Texte intégral
J.-P. Elkabbach
Le titre du Parisien ["La grande hésitation"(ndlr)] résume ce que dit la presse : 30 % des Français ne sont pas certains d'aller voter ; 46 % se disent pas sûrs de leur choix et 47 % sont satisfaits de la campagne.
- "Je crois, effectivement, que "la grande hésitation" est largement légitime et qu'il y a des millions de personnes qui auraient, tout simplement, eu envie qu'on parle de leurs préoccupations concrètes, que ce soit des thèmes comme les licenciements, comme la mal bouffe, ou encore le problème des retraites."
Vous vous vouliez le porte-parole des anonymes et vous avez imposé très vite votre tête et votre nom. Est-ce que vous vous dites : "mission accomplie", et même au-delà ?
- "Non, parce que ce n'est pas un problème de notoriété. On n'a pas voulu faire un casting à la LCR, ce n'est pas "Star Academy" ou le "Loft" . On a essayé, tout simplement, de donner un visage supplémentaire à notre organisation, de dire que le temps des porte-parole uniques était révolu. S'il y a un succès dans nos meetings, c'est tout simplement aussi parce que des personnes ont envie de se reconnaître dans quelqu'un qui est comme eux."
En quinze jours, vous avez gagné trois points dans les sondages - les sondages sont ce qu'ils sont... Vous avez donc déshabillé Madame Laguiller ?
- "D'abord, pour les sondages, on verra dimanche ; j'ai une confiance très limitée. Je crois surtout que ceux qui viennent dans mes meetings, c'est soit un électorat de gauche complètement déboussolé par la politique de Jospin, soit beaucoup de jeunes qui viennent - qui n'ont peut-être jamais voté - et qui pensent que la vraie politique, au fond, cela devrait être l'engagement collectif à combattre l'injustice."
Quelles idées avez-vous le sentiment d'avoir fait progresser ?
- "D'abord l'idée que la politique peut être défendue par d'autres personnes que des politiciens professionnels. C'est pour cela que je crois qu'il y a des personnes qui me voient comme quelqu'un qui leur ressemble, quelqu'un qui a, en gros, la même fiche de paie que la majorité de la population. Et puis aussi, peut-être, l'idée que, contrairement à ce qu'on essaye de nous faire croire, il n'y a jamais eu autant de pognon dans cette société pour financer une autre politique, qui ferait passer, par exemple, les besoins sociaux des populations en général avant les profits."
Il y a quelque chose qui est assez surprenant ou paradoxal : vous êtes le produit de la banlieue, vous êtes né à Levallois - d'après ce que j'ai lu - , vous avez grandi à Asnières et vous êtes devenu en quelque temps la coqueluche des beaux quartiers et de Paris !
- "La coqueluche des beaux quartiers ? Je n'en suis pas vraiment sûr. En vérité, je travaille à Neuilly mais je n'y vis pas ; j'habite dans le 18ème arrondissement de Paris et a priori, ce n'est pas à Neuilly que je vais faire les plus gros scores !"
On n'imagine pas que vous êtes le porteur de la révolution en France.
- "Je ne me suis jamais caché d'être un révolutionnaire, de penser plus que jamais qu'il y avait, encore plus peut-être qu'en mai 1968, des raisons d'être révolutionnaire, mais aussi d'avoir la tête sur les épaules et de proposer des mesures concrètes. Par exemple, arrêter une bonne fois pour toutes les privatisations parce que, pour moi, que ce soit se chauffer, s'éclairer - pour parler d'EDF- se déplacer, se former, cela devrait être de droits prioritaires sur la rentabilité."
On peut ajouter : utiliser de l'eau potable ?
- "Absolument, pour renvoyer à un débat d'actualité."
Vous qui connaissez bien, encore une fois, les jeunes des quartiers chauds où se pratiquent, aujourd'hui, les violences, les délinquances, la destruction familiale et sociale, des quartiers qui connaissent la drogue et l'intolérance ; comment les calmer ? Est-ce qu'il faut d'abord envoyer - je n'ose pas dire les CRS et les gendarmes - mais d'abord la répression, parce qu'on l'entend à droite comme à gauche ?
- "L'insécurité est un sujet trop sérieux pour faire de la dérive sécuritaire. On ne réglera pas tous les problèmes en mettant un commissariat dans chaque quartier et un flic derrière chaque citoyen. Quand on prend - et je pense d'abord à elles - le problème des victimes de violences, qu'on parle du problème concret du racket à l'école ou du problème des agressions sexuelles faites aux femmes, qui se passent quand même à 70 % de cas dans le cadre de la famille, on ne va pas nous faire croire que commissariat serait la structure la plus accueillante pour ça. Nous, on propose des antennes d'écoute, de prises en charge avec un personnel administratif, judiciaire, hyperformé pour répondre à ce type de problèmes. Il y a aussi une politique à long terme à voir."
Quand vous allez dans votre quartier, dans votre maison, dans votre immeuble, vous sentez cette violence environnante ou pas ?
- "La violence existe ; elles existent, parce elles sont de différentes formes. Ce n'est pas d'abord un problème générationnel, contrairement à ce que l'on nous dit. Je suis facteur, je ne suis pas le mieux placé, mais un guichetier à La Poste ou un chauffeur de bus vous diraient qu'on a souvent des surprises sur le profil des agresseurs. Ce n'est pas toujours un jeune, avec une casquette vissée sur la tête qui tient les murs en bas de mon immeuble, par exemple."
Est-ce que vous savez ou sauriez réduire les actes racistes et antisémites qui se sont développés depuis trois semaines ?
- "En tout cas, il faut une politique volontariste pour le faire. Il faut s'attaquer à toutes les formes de racisme qui s'en prennent à toutes les communautés. Aujourd'hui, malheureusement, il y a le racisme d'Etat : abolir ces centres de rétention qui se développent en France, qui ne sont ni plus ni moins, de l'esclavagisme moderne. Je crois qu'il n'y a pas d'autres mots."
A partir d'après-demain, apparemment, vous ne donnez pas de consignes de vote. Est-ce que vous dites : "ni l'un ni l'autre" ou "pas l'un, mais si vous voulez l'autre, allez-y" ?
- "Dans le cas où cela ne serait pas un deuxième tour entre A. Laguiller et O. Besancenot, et que ce soit plutôt entre Jospin et Chirac, on a décidé de ne pas donner de consignes de vote. Ce qui ne veut pas dire que pour moi gauche et droite, c'est la même chose. Je pense que J. Chirac, Supermenteur, devrait être devant la justice aujourd'hui, pas devant les électeurs. Et même à la loupe, je n'ai jamais trouvé un cortège du RPR dans les manifestations populaires. Simplement, il y a le bilan de la politique de Jospin. Très sincèrement, on n'empêche pas la gauche plurielle d'aller gagner ces élections mais si elle les perd, elle ne pourra s'en prendre qu'à elle-même. Donc, on ne donne pas de consignes de vote."
Vous avez annoncé que le 2 mai vous reprendriez votre métier, c'est-à-dire votre petit vélo jaune de facteur. Comme votre poste est à Neuilly, vous aurez peut-être de temps en temps l'occasion d'aller bavarder avec N. Sarkozy ?
- "Peut-être. Mais je discuterai surtout avec tous ces facteurs qui font grève actuellement parce qu'ils sont obligés d'amener des plis électoraux de plus en plus lourds, et que La Poste n'a pas prévu les moyens derrière. Je les salue et leur apporte ma solidarité !"
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 avril 2002)
Le titre du Parisien ["La grande hésitation"(ndlr)] résume ce que dit la presse : 30 % des Français ne sont pas certains d'aller voter ; 46 % se disent pas sûrs de leur choix et 47 % sont satisfaits de la campagne.
- "Je crois, effectivement, que "la grande hésitation" est largement légitime et qu'il y a des millions de personnes qui auraient, tout simplement, eu envie qu'on parle de leurs préoccupations concrètes, que ce soit des thèmes comme les licenciements, comme la mal bouffe, ou encore le problème des retraites."
Vous vous vouliez le porte-parole des anonymes et vous avez imposé très vite votre tête et votre nom. Est-ce que vous vous dites : "mission accomplie", et même au-delà ?
- "Non, parce que ce n'est pas un problème de notoriété. On n'a pas voulu faire un casting à la LCR, ce n'est pas "Star Academy" ou le "Loft" . On a essayé, tout simplement, de donner un visage supplémentaire à notre organisation, de dire que le temps des porte-parole uniques était révolu. S'il y a un succès dans nos meetings, c'est tout simplement aussi parce que des personnes ont envie de se reconnaître dans quelqu'un qui est comme eux."
En quinze jours, vous avez gagné trois points dans les sondages - les sondages sont ce qu'ils sont... Vous avez donc déshabillé Madame Laguiller ?
- "D'abord, pour les sondages, on verra dimanche ; j'ai une confiance très limitée. Je crois surtout que ceux qui viennent dans mes meetings, c'est soit un électorat de gauche complètement déboussolé par la politique de Jospin, soit beaucoup de jeunes qui viennent - qui n'ont peut-être jamais voté - et qui pensent que la vraie politique, au fond, cela devrait être l'engagement collectif à combattre l'injustice."
Quelles idées avez-vous le sentiment d'avoir fait progresser ?
- "D'abord l'idée que la politique peut être défendue par d'autres personnes que des politiciens professionnels. C'est pour cela que je crois qu'il y a des personnes qui me voient comme quelqu'un qui leur ressemble, quelqu'un qui a, en gros, la même fiche de paie que la majorité de la population. Et puis aussi, peut-être, l'idée que, contrairement à ce qu'on essaye de nous faire croire, il n'y a jamais eu autant de pognon dans cette société pour financer une autre politique, qui ferait passer, par exemple, les besoins sociaux des populations en général avant les profits."
Il y a quelque chose qui est assez surprenant ou paradoxal : vous êtes le produit de la banlieue, vous êtes né à Levallois - d'après ce que j'ai lu - , vous avez grandi à Asnières et vous êtes devenu en quelque temps la coqueluche des beaux quartiers et de Paris !
- "La coqueluche des beaux quartiers ? Je n'en suis pas vraiment sûr. En vérité, je travaille à Neuilly mais je n'y vis pas ; j'habite dans le 18ème arrondissement de Paris et a priori, ce n'est pas à Neuilly que je vais faire les plus gros scores !"
On n'imagine pas que vous êtes le porteur de la révolution en France.
- "Je ne me suis jamais caché d'être un révolutionnaire, de penser plus que jamais qu'il y avait, encore plus peut-être qu'en mai 1968, des raisons d'être révolutionnaire, mais aussi d'avoir la tête sur les épaules et de proposer des mesures concrètes. Par exemple, arrêter une bonne fois pour toutes les privatisations parce que, pour moi, que ce soit se chauffer, s'éclairer - pour parler d'EDF- se déplacer, se former, cela devrait être de droits prioritaires sur la rentabilité."
On peut ajouter : utiliser de l'eau potable ?
- "Absolument, pour renvoyer à un débat d'actualité."
Vous qui connaissez bien, encore une fois, les jeunes des quartiers chauds où se pratiquent, aujourd'hui, les violences, les délinquances, la destruction familiale et sociale, des quartiers qui connaissent la drogue et l'intolérance ; comment les calmer ? Est-ce qu'il faut d'abord envoyer - je n'ose pas dire les CRS et les gendarmes - mais d'abord la répression, parce qu'on l'entend à droite comme à gauche ?
- "L'insécurité est un sujet trop sérieux pour faire de la dérive sécuritaire. On ne réglera pas tous les problèmes en mettant un commissariat dans chaque quartier et un flic derrière chaque citoyen. Quand on prend - et je pense d'abord à elles - le problème des victimes de violences, qu'on parle du problème concret du racket à l'école ou du problème des agressions sexuelles faites aux femmes, qui se passent quand même à 70 % de cas dans le cadre de la famille, on ne va pas nous faire croire que commissariat serait la structure la plus accueillante pour ça. Nous, on propose des antennes d'écoute, de prises en charge avec un personnel administratif, judiciaire, hyperformé pour répondre à ce type de problèmes. Il y a aussi une politique à long terme à voir."
Quand vous allez dans votre quartier, dans votre maison, dans votre immeuble, vous sentez cette violence environnante ou pas ?
- "La violence existe ; elles existent, parce elles sont de différentes formes. Ce n'est pas d'abord un problème générationnel, contrairement à ce que l'on nous dit. Je suis facteur, je ne suis pas le mieux placé, mais un guichetier à La Poste ou un chauffeur de bus vous diraient qu'on a souvent des surprises sur le profil des agresseurs. Ce n'est pas toujours un jeune, avec une casquette vissée sur la tête qui tient les murs en bas de mon immeuble, par exemple."
Est-ce que vous savez ou sauriez réduire les actes racistes et antisémites qui se sont développés depuis trois semaines ?
- "En tout cas, il faut une politique volontariste pour le faire. Il faut s'attaquer à toutes les formes de racisme qui s'en prennent à toutes les communautés. Aujourd'hui, malheureusement, il y a le racisme d'Etat : abolir ces centres de rétention qui se développent en France, qui ne sont ni plus ni moins, de l'esclavagisme moderne. Je crois qu'il n'y a pas d'autres mots."
A partir d'après-demain, apparemment, vous ne donnez pas de consignes de vote. Est-ce que vous dites : "ni l'un ni l'autre" ou "pas l'un, mais si vous voulez l'autre, allez-y" ?
- "Dans le cas où cela ne serait pas un deuxième tour entre A. Laguiller et O. Besancenot, et que ce soit plutôt entre Jospin et Chirac, on a décidé de ne pas donner de consignes de vote. Ce qui ne veut pas dire que pour moi gauche et droite, c'est la même chose. Je pense que J. Chirac, Supermenteur, devrait être devant la justice aujourd'hui, pas devant les électeurs. Et même à la loupe, je n'ai jamais trouvé un cortège du RPR dans les manifestations populaires. Simplement, il y a le bilan de la politique de Jospin. Très sincèrement, on n'empêche pas la gauche plurielle d'aller gagner ces élections mais si elle les perd, elle ne pourra s'en prendre qu'à elle-même. Donc, on ne donne pas de consignes de vote."
Vous avez annoncé que le 2 mai vous reprendriez votre métier, c'est-à-dire votre petit vélo jaune de facteur. Comme votre poste est à Neuilly, vous aurez peut-être de temps en temps l'occasion d'aller bavarder avec N. Sarkozy ?
- "Peut-être. Mais je discuterai surtout avec tous ces facteurs qui font grève actuellement parce qu'ils sont obligés d'amener des plis électoraux de plus en plus lourds, et que La Poste n'a pas prévu les moyens derrière. Je les salue et leur apporte ma solidarité !"
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 avril 2002)