Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "Les Echos" du 23 mai 2002, sur la lisibilité de l'identité de la CFDT, notamment pour les 35 heures, la réforme de la représentativité syndicale et les relations avec les autres syndicats.

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Les Échos : Après le résultat du 1er tour de la présidentielle qui a vu la montée de l'extrême droite et l'importance du vote protestataire, les syndicats qui n'ont pas alerté sur ce malaise ne doivent-ils pas faire, eux aussi, leur autocritique ?
Nicole notat
Le score de l'extrême droite, et globalement des extrêmes, est surtout l'expression d'une grande défiance à l'égard des politiques. Nous reprocher de ne pas avoir senti les frustrations, les peurs des salariés, c'est aller un peu vite en besogne. Nos militants sont témoins au quotidien de ces réalités. La CFDT, souvent à contre-courant, considère que sa responsabilité n'est pas seulement de se faire l'écho de toutes les peurs. Nous refusons de semer l'illusion : les salariés sont capables de comprendre quel est leur intérêt à court ou moyen terme. J'ai le sentiment que ce comportement est sûrement plus efficace qu'ajouter de la surenchère à la surenchère. Encore faut-il que les responsables politiques sachent eux aussi les éclairer, allument les feux anti-brouillards. En outre, il semble bien que les salariés non syndiqués sont moins perméables aux thèses de l'extrême droite que les autres. Ce qui est en cause dans notre pays, c'est le désert syndical et c'est là une leçon à tirer de ces élections pour les organisations de salariés.
Certains disent la déception des ouvriers sur les 35 heures a pesé sur le vote des ouvriers.
Où est la preuve scientifique de la relation entre les 35 heures et les votes extrêmes ? Nulle part. Vous parlez de déception des ouvriers, nos enquêtes nous permettent en tout cas de dire qu'ils ne veulent pas revenir à la situation précédente. Ce qui me paraît vrai, en revanche, c'est que les salariés qui ont obtenu des jours de repos voient dans la réduction du temps de travail un bénéfice bien plus grand que ceux qui ne bénéficient que de quelques heures par semaine. Cela plaide pour une annualisation du temps de travail dont certains nous disaient qu'elle était contraire à l'intérêt des salariés.
Le gouvernement actuel veut assouplir les 35 heures. La CFDT y est-elle prête ?
Assouplir, oui, dès lors que c'est avec la volonté de parvenir à l'application des 35 heures et de passer par la négociation de branche d'abord, d'entreprise ensuite.
François Fillon a aussi évoqué un assouplissement, voire un moratoire sur les 35 heures à l'hôpital. Qu'en pensez-vous ?
Je lui conseille de lire l'accord signé à l'automne par la CFDT, qui me semble contenir toutes les bases permettant une bonne application des 35 heures à l'hôpital. Les signataires ont prévu une concomitance entre l'application effective des 35 heures et la création des emplois, en créant un compte épargne temps pour chaque salarié. Les difficultés ici et là viennent d'un décalage entre le passage au 35 heures et les recrutements.
Diriez-vous que les 35 heures sont l'un des aboutissements de votre décennie à la tête de la CFDT ? Font-elles partie des réalisations dont vous êtes la plus fière ?
Oui, cela en fait partie. Mais je ne réduirais pas aux 35 heures les seuls acquis de la CFDT depuis 20 ans. Ainsi, nous avons battu en brèche l'affirmation selon laquelle les salariés français étaient définitivement récalcitrants à l'idée de devenir membre d'une organisation syndicale. Notre développement en atteste. Nous sommes fiers d'avoir su inverser la tendance mais nous restons lucides sur le trop peu de salariés rassemblés, intégrés dans une force collective, syndicale.
Quel est le plus grand frein au développement syndical ?
Il y a des freins culturels chez les salariés : beaucoup pensent encore qu'ils peuvent s'en sortir seuls et l'image globale des syndicats n'est pas toujours porteuse. Et puis, c'est évident, la culture patronale française, au delà des discours, n'est pas à la reconnaissance syndicale dans toutes les entreprises. Les enseignements à tirer de l'électrochoc politique que nous venons de vivre sont pour tout le monde.
Sur quels terrains avez-vous le sentiment que le discours de la CFDT a le plus porté et pesé sur la réalité, en dehors des 35 heures ?
La lisibilité de l'identité de la CFDT. L'idée progresse enfin que la CFDT est un syndicat indépendant. Dès 1985 nous avons décidé de ne plus faire d'appel partisan lors d'élections. Notre indépendance s'est encore affirmée en 1995 lorsque nous avons approuvé le plan Juppé de réforme de l'a ssurance maladie, puis vis à vis du gouvernement Jospin : nous avons soutenu les 35 heures et bataillé ferme sur le Pare. La CFDT juge sur pièces les propositions, les actes d'un gouvernement, et pas en fonction de sa couleur politique.
La refondation sociale dont vous êtes a priori satisfaite a-t-elle été bien comprise des salariés ? Les sondages montrent un certain flottement.
Cette refondation s'est opérée dans un contexte délétère et a été perçue, à tort ou à raison, comme une initiative dirigée au départ contre le gouvernement. Au total, l'impact direct sur les salariés, les retraités et les chômeurs est réél, quoi qu'on en dise. Et jamais, dans une campagne électorale, nous n'avons vu fleurir à ce point les questions de la place et du rôle des partenaires sociaux, de la nécessité de fonctionner autrement entre l'Etat et la société civile. L'actuel gouvernement fait du dialogue social le deuxième terme de ses priorités et j'ai tendance à penser que cela n'est pas dû au hasard. Même si la refondation sociale n'avait contribué qu'à poser enfin ces questions essentielles, elle aurait servi.
Le gouvernement affiche de bonnes intentions sur le dialogue social. Quelle doit être, selon vous, sa priorité ?
Il ne s'agit pas seulement de faire appel à la relance de la négociation. Le gouvernement doit rechercher une plus grande efficacité du dialogue social et des relations professionnelles. Il faut réformer nos règles de la négociation collective, préciser la légitimité et la représentativité des acteurs, et cela, c'est l'affaire de la puissance publique. Nos propositions sont connues : aller vers une validation des accords signés par des syndicats représentant une majorité de salariés dans l'entreprise, procéder à une élection de représentativité à partir des élections d'entreprises dans les branches professionnelles. Cette épreuve de vérité est indispensable mais ce n'est pas pour exclure qui que ce soit de la table des négociations.
Cette réforme de la représentativité est-elle pour vous un préalable à toute autre négociation ?
C'est un engagement qui doit être pris tout de suite par le gouvernement et dont il faut fixer précisément le terme. La " position commune " signée en juillet 2001 par le patronat et quatre confédérations est une première base à partir de laquelle il y a encore beaucoup de travail, de concertation, de confrontation à engager pour déboucher sur des propositions législatives mûries et le plus partagées possible. Mais les partenaires sociaux peuvent en même temps travailler sur d'autres questions urgentes. La formation, l'insertion et l'embauche des jeunes dans les entreprises ainsi que l'emploi des salariés en fin de carrière doivent être vite négociés. Il est urgent de reprendre le dossier de la formation professionnelle sur lequel nous avons échoué durant la refondation. Sur toutes ces questions, nous devrions pouvoir y voir clair à la mi-2003.
La CFDT a pris des positions de principe plus courageuses que d'autres sur la réforme des retraites. Pensez-vous que vos adhérents, notamment les fonctionnaires, vous suivront jusqu'au bout ?
Il faut que la CFDT soit particulièrement claire sur les orientations que l'équipe dirigeante aura à défendre. Nous redirons au congrès de Nantes que l'intérêt et des salariés du privé et des fonctionnaires est qu'une réforme ait lieu, faute de quoi leur niveau de pension est menacé. Oui, il y a une question sur la durée de cotisation des fonctionnaires : se limiter à la stigmatiser serait prendre le risque d'un échec. C'est pourquoi nous demandons une réforme globale, qui joue pour tout le monde sur plusieurs paramètres.
Vous souhaitez que le gouvernement agisse sans recommencer de grandes négociations avec les syndicats ?
Le diagnostic est fait, les hypothèses, les préconisations sont maintenant suffisamment précises. Il faut procéder à la construction de la réforme. Avec deux écueils à éviter : que le gouvernement la sorte de son chapeau en quinze jours sans aucune discussion et a contrario qu'il refasse un nouveau rapport. Le gouvernement devra évaluer les sensibilités, les attentes, et assumer sa responsabilité : après consultations, il aura à prendre sa responsabilité.
Sur la question des retraites, la CGT est très éloignée de vous Quel regard portez-vous sur son évolution ?
Quand on peut avancer et progresser ensemble sur une question, le rapport de force syndical est incontestablement bien meilleur. Mais il faut aussi se faire à l'idée qu'il y a des terrains plus sensibles sur lesquels les convergences se font de manière plus difficile. Il ne faut pas les dramatiser, les exacerber. Quand on compare les relations entre la CFDT et la CGT il y a quelques années et celles d'aujourd'hui, on mesure le chemin parcouru. Je sais le poids de l'histoire et je sais que les évolutions ne s'opèrent pas en un jour. Je note que la CGT a décidé de participer au Comité intersyndical de l'épargne salariale et qu'elle tient sa place au sein de la CES. Ce n'est pas neutre d'afficher aujourd'hui la perspective européenne.
Et Force ouvrière, qui ne manque pas une occasion d'épingler la CFDT ?
Toutes ces années, j'ai toujours eu l'impression que pour FO, la CFDT était son pire ennemi mais j'ai refusé de me situer sur le terrain de la guerre. Avec, je dois le dire, peu de résultat. FO a envie d'être à la fois la CGT parce qu'elle s'en estime l'héritière et la CFDT sur ce qu'elle estime être son fond de commerce, c'est-à-dire la politique contractuelle.
Sur l'assurance-maladie, avez-vous une idée précise de la façon dont le gouvernement à venir peut se sortir de l'impasse ?
Il va falloir que le gouvernement en vienne, dans ce domaine comme d'autres, à préciser sa doctrine, à dire s'il est attaché à une gestion déléguée de la sécurité sociale avec des acteurs dont les prérogatives seraient clairement définies. Il faudra qu'il clarifie le rôle de l'Etat et celui de la CNAM : chacun sera alors mis devant ses responsabilités et l'on saura alors si le patronat, qui a déserté l'assurance maladie, choisit d'y revenir ou s'il choisi l'étatisation. Il faut le prendre au mot sur les conditions qu'il a posé pour son retour.
Un patron, Francis Mer, a accepté d'entrer au gouvernement. N'est-ce pas concevable pour un syndicaliste, pour vous en l'occurence ?
Bien sûr que c'est concevable. Simplement il faut replacer ces choix là dans un contexte. Je considère que la CFDT a mis tellement de temps à faire comprendre que le champ de la politique et celui de l'action syndicale sont deux champs distincts, que passer directement d'une fonction comme la mienne à une fonction politique rebrouillait cette question. Qui plus est, personnellement, mon goût ne va pas de ce côté là.
Force ouvrière vous reproche en quelque sorte d'avoir préparer le terrain de votre reconversion en lançant le Comité intersyndical de l'épargne salariale
Le Comité est une affaire française. Mon projet dépasse largement cette initiative. L'objectif de l'agence européenne de notation que je projette de créer est de faire progresser du côté des investisseurs et donc des actionnaires l'idée que la performance d'entreprise ne se limite pas seulement à ses résultats financiers mais aussi à sa stratégie sociale et environnementale. Il existe trois agences de notation financière qui font référence dans le monde, mais rien de comparable au plan social. Cette agence de notation sera installée à Paris, avec pour actionnaires des entreprises, des syndicats venant de plusieurs pays européens et des institutionnels financiers.
Lors de vos premières années à la CFDT, vous avez dû gérer une véritable crise. Dans quelle situation laissez-vous l'organisation ?
C'est, je dois vous l'avouer, une grande satisfaction que de voir l'organisation rassemblée sur des ambitions claires, assumées. La CFDT n'aurait pas tenu les positions que nous avons tenues dans les controverses ces dernières années sur la base d'un consensus mou. Nous avons, je crois, réussi à conjuguer deux choses auxquelles la CFDT est viscéralement attachée : un idéal qui donne sens à son action et une conduite pragmatique de celle-ci. Nous avons besoin de savoir où nous voulons aller, pourquoi y aller et en même temps nous avons, chevillé au corps, le principe de réalité. C'est en avançant au jour le jour sur des résultats partiels mais qui sont dans la ligne fixée que l'on peut véritablement transformer les choses.n
Source : Les Échos du 23 mai 2002, entretien reproduit avec l'aimable autorisation des Échos.
(Source http://www.cfdt.fr, le 24 mai 2002)