Interviews de Mme Christiane Taubira, candidate du Parti Radical de Gauche à l'élection présidentielle de 2002, à "France2" le 11 mars, à "France Inter" le 13 mars, et dans "Paris Normandie" le 14 mars 2002, sur la campagne électorale et sur ses propositions.

Prononcé le

Média : Paris Normandie

Texte intégral

France 2 -
le 11 mars 2002
F. Laborde
Nous allons parler du sort de ceux qu'on appelle - parfois pas très gentiment d'ailleurs il faut le dire - les "petits candidats" à l'élection présidentielle. Est-ce que ce n'est pas difficile justement, quand on est un peu dans le bas du classement des sondages, de continuer à faire campagne, quand on voit effectivement qu'il y a un énorme décalage avec les deux grands, les deux sortants ?
- "Non, j'avoue que ça n'a pas d'impact, parce que j'ai choisi de faire une campagne de terrain. J'ai donc sillonné la France déjà une première fois, depuis deux mois. Je vais continuer, mais cette fois pour un tour de France de meetings. Et l'écho que je reçois sur le terrain me permet de considérer que les idées que je propose, les propositions que j'émets et l'échange que j'ai souhaité avoir avec les Français est tout à fait fructueux et a une grande résonance, de sorte que ça n'a pas d'impact sur mon moral, sur mon état d'esprit. Pour autant, ça pose effectivement le problème de l'équité, du traitement et puis, tout simplement, d'une dynamique de campagne, c'est-à-dire du refus de considérer que tout est joué, du refus de considérer qu'il n'y a qu'un seul deuxième tour et d'imposer des règles plus équitables, pour jouer vraiment le jeu du deuxième tour."
Les radicaux de gauche, avant de décider de courir, avec leur candidate, ont beaucoup hésité. Est-ce que ces hésitations sont maintenant totalement derrière vous ou, au contraire, ça ne fait qu'accentuer les doutes du début ?
- "Je retiens d'abord que l'investiture a été votée à 81%. Je retiens ensuite que ce tour de France de terrain a pu être bien organisé grâce à une très forte mobilisation des militants de toutes les fédérations. Et je retiens surtout que le PRG a plusieurs parlementaires, c'est un groupe conséquent à l'Assemblée Nationale et que, par conséquent, toute cette mobilisation, cette dynamique permanente, je la vois sur le terrain pendant cette campagne."
Parmi les propositions que vous faites, quelle est celle que vous mettriez en avant et quelle est celle que vous aimeriez, si possible, voir reprise par un candidat au second tour ?
- "Parce que je considère que l'humanisme est une valeur suprême, je crois que l'essentiel est vraiment la situation des personnes. Et cette situation des personnes me conduit à dire qu'il est important qu'on comprenne bien que la France est plurielle, qu'elle est diverse dans sa proposition sociale, qu'il y a une très grande diversité culturelle, d'identités, de croyances et de territoires et qu'il faut en tirer les conséquences. Cela veut dire par exemple, concernant la diversité culturelle, une politique culturelle dynamique, donc partout, y compris dans les banlieues, cela veut dire aussi de prendre en compte la diversité linguistique par exemple et adopter la Charte sur les langues régionales. Cela veut dire, pour la diversité des croyances, d'admettre qu'il y a l'existence de personnes qui ont droit, par exemple, à des lieux de sépultures et des lieux de culte. Pour la diversité des territoires, cela veut dire que l'Etat doit accepter de se renforcer sur ses missions essentielles et de partager des compétences qui seront mieux exercées au niveau territorial."
Vous êtes députée de Guyane : est-ce que vous considérez justement que cette France plurielle a du mal à exister ?
- "En tout cas, au niveau des institutions publiques, incontestablement. Sur le terrain, les Français s'adaptent bien, ils acceptent bien cette diversité, parce qu'ils la vivent au quotidien. Il y a des périodes de tensions, il y a des périodes d'inquiétudes, mais il y a des périodes aussi de grand enthousiasme - rappelons nous la Coupe de France [ndlr : du Monde ?], cet emblème en fait de cette France plurielle. Donc, c'est au niveau des institutions publiques de l'absence de représentations, c'est l'absence de politiques qui visent justement à combler des inégalités qui se sont creusées entre les catégories de Français, c'est à ce niveau là que les difficultés sont fortes."
La décentralisation est aussi un des sujets qui est au cur de votre campagne ?
- "Oui, elle est justifiée par la diversité des territoires et la force des identités territoriales. Il y a en France des identités culturelles très fortes, sans référence territoriale. Il y a des identités territoriales très fortes, avec parfois des identités culturelles mais parfois sans, il y a parfois aussi des identités économiques, c'est-à-dire des savoirs, des savoir-faire, sur certains types d'activités. Donc, cette forte diversité doit être prise en compte, parce que c'est elle qui va alimenter une République unie, et non pas une République uniforme. Et il est important de comprendre que les 20 années de décentralisation ont provoqué des disparités importantes, simplement parce qu'on a pas mis en place les instruments de péréquation nécessaires pour assurer la cohésion sociale et la solidarité."
Il y a un certain nombre de candidats qui se plaignent de ne pas avoir les 500 signatures - on a vu que c'était le cas pour J.-M. Le Pen, on a vu que c'était le cas pour C. Pasqua qui disait qu'effectivement, il y avait des pressions qui étaient exercées sur certains élus pour qu'ils n'accordent pas leur signature... Ce n'est pas votre problème ?
- "Non, j'en ai 630."
Autre question : vous avez évoqué la nécessité de passer à une VIème République.
- "Oui."
Pourquoi ?
- "Parce qu'il y a un contexte très différent de la Vème, qui devait sortir de l'instabilité gouvernementale et qui devait traiter la question de la décolonisation. Aujourd'hui, la France a depuis 50 ans des engagements européens internationaux. On a vu que la cohabitation a un peu mis à mal le fonctionnement des institutions publiques et surtout, il y a une très forte demande des citoyens de participer à la vie publique. Il y a donc lieu de refondre le texte fondateur, de refondre le texte qui constitue le contrat national et, dans ce texte, il faut procéder à une vraie séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif. Il faut ouvrir l'initiative législative aux citoyens par voie de pétitions, il faut permettre aux citoyens de saisir le Conseil Constitutionnel, qu'il faudra réformer également par voie de pétitions. Et il faut mettre en place des comités nationaux d'usagers, qui permettront aux citoyens d'intervenir sur des grandes orientations des politiques publiques, telles que l'éducation, la justice, la recherche, la santé, la sécurité."
C'est quoi ? Des référendums, des choses comme ça ?
- "Non, je ne suis pas favorable au référendum, parce que si on permet aux citoyens d'accéder par ces pétitions, par ces comités nationaux d'usagers, on n'a pas besoin autant de référendums d'initiative populaire, qui sont quand même un risque réel de forte démagogie de la part de certaines personnes. Donc, il y a des institutions à stabiliser, c'est-à-dire que ces comités nationaux d'usagers permettent aux citoyens d'intervenir de façon permanente sur les orientations des politiques d'éducation, de l'audiovisuel par exemple. Cela n'exclut pas les référendums, mais ça évite le recours"
Quelle est la légitimité de ces comités ?
- "C'est dans l'élaboration de leur statut qu'on établirait leur légitimité, qu'on établirait dans quel cas ils sont consultatifs, dans quel cas ils ont vraiment pouvoir de délibération."
Une toute dernière question : comment vous trouvez le niveau général de cette campagne ? On voit que les petites phrases de L. Jospin, J. Chirac, et les réponses deviennent de plus en plus fréquentes. Vous avez le sentiment qu'il y a une bonne campagne ?
- "Je note surtout que les Français restent très raisonnables et très exigeants puisqu'ils sont 61% à ne pas avoir décidé pour qui voter et 77% indiquent qu'ils sont beaucoup plus intéressés par ceux qu'on appelle, injustement, les "petits candidats"."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 mars 2002)