Texte intégral
Première partie - 7h45
J.-L. Hees : J'avais envie de vous demander comment ça va, parce qu'il y a des candidats qui ont attendu pour annoncer leur candidature à la présidentielle et vous, cela fait tout de même un bout de temps maintenant - cela fait à peu près un an que vous êtes candidat. Je regardais les sondages ce matin : 3 %. Qu'est-ce qui, selon vous, ferait décoller l'entreprise Madelin - je n'ai choisi par "l'entreprise" par hasard...?
- "Aujourd'hui, après une longue attente du tandem de la cohabitation, de son entrée en campagne, tout le monde est encore focalisé sur le second tour. C'est une erreur, car il y a une profonde envie de vrai débat et de débat de premier tour. J'ai aussi été frappé de voir - puisque vous citez des sondages - que beaucoup de Français, la majorité d'entre eux, plus des trois quarts d'entre eux, pensaient qu'il n'y avait pas de différence entre ce que proposaient, à tort ou à raison, L. Jospin et J. Chirac. Or, en réalité, je suis convaincu que la France a besoin de choix forts et que la démocratie a besoin de choix clairs. Je pronostique donc pour dans quelques jours, quelques semaines très courtes, une envie de premier tour, et là les choses vont bouger."
J.-L. Hees : Il faut un peu d'espace pour cela, non ?
- "Pour ce qui me concerne, ce n'est pas l'espace qui manque, puisque je suis en France le candidat représentant les réformes modernes, libérales, fortes qui sont mises en oeuvre partout."
J.-L. Hees : Vous faites d'ailleurs référence à Berlusconi, par exemple, ou à T. Blair...
- "Oui, Blair, Berlusconi, Aznar, Verhofstadt, Rasmussen au Danemark, etc., etc. Je suis celui qui peut signer en confiance, sans contorsion la déclaration qui a été faite par ces leaders à Madrid, c'est-à-dire comment faire en sorte que l'Europe devienne une zone de plein-emploi et de compétitivité économique ? Eh bien, par voix d'impôts, par la réforme de l'Etat, par plus de libertés sur le marché du travail ; ce sont mes convictions depuis longtemps. Le fait de voir les deux candidats de la cohabitation se battre au centre, avec cette sorte de confusion, ce brouillard des idées et des programmes, dégage, à mon avis, un espace fort pour le choix dont je suis porteur."
S. Paoli : Mais que manque-t-il, puisque vous dites que ce n'est pas l'espace qui manque ? C'est l'absence de courage politique que vous reprochez à J. Chirac et L. Jospin ?
- "Je ne parle pas de ce qu'ils font l'un et l'autre, je vais essayer de parler de moi !"
S. Paoli : Mais vous, par rapport à eux...
- "Je me caractérise depuis longtemps par un certain nombre de choix de réformes fortes. Je suis convaincu, à la différence d'autres, qu'il est possible de retrouver le plein-emploi et que pour le retrouver, il faut une vraie réforme fiscale, complète, pas seulement baisser les impôts - je baisse plus les impôts que toi, je meurs !... Non ! Mais une vraie réforme pour trouver la fiscalité la plus moderne et la plus efficace en matière de création d'emplois, pour sortir les gens qui sont aujourd'hui enfermés dans l'assistance et la dépendance. Je suis un partisan résolu de la régionalisation ; la réforme de l'Etat - personne n'en parle mais c'est pourtant la question-clé -, la réforme de l'éducation... Bref, sur toutes ces questions, je propose depuis longtemps des solutions qui d'ailleurs sont mises en oeuvre quasiment partout autour de nous et qui semblent aujourd'hui disparaître du débat politique français. C'est assez étonnant, un peu comme si on n'avait pas seulement eu la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997, mais aussi la dissolution des idées."
P. Le Marc : J'en viens à l'état des forces : le sondage de CSA pour Libération, ce matin, enregistre un décrochage de J. Chirac et des scores qui ne sont pas faramineux pour la droite. Etes-vous inquiets ? Comment expliquez-vous cette situation ? Est-ce que J. Chirac a commis une erreur en prenant un positionnement centriste ?
- "Pour moi, c'est clair : cette course au centre est absurde, c'est un piège tendu par L. Jospin. Nous avons tellement besoin de choix forts que l'opposition doit se distinguer, c'est mon plus, c'est la valeur ajoutée que je peux apporter dans cette campagne, c'est la différence..."
P. Le Marc : Mais on ne voit pas ce plus dans les sondages, et chez vous, et chez Bayrou, et chez Pasqua...
- "Oui, mais je regardais aussi un autre sondage disant ce matin que 18 % des gens avaient une sympathie forte pour les idées que je pouvais représenter. J'ai donc encore un peu d'espace devant moi, d'ici que la campagne de premier tour se fasse vraiment. Donc, cette course au centre - y compris Le Pen d'ailleurs, me semble-t-il, qui se réclame maintenant du centre-droit - va conduire tout le monde dans les marécages. A ma connaissance, il n'y a qu'une seule stratégie gagnante pour l'opposition : celle qui permette à la diversité de l'opposition de s'exprimer en toute liberté au premier tour, notamment aux courants réformateurs forts que je porte, le courant réformateur européen, de lui donner tout l'espace possible et de créer ensuite les conditions de confiance et de respect pour une addition gagnante au second tour. Ce n'est pas le choix qu'a fait J. Chirac, mais ça, c'est son problème."
J.-L. Hees : Au-delà des sondages, des convictions, des programmes des uns et des autres, n'y a-t-il pas un petit problème d'impression de la part des Français ? Cela compte dans la façon dont ils vont voter. Etre libéral ou néo-libéral, on n'a pas l'impression que ce soit un vrai plus, cela inquiète les gens qui regardent certains excès dans certains pays et ils ont peur. Pourrait-on définir ce qu'est le candidat Madelin, même si les gens vous connaissent depuis très longtemps ?
- "Je suis frappé par votre question, parce qu'elle est frappée au coin du bon sens. On essaie de faire peur [aux gens] en leur disant que les réformes qui sont faites autour de nous ne sont pas possibles en France. Partout ailleurs, on a baissé les impôts, on baisse les dépenses publiques, on limite le nombre de fonctionnaires, on fait la régionalisation, on a fait les fonds de pension, on a engagé une réforme de l'éducation dans le sens de ce que je propose pour la France, c'est-à-dire la plus grande autonomie possible pour les établissements, la liberté de choix des parents de l'école de leurs enfants. Partout ailleurs, on fait la réforme du logement, on cherche à rendre les Français, les citoyens propriétaires de leur logement. En France, je me donne un objectif : 2 Français sur trois propriétaires de leur logement. J'ai le sentiment qu'il a en France comme une sorte de nomenklatura d'Etat qui pèse beaucoup sur l'opinion et qui est très hostile à ces réformes parce qu'elle tient son pouvoir, ses avantages, ses privilèges, son autorité de ce vieux système, du système du siècle dernier qu'elle a intérêt à maintenir. C'est la raison pour laquelle j'attendais avec impatience une élection présidentielle pour pouvoir, thème par thème, essayer de m'exprimer et de faire valoir aux Français qu'ils ont à gagner de ces réformes."
J.-L. Hees : Pourquoi ont-ils peur alors ? Ils se souviennent des années Thatcher, des années Reagan...
- "Ne mésestimez pas ces années-là, parce qu'elles ont fait deux révolutions. La révolution britannique engagée par M. Thatcher est aujourd'hui poursuivie par T. Blair. C'est donc que ces réformes n'étaient pas si mauvaises, puisqu'elles ont conduit l'Angleterre au plein-emploi. Quant à ce qui a été fait aux Etats-Unis, on se plaint, me semble-t-il, plus aujourd'hui de la superpuissance américaine que son impuissance."
S. Paoli : Mais comment expliquez-vous que quand un des candidats, en l'occurrence J. Chirac, dit aux Français qu'il baisse les impôts de 33 % - mesure assez spectaculaire ! -, comment se fait-il qu'il y ait aussi peu de réaction dans l'opinion ? Les gens n'y croient pas ? Ils ne sont pas convaincus ? On ne peut pas se faire raser gratis tous les matins et y croire tous les jours ?
- "Il y a plusieurs problèmes. D'abord, un problème de crédibilité..."
P. Le Marc : De crédibilité à l'égard de J. Chirac ?
- "Oui, bien sûr, mais d'une façon générale, à l'égard de toutes les promesses de baisses d'impôts, plus particulièrement à l'égard de celles de J. Chirac. Deuxièmement, il ne s'agit pas seulement de dire qu'on va baisser les impôts, "je ferai la plus grosse baisse d'impôts que toi", il s'agit d'expliquer ce que l'on va faire précisément, et là, on est encore en panne et d'expliquer pourquoi. Je propose une refondation fiscale et sociale - on n'a peut-être pas le temps d'entrer dans les détails - qui permette de donner à la nouvelle croissance, à la nouvelle France, la fiscalité la plus moderne pour atteindre les plus hauts taux de croissance et réussir le plein-emploi. C'est une réforme complète de l'impôt sur le revenu, c'est une réforme de l'épargne. Dans le même temps, surtout parce que ceci n'a pas de sens, les gens comprennent bien que si vous ne promettez pas et surtout si vous ne montrez par le chemin de la réduction des dépenses publiques, tout ce que vous dites sur la baisse d'impôt a peu de chance d'être crédibles. C'est la raison pour laquelle, pour ce qui me concerne, je marche sur deux pieds. Bien sûr, je présente des baisses d'impôts qui sont absolument nécessaires pour retrouver la croissance et le plein-emploi, mais dans le même temps, je propose les voies et les moyens d'une vraie baisse des dépenses publiques. Car la réforme de l'Etat reste le problème-clé de notre pays. Tout le monde s'accorde à le dire, il n'y a pas d'observateurs sérieux qui ne disent cela ; regardez le nombre de livres qui sortent sur ce sujet ! Mais on dirait que c'est le sujet tabou de la campagne et que personne n'ose mettre les pieds dans le plat."
J.-L. Hees : Nous reviendrons sur vos idées et sur votre programme. Mais tout de même, j'aimerais comprendre : vous vous présentez comme l'alternative à J. Chirac - c'est clair, si on est un électeur de droite ou de sensibilité de droite -, dites-nous ce qui ferait que je voterais pour vous plutôt que pour J. Chirac, vu le rapport des forces et certaines probabilités que l'on ne peut pas ignorer ?
- "Je dirais qu'au premier tour, votez utile. Au premier tour, on vote pour ce à quoi on croit, ce que l'on veut vraiment pour le pays. Je pense qu'il y a beaucoup de Français qui, dans l'opposition et même au-delà, sont conscients d'un besoin de puissantes réformes pour sortir de l'assistanat généralisé dans lequel on a enfermé ce pays, pour lui donner une bouffée de liberté, une bouffée de liberté d'entreprendre, notamment 15 millions de Français, on envie de créer une entreprise : il faut un programme choc pour répondre à leur appétit de création d'entreprise, de mobilité sociale, pour faire bouger l'Education nationale par un statut d'autonomie des établissements scolaires, pour entreprendre une vraie régionalisation. Donc, le premier tour est celui des choix forts, celui du vote utile. Et les 2, 3, 4, 5 millions de voix qui pourront se porter sur moi au premier tour seront des voix fortes qui indiqueront quelque chose, des voix indispensables pour faire l'addition gagnante du deuxième tour. Des voix, bien évidemment, qui ne resteront pas orphelines et qui pèseront sur les choix des cinq années qui viennent."
J.-L. Hees : Est-ce que J.-P. Chevènement vous fait de la peine, c'est-à-dire, est-ce qu'il qu'il ne prend pas dans l'électorat qui pourrait être celui d'un deuxième homme de la droite ?
- "Je ne suis pas sûr que J.-P. Chevènement cannibalise mon électorat, mais il est sûr qu'il prend à droite, c'est évident. Il y a des gens à droite qui sont un peu nostalgiques du modèle d'Etat autoritaire, jacobin, qui, à mon avis, est complètement à bout de souffle et qui sont tentés par J.-P. Chevènement. Et puis, il y a tout simplement des gens qui à droite voudraient un peu autre chose que de l'eau tiède et se tournent vers celui qui, aujourd'hui, semble bousculer un peu les choses à travers les médias."
J.-L. Hees : C'est J. Chirac, "l'eau tiède" ?
- "Le projet qui pour l'instant est celui de J. Chirac et celui des chiraquiens, me parait totalement en décalage par rapport au besoin de réformes fortes dont le pays a besoin."
P. Le Marc : P. Douste-Blazy dit que J. Chirac est "le candidat de la rupture".
- "Il est le candidat de la rupture avec tous les engagements forts que nous avions pris dans le passé. J'ai quelques souvenirs des programmes pour y avoir contribué, des programmes que nous avions fait et qui nous ont fait gagné en 1986, en 1993 et en 1995. Aujourd'hui, et c'est paradoxal, alors que ces idées qui étaient les nôtres sont les idées qui gagnent et qui font gagner les autres pays autour de nous, ce sont les idées qui sont aujourd'hui en recul chez mes amis de l'opposition. C'est la raison pour laquelle l'opposition ne saurait être unique, elle a besoin d'être plurielle. C'est la raison pour laquelle je représente au sein de cette opposition le plus réformateur."
Deuxième partie - 8h15
S. Paoli : Vous avez entendu à l'instant L. Jospin parler, hier soir sur TF1, de son rajeunissement personnel. Mais est-ce que, justement, la question n'est pas là pour la politique en général ? Est-ce qu'au fond il n'y a pas une action à mener sur la durée des mandats et des hommes qui nous gouvernent ?
- "J'ai entendu surtout L. Jospin nous dire qu'il se sentait très jeune car les choses n'étaient pas écrites. Ce qui ne m'a paru sûrement pas écrit, c'est son programme et son projet d'avenir."
J.-L. Hees : Est-ce qu'il y a tout de même des comportements qui vous étonnent depuis le début de la campagne ?
- "Oui, les candidats sans programme."
J.-L. Hees : Je pense par exemple à ce que disait hier le candidat-Premier ministre. C'est rare d'entendre un homme politique dire qu'il a péché par naïveté, faire son mea culpa, dire qu'il a peut-être mal pris la mesure de certaines choses mais s'engager à l'avenir, s'il est élu, à faire mieux. Ce n'est pas très courant qu'on entende un homme politique dire, : "eh bien oui, j'ai un peu péché."
- " Sur l'insécurité comment pourrait-il faire autrement ? Mais encore une fois, je ne souhaite pas du tout faire une polémique excessive sur l'insécurité parce que tous les gouvernements ont été confrontés et seront confrontés à cette question, mais sur l'insécurité c'est vrai que le gouvernement a mis des moyens nouveaux pour la justice, a mis des moyens nouveaux pour la police, on peut discuter l'ampleur, la façon dont ça a été mis en place, mais il n'est pas pris en faute par la direction qu'il a suivie. Mais manifestement, il s'est trompé. Il s'est trompé parce qu'il pensait qu'il n'y avait pas de cause en soi à la violence et à la délinquance et qu'il y avait essentiellement des causes sociales. Bien sûr, il y a des causes sociales, bien sûr l'urbanisme inhumain, l'école de l'échec, l'enfermement dans le chômage : tout ceci pèse et crée le terreau favorable à la violence ; mais il y a aussi un terreau propre à la violence, une sorte de culture de la délinquance et de la violence qui s'installe dans une partie de la France, une toute petite partie de la jeunesse, mais une partie quand même, qui lui fait faire France à part. Et Jospin ne l'a peut-être pas senti, il l'avoue aujourd'hui très bien, mais il s'agit maintenant d'apporter des remèdes. Moi j'observe que sur cette question il y a un grand nombre de sujets de consensus et donc ce n'est pas la peine de se battre pour faire semblant de se battre, et puis il y a de vraies différences. J'ai apporté un plus dans ce débat depuis le début en disant que d'abord la sécurité c'est une affaire de moyens donnés à la justice : les voyous auront peur de la police quand ils auront peur de la justice. Il faut que la justice ait les moyens de traiter la délinquance. Tout le monde est aujourd'hui d'accord sur la nécessité de multiplier la palette de centres d'accueil adaptés aux mineurs délinquants et notamment aux mineurs délinquants multirécidivistes. C'est une question de moyens, le gouvernement socialiste, il faut être honnête, l'a engagée, mais maintenant pour aller plus vite il faut faire un grand appel d'offres, très très vite et puis créer les centres dont nous avons besoin. Mais néanmoins je crois que l'angélisme de M. Jospin surgit lorsque l'on voit le plan de rénovation des prisons, humanisation, rénovation : il fallait le faire, les prisons sont inhumaines. Mais dans le même temps on n'augmente pas le nombre de places, on les diminue. Or comme le nombre de peines de prison qui est prononcé - et il ne cesse d'augmenter-, ça signifie que nous avons aujourd'hui une peine sur trois de prison qui est prononcée qui n'est pas exécutée, et que ça risque d'être pire dans l'avenir. Alors, à partir de ce moment-là, eh bien ne vous étonnez pas qu'il y ait un sentiment d'impunité."
P. Le Marc : Avant qu'on en vienne à votre programme, une toute petite question qui concerne l'homme Madelin. J'entendais tout à l'heure J.-F. Mattéi, dans le journal de 8h00, qui disait que Chirac est plus humain. Est-ce qu'il y a un problème d'image d'A. Madelin depuis toutes ces années, dans la vie politique française ?
- " J'ai le sentiment que les mêmes parlementaires qui soutenaient Balladur en 1995, et qui aujourd'hui souvent soutiennent J. Chirac, ne soutenaient pas Balladur parce qu'il était plus humain que J. Chirac. Ils soutenaient Balladur parce qu'il avait, semble-t-il, à ce moment là, de meilleures chances de gagner."
P. Le Marc : Ce n'est pas gentil ce que vous dites.
- "Non, mais c'est réaliste."
J.-L. Hees : J'en reviens à la justice. Le livre du juge Halphen, du moins ce qui en ait paru, montre la persistance de pressions politiques fortes sur la justice et aussi la perméabilité du système judiciaire à ces pressions. Alors comment faire pour dépolitiser la justice ?
- "Vrai problème, et ça c'est un de mes plus dans mon projet sur la sécurité et la justice. Vous ne pouvez pas dire" tolérance zéro", "impunité zéro" pour le gamin chapardeur en bas, et donner le sentiment qu'il y a une impunité de fait pour toutes ces affaires qui traînent, vous le voyez bien, et qui ont donné le sentiment à beaucoup de gens que, dans les sommets ou les coulisses du pouvoir, on pouvait jongler avec des milliards d'argent sale. C'est la raison pour laquelle je crois qu'il est extrêmement important de donner à la justice et à la police judiciaire tous les moyens nécessaires pour que justice soit faite et aller vite, le plus rapidement possible, au bout de ces affaires, de façon à ce que nous n'ayons pas ce sentiment de suspicion que vient renforcer aujourd'hui le juge Halphen par, non pas les révélations qu'il fait - il n'en fait pas- mais peut-être plus grave, par la description d'un système incapable de faire en sorte que la justice soit la même pour tous."
J.-L. Hees : Mais une partie de la droite, et notamment la droite chiraquienne, veut revenir sur le principe d'indépendance du parquet....
- "Oui mais ça c'est une autre question. Vous pouvez"
J.-L. Hees : Ça fait partie du problème, pardonnez-moi !
- "Non, pas du tout, ça ne fait pas partie du problème. Là, en l'occurrence, le juge Halphen c'est un juge d'instruction, il a tous les moyens nécessaires, enfin il devrait avoir tous les moyens qu'il n'avait pas et notamment les moyens de police judiciaire. Le problème des parquets c'est un problème différent : est-ce que vous devez avoir 50 politiques ou 100 politiques pénales dans ce pays avec des procureurs indépendants ou est-ce que vous devez avoir quand même une politique pénale. J'entendais prononcer tout à l'heure, je ne sais qui sur la politique en matière de drogue.Il disait que s'agissant de la politique en matière de drogue, les parquets sont extrêmement différents. Dans un département de la région parisienne, répression 0 gramme, dans un autre département, répression 80 grammes, pour la détention de cannabis. Donc, je trouve que c'est totalement absurde et qu'il doit y avoir une seule politique pénale exprimée au niveau national et dont le gouvernement est le garant, ça n'a rien à voir avec l'indépendance de la justice pour laquelle je me bats."
S. Paoli : Mais, la réforme de la justice que vous évoquez M. Madelin - et d'ailleurs pour suivre aussi une des questions posées dans son livre par le juge Halphen - a-t-elle un sens si elle ne s'accompagne aussi d'une réforme de la police et notamment de la police judiciaire ? D'un lien plus étroit entre la justice et la police ?
- "Oui, bien sûr, je partage totalement votre point de vue."
S. Paoli : Ce n'est pas le mien, c'est une question posée par le juge Halphen.
- "La question qui est posée, bien évidemment quand je parle des moyens donnés à la justice et aux juges, c'est aussi des moyens autonomes de police judiciaire."
P. Le Marc : Vous parliez du cannabis : on dit que le candidat Madelin est assez libéral. Alors pour le coup en ce qui concerne l'usage, la consommation, je ne sais pas comment vous appelez ça
- "Non je ne suis pas libéral mais j'en ai marre que l'on ne regarde pas les problèmes en face, que l'on continue à faire cette politique de l'autruche. (...) J'entendais tout à l'heure ce que vous disiez - je vais revenir sur le cannabis - sur les retraites. A l'évidence tout le monde tourne autour, tout le monde sait très bien qu'on ne pourra pas continuer comme ça et qu'il va falloir reculer l'âge de cotisation. Alors il faut le dire franchement ; moi j'ai le mérite de le dire franchement. Une fois qu'on l'a dit franchement, ça ne veut pas dire qu'ensuite vous ne pouvez pas avoir des En plus, ce n'est pas de reculer l'âge de cotisation, tout le monde le fait, tout le monde le dit ou s'il ne le dit pas il le fera. Mon plus, c'est de dire, ça ne sert à rien de reculer l'âge de cotisation si vous ne donnez pas d'emploi aux 55 ans ou 58 ans qui se trouvent jetés de leur entreprise et s'ils se trouvent jetés de leur entreprise ils n'ont aucune chance de retrouver un emploi. Mon plus c'est de dire, il faut organiser en même temps un véritable marché du travail pour eux, ces seniors. Les fonds de pensions, tout le monde est pour. Alors, simplement, par coquetterie du côté de la gauche, on va dire épargne retraite, on va rajouter une usine à gaz de contrôle syndical parce que ça fait bien et parce qu'on est de gauche, mais sur le fond tout le monde est d'accord pour rajouter un étage à l'épargne retraite qu'on appelle fonds de pensions ou autrement. La loi de 1970 sur la drogue est une loi qui est inapplicable parce qu'elle considère exactement d'un point de vue répressif, de la même façon la détention d'un gramme de shit, de 100 kilos d'héroïne... Bref c'est absurde et comme elle est inapplicable, elle n'est pas appliquée et il n'y a rien de pire pour l'ordre social qu'une loi qui n'est pas appliquée. C'est la raison pour laquelle, je ne prends pas position sur le fond de ce débat, je dis simplement, franchement - bon on ne va pas le faire pendant la campagne électorale parce que ça serait un sujet de passion de plus - mais il y a des sujets comme ça que, de temps en temps, les hommes politiques doivent avoir le courage de regarder en face et de trouver les moyens de sortir d'une situation qui est intenable."
J.-L. Hees : Qu'est-ce qui vous fait penser que vous pourriez réformer ce cher et beau pays qui est le nôtre puisque, apparemment - enfin c'est ce que nous disent l'ensemble des hommes politiques de ce pays - la France a vraiment beaucoup de mal avec la réforme, on a l'impression que c'est la nature-même ?
- "Mais non, c'est les hommes politiques qui ont des problèmes."
J.-L. Hees : Qu'est-ce qui fait que vous A. Madelin, vous pourriez... Est-ce que ça serait simplement parce que vous auriez été élu pour ça ? J'ai l'impression que c'est le sens de votre campagne d'ailleurs ?
- " D'abord premièrement, ce sont effectivement les hommes politiques qui sont beaucoup plus frileux que les Français. Vous en avez eu une démonstration grandeur nature avec l'euro. Vous avez eu toutes les Cassandre professionnelles qui sont venues sur vos micros vous expliquer que c'était impossible, qu'on n'y arriverait pas. Et bien si, les Français l'ont fait, sans difficulté"
J.-L. Hees : Tout le monde l'a fait, pas que les Français d'ailleurs...
- "Oui tout le monde l'a fait. Mais, je veux dire le problème que vous soulevez, c'est celui de l'exception française. Nous serions, nous, les Français, incapables de réformer alors que tous nos voisins réforment. Quel est le plus ? D'abord, premièrement, je crois qu'en politique il faut savoir ce qu'on veut, quand on le veut il faut avoir le courage de le dire, et quand on l'a dit il faut avoir le courage de le faire. Ce qui signifie que dans une campagne électorale vous devez vous engager clairement - vous gagnez ou vous perdez les élections - mais vous vous engagez clairement sur un mandat réformateur, de façon à ce que derrière, vous ayez le poids de la démocratie pour pouvoir faire passer vos réformes. En force ? Non, bien sûr ; on ne fait pas passer les réformes en force en France, mais dans le même temps ce n'est parce qu'il y a des obstacles que vous devez renoncer. C'est la raison pour laquelle moi je dis que ces réformes il faut les présenter toujours comme étant des chances. La réforme de l'Etat, c'est le plus grand blocage possible ; tous les autres pays ont réussi la réforme de l'Etat autour de nous. Si je veux réformer l'Etat ce n'est pas une punition, ce n'est pas une contrainte, ce n'est pas une méchanceté, c'est parce que ça sera plus efficace et parce que l'on a là des milliards et des milliards et des milliards d'euros d'économies possibles. Cela signifie que je peux intéresser et faire participer les fonctionnaires à la réforme de l'Etat. Voyez, donc il y a derrière en même temps une technique d'intéressement et de participation qui me laisse à penser que les Français attendent des réformes importantes, que ces réformes sont nécessaires et qu'elles sont aussi, bien sûr, possibles."
S. Paoli : Quand on écoute la revue de presse, on voit bien les enjeux importants, notamment les enjeux internationaux et on est toujours frappé - on a d'ailleurs posé cette question à tous ceux qui sont déjà passés prendre leur petit déjeuner ici - de l'absence d'Europe dans les enjeux politiques et dans la façon qu'ont les candidats de se positionner sur ce thème.
- "J'avais cru comprendre depuis le début de notre petit déjeuner de ce matin, que je m'étais placé et que j'avais placé mes propositions sous l'angle européen, en représentant le grand courant réformateur, moderne, libéral, européen qui partout gagne du terrain. Moi je pense en permanence à l'Europe, je regarde que ce font les autres et j'essaie de me mettre à l'unisson de façon à ce que la France retrouve son rang en Europe, qu'elle ne subisse pas l'Europe mais qu'elle la conduise. "
S. Paoli : Mais si silencieuse Europe tout de même sur la question du Proche-Orient que l'on vient d'abord par exemple !
- "Ça, c'est une autre question, c'est un autre problème. "
S. Paoli : Votre vision à vous de ce qu'elle devrait être sur un thème comme celui-ci ?
- "Je me suis rendu l'été dernier au Proche-Orient, je n'ai pas voulu voir Arafat d'ailleurs parce que c'était une période de tensions difficiles, où j'avais le sentiment qu'Arafat ouvrait la porte aux surenchères et même au terrorisme. J'avais rencontré les dirigeants palestiniens, ses successeurs, Abou Alaa et les autres ; j'avais rencontré Sharon, Pérès et l'ensemble des dirigeants du cabinet de guerre, avec la conviction, bien évidemment, que nous étions très loin d'une sortie tant que la bride serait laissée au terrorisme le plus extrémiste qui sévit aujourd'hui en Palestine. L'accord qui se dessine - il n'y en a qu'un, on le connaît -, c'est la paix et la reconnaissance de l'Etat d'Israël contre les territoires occupés. Or il se trouve que parmi les terroristes palestiniens, ils ne veulent pas de cette paix, une grande partie d'entre eux sont là pour faire obstacle à cette paix. Cela, il faut bien le comprendre ici, en France. Donc il n'y a pas beaucoup d'autres solutions que des solutions de fermeté d'un côté face à ce terrorisme et de l'autre côté des initiatives diplomatiques. Effectivement, vous avez raison de souligner que s'il y a une initiative aujourd'hui en cours, après l'initiative américaine, ce n'est pas une initiative européenne, c'est une initiative saoudienne, une initiative des pays arabes, donc on souhaite le succès. "
J.-L. Hees : A écouter le début de la campagne, tous les hommes politiques, tous candidats confondus, je me dis que l'on a tout de même un pays relativement heureux et relativement insouciant, parce qu'il s'est passé des choses le 11 septembre - on a tous ça en mémoire - et ça n'apparaît pas beaucoup dans le discours des candidats, notamment sur les conséquences du 11 septembre : notre place par rapport aux Etats-Unis, la place de l'Europe par rapport aux Etats-Unis, qui est leader ? Comment ça va se passer ? On n'en parle pas beaucoup. On parle beaucoup de retraites, c'est bien, il faut en parler, on parle de délinquance, on parle d'insécurité, on parle de la justice mais on ne parle pas beaucoup de tout ça.
- "J'ai le sentiment de m'être beaucoup exprimé sur cette question, à tel point que l'on me dit que j'en faisais peut-être un peu trop sur ces questions de politique étrangère. Après la chute du Mur de Berlin, et plus encore après le 11 septembre, il y a la nécessité, là encore, de refonder complètement notre politique étrangère. Je plaide pour une alliance forte des démocraties, des anciennes et vieilles démocraties. Mais aussi de toutes les nouvelles démocraties qui apparaissent de part le monde pour reconstruire un monde international fondé sur ce que j'ai appelé "la préférence démocratique". Bref, tourner un peu la page du cynisme, qui faisait que très souvent on reconnaissait les Etats et on faisait copain-copain avec les Etats qui étaient souvent des Etats despotiques, des Etats dictatoriaux, en oubliant les peuples. Je veux donc remettre un peu de morale dans notre politique étrangère. Je crois que c'est un changement fort parce que quand on pense à la France dans le monde, quelle est la France qu'on aime dans le monde ? Ce n'est pas la France qui réalise de bons scores dans ses ventes d'armes, ce n'est parce que l'on vend des armes à l'Angola ou au Pakistan, ce n'est pas cette image-là de la France. C'est l'image de la France qui porte, cette image de la France qui défend des valeurs universelles, à commencer par les Droits de l'homme."
J.-L. Hees : Vous allez avoir du boulot si vous êtes élu président de la République, parce qu'en 100 jours vous avez tout ça à faire !
- "Non, pas en 100 jours, ça c'est une affaire de longue haleine. Je suis persuadé que le le cap que je suis en train de définir, c'est le cap du nouveau siècle qui sera suivi par les démocraties. La démocratie est contagieuse, les dictatures sont vieillissantes, finissantes. Je suis donc partisan de pratiquer la préférence démocratique chaque fois que l'on peut. Pourquoi ? Parce que le combat pour la démocratie - c'est-à-dire les libertés de penser, les droits humains fondamentaux, la garantie de ces droits humains fondamentaux - est indispensable, indissociable du combat contre la pauvreté, pour la prospérité. La prospérité se retrouve en libérant les hommes et les femmes, en libérant leur énergie, c'est une libération complète. Je crois que beaucoup de pays s'en aperçoivent, notamment le continent africain. C'est la raison pour laquelle je suis très proche de tous les nouveaux démocrates africains, de l'initiative africaine de développement qui poussent aujourd'hui au niveau international. "
P. Le Marc : Vous vous donnez 200 jours pour faire bouger les changer, pour faire bouger les lignes. Vous faites preuve d'un grand optimisme sur les marges de manuvre que vous découvrirez en arrivant au pouvoir. Pourquoi cet optimisme ?
- "J'ai un projet, des propositions précises, une méthode et c'est vrai, un calendrier. Un calendrier pour agir vite : 200 jours, non pas pour régler tous les problèmes, mais 200 jours pour bousculer un peu les choses. Parce que ce qui n'est pas fait rapidement en début de mandat, l'expérience prouve que cela finit par s'enliser dans les sables mouvants quelques temps plus tard. Donc 200 jours, c'est 200 jours pour engager d'abord"
P. Le Marc : Parlons d'abord de vos marges de manuvre économiques. Pensez-vous qu'elles seront aussi bonnes que vous le dites ?
- "Je ne dis pas qu'elles sont bonnes. Où avez-vous vu que je disais qu'elles étaient bonnes ?"
P. Le Marc : J'ai vu que vous étiez assez optimiste sur les marges de manuvre que vous pourriez avoir en début de quinquennat ?
- "Non, je ne dis pas cela du tout. Je dis au contraire que, bien évidemment, en début de quinquennat, nous allons découvrir - situation classique pour tous les nouveaux gouvernements - que le gouvernement précédent a sous-estimé les dépenses et a surestimé les recettes. Donc, il va y avoir une impasse financière qui n'est pas simple. Pour contrebalancer cette impasse financière, je dis que les dettes publiques laissées par les socialistes devront être financées par la vente d'un certain nombre d'actifs publics."
P. Le Marc : Lesquels ?
- "Ce n'est pas le patrimoine qui manque."
P. Le Marc : Mais en priorité, lesquels ?
- "Je crois qu'il nous reste environ 1.500 participations d'Etat dans des entreprises, dont des gros morceaux, bien évidemment, comme chacun sait de France Télécom à EDF. Donc, nous avons un patrimoine public qui peut être mobilisé, d'une part pour demander aux Français de ne pas se serrer la ceinture et leur laisser la marge de manuvre nécessaire tout de suite en début de mandat, pour contribuer au financement des retraites et pour appuyer la réforme de l'Etat. Deuxièmement, je pense, à la différence de beaucoup, qu'il ne faut pas attendre la croissance pour baisser les impôts mais qu'il faut baisser les impôts pour retrouver la croissance. C'est l'exemple de très nombreux pays dès lors que vous avez une refondation fiscale et sociale complète. Je ne propose pas de baisser les impôts en soi, je propose une refondation fiscale et sociale, de façon à faire en sorte que les gens soient plus incités à travailler. Je vais prendre deux exemples, si vous le voulez, aux deux bouts de l'échelle : un cadre très qualifié, s'il travaille davantage pour gagner 100 euros de plus, sur ces 100 euros 70 ou 75 vont être confisqués par l'Etat et par les organismes publics. Donc, il va mettre le pied sur le frein et il va donner la préférence à la réduction du temps de la durée du travail. A l'autre bout de l'échelle, vous avez des gens qui sont enfermés dans l'assistance à la dépendance, qui aimeraient bien reprendre un travail mais qui finalement, c'est tellement de galère, qu'ils ont fini par baisser les bras. Reprendre un boulot, ça fait quoi ? Ils vont travailler pour même pas un euro de l'heure. C'est la raison pour laquelle je propose d'un côté une réforme de l'impôt sur le revenu pour baisser le marginal les taux d'impôts sur le revenu à 33 %, de l'autre côté un revenu familial minimum garanti. C'est compliqué, mais un revenu familial minimum garanti, c'est une idée pratiquée par d'autres pays qui permet d'inciter les gens à reprendre un travail par un complément dégressif sur leur feuille de paie. Donc, c'est une forme d'aide sociale pour permettre aux gens, non pas de s'enfermer dans l'assistance mais de revenir au boulot. "
J.-L. Hees : Jusqu'où peut aller ce décrochage du patrimoine ? Parce que, quoi que l'on en pense, j'ai l'impression que les Français sont attachés à leur patrimoine - ça fait un petit matelas de sécurité quand on change de gouvernement. Mais je crois que vous êtes même prêt à vendre - enfin "à vendre", c'est comme ça qu'on dit après tout quand on se désengage - des bâtiments... "
- "Oui, bien sûr, oui. "
J.-L. Hees : Quel genre par exemple ? Pas Versailles tout de même ?!
- "Non, c'était Blondel qui avait proposé de vendre la Joconde, ce n'est pas moi. Vous avez beaucoup de bâtiments publics qui pourraient effectivement être vendus ou construits par des opérateurs privés et ensuite l'Etat ou l'organisme public loue. Généralement, ceci permet d'assurer une assez grande mobilité. Ce que je dis là est d'une banalité affligeante ; c'est ce que vient de faire l'Italie qui vient de mettre une partie de son patrimoine public sous forme de titres négociables, ce qui lui permet de donner une meilleure gestion à ce patrimoine public. Tous les rapports de la Cour des comptes, depuis des années et des années, vous expliquent que ce patrimoine public est mal géré et qu'il le serait sans doute mieux en étant, pour une part - pas pour tout -, ouvert à la privatisation. Je citais tout à l'heure l'exemple d'EDF : partout on ouvre l'électricité à la concurrence, partout on privatise. D'ailleurs EDF, elle-même, va faire son marché international en participant à la privatisation de beaucoup d'autres compagnies électriques. Voilà l'exemple même d'une entreprise qui, à mes yeux, devrait être privatisée avec méthode, prudemment. Bien évidemment, je me doute que l'on va se heurter à des réticences. Alors d'avance je dis qu'il y a un énorme problème des entreprises publiques, et particulièrement d'EDF, qui est celui de la garantie des retraites des agents EDF. Or si je devais respecter les normes comptables - et on va être obligé de le faire au niveau international -, je suis obligé de donner plus de la moitié du capital d'EDF en garantie des retraites du personnel d'EDF. Donc, si je fais un fonds de gestion ou un fonds de garantie géré par les partenaires sociaux, j'ai là, me semble-t-il, le moyen de réaliser en souplesse la privatisation, d'amorcer en souplesse la privatisation d'EDF. "
S. Paoli : Sur les enjeux fiscaux une question technique, mais elle est importante, celle du prélèvement à la source, puisque vous avez la tête européenne, et assorti peut-être d'un cadeau d'une année fiscale, si ccela devait être mis en uvre. Qu'en dites-vous ?
- "Le prélèvement à la source est nécessaire. Il ne peut être réalisé que dans le cadre de la refondation fiscale que je propose. A l'heure actuelle, il y a tellement de complexité fiscale que ce serait transférer la gestion de cette complexité sur la feuille de paie, ce qui est impossible. Donc, il faut d'abord un impôt simple et clair. Et quand vous l'avez réalisé, comme je le propose, ensuite une retenue à la source. Mon impôt simple et clair, c'est de fusionner la CSG avec l'impôt sur le revenu, comme ça les choses"
J.-L. Hees : Cela fait qu'une feuille d'impôts, ça fait qu'une seule mauvaise surprise au lieu de deux...
- "En réalité, la CSG est un impôt qui n'ose pas dire son nom, c'est donc un impôt qui est déjà retenu à la source. Donc, je pars de la CSG et je fusionne. Ensuite, je simplifie, j'enlève tous les allègements, les déductions etc., etc., etc. pour retenir juste trois tranches d'impôts sur le revenu, avec un maximum à 33 %. Je simplifie en même temps tous les minima sociaux, le maquis de ces minima sociaux, ces neuf minima sociaux plus bien d'autres choses, pour un revenu minimum garanti. S'ajoute mon revenu familial garanti - pardon d'être aussi rapide, pour les auditeurs -, mais cela fait une réforme fiscale simple qui, dès lors, peut faire l'objet d'une retenue à la source. "
J.-L. Hees : Mais est-ce que c'est bien équitable tout ça ? Parce qu'après tout, il n'y a que la moitié des Français qui paie l'impôt sur le revenu.
- "Non, ce n'est pas vrai. Les autres Français paient un impôt sur le revenu que l'on n'appelle pas "impôt sur le revenu", ça s'appelle la CSG. Donc tous les Français, en réalité, paient l'impôt. Donc je préfère appeler un chat, un chat, un impôt un impôt."
P. Le Marc : Vous proposez une réforme constitutionnelle à l'automne. Réforme sur quoi et par quelle méthode ? Réferendum ?
- "Oui, je propose une réforme par référendum, la réforme-clé : la réforme de nos institutions. C'est-à-dire celle qui va permettre de voir naître de vrais gouvernements régionaux, celle qui inscrit ce que l'on appelle "le principe de subsidiarité", au niveau européen dans la Constitution. En quoi consiste le principe de subsidiarité ? Cela consiste à dire que tout ce qui peut être fait par la société elle-même, il faut lui laisser faire, tout de qui peut être fait par des communes, il faut le laisser faire aux communes. Ensuite, on passe aux régions, ensuite on passe à l'Etat, et puis éventuellement on passe à l'Europe. C'est un principe de gestion de proximité. C'est plus efficace, c'est plus attentif et c'est moins cher. Donc, je veux inscrire ce principe dans la Constitution, donner vie à de vraies régions. "
P. Le Marc : Avec quel pouvoir précisément ?
- "Avec les pouvoirs les plus étendus possibles."
P. Le Marc : C'est-à-dire ?
- "Dès lors que vous avez inscrit le principe de subsidiarité dans la Constitution, vous pouvez avoir ensuite une lecture progressive de que ce transfert de pouvoirs. Mais parlons clair. L'environnement, la culture, le développement économique, le logement"
S. Paoli : Et la justice ?
- "Non, non"
P. Le Marc : La police, l'insécurité ?
- "Vous pouvez avoir une part de la sécurité qui peut-être laissée aux régions. Lorsque nous parlions tout à l'heure de la nécessité de mettre en place ces établissements spécialisés dans l'accueil des mineurs délinquants et multi-récidivistes et en même temps d'un aspect éducatif et un aspect répressif, là, à mon avis, les régions devraient pouvoir jouer un rôle pour accélérer le mouvement et pour avoir des unités à taille humaine et de proximité. Bref, je propose un grand transfert de pouvoir au profit des régions à l'exemple de ce qui se fait partout autour de nous. Alors je sais bien qu'on dit que ce n'est pas la tradition française. Allons donc ! Il y a un vieux réveil des provinces françaises ! Elles existaient ces provinces et elles ont aujourd'hui l'envie, la capacité d'exercer davantage de pouvoir. Je crois qu'on ne fera une France forte qu'à partir de régions fortes. "
J.-L. Hees : Je voudrais que l'on parle un peu des 35 heures, c'est un des sujets de la campagne. Est-ce que c'est toujours un épouvantail pour vous ? Est-ce qu'il faut tout réformer, tout changer et puis en revenir Je pense à nos amis Suisses : on a découvert - puisque je ne le savais pas - que eux travaillaient 42 heures par semaine...
- "Et vous avez découvert aussi que trois quarts des Suisses viennent de refuser une loi qui leur était proposée sur les 36 heures. "
J.-L. Hees : Cela vous inspire quoi ?
- "Il y a une grande différence culturelle entre les Suisses et les Français ; ceci n'est pas nouveau. Les 35 heures sont d'abord une erreur économique. Elles sont nées à un moment donné où l'on pensait qu'il n'y aurait pas assez d'emplois pour tout le monde, que nous allions vers la pénurie du travail et qu'il fallait partager les emplois existants entre les Français. "
J.-L. Hees : Oui, mais s'ils aiment ça les Français, aujourd'hui ? Même s'ils ont tort, ils aiment ça !
- "Je dis que c'est une erreur. Je dis ensuite que c'est une facture considérable, puisque franchement on n'a pas fini de payer cette facture. On se rend compte que c'est inapplicable, de fait, dans la fonction publique et encore plus inapplicable aux petites entreprises. Alors vous dites que les Français aiment ça. Très bien. Donc je dis, nous avons"
J.-L. Hees : Ils n'ont pas tort entre nous, non ? De vouloir vivre leur vie comme ils l'entendent avec un petit plus de temps libre pour eux, leur famille, leurs loisirs.
- "Très bien, je suis entièrement d'accord avec vous. Mais il se trouve qu'il y a d'autres Français qui eux aimeraient travailler plus : en début de carrière pour gagner un peu plus, pour élever leur famille, pour leur donner une vie un peu meilleure que celle qu'ils ont eux-mêmes connue, pour se constituer un petit patrimoine. Ils ont tort ceux-là ? Répondez ? "
J.-L. Hees : Non, je vous réponds, non. Chacun son truc.
- "Chacun son truc ! Voilà, on a tout dit, chacun son truc ! Il faut pouvoir permettre à la fois à ceux qui veulent travailler moins de travailler moins, notamment dans l'administration. Le nombre de Françaises ou de Français, - de Françaises souvent - qui voudraient pouvoir disposer de mi-temps est considérable. Donc, permettre à ceux qui voudraient travailler moins de travailler moins, et à ceux qui veulent travailler plus de travailler plus. Moi, j'en fais une question de principe. Je ne sais pas pourquoi mais je trouve que les politiques puissent intervenir par la loi pour interdire à des gens de travailler plus s'ils le veulent je trouve que là il y a une grande faute. Ce que je propose, parce qu'il faut être concret derrière, c'est de dire dans un petit temps, comme tout le monde, qu'on va mettre un peu de souplesse, qu'on va permettre des heures supplémentaires etc., pour permettre à ceux qui travaillent plus, de travailler plus. Mais que derrière tout cela, je voudrais que l'on sorte les 35 heures, c'est-à-dire la durée légale du travail de la loi, pour la rendre au contrat. Et là, c'est encore une très grande refondation. A la différence de beaucoup d'autres qui disent que sur tous les sujets, maintenant, on va consulter les partenaires sociaux - un peu par remord - moi je ne propose pas de consulter les partenaires sociaux sur tous les sujets. Il y a des sujets qui sont tranchés par la démocratie et par des grands choix que nous allons faire. En revanche, je propose de laisser un très vaste espace, de gestion paritaire et de gestion contractuelle, de liberté contractuelle, aux partenaires sociaux. Et de façon à ce que, dans le respect de grandes lois générales votées au Parlement, qui restent les lois de la République, les partenaires sociaux puissent faire les lois applicables. Elles sont très différentes si je suis dans le secteur de la restauration, si je suis dans le secteur des start-up ou si je suis dans le secteur de la distribution. "
J.-L. Hees : Question obligatoire : imaginons que vous ne voyez pas au deuxième tour de l'élection présidentielle, vous voterez
- "Vous me faites de la peine, mais enfin"
J.-L. Hees : Par exemple, F. Bayrou a dit tout net : "Moi, je voterai Chirac, parce que c'est comme ça, je fais partie de la famille de la droite". Donc, en ce qui concerne, le candidat Madelin ?
- "J'ai répondu aussi très clairement, pas du tout la même chose, mais j'ai répondu très clairement en disant que écoutez les 2, 3, 4, 5 millions de gens qui se seront portés sur moi, auront exprimé une exigence de choix forts, que je suis comptable, au fond, de leurs votes. Sinon, ce n'est pas un vote utile. C'est la raison pour laquelle je crois que ces votes sont disponibles, ils se seront exprimées en faveur d'une réforme forte, j'en serais le leader déterminé ou éventuellement l'allié loyal, l'avocat intransigeant, c'est-à-dire que ces voix seront disponibles dans le cadre d'un pacte de confiance et de rassemblement. "
P. Le Marc : Justement, qu'est-ce qui sera négociable et qu'est-ce qui ne le sera pas ?
- "Je ne sais pas dans quel état se présentera le second tour de l'élection présidentielle, ça dépendra de mon pourcentage, ça dépendra du pourcentage de celui qui sera arrivé en tête. Mais je veux vraiment que celles et ceux des Français qui ont envie des choix modernes, réformateurs qui vont voter pour moi en ayant le sentiment d'exprimer un choix fort, pratiquent un vote utile. Donc je suis le comptable de ces voix-là et je dois veiller à ce qu'elles ne soient pas déçues ou trahies. "
S. Paoli : Vous allez plus loin que ça : vous dites même, au fond, que vous êtes indispensable, "sans moi au deuxième tour, on ne fait rien"...
- "Non je n'ai pas dit "sans moi", j'ai dit "sans les voix". Ce n'est pas tout à fait la même chose. Les voix qui iront vers moi, me semble-t-il, seront indispensables à la victoire du second tour. Donc, elles ne se donneront pas, elles ne se marchanderont, elles se mériteront. "
P. Le Marc : Jospin s'en prend d'emblée à la pratique politique de J. Chirac. Il l'accuse d'électoralisme, de démagogie. On se demande si ce n'est pas un angle efficace lorsque l'on entend votre propre discours parce que l'on retrouve à peu près les mêmes arguments.
- "Non, parce que l'argument s'applique vraiment aussi et peut-être avant tout à M. Jospin. Que j'accuse de n'avoir vraiment"
P. Le Marc : Le discours est aussi critique à l'égard de J. Chirac !
- "D'abord, M. Jospin n'a rigoureusement aucun projet. Je cherche dans son livre ou je cherche dans son intervention d'hier soir une idée d'avenir"
P. Le Marc : Nous parlons de vos propos à l'égard de J. Chirac.
- "Moi, je vous parle de mes propos à l'égard de Jospin. Y a-t-il une idée d'avenir que vous pouvez me citer, ce qui permettrait un débat avec Jacques Jospin... Avec L. Jospin ?"
S. Paoli : C'est pas mal ! "Jacques Jospin", vous faites un grand raccourci !
- "J'ai déjà parlé de "Josrac" et de "Chispin", donc ceci ne vous étonnera pas. Mais je trouve qu'à l'heure actuelle, il y a un non-débat, parce qu'il n'y a quasiment pas de projet sur la table. Donc, j'attends le débat, projet contre projet parce que c'est dans ce débat-là que je pense avoir un petit avantage comparatif. "
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 mars 2002)