Déclaration de M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur les grandes orientations de la politique du développement durable, à Toulouse le 12 mars 2002.

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Circonstance : Clôture des Assises nationales du développement durable à Toulouse le 12 mars 2002

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai assisté à cette table-ronde finale de clôture des Assises nationales du développement durable, lieu privilégié du débat français autour de Johannesburg.
Je crois que les débats qui ont eu lieu hier et aujourd'hui ont été riches d'enseignement, dans la perspective de la préparation du sommet de Johannesburg, mais aussi, et peut être surtout, comme je vous le rappelais hier, pour l'après-Johannesburg.
Annie Simon nous en a fait un compte-rendu précis et intéressant. Il est important qu'il reste des traces de ces discussions. Nous avons donc décidé de joindre les Actes des Assises au document qui sera présenté par la France à Johannesburg en août prochain.
Je veux vous présenter ce soir la proposition de stratégie nationale de développement durable de ce gouvernement, dans la perspective du Sommet de Johannesburg.
Le document que je vous remets aujourd'hui est composé, conformément à ce qui nous avait été demandé, d'une partie bilan ", et d'une partie " perspectives ".
C'est un exercice difficile que de vous le présenter ici, sans le paraphraser, sans en dresser un catalogue à la Prévert, le talent poétique en moins, forcément fastidieux pour vous et pour moi.
Alors je voudrais rappeler les deux principes sur lesquels il a reposé, que nous avons voulu affirmer, ceux qui me tiennent à cur :
Notre premier principe est issu du constat suivant : nous vivons dans une société où le risque est devenu un enjeu majeur. La gestion du risque est désormais inhérente à toute politique, localement, nationalement, et dans le monde entier.
Il ne s'agit pas seulement du risque accidentel, mais bien de la prise de conscience, selon les mots du sociologue allemand Ulrich Beck, que nos modes de production et de consommation génèrent des biens, mais aussi, en même temps tout un cortège de maux, d'externalités négatives, disent les économistes.
La question que nous nous posons est : comment internaliser ces externalités ? et surtout comment les internaliser en amont des décisions : c'est l'enjeu du développement durable. Comment placer les enjeux du développement durable en amont des décisions ?
Deuxième principe : si nous pensons que la part de risque qu'une société est prête à assumer doit être décidée collectivement, elle ne peut plus être décidée d'en haut. Il s'agit d'un choix qui relève de la construction de notre espace démocratique commun, donc qui doit être débattu en commun. C'est le principe de participation, à toutes les étapes de la décision. Pourquoi ? Parce que le colbertisme d'Etat a fait son temps. Auparavant, il légitimait les décisions technocratiques toutes faites, puisque l'intérêt général était confondu avec le progrès technique ininterrogé. On pense aux années gaulliennes (non pas au sens politique ici, mais de la vision de l'Etat) et aux Trente Glorieuses, où la question ne se posait pas de remettre en cause ce modèle.
Aujourd'hui, la technique elle-même est devenue objet de débat démocratique : à propos de beaucoup d'affaires : dans l'affaire de la vache folle, nous avons vu que le prion avait fait irruption dans le champ politique, comme le souligne Bruno Latour, mais je pourrais citer également les OGM, le nucléaire
Nous savons désormais que ce modèle a des limites, et que l'intérêt général s'est complexifié. Désormais, l'intérêt général est une combinaison d'objectifs sociaux, environnementaux, et économiques, qui ne peuvent plus être dissociés. On peut arrêter la construction d'une autoroute pour protéger un écosystème (exemple de l'A28)
L'intérêt général n'est plus seulement celui des êtres humains de notre temps et de notre hémisphère, mais l'intérêt général doit faire intervenir les plus démunis, qui souvent vivent sous des régimes peu démocratiques et ont peu voix au chapitre. Il doit faire intervenir les générations futures, qui par définition ne sont pas dans le champ politique. Il doit faire intervenir les non-humains : animaux, espaces, qui, eux non plus, n'ont pas de représentants pour parler en leur nom, et qui pourtant ont une valeur en eux-mêmes, que nous ne sommes pas légitimes pour leur dénier.
C'est un nouvel état d'esprit, une nouvelle culture, que nous devons nous approprier, pour les mettre en uvre.
Par exemple, les mouvements qui contestent la mondialisation libérale reflètent ce nouveau visage du monde, où une société civile internationale souhaite participer à la définition des valeurs sur lesquelles est fondé le concert des nations.
Vous le voyez, les principes que je viens d'évoquer (précaution, participation) correspondent aux deux axes majeurs qui avaient été retenus pour ces Assises : la gestion du risque et des nouvelles vulnérabilités, et la bonne gouvernance, participative et citoyenne.
Plus concrètement, nous avons fait, dans la première partie du document, un état des lieux de la situation française.
Nous avons d'abord voulu évoquer les enjeux. Après un rappel des éléments de contexte international, et européen, et du cadre qu'ils tracent pour l'action politique dans le champ du développement durable, nous avons évoqué les chantiers qui s'ouvrent pour la France.
Il me semble qu'il y en a un certain nombre qui ont été évoqués ici : les transformations induites par les nouvelles technologies et la nouvelle économie du savoir, l'enjeu majeur de la recherche en matière environnementale, l'émergence du tiers secteur (on dit parfois d'utilité écologique et environnementale), où se rejoignent les enjeux environnementaux (souvent) , sociaux (toujours) et économiques, et qui est la preuve que des entreprises peuvent être viables sans avoir pour principale objectif la quête effrénée du profit de court terme ; les nouvelles régulations démocratiques , et les nouvelles pratiques citoyennes, notamment dans le domaine écologique.
Cela dresse le portrait d'une France en mutation, innovante et généreuse à la fois.
L'action internationale afin de réduire la fracture Nord-Sud est aussi une priorité de ce gouvernement, la première des priorités étant d'éradiquer la misère. Cela passe à notre sens par une Europe plus solidaire.
Nous ne pouvons pas demander aux pays du Sud d'adopter des modes de production soutenables si nous ne les aidons pas financièrement. Nous rappelons ainsi que nous sommes attachés à l'objectif de 0,7 % du PIB pour l'aide publique au développement. Dans la lignée des accords de Marrakech sur le climat, et du fonds mondial pour la lutte contre le sida, nous devons mobiliser des financements pour la gestion des " biens publics mondiaux " (eau, énergie) . Le développement de partenariats, afin de responsabiliser tous les acteurs, est essentiel. Nous souhaitons que des formes de contractualisation entre société civile, ONG, entreprises et gouvernements soient mis en place, par exemple pour l'eau, l'énergie, la santé. C'est , selon la typologie de Kofi Annan, les résultats de deuxième type attendus de Johannesburg, au-delà des déclarations d'intention des gouvernements. A ce titre, la recherche est un domaine crucial, par exemple pour développer la lutte contre les maladies "orphelines" du Sud.
Tout cela repose sur un principe de bonne gouvernance mondiale, qui ne peut que s'accompagner de la mise en place d'un système international de normes rééquilibré au profit de l'environnement, et aussi du social (OIT, OMS), pour faire contrepoids au pilier économique, hégémonique jusqu'à présent : j'insiste à nouveau sur la création d'une Organisation Mondiale de l'Environnement, une OME.
A ces questions globales, il faut des réponses globales, et la participation doit s'étendre au niveau international, c'est pourquoi nous proposons que les ONG bénéficient d'un droit de saisine des instances internationales.
En France, nous rappelons que notre objectif est de parvenir à un découplage de la croissance économique et des dommages causés à l'environnement.
La réorientation radicale vers le développement durable porte en elle de nombreux gisements d'emplois, nous l'avons vu avec les emplois-jeunes, qui ont permis de créer 30 000 emplois environnement, et qui correspondent à des nouveaux services. Une politique innovante en faveur de l'emploi est nécessaire, pour prendre en compte les nouveaux visages du travail : mobilité accrue, pluri-activité, formation tout au long de la vie Ce sont des chantiers immenses. Le modèle fordiste d'un emploi tout au long de la vie est derrière nous, et pour éviter que mobilité ne rime avec précarité, nous devons réfléchir à la sécurisation des situations, et à l'encouragement au tiers-secteur, aux systèmes productifs locaux, à toutes ces formes d'économie alternative qui concilient impact social et environnemental.
Enfin j'avais commencé avec la question du risque : nous pensons qu'il est nécessaire de poursuivre la politique de prévention du risque qui a été initiée. Qu'il s'agisse de prévention du risque industriel ou naturel, l'objectif est le même : transparence, précaution, information.
On le sait, les dommages causés à l'environnement touchent tout le monde, ce qui permet d'ailleurs aujourd'hui une réelle prise de conscience de l'urgence qu'il y a à agir. Mais pour autant, on le sait aussi, ils touchent davantage encore les plus démunis, c'est la raison pour laquelle, à l'heure de cette stratégie, nous avons tenu à rappeler notre attachement à l'égalité, qui doit être, comme le dirait le philosophe Alain Badiou, non pas seulement un objectif mais un présupposé de notre action. L'éducation, la défense de la diversité culturelle, dans la création et dans son expression, en sont des éléments essentiels.
Voilà, j'ai cherché à vous tracer les grandes lignes de cette stratégie française, en vous en donnant les deux principes généraux et les principaux objectifs. Je n'ai pas cherché l'exhaustivité, pour un document de 120 pages. J'espère que vous y trouverez de quoi alimenter vos débats.
Je veux terminer par l'évocation du chantier qui s'ouvre pour les PECO : le Ministre de l'Environnement de Slovénie m'interrogeait récemment sur le développement durable en France, et je lui ai parlé des PIP (politiques intégrées des produits) qui est un formidable défi pour les entreprises.
Ce ne sont pas que les entreprises, que les industries qui sont concernées cependant : le développement durable est un enjeu pour nous tous, il s'agit d'une révolution culturelle, mais non violent. Le développement durable porte en lui un nouvel espoir, un nouveau projet de société.
Je vous remercie."
(Source http://www.environnement.gouv.fr, le 13 mars 2002)