Texte intégral
Q - Quelle est la signification de la première visite d'un président indien en France ? Comment reflète-t-elle l'état des relations franco-indiennes ?
R - Vous soulignez très justement qu'il s'agit là de la première visite en France d'un président indien. Elle intervient à peine plus de deux ans après la visite d'Etat en Inde du président de la République, M. Jacques Chirac. Elle va nous permettre de mesurer le chemin parcouru pendant ces deux années, vers un partenariat dynamique et multiforme, qui n'a cessé de se renforcer. Je relèverais ainsi, parmi les nombreuses visites de personnalités indiennes en France, celle du Premier ministre, M. Vajpayee, en septembre 1998, celle du ministre de la Défense, M. Fernandes, en janvier 1999, et celle de M. Singh, ministre des Affaires extérieures, en mai 1999. Je me suis moi-même rendu en Inde les 17 et 18 février derniers.
Cette visite s'inscrit bien sûr dans une dynamique et est tournée vers l'avenir. Les possibilités sont considérables dans tous les domaines, qu'il s'agisse de notre dialogue politique, de nos relations économiques et commerciales, ou de notre coopération culturelle, scientifique, technique. Les bases du partenariat ont été posées et consolidées ; la visite de M. Narayanan vient donner un nouvel élan à sa construction proprement dite.
Q - Lors de votre récente visite en Inde, vous avez affirmé que l'Inde pourrait bénéficier d'une assistance en matière de technologie nucléaire civile si elle signait le TICE. Mais comment la France comprend-elle les préoccupations de sécurité de l'Inde et en quoi la signature du TICE serait-elle bénéfique pour l'Inde ?
R - Vous avez rappelé que la France prenait en compte les besoins de l'Inde en matière d'énergie. C'est effectivement un message important que j'ai tenu à rappeler lors de ma récente visite en Inde. Nous sommes disposés à favoriser le développement de l'énergie nucléaire civile en Inde à travers une coopération appropriée et dans le respect de nos engagements internationaux. Nous avons d'ailleurs déjà ouvert des pistes en ce sens, comme en témoigne notre dialogue bilatéral en matière de sûreté.
Le développement de notre coopération dans ce domaine serait d'autant plus fructueuse si l'Inde traduisait par des gestes concrets son attachement aux instruments internationaux de non-prolifération. La signature du TICE serait évidemment un signal important dans cette direction qui serait apprécié à sa juste valeur par la communauté internationale. D'autres gestes peuvent également être envisagés : je songe notamment à un soutien effectif au démarrage immédiat des négociations sur un traité d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires, ou encore à une ouverture plus grande aux contrôles de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
Tous ces gestes contribueraient à asseoir la crédibilité internationale de l'Inde. Ils favoriseraient la paix et la stabilité dans l'ensemble de l'Asie du Sud, et aideraient donc au renforcement de la sécurité du pays.
Q - Malgré une nouvelle avancée qui s'explique par l'amélioration des relations bilatérales entre la France et l'Inde dans les années récentes, les relations commerciales ne se sont toujours pas développées. Les investissements français en Inde ne sont toujours pas assez substantiels pour avoir un impact. Où est le problème ?
R - En réalité, en 1999, nos échanges commerciaux, dans les deux sens, ont connu une très forte croissance. Les exportations françaises vers l'Inde ont ainsi crû de près de 30%. Par ailleurs, les milieux d'affaires français et indiens ont appris à mieux se connaître, et nos entreprises sont désormais conscientes des opportunités qui s'ouvrent en Inde. J'en veux pour preuve le succès de la grande exposition commerciale et technologique "France-India 2000", tenue à Delhi en décembre 1999, à laquelle plus de 185 de nos entreprises ont participé.
Nous souhaiterions que les choses aillent plus vite. Mais ces relations ont besoin de temps pour se développer encore davantage. A l'image des autres liens qui nous unissent, elles se bâtissent sur la confiance que nos chefs d'entreprises placent désormais en l'Inde. L'excellence de nos relations politiques, les groupes de travail bilatéraux, ou les très bons échanges au sein du Forum d'initiative franco-indien, y contribuent. Mais d'autres facteurs, comme la mise en oeuvre des réformes économiques, ou la rapidité et la transparence des processus de décision, jouent aussi un rôle majeur.
Q - Après les essais de 1998, L'Inde est devenue une puissance nucléaire de fait. Il pourrait être difficile d'inverser le processus. La France soutiendra-t-elle la demande indienne d'être reconnue comme puissance nucléaire officielle ? Sinon, pourquoi ?
R - Le Traité de Non-Prolifération est la pierre angulaire du régime international de non-prolifération. Il comporte un article 9 qui enregistre la situation au moment de la signature. Le modifier serait remettre dangereusement en cause un régime auquel nous sommes très attachés et qui bénéficie du soutien de l'immense majorité des Etats.
Pour autant, cette difficulté ne doit pas nous empêcher de prendre en compte intelligemment la situation nouvelle, créée par les essais de 1998. L'Inde possède des capacités nucléaires militaires. C'est un fait. A nous d'en tirer ensemble les conséquences sans affaiblir les instruments internationaux de non-prolifération.
Q - Comment la France envisage-t-elle la lutte contre le terrorisme international ? Dans quelle mesure la France comprend-elle les sérieuses préoccupations indiennes à l'égard du terrorisme transfrontalier ?
R - La France a eu à plusieurs reprises au cours des dernières années à subir sur son territoire les effets de la violence terroriste. Nous sommes résolument opposés à toute forme de terrorisme, d'où qu'il vienne, et considérons qu'aucune faiblesse ou compromis ne sont possibles à l'égard de ce phénomène. Nous encourageons pour cela l'adoption d'instruments de coopération internationale efficaces. Je me réjouis à cet égard de l'adoption en décembre 1999 d'une convention contre le financement du terrorisme, qui résulte d'un projet français ; l'accueil réservé à notre initiative, la rapidité de la négociation et l'adoption de cette convention par consensus témoignent d'une prise de conscience par la communauté internationale de la nécessité d'aller plus loin afin de combler les lacunes du droit international dans ce domaine. Je me félicite que l'Inde ait pu se joindre au consensus pour l'adoption de cette convention, qui ouvre la voie à une approche plus globale de la question du terrorisme. Nous suivons d'ailleurs avec intérêt l'ambitieuse initiative de votre pays de convention globale contre le terrorisme. Nous estimons également qu'il faut lutter contre les drames politiques et humains qui constituent des facteurs d'instabilité dont se nourrissent les groupes terroristes.
S'agissant du terrorisme transfrontalier, nous comprenons les préoccupations particulières de l'Inde. Cela nous incite d'ailleurs à renforcer notre dialogue avec le Pakistan. C'est un des sujets que j'ai moi-même abordé avec le général Musharraf, lorsque celui-ci a fait escale à Paris, le 10 avril dernier.
Q - Avez-vous un commentaire sur la situation au Cachemire ?
R - Le problème du Cachemire est très complexe. Dans le passé les Accords de Simla, en 1972, entre l'Inde et le Pakistan, définissaient les conditions d'un dialogue bilatéral par lequel une solution pourrait être cherchée. Cela reste une bonne base. Dans un passé plus récent, en 1999, un processus de dialogue a été renoué à l'occasion de la rencontre de Lahore. Nous souhaitons que ce processus soit repris. Tout ce qui pourra contribuer à créer un environnement favorable pour la reprise d'un dialogue bilatéral va dans la bonne direction.
Q - Quelle position la France voit-elle l'Inde occuper dans un monde multipolaire à venir ?
R - Nos nombreux entretiens depuis deux ans nous ont permis de nous rapprocher sur des points essentiels, comme notre vision de l'évolution des relations internationales. Lors de mon séjour en Inde, j'ai précisément participé, avec mon homologue Jaswant Singh, à la clôture d'un séminaire international sur "l'Inde et la France dans un monde multipolaire". J'ai été très sensible à l'intérêt manifesté par mes interlocuteurs pour le thème de la multipolarité qui est souhaitable et à laquelle il faut que nous nous préparions.
La puissance émergente de l'Inde, l'intérêt que lui portent les grands pays européens, asiatiques, ou plus récemment les Etats-Unis, fournit justement la preuve que les relations internationales se transforment, et que de nouveaux pôles apparaissent. Nous constatons une évidence, celle de la place essentielle de l'Inde dans un monde multipolaire, et nous en tirons des conséquences concrètes : la nécessité d'établir avec elle le partenariat le plus étroit possible, et le soutien à sa candidature, naturelle, à un siège permanent au Conseil de sécurité, dans le cadre d'un élargissement encore à venir./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 avril 2000)
R - Vous soulignez très justement qu'il s'agit là de la première visite en France d'un président indien. Elle intervient à peine plus de deux ans après la visite d'Etat en Inde du président de la République, M. Jacques Chirac. Elle va nous permettre de mesurer le chemin parcouru pendant ces deux années, vers un partenariat dynamique et multiforme, qui n'a cessé de se renforcer. Je relèverais ainsi, parmi les nombreuses visites de personnalités indiennes en France, celle du Premier ministre, M. Vajpayee, en septembre 1998, celle du ministre de la Défense, M. Fernandes, en janvier 1999, et celle de M. Singh, ministre des Affaires extérieures, en mai 1999. Je me suis moi-même rendu en Inde les 17 et 18 février derniers.
Cette visite s'inscrit bien sûr dans une dynamique et est tournée vers l'avenir. Les possibilités sont considérables dans tous les domaines, qu'il s'agisse de notre dialogue politique, de nos relations économiques et commerciales, ou de notre coopération culturelle, scientifique, technique. Les bases du partenariat ont été posées et consolidées ; la visite de M. Narayanan vient donner un nouvel élan à sa construction proprement dite.
Q - Lors de votre récente visite en Inde, vous avez affirmé que l'Inde pourrait bénéficier d'une assistance en matière de technologie nucléaire civile si elle signait le TICE. Mais comment la France comprend-elle les préoccupations de sécurité de l'Inde et en quoi la signature du TICE serait-elle bénéfique pour l'Inde ?
R - Vous avez rappelé que la France prenait en compte les besoins de l'Inde en matière d'énergie. C'est effectivement un message important que j'ai tenu à rappeler lors de ma récente visite en Inde. Nous sommes disposés à favoriser le développement de l'énergie nucléaire civile en Inde à travers une coopération appropriée et dans le respect de nos engagements internationaux. Nous avons d'ailleurs déjà ouvert des pistes en ce sens, comme en témoigne notre dialogue bilatéral en matière de sûreté.
Le développement de notre coopération dans ce domaine serait d'autant plus fructueuse si l'Inde traduisait par des gestes concrets son attachement aux instruments internationaux de non-prolifération. La signature du TICE serait évidemment un signal important dans cette direction qui serait apprécié à sa juste valeur par la communauté internationale. D'autres gestes peuvent également être envisagés : je songe notamment à un soutien effectif au démarrage immédiat des négociations sur un traité d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires, ou encore à une ouverture plus grande aux contrôles de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
Tous ces gestes contribueraient à asseoir la crédibilité internationale de l'Inde. Ils favoriseraient la paix et la stabilité dans l'ensemble de l'Asie du Sud, et aideraient donc au renforcement de la sécurité du pays.
Q - Malgré une nouvelle avancée qui s'explique par l'amélioration des relations bilatérales entre la France et l'Inde dans les années récentes, les relations commerciales ne se sont toujours pas développées. Les investissements français en Inde ne sont toujours pas assez substantiels pour avoir un impact. Où est le problème ?
R - En réalité, en 1999, nos échanges commerciaux, dans les deux sens, ont connu une très forte croissance. Les exportations françaises vers l'Inde ont ainsi crû de près de 30%. Par ailleurs, les milieux d'affaires français et indiens ont appris à mieux se connaître, et nos entreprises sont désormais conscientes des opportunités qui s'ouvrent en Inde. J'en veux pour preuve le succès de la grande exposition commerciale et technologique "France-India 2000", tenue à Delhi en décembre 1999, à laquelle plus de 185 de nos entreprises ont participé.
Nous souhaiterions que les choses aillent plus vite. Mais ces relations ont besoin de temps pour se développer encore davantage. A l'image des autres liens qui nous unissent, elles se bâtissent sur la confiance que nos chefs d'entreprises placent désormais en l'Inde. L'excellence de nos relations politiques, les groupes de travail bilatéraux, ou les très bons échanges au sein du Forum d'initiative franco-indien, y contribuent. Mais d'autres facteurs, comme la mise en oeuvre des réformes économiques, ou la rapidité et la transparence des processus de décision, jouent aussi un rôle majeur.
Q - Après les essais de 1998, L'Inde est devenue une puissance nucléaire de fait. Il pourrait être difficile d'inverser le processus. La France soutiendra-t-elle la demande indienne d'être reconnue comme puissance nucléaire officielle ? Sinon, pourquoi ?
R - Le Traité de Non-Prolifération est la pierre angulaire du régime international de non-prolifération. Il comporte un article 9 qui enregistre la situation au moment de la signature. Le modifier serait remettre dangereusement en cause un régime auquel nous sommes très attachés et qui bénéficie du soutien de l'immense majorité des Etats.
Pour autant, cette difficulté ne doit pas nous empêcher de prendre en compte intelligemment la situation nouvelle, créée par les essais de 1998. L'Inde possède des capacités nucléaires militaires. C'est un fait. A nous d'en tirer ensemble les conséquences sans affaiblir les instruments internationaux de non-prolifération.
Q - Comment la France envisage-t-elle la lutte contre le terrorisme international ? Dans quelle mesure la France comprend-elle les sérieuses préoccupations indiennes à l'égard du terrorisme transfrontalier ?
R - La France a eu à plusieurs reprises au cours des dernières années à subir sur son territoire les effets de la violence terroriste. Nous sommes résolument opposés à toute forme de terrorisme, d'où qu'il vienne, et considérons qu'aucune faiblesse ou compromis ne sont possibles à l'égard de ce phénomène. Nous encourageons pour cela l'adoption d'instruments de coopération internationale efficaces. Je me réjouis à cet égard de l'adoption en décembre 1999 d'une convention contre le financement du terrorisme, qui résulte d'un projet français ; l'accueil réservé à notre initiative, la rapidité de la négociation et l'adoption de cette convention par consensus témoignent d'une prise de conscience par la communauté internationale de la nécessité d'aller plus loin afin de combler les lacunes du droit international dans ce domaine. Je me félicite que l'Inde ait pu se joindre au consensus pour l'adoption de cette convention, qui ouvre la voie à une approche plus globale de la question du terrorisme. Nous suivons d'ailleurs avec intérêt l'ambitieuse initiative de votre pays de convention globale contre le terrorisme. Nous estimons également qu'il faut lutter contre les drames politiques et humains qui constituent des facteurs d'instabilité dont se nourrissent les groupes terroristes.
S'agissant du terrorisme transfrontalier, nous comprenons les préoccupations particulières de l'Inde. Cela nous incite d'ailleurs à renforcer notre dialogue avec le Pakistan. C'est un des sujets que j'ai moi-même abordé avec le général Musharraf, lorsque celui-ci a fait escale à Paris, le 10 avril dernier.
Q - Avez-vous un commentaire sur la situation au Cachemire ?
R - Le problème du Cachemire est très complexe. Dans le passé les Accords de Simla, en 1972, entre l'Inde et le Pakistan, définissaient les conditions d'un dialogue bilatéral par lequel une solution pourrait être cherchée. Cela reste une bonne base. Dans un passé plus récent, en 1999, un processus de dialogue a été renoué à l'occasion de la rencontre de Lahore. Nous souhaitons que ce processus soit repris. Tout ce qui pourra contribuer à créer un environnement favorable pour la reprise d'un dialogue bilatéral va dans la bonne direction.
Q - Quelle position la France voit-elle l'Inde occuper dans un monde multipolaire à venir ?
R - Nos nombreux entretiens depuis deux ans nous ont permis de nous rapprocher sur des points essentiels, comme notre vision de l'évolution des relations internationales. Lors de mon séjour en Inde, j'ai précisément participé, avec mon homologue Jaswant Singh, à la clôture d'un séminaire international sur "l'Inde et la France dans un monde multipolaire". J'ai été très sensible à l'intérêt manifesté par mes interlocuteurs pour le thème de la multipolarité qui est souhaitable et à laquelle il faut que nous nous préparions.
La puissance émergente de l'Inde, l'intérêt que lui portent les grands pays européens, asiatiques, ou plus récemment les Etats-Unis, fournit justement la preuve que les relations internationales se transforment, et que de nouveaux pôles apparaissent. Nous constatons une évidence, celle de la place essentielle de l'Inde dans un monde multipolaire, et nous en tirons des conséquences concrètes : la nécessité d'établir avec elle le partenariat le plus étroit possible, et le soutien à sa candidature, naturelle, à un siège permanent au Conseil de sécurité, dans le cadre d'un élargissement encore à venir./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 avril 2000)