Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, à La Chaîne info le 4 avril 2002, sur le dépôt d'un millier de signatures de parrainage, la nécessité de confier aux maires des responsabilités dans le cadre de la lutte contre l'insécurité et sur les violences antisémites.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser - Vous avez recueilli plus de 1.000 signatures pour parrainer votre candidature, on va en parler dans un instant...
- "C'est un record ! En dehors des deux candidats sortants, c'est le plus grand nombre de signatures."
Vous en êtes fier ?
- "Oui, je trouve que c'est un motif de fierté. Cela veut dire qu'il y a un tissu d'élus locaux qui soutiennent ma candidature et la perspective de changement que je présente."
Ces élus locaux n'étaient pas très présents au début de votre campagne ; ils ont bougé ?
- "Tout vient à point à qui sait attendre."
Vous avez su attendre ? C'était dur parfois, non ?
- "Attendre, travailler, expliquer, mobiliser... C'est pour cela que le climat est en train de changer."
Qu'est-ce qui a provoqué le déclic ?
- "Je crois que c'est l'affirmation forte que c'est maintenant le temps du changement. Les Français sont très nombreux à voir devant eux L. Jospin et J. Chirac. Ils savent tout des deux, ils les ont vu gouverner pendant des années et ils savent que dans les années qui viennent, ils ne gouverneront pas différemment, quelles que soient les options à peine différentes des uns et des autres. Les Français sentent bien qu'il faut une approche nouvelle, à la fois plus rassembleuse - il n'y a pas de raison que l'on se fasse la guerre sur tous les sujets - et plus déterminée, plus énergique, avec des rendez-vous précis et la volonté de transformer l'action politique en quelque chose d'enfin efficace. Peut-être moins de promesses intenables, mais les promesses ou les engagements que l'on prend, qu'on les tienne. Par exemple, je promets qu'il n'y aura plus d'enfants qui entreront en 6ème sans qu'ils sachent lire ; on leur apprendra à lire avant ; je promets qu'on ne peut rester en France avec 400 ou 500 quartiers dans lesquels aucune personne qui représente l'autorité public ne peut entrer."
Vous parlez des quartiers dans lesquels personnes ne peut entrer, donc on en vient à la sécurité : d'après vous, ce problème occupe trop de place dans la campagne électorale ? Parce que L. Jospin accuse J. Chirac de d'exploiter ce thème, c'est tout de même un thème omniprésent...
- "J'imagine que beaucoup de Français sont un peu lassés de la répétition. Je pense que, devant leur écran, ils ont le sentiment qu'on répète, que les candidats répètent toujours la même chose sur ce sujet. C'est vrai que les propositions en matière de sécurité sont tellement semblables qu'ils n'y a qu'une question qui vienne à l'esprit : pourquoi l'un et l'autre ne l'ont-ils pas fait avant ? Ils sont au pouvoir, l'un depuis sept ans et l'autre depuis cinq ans, pourquoi n'ont ils pas fait depuis toutes ces années ce qu'ils promettent ou proposent aujourd'hui ? C'est un changement de politique naturellement très important qui aurait ainsi eu lieu. Les Français ont donc l'impression qu'on répète, mais il est vrai aussi que tant de Français ont l'impression qu'on les laisse tomber complètement sur la sécurité. C'est-à-dire que les hommes politiques nous racontent qu'ils vont faire "l'impunité zéro" ou "tolérance zéro", ce qui, naturellement, est une promesse aussi crédible que baisser les impôts de 30 % ou "zéro SDF". La vérité, c'est que pour l'instant et avec l'organisation qui est la nôtre, ils n'ont pas les moyens de cette promesse."
Que proposeriez-vous dans ce domaine ?
- "Je propose de changer les choses en donnant l'autorité principale à celui qui est le plus prêt du terrain, c'est-à-dire dans les grandes villes, les grandes agglomérations : le maire, l'élu."
Et dans les petites villes ?
- "Dans les petites villes aussi, puisque vous savez qu'il y a des agglomérations, des regroupements des communes. Donc, l'autorité principale à l'élu local, pour qu'il soit un aiguillon et qu'il représente les citoyens qui, pour l'instant, n'ont pas de représentant."
C'est très controversé !
- "Cela prouve qu'il y a une différence et une originalité. Quand vous voyez une bande au coin de votre rue, vous êtes une personne qui n'a pas de relations, qui simplement s'émeut de voir que dans l'indifférence générale, il y a des deals, des trafics ou des rackets au coin de votre rue - naturellement, cela se passe toujours dans les rues des gens les moins avantagés, les plus pauvres ; ce n'est pas dans le 7ème arrondissement que l'on voit des pitt-bulls et du racket -, à qui vous adresserez-vous ? Si vous allez au commissariat, on va vous dire : "Est-ce que vous avez été victime ?". Vous répondez "non, mais je vois des choses". Mais si vous n'avez pas été victime, vous n'avez pas à porter plainte... Et c'est normal, c'est l'organisation de la police. Il faut changer cela pour que les citoyens aient un représentant, un avocat. Et le seul avocat disponible, ce doit être le principal élu local qui les représente et qu'ils ont élu. Voilà une différence très importante qui change l'organisation de la sécurité en France."
Dans ce cas, il faut que le maire soit très présent ?
- "On n'ira pas vers le traitement de tous ces problèmes de l'avenir sans avoir des élus présents ; c'est comme ça."
Vous êtes pour le mandat unique ?
- "Je suis pour que l'on règle cette question et que désormais, il y ait une règle claire pour tous les élus."
Parlons un instant de la flambée d'antisémitisme qui sévit en France. Il y a eu cette nuit de nouveaux attentats : à Montpellier et à Aubervilliers. Hier, J. Chirac a lancé un appel à la cohésion nationale ; d'après vous, les communautarismes menacent la France ?
- "Oui, il y a une dérive qui fait que l'on importe chez nous le conflit du Proche-Orient. Je dis que l'Etat a le devoir, non pas seulement d'appeler à la cohésion - c'est bien qu'il le fasse -, mais l'Etat a le devoir de protéger ceux qui sont menacés. Franchement, on est en 2002, c'est le XXIème siècle, on ne va pas revivre en France ce que l'on a vécu au XXème siècle ..."
On se le demande...
- " ... avec des menaces sur des Français, simplement en raison de leur religion, de leur origine ou de leur identité. L'Etat a un devoir de protection efficace et cela fait 18 mois que ces choses-là montent et progressent. C'est vraiment le dernier moment où l'on peut rassurer nos compatriotes juifs. Et naturellement, si c'était des musulmans qui étaient attaqués pour la même raison, le devoir de vigilance serait le même. Nous avons choisi de bâtir un pays dans lequel il n'y a pas de différences entre un citoyen musulman, un citoyen juif ou un citoyen chrétien ou athée. C'est le choix de la France. Le pacte qui a fait que la France s'est soudée, c'est le choix de "tous citoyens" et d'une certaine manière, égaux et fraternels."
Ce pacte est en train de se rompre ?
- "Oui, il y a un grand risque. Vos voyez bien l'éclatement. C'est comme si chacun tirait sur un bout du tissu national et gardait seulement entre les mains un petit morceau de ce tissu. On a donc le devoir, chacun doit assumer avec fierté son identité ou sa foi s'il en a une, mais nous devons vivre ensemble dans le respect de ce pacte républicain."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 avril 2002)