Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur le développement des relations franco-chinoises, l'importance d'un monde multipolaire, et les droits de l'Homme, Paris le 19 janvier 1998.

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Circonstance : Voyage de M. Védrine en Chine du 22 au 24 janvier 1998

Texte intégral

Je suis ravi de vous rencontrer. Je n'ai pas encore eu beaucoup d'occasions de rencontrer les correspondants de la presse chinoise à Paris. J'ai pensé que c'était le moment. Je voulais vous dire deux ou trois choses très simples pour vous indiquer dans quel cadre et dans quel esprit je vais faire cette visite en Chine.
C'est une visite très importante pour moi. Elle n'est pourtant pas très longue. Mais elle est très importante pour des raisons évidentes que je me permets de rappeler : la place de la France dans les relations internationales, ses responsabilités que vous connaissez bien puisque vous êtes à Paris ; la place de la Chine qui est déjà considérable et qui va se développer de plus en plus.
Nous souhaitons avoir, entre nos deux pays, un dialogue politique de haut niveau, beaucoup plus intense et beaucoup plus régulier que cela n'a été le cas depuis longtemps. Il y a toujours eu des relations depuis la date historique de 1964, des relations toujours très fortes. Il y a toujours eu un grand intérêt en France pour la Chine. Je crois que la Chine a toujours accordé aussi beaucoup d'importance à ses relations avec la France. Mais il est temps de passer à quelque chose de régulier, d'organisé. Nous sommes dans un monde où les sujets sont de plus en plus interdépendants et il faut, par conséquent, en parler régulièrement, et pas uniquement lors de rencontres épisodiques. Il faut avoir des relations qui permettent d'aborder toutes les questions.
Il y a une parfaite entente entre le président de la République et le gouvernement actuel à propos du cadre dans lequel nos relations se situent et doivent se développer. Il y a eu une déclaration franco-chinoise en mai dernier à la fin du précédent gouvernement. L'actuel gouvernement a été formé ensuite mais il n'y a qu'une seule politique, pour le gouvernement comme pour le président.
Nous voulons développer ces relations. Dans ces relations, il y a une dimension bilatérale que j'évoquerai lors de mon passage à Pékin, des dimensions politiques - comment faire pour intensifier le dialogue - une dimension culturelle de coopération au sens large et une dimension diplomatique. La France et la Chine peuvent aborder tous les sujets ensemble. Il est justifié que ces sujets soient abordés, que ces questions concernent la région où se trouve la France - c'est-à-dire l'Europe -, ou les parties de l'Asie. Il faut aller plus loin que ce qui a été fait jusqu'à maintenant. Il n'y a aucun élément de contentieux entre la France et la Chine. Concernant la question de Taiwan dans les relations Paris-Pékin, elle a été clarifiée par le communiqué de janvier 1994.
Voilà le cadre. Je vais en Chine parce que j'ai été invité par mon homologue chinois à me rendre à Pékin. Il est normal de se parler, à Paris, à Pékin ou à New York. C'est le cadre qui sera maintenant permanent. Evidemment, il y a la conjoncture et la conjoncture fait qu'il y a de nombreux sujets à aborder ensemble, notamment l'actualité de la crise financière en Asie qui ne touche pas particulièrement la Chine, ce qui est déjà un événement remarquable en soi. C'est très intéressant, pour nous, de savoir comment les dirigeants chinois évaluent cette crise, son origine, son développement, son impact, et s'il y a des leçons à en tirer. D'autre part, le contexte est aussi celui des relations entre la Chine et l'Union européenne, celui de l'évolution des relations entre la Chine et les Etats-Unis. Toutes ces évolutions vont dans le bon sens à nos yeux.
Dans le dialogue entre la France et la Chine, on peut souligner l'importance d'un monde multipolaire. C'est en effet un concept qui nous est commun. Cela veut-il dire que le monde multipolaire existe aujourd'hui ? Pas tout à fait. C'est plutôt un objectif qu'une réalité d'aujourd'hui. Nous pensons qu'il serait bon pour le monde qu'il n'y ait pas une puissance dominante mais plusieurs pôles qui soient eux-mêmes équilibrés avec de bonnes relations entre eux. Ce qui est intéressant dans l'évolution d'un monde multipolaire, c'est qu'il favorise la gestion des affaires du monde. La mondialisation comporte des aspects très positifs, très stimulants, avec des aspects très contraignants et des aspects potentiellement dangereux. Les grands pays, soit par leur taille, soit par leur rôle, parce qu'ils sont adhérents au Conseil de sécurité, les grands ensembles de pays, comme l'Europe, avec le démarrage de la monnaie unique, ces grands ensembles, ces grands pays ont des responsabilités particulières pour construire un monde meilleur. Cela doit se faire dans un dialogue avec tous les Etats qui sont parties prenantes du monde, c'est-à-dire 185 pays. Il faut tenir compte de tous les éléments. Il ne s'agit pas non plus de dissoudre les autres, il faut combiner plusieurs équilibres.
Nous avons certainement des choses très importantes à nous dire entre Chinois et Français sur la façon dont il faut gérer ces évolutions dans les années à venir, dans les dix ou quinze années qui viennent.
Voilà le contexte dans lequel je vais dans votre pays et je crois que mon programme est connu. Je peux vous en donner les éléments principaux. Je rencontrerai le ministre des Affaires étrangères durant un déjeuner, je serai reçu par le président de la République, mais malheureusement, je ne pourrais pas être reçu par le Premier ministre car il ne sera pas à Pékin. J'espère rencontrer le vice-Premier ministre et d'autre part, je rencontrerai des journalistes chinois et de jeunes décideurs chinois devant lesquels je ferai une présentation de notre conception des relations internationales, de notre conception du dialogue entre Paris et Pékin. A Hong Kong, j'aurai des entretiens avec le chef de la région administrative spéciale.
Voilà, c'est un programme simple, une visite courte mais qui sera remplie dans chacune de ses minutes.
J'ai dîné, il y a quelques jours, chez l'ambassadeur de Chine à Paris avec quelques membres de la délégation qui m'accompagnera. Nous avons déjà passé en revue beaucoup de choses, concernant la situation en Chine, les grandes questions d'aujourd'hui et les questions bilatérales. Mais le point central, c'est que le gouvernement français et le président de la République sont très désireux de donner un plus grand développement encore aux relations entre la France et la Chine. Nous avons le sentiment que cet objectif est partagé.
Une des grandes questions à débattre, puisque je vous ai indiqué que l'on parlerait de tout, il y a évidemment la question des Droits de l'Homme. Mais vous savez que nous voulons l'aborder à travers une façon qui soit constructive, dans laquelle chacun comprend la position de l'autre. Ce sont d'ailleurs des principes généraux puisqu'ils sont contenus dans la Charte des Nations unies que nos deux pays ont ratifiés. L'essentiel, c'est que nous devons traiter cette question par le dialogue. C'est très important en France, en Europe, d'autant qu'historiquement il peut y avoir dans le dialogue et le débat politique - et vous le savez bien car vous êtes ici à Paris - des différends dans la façon de traiter les sujets.
Q - Vous avez mentionné le monde multipolaire et son importance. Le président Chirac disait, avant son voyage en Chine, que la France préconise un partenariat privilégié avec la Chine. C'est bien dans ce sens-là que l'on va ? Il s'agit de nouer plus les relations bilatérales pour faire avancer le monde multipolaire ?
R - Dans le dialogue en question, en échangeant nos analyses sur ce que je disais tout à l'heure, nous pourrons arriver à une meilleure compréhension de l'ensemble des problèmes et être plus efficaces, chacun avec notre responsabilité. Nous pouvons réfléchir ensemble à des questions comme celle du Conseil de sécurité, sur la façon dont le Conseil de sécurité sera réformé ou adapté, cela sera plus en moins efficace. Il y a, d'autre part, la question des relations entre la Chine et un certain nombre d'institutions internationales et de la participation de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce. C'est la question de l'insertion croissante de la Chine dans tous les lieux à partir desquels on essaie de gérer le monde tel qu'il est. C'est une tâche difficile. Voilà des exemples sur lesquels nous pouvons réfléchir pour parler du dialogue entre la Chine et l'Europe. A propos de l'évolution future, c'est intéressant pour la Chine d'en parler avec la France et aussi avec d'autres pays européens importants. Mais il est clair que le dialogue avec la France est indispensable. Quel poids la Chine aura-t-elle par rapport à l'Europe ? Jusqu'où ira-t-elle ? Va-t-elle développer de nouvelles politiques communes ? C'est très important pour nous de le savoir. Cela ne veut pas dire que nous savons tout à l'avance mais on peut faire l'analyse, apporter les éléments d'informations et de réflexions à la Chine. On peut parler de beaucoup d'autres sujets : les rapports avec la Russie, l'Inde, avec les Etats-Unis... Tout cela, sont des éléments d'analyse et des rapports de force généraux. Voilà comment je pense que nous pouvons progresser. Dans ces évolutions, nous verrons dans nos discussions que telle ou telle évolution est bonne et que telle ou telle autre évolution est inquiétante. Nous verrons si l'on peut agir en commun sur telle ou telle chose.
Q - Quels sont les sujets que vous allez traiter, en priorité, avec vos interlocuteurs ?
R - Je ferai naturellement le point des relations bilatérales, entre nos deux pays qui s'inscrivent dans un cadre important et ambitieux fixé lors de la visite du président de la République en Chine en mai dernier et qui comporte différents volets : les volets diplomatique, culturel, scientifique, technique, économique et politique. D'autre part, nous comparerons nos analyses sur différentes situations régionales en commençant, c'est bien naturel, par la situation en Europe. J'aurais sans doute l'occasion de dire à nos interlocuteurs ce qui va se passer sur le plan européen. Ils le savent mais c'est important de l'entendre de la bouche d'un dirigeant français, quelque temps avant le commencement de l'euro. Nous parlerons, peut-être, plus précisément les problèmes que l'Europe va avoir à traiter dans les trois ans qui viennent, sur son financement, son élargissement, ses institutions. D'autre part, j'attache un très grand intérêt sur ce que les dirigeants chinois me diront de la personnalité actuelle de la vie politique chinoise de l'économie chinoise, des grands axes de la diplomatie, ses rapports avec cette Europe qui se développe, ses rapports avec la Russie. Je serais très intéressé de connaître l'analyse du président chinois sur les conséquences de la crise financière en Asie. Nous sommes tous les deux des membres permanents du Conseil de sécurité, c'est-à-dire que nous devons échanger nos analyses sur les situations de crise, comme, par exemple, les questions de l'Iraq, du processus de paix, et bien d'autres sujets. Tous les sujets sont possibles.
Q - Sur les problèmes des Droits de l'Homme, pensez-vous que la France reprendra l'initiative à Genève ?
R - Le principe directeur de la politique française est de traiter cette question par le dialogue, et non à travers des confrontations inutiles. La France a ses principes, sa tradition. Mais la Chine a sa vision des choses. Nous avons tous ratifié la Charte des Nations unies. Donc, les discussions portent sur la façon de procéder la façon, d'aborder certains sujets. Quelles étapes, quelles priorités, quelles orientations ? Ce sont des questions qui appellent à un dialogue. Voilà sous quel angle je l'aborderai./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2001)