Interview de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière et candidate à l'élection présidentielle de 2002, à "RTL" le 8 avril 2002, sur le financement de sa campagne électorale et sur son programme électoral.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief -
A. Duhamel le disait : J. Chirac a le vent en poupe, L. Jospin baisse, entre autres à cause de vous. Vous n'avez toujours pas d'état d'âme ?
- "Ecoutez, quand les sondages sont bons pour moi, je n'ai pas d'état d'âme. Simplement, il faut être très prudent sur ces sondages. On voit bien que certains qui étaient partis très haut sont redescendus beaucoup ; d'autres, au contraire, ont l'air de monter. Moi, jusqu'au soir du scrutin, je serai très prudente sur les résultats évidemment."
L. Jospin, lui, s'agace un peu. A un meeting, hier au Zénith, il a dit : "Où en serions-nous aujourd'hui, où en serait le monde du travail, si l'histoire sociale de notre pays n'avait connu que des mouvements de protestation ?". C'était adressé évidemment directement à votre candidature de Lutte Ouvrière. Vous êtes la protestataire et lui, il représente la gauche qui agit, qui fait entrer dans les faits, des mesures pour les travailleurs...
- "Vous savez, il y a eu deux grands mouvements sociaux politiques en France. 1936 et 1968. En 1936, c'était un gouvernement de gauche qui a dû céder un certain nombre de choses face à la grève générale. En 1968, face à la grève générale, le salaire minimum a été augmenté de 33 % ou 35 % et c'était un gouvernement de droite. C'est-à-dire que les mouvements de protestation, plus exactement les grèves, le mouvement social comme on dit aujourd'hui, tout ça peut faire effectivement obliger n'importe quel gouvernement à appliquer des mesures favorables aux travailleurs. Et c'est bien ce que j'espère de ma candidature : c'est qu'un renforcement du camp de la classe ouvrière mettra les travailleurs en meilleure position pour se battre, obtenir un certain nombre de choses et surtout protéger leurs acquis qui sont bien attaqués, que ce soit par la gauche ou par la droite depuis cinq ans."
Vous êtes conseillère régionale à la région Ile-de-France. Est-ce qu'on vous doit précisément une mesure ou vous avez toujours voté contre tout ce qui se passe ?
- "Je vote pour quand c'est en faveur des travailleurs, "
Donc, vous trouvez que parfois ça arrive ?
- " ... du développement des transports en commun, bien sûr, comme d'autres. Par contre, je vote contre qu'on subventionne Danone, quand au même moment, il est en train de supprimer des emplois et que le Conseil régional veut payer une partie de son centre de recherche. A ce moment-là, je vote contre, effectivement."
Vous savez évidemment que même si vous appelez à l'abstention au deuxième tour, apparemment, les sondeurs observent que les deux tiers de vos électeurs vont se reporter sur L. Jospin...
- "Ecoutez, je n'appelle ni à l'abstention, ni à voter pour J. Chirac, ni à voter pour L. Jospin, je ne donne pas de consignes de vote. On n'est pas à l'armée, mes électeurs ne sont pas là, le doigt sur la couture du pantalon. Et si L. Jospin devait perdre ces élections, c'est à lui qu'il le devrait et à la politique qui a été menée depuis cinq ans et absolument pas à moi. Moi, j'exprime, je pense, oui, qu'un mécontentement existe dans le monde du travail et j'espère bien qu'il va se manifester le 21 avril."
Parlons peut-être un peu de Lutte Ouvrière, qui s'appelle toujours l'Union communiste internationale, UCI ?
- "Oui, UCI, depuis toujours."
Dans vos propositions, vous dites que les travailleurs devront détruire l'appareil d'état de la bourgeoisie, son gouvernement, ses tribunaux, sa police, son armée. Et vous avez deux propositions-phares : pour revenir au plein-emploi, interdire les licenciements - c'est peut-être un peu rapide et un peu simple, en tout cas, ça a l'air facile... ; et puis, ce qui m'intéresse peut-être plus, c'est que vous demandez la levée du secret bancaire, industriel et commercial des entreprises publiques et privées. Est-ce que vous êtes prête, dans cette démarche, à lever le secret sur, par exemple, les fonds de Lutte Ouvrière, qui sont, par exemple, les dotations publiques de l'Etat ? Il paraît que vous avez 3 millions d'euros qui sont placés en actions et en obligations, comme des grands capitalistes ?
- "C'est honteux. C'est honteux de comparer l'argent que donne l'Etat à tous les partis et que les partis mettent soit à La Poste, soit en banque, et qui forcément leur rapporte - ça doit être de l'ordre de 3 %"
Donc, c'est 3 millions d'euros, vous confirmez ?
- "Non, je ne confirme rien du tout, je ne sais pas d'où sort ce chiffre"
De Libération...
- "Ce n'est pas parce que l'Humanité - qui est financé par un grand capitaliste qui s'appelle Lagardère et a 20 % du capital de son journal - médit de moi en ce moment, parle du "magot de Laguiller"..."
Je parle de Libération...
- "Et ce n'est pas parce que Libération recopie bêtement l'Humanité, que ça reste vrai. Alors, nous, des comptes nous en rendons. Et d'ailleurs, ils sont publiés au Journal officiel, donc il n'y a pas de secret"
Ils sont placés, non ? Ce que je voulais savoir, c'est qu'ils sont placés de la même manière, finalement, que les autres capitalistes ?
- "Oui, ils sont à La Poste, comme beaucoup de partis, ou les autres les mettent dans d'autres banques, moi, je n'en sais rien"
Vous ne savez pas comment fonctionne votre parti ?!
- "Mais si, je sais très bien ! Mais pourquoi vous attaquez Lutte Ouvrière ? Pourquoi vous ne regardez pas dans le Journal officiel, l'argent des autres ?"
Parce que vous, vous dénoncez l'argent, parce que vous vous donnez des leçons là-dessus...
- "Pourquoi dans l'Humanité, lorsqu'on dit qu'A. Laguiller, ou plus exactement son parti, a 20 millions, pourquoi ne dit-on pas que le budget de fonctionnement du PC est de 110 millions ? Et puis, je vais vous dire, nous ne sommes pas des militants qui marchons à la note de frais. Oui, nous économisons d'une élection sur l'autre, grâce au dévouement de nos militants..."
Vous êtes des saints !
- "Eh bien, ça enrage qu'un petit parti comme le nôtre puisse avoir les moyens, parce que justement il est très précautionneux dans l'argent et dans ce que lui donnent ses militants"
Et l'Etat, que vous dénoncez par ailleurs...
- "Et l'Etat, comme tous les partis. Je ne vois pas pourquoi l'Etat, s'il décide de donner de l'argent à tous ceux qui se présentent aux élections législatives"
Vous dites qu'il faut détruire l'appareil d'Etat, son gouvernement, ses tribunaux, sa police, ce n'est pas pareil
- "Vous avez pris ça dans notre journal"
Je donne votre programme...
- "Mais c'est pas mon programme électoral. Ben non, parce que je ne suis pas idiote au point que lorsqu'on se présente à des élections, on fait voter la révolution ! Qui peut penser cela ? Vous, peut-être ? Excusez-moi, mais c'est une imbécillité, R. Elkrief !"
C'est normal de le dire aussi, ce qu'il y a derrière...
- "Ce qu'il y a derrière ? Mais parce que vous prenez mes électeurs pour des imbéciles ? Mes électeurs connaissent très bien Lutte Ouvrière, ils lisent le journal aussi bien que vous, ils savent lire, ils viennent dans les meetings, ils posent leurs questions. Alors, vous croyez faire un scoop en disant cela ?"
Non, pas du tout, je vous interroge ! Et vous, vous dites "on est victime". Répondez !
- "Avec toutes vos calomnies aujourd'hui, toutes vos attaques, vous faites rigoler dans le monde du travail. Sincèrement ! Alors continuez, allez-y, vous me faites monter dans les sondages en disant cela."
Ce n'est pas mon problème, que vous montiez ou que vous descendiez...
- "Je remarque que sur sept minutes, ça fait déjà deux, trois minutes que vous ne m'interrogez absolument pas sur mon programme électoral. Alors, mon programme électoral, c'est d'abord l'interdiction des licenciements collectifs..."
Ce n'est pas un peu simpliste ? On revient au plein-emploi, on interdit les licenciements
- "Et en plus, vous ne me laissez pas parler, bravo ! Quand en plus, des grandes entreprises font des profits et osent licencier, quand le baron Seillière ose retirer son capital de Valéo ou d'AOM-Air Liberté et met des centaines de travailleurs au chômage, et bien, oui, l'interdiction des licenciements collectifs, croyez-moi, c'est compris dans toutes ces grandes entreprises aujourd'hui ! Et je dis même que si ces grandes entreprises qui font des profits n'obtempéraient pas, si nous obtenions une loi interdisant les licenciements, je serais pour réquisitionner les usines qu'ils veulent fermer, je dirais même les usines qu'ils veulent délocaliser à l'extérieur, après avoir reçu bien souvent des centaines de millions de la part de l'Etat, des collectivités locales, des municipalités qui mettent gratuitement des terrains à leur disposition. Et ces gens-là, une fois leurs profits faits, ils partent et ils laissent les travailleurs sur le carreau. Eh bien, j'espère que beaucoup de salariés le diront avec moi, qu'il y en a assez de cette situation, et qu'ils le diront en votant pour ma candidature le 21 avril."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 avril 2002)