nous souhaitons donc établir les conditions d'un dialogue politique aussi ouvert que possible entre nos deux pays et le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, a fait savoir qu'il souhaitait rencontrer son homologue dès que le nouveau gouvernement algérien serait formé. C'est également le sens de la lettre que le président Abdelaziz Bouteflika a adressée au président Jacques Chirac.
Quant aux orientations, elles sont claires : la politique d'amélioration des conditions de délivrance des visas engagée depuis deux ans a permis de tripler leur nombre sur la période correspondante et c'est un mouvement qui se poursuivra dans la limite des moyens matériels de notre consulat général.
Vous savez également que le ministère des Affaires étrangères étudie actuellement les conditions d'une réouverture progressive de nos implantations consulaires et culturelles en Algérie : je vous mentirais si je vous disais que cela se fera demain. Il faut en effet que les conditions de sécurité soient remplies, ce qui suppose une coopération pleine et entière des autorités algériennes et un déploiement méticuleux de moyens. Je suis cependant heureux de vous annoncer la prochaine réactivation de notre centre culturel à Alger : je dis bien "réactivation", pas "réouverture".
Je parlais tout à l'heure de l'année 1959, celle où parut les Oliviers de la Justice de Jean Pélégri. Permettez-moi de citer, pour conclure, ce grand écrivain d'Algérie : "même les plus beaux arbres, pour donner leur ombre, ont besoin d'eau... Si les arbres ont besoin d'eau, les hommes, eux, pour donner leur ombre, ont besoin de paix".
Comme pousse l'arbre, inscrivons notre action dans la durée. En vous remerciant de votre patience, je salue la relation franco-algérienne et vous souhaite une bonne fête nationale.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 1999)
Monsieur le Député,
Monsieur le Consul général,
Messieurs les Délégués au Conseil supérieur des Français de l'étranger,
Mesdames et Messieurs,
Chers compatriotes,
C'est pour moi un moment important que ce déplacement à Alger. Vous savez qu'il a été motivé d'abord par le Sommet de l'Organisation de l'Unité africaine, que préside en ce moment même le président Abdelaziz Bouteflika. Les relations diplomatiques multilatérales ont leurs exigences et le ministre de la coopération française a pris l'habitude de fréquenter ces sommets : j'étais l'an dernier à celui qui se tenait à Ouagadougou, et je suis donc cette année à Alger, à un moment intéressant de l'histoire de l'Algérie. Il était important que ce Sommet de l'OUA puisse permettre aux médias du monde entier de donner de l'Algérie à ce moment-ci une image peut-être différente, en tout cas un moment où je crois pouvoir sentir chez les Algériens ce que je qualifierai volontiers d'attente positive. Je sais que les Français d'Algérie, ou en Algérie, sont attachés à cette relation privilégiée de la France avec les pays du Sud.
Parmi ceux qui m'accompagnent, je veux mentionner Yves Tavernier, député de l'Essonne, maire de Dourdan, rapporteur du budget des Affaires étrangères à la commission des finances de l'Assemblée nationale : c'est quelqu'un qu'il faut donc ménager, mais sur qui je sais pouvoir compter pour plaider en faveur d'un budget dont vous êtes les premiers à reconnaître que ce serait mieux qu'il fût plus conséquent. C'est aussi mon point de vue ! J'espère en tout cas que les négociations que nous allons engager avec Bercy, et en particulier Christian Sautter, qui est le ministre en charge du budget, que les discussions que nous avons eues à Matignon aussi, nous permettront - j'en ai bon espoir, de vérifier qu'en l'an 2000, le temps de la déflation du budget des Affaires étrangères est terminé. Je prendrai garde de m'engager plus, mais je pense que vous pourrez le mesurer, et je voudrais déjà vous dire que pour les questions pour lesquelles vous êtes normalement sensibles - je pense à tout ce qui concerne les aspects sociaux de ce budget pour ce qu'il touche aux Français de l'étranger, l'effort engagé sera poursuivi, car nous sommes conscients des difficultés particulières que signifie l'expatriation, et aussi des contraintes particulières que tel ou tel pays oblige parfois à affronter.
Je sais qu'évidemment vous êtes d'abord préoccupés par la question des relations bilatérales franco-algériennes. Que vous dire à cet égard ? D'abord l'émotion que je ressens à être parmi vous à la veille d'une fête nationale. Ce sera aussi l'occasion de se souvenir, car le gouvernement français n'oublie pas le bilan extrêmement lourd payé par les agents de cette ambassade, et, de façon plus générale, par nos compatriotes, dans le contexte de violence qui a endeuillé ce pays. Hubert Védrine a honoré leur mémoire lors de son déplacement à Alger le 12 juillet 1997, en inaugurant la stèle du Parc Peltzer, sur laquelle je viens moi-même, en votre compagnie, de me recueillir il y a quelques instants, une stèle érigée à la mémoire des victimes civiles et militaires des attentats ayant visé nos personnels au cours de l'année 1994.
Je me garderai bien d'énumérer nominalement les quarante-trois noms de nos compatriotes tués en Algérie depuis 1993 : nous les avons tous en tête et ils méritent un hommage et un respect collectif.
La période d'insécurité enclenchée à l'automne 1993 par l'enlèvement de trois agents de notre consulat général à Alger nous a conduits progressivement à resserrer les activités de notre ambassade sur le Parc Peltzer. En août 1994, le drame d'Aïn Allah nous a contraints à fermer nos consulats d'Oran et d'Annaba, à instaurer une procédure particulière d'examen des demandes de visa, à travers le "BVA" de Nantes, et à suspendre l'activité de nos centres culturels. Nous le déplorons.
Si le détournement de l'Airbus d'Air France pendant le Noël 1994 a pu connaître un dénouement heureux, cela n'a pas effacé l'amertume suscitée par la lâche exécution de plusieurs passagers, dont un agent de l'ambassade de France en Algérie. Cet événement, en amenant en outre la compagnie nationale à suspendre ses vols à destination de l'Algérie, a contribué à rendre encore plus pénibles les conditions d'existence des Français vivant en Algérie. Pour les agents de l'ambassade, cela s'est traduit par la mise en place des "rotations", d'abord aériennes, puis maritimes.
Je voudrais, puisque j'évoque là le transport aérien, dire l'importance que les autorités algériennes attachent à la reprise de relations normales entre nos deux pays ; traduisez : la présence d'Air France sur l'aéroport d'Alger. Le président Bouteflika, sans nommer Air France, a, hier matin, lors de son discours inaugural au Sommet de l'OUA, regretté que les compagnies aériennes ne soient pas au rendez-vous, et, ce matin, le Premier ministre Hamdani, que j'ai rencontré pendant plus d'une heure, a de son côté beaucoup insisté, en rappelant que c'est souvent la position d'Air France qui détermine celle des autres compagnies d'aviation. Monsieur l'Ambassadeur a pu rappeler qu'une mission d'experts devait venir très rapidement, peut-être dès ce mois-ci, pour apprécier les conditions techniques et de sécurité, avant de décider de la reprise, souhaitable, d'une liaison aérienne normale, d'autant qu'on peut penser - j'ai été sensible à l'argument du Premier ministre algérien - que ce climat de l'Algérie d'aujourd'hui pourrait bien inciter davantage au voyage entre Paris et Alger. De ce point de vue, un partenariat entre Air Algérie et Air France serait évidemment indispensable pour assumer le besoin d'un trafic accru et d'échanges plus soutenus.
Je voudrais en tout cas vous convaincre que les autorités françaises mesurent pleinement les contraintes d'existence et de travail qu'entraînent pour chacun d'entre vous toutes ces mesures progressivement mises en place. Nous avons conscience des réalités d'une situation où les agents militaires détachés en Algérie doivent assurer la sécurité du personnel des différents services de l'ambassade, et cela sans pour autant les empêcher de mener à bien leur mission, ce qui n'est pas toujours facile : c'est une dialectique qui impose à chacun des concessions quotidiennes, car une sécurité intégrale supposerait une ambassade coupée de l'extérieur, ce qui serait une contradiction dans les termes, tandis qu'un exercice des missions de l'ambassade sans prise en compte de la contrainte de sécurité conduirait bien vite à leur extinction.
Le gouvernement français voudrait donc vous remercier par ma voix, vous tous, agents de l'ambassade, Français et Algériens, des efforts consentis pour préserver la relation de la France avec un partenaire à nos yeux essentiel comme l'est l'Algérie. Ces remerciements, je veux les adresser en premier lieu à la gendarmerie nationale, en charge de la sécurité de cette ambassade. C'est une mission que l'opinion française pourrait avoir tendance à oublier un peu aujourd'hui, peut-être parce que, menée avec efficacité, elle ne fait pas parler d'elle dans les médias. Souhaitons que cette discrétion-là, et pour cette raison-là, soient préservées.
Au sentiment d'enfermement des agents de l'Etat répond celui de nos compatriotes de l'extérieur, qui eux vivent au sein de la société algérienne, et qui peuvent parfois se sentir coupés de l'ambassade, puisqu'un accès sécurisé à celle-ci suppose logiquement des mesures de restriction et de contrôle. C'est encore plus vrai de tous nos compatriotes qui vivent en dehors de l'Algérois, et ils sont nombreux.
Je voudrais leur dire que cette contrainte qui leur est imposée vise essentiellement à maintenir notre présence, et donc la leur aussi. Je sais que notre ambassadeur et ses collaborateurs font tout pour maintenir le lien et je veux dire à nos compatriotes d'Algérie que le ministère des Affaires étrangères est à l'écoute de leur délégués pour préserver l'essentiel de cette mission de protection. Je note d'ailleurs avec une vive satisfaction que le nombre de Français immatriculés, après la brutale décrue de la période consécutive aux événements de 1994, est actuellement en hausse sensible.
En saluant la présence parmi nous de Monseigneur Teissier, archevêque d'Alger, je voudrais faire une mention particulière des communautés religieuses présentes en Algérie. Elles ont, elles aussi, payé un lourd tribut aux groupes armés et nous gardons tous en mémoire l'assassinat des sept moines de Tibéhirine comme de Monseigneur Claverie, évêque d'Oran.
Je sais que nombre de ces religieux sont des compatriotes, même s'ils ont souvent choisi la nationalité algérienne. Ils souhaitent témoigner d'une présence charnelle parmi leurs frères algériens et ne veulent pas inscrire cette relation dans un rapport d'Etat à Etat : c'est une préoccupation que nous respectons, même si nous sommes légitimement attentifs à leur sécurité.
L'hommage que nous rendons à nos morts est de toute façon indissociable de celui que nous devons à toutes les victimes de la violence en Algérie ces huit dernières années, dont nous savons malheureusement qu'elles se chiffrent par dizaines de milliers. Je forme le voeu que cette page soit bientôt tournée et exprime le soulagement ressenti à voir d'ores et déjà nettement refluer cette vague de violence, pour pouvoir envisager l'avenir avec optimisme.
Chers compatriotes,
Ce déplacement est aussi émouvant pour moi à un autre titre. Responsable étudiant - j'étais président des étudiants de Rennes -, je m'étais alors rendu à Alger il y a exactement quarante ans : c'était à Pâques 1959. C'était une autre période d'exception, celle de la "guerre d'Algérie", une expression depuis longtemps consacrée dans les livres d'histoire, passée tout récemment dans la terminologie officielle. Et je voudrais dire l'importance qu'à mes yeux revêt cette reconnaissance, revendiquée depuis très longtemps par le monde ancien combattant, et en particulier par les anciens de la FNACA, la reconnaissance qu'il y avait bien eu une guerre en Algérie. Je crois, pour avoir aussi évoqué cette question avec le Premier ministre algérien, que cette décision, prise il y a quelques semaines seulement, est vécue de manière très positive par les Algériens, parce que ce tabou qui vient de tomber et cette mémoire collective retrouvée ouvrent de nouvelles voies au partenariat franco-algérien. La décolonisation a épousé ici des contours particuliers, avec son cortège de rancoeurs de part et d'autre. Mais, comme je le dis souvent à mes interlocuteurs, la volonté de la France est aujourd'hui d'entretenir un dialogue qui soit exempt de tout esprit de nostalgie comme de culpabilité. La succession des générations doit d'ailleurs nous y aider très naturellement.
Dans le cas de l'Algérie, il est évident que l'aspiration à une relation forte est partagée des deux côtés de la Méditerranée : elle est un héritage de l'histoire et peut s'appuyer tant sur l'importante communauté algérienne en France que sur la communauté française en Algérie. Les autorités françaises sont disposées à construire avec l'Algérie une relation dynamique, tournée vers l'avenir. Elles souhaitent y travailler de manière concrète et sérieuse.
Plusieurs niveaux d'action existent qui devraient dépassionner le débat : l'Union européenne tout d'abord, qui est une dimension de plus en plus importante de la politique extérieure de la France, et qui, depuis la Conférence de Barcelone, s'est engagée dans un vaste partenariat avec les pays tiers méditerranéens, dont l'Algérie. L'imbrication des sociétés civiles ensuite, qui permet d'escompter le développement d'une active coopération "hors l'Etat". La société civile, c'est bien sûr le tissu associatif, particulièrement dense entre les deux rives de la Méditerranée. Ce sont aussi les entreprises, nombreuses à être restées en Algérie, et nombreuses à y revenir. Nous sommes attentifs à leur sécurité, j'entends par là non seulement la sécurité physique de leur cadres et employés, mais aussi la sécurité juridique, fiscale et financière.
Pour autant, les relations bilatérales doivent comporter également une importante dimension étatique. Nous souhaitons donc établir les conditions d'un dialogue politique aussi ouvert que possible entre nos deux pays et le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, a fait savoir qu'il souhaitait rencontrer son homologue dès que le nouveau gouvernement algérien serait formé. C'est également le sens de la lettre que le président Abdelaziz Bouteflika a adressée au président Jacques Chirac.
Quant aux orientations, elles sont claires : la politique d'amélioration des conditions de délivrance des visas engagée depuis deux ans a permis de tripler leur nombre sur la période correspondante et c'est un mouvement qui se poursuivra dans la limite des moyens matériels de notre consulat général.
Vous savez également que le ministère des Affaires étrangères étudie actuellement les conditions d'une réouverture progressive de nos implantations consulaires et culturelles en Algérie : je vous mentirais si je vous disais que cela se fera demain. Il faut en effet que les conditions de sécurité soient remplies, ce qui suppose une coopération pleine et entière des autorités algériennes et un déploiement méticuleux de moyens. Je suis cependant heureux de vous annoncer la prochaine réactivation de notre centre culturel à Alger : je dis bien "réactivation", pas "réouverture".
Je parlais tout à l'heure de l'année 1959, celle où parut les Oliviers de la Justice de Jean Pélégri. Permettez-moi de citer, pour conclure, ce grand écrivain d'Algérie : "même les plus beaux arbres, pour donner leur ombre, ont besoin d'eau... Si les arbres ont besoin d'eau, les hommes, eux, pour donner leur ombre, ont besoin de paix".
Comme pousse l'arbre, inscrivons notre action dans la durée. En vous remerciant de votre patience, je salue la relation franco-algérienne et vous souhaite une bonne fête nationale.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 1999)