Interview de M. Bruno Gollnisch, délégué général du Front national, à "France Inter" le 10 juin 2002, sur les résultats du premier tour de l'élection législative et sur l'avenir politique de son parti.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli
Déçu ou pas par le résultat de ce premier tour, 13 %?
- "Oui, ce n'est pas si mal. Ce n'est pas l'effondrement que certains de vos confrères décrivent. L'effondrement, c'est plutôt chez les communistes, chez l'extrême-gauche qui avait totalisé pratiquement plus de 10 % des voix et qui se retrouve à deux ou trois, au MNR, chez les Chasseurs. Mais, c'est vrai que j'aurais préféré évidemment que nos candidats soient tous en mesure de capitaliser le résultat de J.-M Le Pen. Il est vrai qu'ils n'ont pas tous la même notoriété ni le même charisme."
Mais comment expliquez-vous qu'en effet, le résultat de J.-M. Le Pen à la présidentielle, ne se traduise pas dans cette législative ? Serait-ce qu'il y a là l'explication du fait que beaucoup d'électeurs, en votant pour le Front national, avaient montré une attitude de provocation et une volonté de dire "on veut que ça change", sans adhérer complètement aux idées du Front national ?
- "Non, je ne crois pas. Un certain nombre d'entre eux ont grossi les rangs des abstentionnistes, parce qu'ils sont écoeurés par le système et par la façon en particulier dont le deuxième tour a été joué, qui a été véritablement soviétique, alors que le premier tour avait été correct. Donc, cet effet de déception, qu'on trouve notamment chez beaucoup d'ouvriers ou autres, les a conduit sans doute à rester chez eux ; ce en quoi, à mon avis, ils se trompent, puisque l'abstention favorise le système et les partis en place et pas du tout les challengers que nous sommes. Je crois aussi qu'il y a une cohérence - on l'a beaucoup dit : cela vient d'être dit par vous-même, par F. Hollande -, il y a un effet un peu mécanique qui a été vérifié en 1981, en 1988 : c'est qu'après une élection présidentielle, quand les législatives viennent dans la foulée, l'électorat, qui somme toute est cohérent, donne un peu carte blanche au Président qui vient d'être élu. A quelque chose malheur est bon, cela veut dire que Monsieur Chirac et ses amis vont maintenant être pleinement responsables de ce qu'ils vont faire, ou plutôt, à mon avis, de ce qu'ils vont ne pas faire. Parce que c'est une situation que j'ai très bien connue, par exemple en 1986 où j'avais été élu sur une plate-forme RPR-UDF qui était un pâle décalque - il faut bien le dire - du programme du Front national : ils avaient déjà promis de baisser la fiscalité, de changer le code de la nationalité, de rétablir la sécurité, de faire en France les réformes qui s'imposent ; ils n'ont rien fait."
Mais, quand même, pour en rester à cette abstention qui décidément est un des faits politiques majeurs ce matin, il y a un paradoxe : en principe, les militants du Front national sont très mobilisés, ce ne sont pas des gens qui s'abstiennent. Et là, vous dites qu'ils se sont abstenus. Quelle est l'explication à cela ?
- "Vous avez raison : les militants, oui. Mais vous savez, les militants, malheureusement, de mon point de vue, c'est 1% de l'ensemble des électeurs. Bien sûr, il y a des gens très motivés chez nous, sinon nous n'aurions pas obtenu 12 % des suffrages, c'est évident. Ce qui fait quand même du Front national une très grande formation politique, qui résiste remarquablement au fait qu'elle n'est pas représentée et ceci depuis des années, alors que par exemple, Monsieur Chevènement, qui a été un peu la "coqueluche" des premiers mois de l'élection présidentielle, lorsqu'il est réduit à ses seules forces, s'effondre - et il n'est pas le seul dans cette élection. Alors, je crois que ceci est quand même encourageant et je donne rendez-vous aux électeurs dans deux ans. Là, on pourra juger Monsieur Raffarin et les amis de Monsieur Chirac sur des faits. Je pense aussi qu'on va commencer à reparler des affaires. Je crois que la gauche paie, et c'est bien fait pour elle, le fait d'avoir appelé si massivement à voter Chirac au deuxième tour de la présidentielle. C'est assez difficile, à un mois de distance, d'expliquer qu'il ne faut surtout pas voter pour les amis de Monsieur Chirac à l'élection législative. Et je suis assez optimiste pour l'avenir. "
Mais comment envisagez-vous l'avenir politique du Front national, qui ne sera pas à l'Assemblée le parti charnière qu'il ambitionnait d'être ?
- "C'est ce qui prouve que nous sommes des gens parfaitement démocrates, parfaitement respectueux des lois, parfaitement pacifiques, en dépit de la réputation scandaleusement injuste qui nous est faite car, compte tenu des problèmes que vivent un certain nombre de nos compatriotes, quelle autre formation politique pourrait accepter, sans mot dire, de supporter ce que nous supportons, de supporter d'être injustement diabolisés, de supporter de ne pas être représentés ? Et j'attire votre attention sur le fait que les électeurs nationaux surtout, mais aussi 40% des Français qui ont exprimé un choix politique au premier tour de l'élection présidentielle, risquent de ne pas être représentés à l'Assemblée nationale. C'est cela le véritable problème de la démocratie en France ; ce n'est pas du tout la menace, totalement imaginaire, que ferait courir le Front national."
Mais ce scénario politique n'est-il pas pour vous le plus dommageable, parce qu'une droite forte et puissante dans ce pays, occupant un aussi grand nombre de sièges à l'Assemblée, ce n'est pas bon pour le Front national ? Cela risque de vous marginaliser ?
- "Le problème n'est pas tellement de savoir si c'est bon pour le Front national. Le problème est surtout de savoir si c'est bon pour le pays, c'est-à-dire, feront-ils demain ce qu'ils n'ont pas pu, pas su ni voulu faire au cours des décennies qui ont précédé. Je crois malheureusement que les mêmes causes produisent les mêmes effets - c'est pour cela, d'ailleurs, que je suis au Front national -, qu'ils ne le feront pas et qu'une fois de plus, les Français seront déçus. Et à ce moment-là, ils se tourneront vers la formation que je représente ici, le Front national, qui a quand même montré sa fantastique capacité de résistance ; je dirais résistance au revers, mais aussi résistance au succès, ce qui est quelquefois encore plus difficile."
Dans la reconstruction du paysage politique dans la bipolarisation, avec un grand parti à droite et un grand parti à gauche, où se met le Front national ? Comment va-t-il composer ou pas avec la droite ?
- "Le système où la bipolarisation existe le plus au monde, c'est sans doute le système britannique, car le mode de scrutin le favorise, y pousse encore beaucoup plus que le nôtre. J'avais une discussion récemment avec un de mes collègues au Parlement européen, un homme politique britannique important, qui me disait que la situation du Front national est un petit peu celle du Parti travailliste au XIXème siècle : il y avait un courant social, socialiste à l'époque ; la vie politique était le monopole de deux partis : les Conservateurs et les Libéraux. Les Travaillistes n'étaient pas du tout représentés. Et puis, ils ont progressé lentement et un beau jour, tout a basculé et ce sont le Libéraux qui sont passés à la trappe. Je crois que ce mode de scrutin très injuste peut un jour avoir les mêmes effets."
La reconstruction des partis passe aussi par les hommes. Je posais, il y a quelques jours, la semaine dernière, à J.-M Le Pen, la question de l'avenir du Front national et notamment de la personne qui pourrait lui succéder. Il était question de Marine, de sa fille, mais il était question de vous aussi. J.-M Le Pen a dit :"Non, c'est B. Gollnisch qui prendra ma suite". Vous la prenez quand ?
- "Je le remercie de cette marque de confiance. Je m'exprimerai sur la succession de J.-M Le Pen quand elle sera ouverte. Il y a un mois ou deux, je faisais campagne pour que cet homme exceptionnel puisse assumer les destinées suprêmes dans notre pays pour cinq ans. Alors, je ne suis pas pressé. Nous discuterons de tout cela le moment venu, bien sûr."
Mais J.-M Le Pen ne considère-t-il pas ce résultat du premier tour comme un échec ? Il avait mis la barre beaucoup plus haut ?
- "Vous savez, c'est un homme que je suis parce qu'entre autres qualités exceptionnelles, depuis quarante ans, il reçoit d'un même front - national, en l'occurrence ! - à la fois les revers et les succès. "Mettre la barre trop haut" ? Nous avons toujours des espérances. Encore une fois, nous aurions souhaité que nos candidats puissent capitaliser le magnifique résultat qu'il a obtenu au premier tour de la présidentielle. Mais, nos candidats ne sont pas aussi connus, dans un système de petites circonscriptions, que ne l'est J.-M Le Pen lui-même. J'ajoute d'ailleurs qu'il y a une chose qui a sans doute poussé aussi, c'est que nous - et nous ne le regrettons pas - nous avons joué la carte de la parité, que nous n'avions pas votée ou que nous n'aurions pas votée parce que nous ne croyons pas que les femmes aient besoin de quotas pour assurer leur représentation. Mais, la loi étant ce qu'elle est, nous l'avons respecté. Alors que les formations politiques qui l'avaient voté ne l'ont pas respecté, ce que je trouve assez scandaleux. Nous avons présenté beaucoup de femmes et beaucoup d'hommes aussi qui n'étaient pas aussi connus dans leur circonscription que J.-M Le Pen ne l'est au plan national. Il nous appartient dans les années qui viennent de faire changer cela."
D'un mot, B. Gollnisch, c'est la fin de MNR, après la défaite de B. Mégret ?
- "Oui, c'est évident. Il avait dit : "Avec Le Pen, faites 15 %. Avec moi, vous ferez 30 % !". Il a obtenu 3 % aux européennes, 2 % à la présidentielle, 1 % à la législative. Je crois que c'est la fin de cette opération."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 juin 2002)