Interviews de M. Olivier Besancenot, candidat LCR à l'élection présidentielle de 2002 à "France 2" le 18 mars, à "RTL" le 4 avril, à "La Chaîne info" le 8 avril 2002 sur la privatisation des entreprises publiques, sur l'insécurité, sur les consignes de vote, sur ses relations avec les autres partis d'extrême-gauche, sur la réduction du temps de travail.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - France 2 - La Chaîne Info - RTL - Télévision

Texte intégral


Le 18 mars 2002
F. Laborde -
Nous allons parler du programme de la Ligue communiste révolutionnaire, dont vous êtes le candidat à l'élection présidentielle. Au coeur de votre programme, il y a notamment ce qu'on appelle l'antimondialisation. Le Sommet de Barcelone - où on a vu le Premier ministre et le Président main dans la main - vient de s'achever. Vous étiez, vous, à Gênes et à Nice, à Porto Alegre. Vous n'êtes pas pourtant aller à Barcelone. C'est la campagne qui vous occupe ?
- "J'étais en meeting, mais la LCR était présente. A. Krivine était présent. On nous avait annoncé que c'était une pause, soit disant, dans la campagne, puisque J. Chirac et L. Jospin étaient présents. Je crois que ce sont les deux jours les plus politiques depuis le début de cette campagne. D'abord, parce que, main dans la main, ils vont privatiser EDF et puis, parce qu'une fois de plus, c'était une leçon de choses. Il y a six ou sept cars de jeunes manifestants qui, comme à Nice, comme à Gênes, se sont trouvés coincés à la frontière par décision du gouvernement. Preuve, s'il en était, que dans cette Europe, il n'y a que les capitaux et que les marchandises qui arrivent à circuler à peu près librement. C'était une journée de nouveau historique, car plus de 300.000 manifestants - c'est pratiquement du jamais vu, c'est plus qu'à Gênes où il y avait déjà 200.000 personnes - sont venus rappeler qu'ils étaient contre cette mondialisation, une mondialisation libérale, et qu'ils étaient pour une autre Europe."
Quand vous voyez L. Jospin et J. Chirac faire une conférence de presse en commun et, finalement, s'entendre assez bien : est-ce que vous pensez que c'est la vérité de leur relation, plus que les attaques et les petites phrases ?
- "Je ne fais que constater que cette semaine, en plus d'EDF, ils ont effectivement, là aussi, main dans la main, voté au Parlement européen le début de privatisation d'une entreprise que je connais bien, La Poste."
Il faut rappeler, pour les téléspectateurs qui l'ignoraient peut-être, que vous êtes postier et que vous distribuez le courrier à Neuilly, dans la banlieue parisienne...
- "C'est main dans la main qu'ils ont voté le début de cette privatisation. C'est toujours la même logique. Que ce soit pour la SNCF, EDF ou La Poste, on sépare en plusieurs parties cette entreprise, pour vendre les parties les plus rentables aux opérateurs privés. Or, pour nous, les bureaux de Poste ont un rôle à jouer par exemple, que ce soit dans les zones rurales ou dans les quartiers populaires."
Revenons sur cette "privatisation", telle que vous l'appelez, de La Poste : c'est une décision européenne qui consiste à mettre en concurrence les services de La Poste avec d'autres services ?
- "C'est ça. L'Etat va garder de ce qui n'est pas rentable. Et une fois de plus, ce qui est rentable, on va l'ouvrir soit disant à la concurrence. Aujourd'hui, c'est pratiquement une discussion sémantique. On ne parle jamais de libéralisation, mais on parle d'ouverture à la concurrence. On ne parle plus de privatisations - ce n'est plus à la mode - au moment des élections, mais d'une certaine ouverture du capital. Mais le résultat, malheureusement, est présent. Or, pour nous, il y a des droits qui sont fondamentaux : se soigner, se loger, correspondre, s'éduquer. Je pense que ce sont des droits qui sont prioritaires sur une logique de rentabilité. C'est pour cela que nous, nous serions pour étendre les services publics, les généraliser, y compris, par exemple, pour la petite enfance actuellement dans un pays comme la France ou même à l'échelle de l'Union européenne."
Est-ce qu'il ne peut pas y avoir coexistence entre les deux systèmes ? D'ores et déjà - revenons à l'exemple de La Poste -, on sait qu'il y a des sociétés privées qui disent : "Moi, je vais livrer tel paquet plus vite". On en voit la publicité constamment à la télévision, à côté des services de La Poste. Est-ce qu'il peut y avoir coexistence de ces deux systèmes ou, à termes, il y en a forcément un qui prend le pas sur l'autre ?
- "C'est déjà en partie le cas. Ce qu'on propose, aujourd'hui, de généraliser, c'est de faire du business avec la correspondance. C'est vrai qu'il y a des bureaux de poste, dans des zones rurales ou dans des quartiers populaires, qui ne sont pas vraiment rentables, ni du point de vue de l'épargne ni du point de vue de la correspondance, mais, entre nous, cela n'a jamais été vraiment la cas. Et pour nous, ce n'est pas un problème, parce qu'il y a un rôle social, un rôle de cohésion à jouer sur le territoire. Je crois qu'aujourd'hui, toutes les mobilisations que l'on peut voir paraître quand des bureaux de poste ferment - car ils sont de plus en plus nombreux à fermer -, c'est plutôt révélateur. Ce qu'on vient de proposer à l'échelle de l'Union européenne, dans un pays comme la Suède, a déjà fait fermer plus de 25 % des bureaux et augmenter de plus de 70 % les tarifs."
Sur l'énergie, quand J. Chirac et L. Jospin disent qu'on a justement évité la pression européenne, la privatisation, on a sauvé le service public à la française, que dites-vous ? Ce n'est pas vrai ?
- "C'est un bluff intégral et je crois que personne n'y croit. A commencer évidemment par les salariés d'EDF - ils sont descendus dans la rue, que ce soit en France ou à Barcelone - ou que ce soit, plus globalement, les usagers qui, là, sont épargnés mais qui, dans quelques années, verront concrètement les conséquences d'une privatisation : c'est-à-dire ce qui s'est passé en Californie, aux Etats-Unis où, à cause de la privatisation, une des régions les plus riches du monde est tombée tout d'à coup dans l'obscurité."
Il n'y avait plus d'électricité en quantité suffisante. Sur le programme de L. Jospin que l'on va présenter aujourd'hui, mais dont on en connaît un ou deux éléments, vous l'avez regardé ? Vous vous êtes déjà fait une petite opinion ? Il y a quelque chose qui vous séduit ou qui retient votre attention dans les propositions qu'il a avancées ?
- "C'est à l'image de ce qu'il a pu faire pendant cinq ans en étant au Gouvernement : c'est malheureusement continuer une politique où on ne verra plus la différence entre la gauche et la droite. Nous, aujourd'hui, nous serions pour faire passer les droits sociaux avant les profits. C'est-à-dire concrètement faire une autre réparation des richesses. Il n'y a aucune raison que l'on vienne d'apprendre que les 500 PDG des entreprises les plus performantes de France gagnent, en moyenne, 500 fois le salaire d'un Smicard, alors que de l'autre côté de la chaîne il y a quatre millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. On pourrait largement - ce serait une politique de gauche - augmenter tous les revenus, y compris les minima sociaux de plus de 1.500 francs, l'équivalent de 230 euros."
En ce qui concerne la montée de la violence, de l'insécurité, des difficultés dans certaines banlieues, il y a une forme de consensus pour dire qu'il y a des dispositions à prendre, qu'il faut sans doute un peu plus de sévérité et que le chômage n'explique pas tout, pour reprendre la formule de L. Jospin. C'est une analyse que vous partagez ?
-"Je crois que l'insécurité est quelque chose de trop sérieux pour le laisser sur le terrain de la démagogie électoraliste et sécuritaire. On est effectivement dans une société de plus en plus libérale, une société à l'américaine en gros, qui est effectivement de plus en plus violente. Nous serions pour apporter des mesures d'urgence, notamment aux victimes de violences, mais qui ne passent pas, nécessairement, par un flicage systématique et par un commissariat dans chaque quartier. Très concrètement, quand on prend le problème du racket ou le problème, pire encore, des agressions sexuelles qui se passent quand même à 70 % des cas dans le cadre de la famille, je ne crois pas que le commissariat soit la structure la plus accueillante. Nous, nous serions pour développer des antennes, d'écoute d'entraide au niveau administratif, judiciaire, avec un personnel hyper formé. Pour les délinquants, dans le débat sur l'ordonnance de 1945, on est pour continuer à privilégier l'éducatif sur le répressif, parce que je ne pense pas qu'une génération de 13 ans soit déjà perdue pour l'avenir. Et son premier milieu de socialisation doit être l'école et non la prison."
Laguiller, autre candidat trotskiste, mais d'une formation concurrente, Lutte ouvrière, décolle dans les sondages. Est-ce que cela donne raison au fond à sa stratégie qui consistait à être présente à toutes les élections présidentielles depuis un certain temps alors que votre mouvement a fait un autre choix et n'était pas sur le terrain électif ?
- "Pour mon organisation, cela aurait été un peu plus compliqué pour me présenter depuis 1974, puisque que je n'étais pas encore né. Le fait qu'elle monte dans les sondages c'est une bonne chose, car cela prouve qu'il y a de plus en plus de personnes qui veulent sanctionner à gauche la politique du Gouvernement et qui veulent renforcer l'extrême gauche. Mais une extrême gauche dans laquelle on compte nous aussi exister. Cela permet en autre à l'extrême gauche d'être présent au contre-sommet européen de Barcelone, aux côtés de ses dizaines de milliers de jeunes, pour réclamer qu'un autre monde soit possible."
Le report des voix sur la gauche, c'est envisageable ou pas ?
- "Nous avons décidé de ne pas donner de consigne de vote. Cela ne veut pas dire que gauche et droite, c'est la même chose. Je pense que J. Chirac devrait être devant le juge Halphen et pas devant les électeurs aujourd'hui ; et même, à la loupe, je n'ai jamais trouvé un cortège du RPR dans les manifestations populaires. On dit une chose simple : c'est à Jospin d'aller gagner ses voix dans les couches populaires, chez les postiers, les salariés de Danone ou Moulinex."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 mars 2002)
Le 4 avril 2002
R. Elkrief -Vous êtes un des dix-sept candidats officiellement en liste et un des trois candidats trotskystes. Trois candidats trotskystes, franchement, est-ce vraiment sérieux ? Vous avez tellement de différences entre vous trois pour être présent dans cette campagne ?
- "Bonjour, d'abord. C'est vrai que nous, nous aurions préféré que l'extrême gauche soit rassemblée pour ces élections. C'est pour cela que nous avions proposé un accord unitaire à A. Laguiller, qu'elle a malheureusement refusé, par sectarisme. Mais, vous savez, même l'extrême gauche est plurielle, aujourd'hui. A la différence d'A. Laguiller, je pense que l'extrême gauche doit participer aux luttes contre la mondialisation. C'est pour cela que la LCR était par exemple présente dans les rues de Barcelone, où il y avait près de 350.000 manifestants. Et à la différence d'Arlette, surtout, je pense que l'heure est au rassemblement unitaire de tous ceux qui s'opposent et au capitalisme et à la politique de la gauche gouvernementale."
Vous êtes critique vis-à-vis d'Arlette. Est-ce parce qu'elle occupe quand même tout cet espace de l'extrême gauche, qu'elle un statut un peu de Jeanne d'Arc des travailleurs ? C'est un peu rageant pour vous ?
- "Sûrement pas."
Pourquoi est-ce qu'elle l'occupe, à votre avis ?
- "Je crois que c'est d'abord un phénomène politique qui se confirme depuis plusieurs années : c'est que l'extrême gauche est de plus en plus importante dans ce pays. Cela s'est confirmé aux élections européennes, régionales, municipales, et probablement à ces élections. Pour moi, sa popularité est une bonne chose. Cela prouve qu'il y a de plus en plus de monde qui veut sanctionner à gauche la politique du Gouvernement, qui veut renforcer l'extrême gauche, une extrême gauche, une fois de plus, dans laquelle on existe également."
Alors, tant pis si elle est sectaire, comme vous avez dit vous-même ? Vous êtes entre 0,5 et 1 %, tout comme l'autre candidat trotskyste, D. Gluckstein, du Parti des travailleurs. Cela sert franchement à quoi d'être candidat et, deuxième petite question, comment avez-vous réussi, vous, à avoir vos parrainages ? Vous avez eu des coups de pouce ?
- "Le coup de pouce qu'on a eu, c'est des centaines de militants de la LCR qui l'ont donné. Pendant près de sept mois, ils ont sillonné toute la France pour aller visiter près de 15.000 maires, obtenir plus de 600 promesses de parrainage et pouvoir déposer effectivement enfin 537 signatures au Conseil constitutionnel."
Pas un petit soutien du PS, ou de quelques réseaux de copains à l'intérieur du PS ?
- "A 90 % des cas, c'est des maires de petites communes de moins de 500 habitants, qui sont sans étiquette politique, ont le coeur à gauche bien entendu. Il y a aussi quelques maires, évidemment, socialistes, communistes, écologistes, qui ont aussi décidé de parrainer notre candidature. Mais ce n'est pas la grosse majorité des cas. Une fois de plus, cette loi est antidémocratique, il faut la changer."
Vous avez dit dans un meeting que J. Chirac devrait être devant le juge Halphen et pas devant les électeurs. Mais, franchement, les électeurs le placent aujourd'hui, aux côtés de L. Jospin, comme l'un des deux présidents possibles. C'est un argument qui ne marche pas...
- "D'abord, on verra cela le jour des élections, si vous permettez que la République ne se résume pas simplement à une affaire de sondages. Oui, je pense que sa place politique, sa place aujourd'hui, est devant le juge Halphen parce que J. Chirac, c'est-à-dire "Super Menteur", réalise quand même l'exploit de cumuler six ou sept dossiers judiciaires contre lui. Le Canard Enchaîné vient encore d'expliquer qu'il a quand même pendant plusieurs années, dépensé plus de 4.000 francs en liquide pour sa nourriture personnelle, ce qui fait quand même pas mal. Donc, nous lui proposons comme seule nourriture de lui envoyer des oranges."
Plus que cela, cela se chiffre plutôt en millions... J'en déduis que finalement, pour vous, c'est donc L. Jospin qui, depuis quelques jours, dit qu'il est le candidat de ceux qui travaillent dur et qui gagnent peu, lui qui a fait un petit virage à gauche. J'en déduis que vous vous reporterez sans problème, sans état d'âme, sur L. Jospin, au deuxième tour ?
- "L. Jospin se rend compte que l'extrême gauche est en train de monter dans ce pays. Donc, il se rappelle qu'il y a un électorat de gauche. Simplement, le bilan de sa politique, c'est quand même d'avoir privatisé à lui seul plus que Juppé et Balladur réunis. Et, par exemple, c'est main dans la main avec J. Chirac qu'ils viennent de privatiser ensemble EDF et une entreprise qui me tient particulièrement à coeur..."
Privatiser EDF ?!
- "Absolument."
Ils disent quand même le contraire tous les jours, l'un et l'autre !
- "Sauf justement qu'ils se moquent un peu de nous, puisqu'il ne faut plus dire des mots grossiers, surtout sous un gouvernement de gauche. Donc, on ne parle pas de "privatisation", mais "d'ouverture du capital". Sauf que c'est exactement la même chose."
A peine...
- "Ils viennent de libéraliser La Poste, une entreprise qui me tient particulièrement à coeur. Et malheureusement, non, ce n'est pas à peine, parce que ce qui risque de se passer pour des millions de Français, c'est ce qui s'est passé dans une région comme la Californie, qui est la région la plus riche du monde, et qui s'est retrouvée dans l'obscurité à cause de la privatisation de l'énergie, c'est-à-dire qu'elle s'est retrouvée un siècle en arrière."
On n'en est pas tout à fait là, quand même, en France, aujourd'hui. Parlons de La Poste, puisque vous êtes postier. Vous avez 27 ans et vous êtes postier à Neuilly-sur-Seine, dans une des banlieues riches de la région parisienne. Y a-t-il des habitants de Neuilly qui vont voter pour vous, qui vous ont dit qu'ils allaient voter pour vous ?
- "Je travaille à Neuilly, je n'y vis pas et, a priori, ce n'est pas là que je vais faire le plus de voix, même s'il y a des gardiennes d'immeuble qui m'ont dit qu'il fallait aussi coller là-bas, parce que vous savez, il n'y a pas que du beau linge à Neuilly."
Pour revenir à La Poste, elle devrait annoncer aujourd'hui des résultats déficitaires. Pour vous, c'est seulement ce problème de libéralisation ? N'est-ce pas aussi, je ne sais pas, trop de salariés par rapport à la rentabilité de l'entreprise, qui aurait une organisation discutable ?
- "C'est une entreprise surtout qui a annoncé des bénéfices pendant plusieurs années, dont on n'a jamais vu la couleur, ni les salariés ni les usagers d'ailleurs. Le problème de la libéralisation dont je vous parlais, c'est cela. C'est que dans un pays comme la Suède, la libéralisation a déjà fait fermer 25 % des bureaux et augmenté plus de 70 % des tarifs. Dans un pays comme la Grande-Bretagne, il y a quelques jours, on annonçait la suppression de 15.000 emplois. C'est vrai que dans des zones rurales, dans les quartiers populaires, les bureaux de Poste ne sont pas vraiment rentables aujourd'hui, ni du point de vue de l'épargne ni du point de vue de la correspondance. Pour nous, ce n'est pas un scoop, cela n'a jamais été le cas, et ce n'est pas un problème, parce qu'on pense que La Poste a un rôle à jouer en termes d'aménagement du territoire, et en termes de cohésion entre les populations."
Je reviens à ma question sur Jospin. Vous m'avez dit qu'il libéralisait la France et les grandes entreprises. Mais vous ne m'avez pas dit si vous vous reportiez au deuxième tour et si vous appeliez à voter pour lui ?
- "On a décidé de ne pas donner de consigne de vote, même si pour nous, la gauche et la droite, ce n'est pas la même chose. Moi, je vous ai dit que "Super Menteur" devait être le juge Halphen et, même au microscope, je n'ai jamais trouvé un cortège du RPR ou de l'UDF dans les manifestations populaires, alors qu'on trouve le peuple de gauche dans ces mobilisations. Donc, nous avons dit une chose simple : c'est à Jospin d'aller gagner ces voix dans les couches populaires, chez les salariés de Moulinex, chez les salariés de Danone que j'irai voir ce midi, ou chez les postiers."
Dernière question : A. Krivine et une autre responsable des Verts doivent se rendre en Palestine pour soutenir la lutte du peuple palestinien, comme J. Bové l'a fait il y a quelques jours. Franchement, pourquoi ne sont-ils pas allés en Algérie, en Afghanistan ? Pourquoi ne vont-ils pas au Sierra Leone, au Soudan, dans d'autres pays ? Parce qu'il n'y a pas de caméras là-bas ?
- "D'abord, ils vont dans plus d'endroits que vous pensez. Ils sont allés à plusieurs reprises, et ils se sont servi de leur mandat de député européen, pour être présents dans plusieurs pays d'Amérique latine, d'Afrique, pour observer, pour soutenir des mobilisations. Je crois que la situation de la Palestine, malheureusement, est catastrophique aujourd'hui. Sharon est en train de mettre en prison un peuple tout entier, dans l'indifférence la plus totale de la communauté internationale. Il y a deux peuples dans la région. Pour la sécurité des uns et pour la sécurité des autres, il faut reconnaître un Etat palestinien, maintenant. C'est le préalable."
Et un Etat d'Israël ?
- "Absolument. L'Etat d'Israël, on le reconnaît, le problème n'est pas là. Mais, y compris du point de la sécurité des Israéliens, il faut reconnaître un Etat palestinien aujourd'hui. Sharon, aujourd'hui, est plus obsédé par la destruction de l'autorité palestinienne que de la sécurité de son propre peuple."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 avril 2002)
Le 8 avril 2002
A. Hausser -
Vous êtes un des trois candidats d'extrême gauche à cette élection présidentielle. Vous vous en prenez souvent au Gouvernement, à L. Jospin. Hier, le Premier ministre a fait observer que c'est quand même la gauche qui a fait avancé les droits des travailleurs. Vous lui faites crédit de cela ?
- "Nous, on ne se présente pas d'abord contre le Gouvernement, on se présente d'abord contre le patronat qui est omniprésent dans cette campagne. D'abord au niveau social, en licenciant à tour de bras, et au niveau politique, parce qu'il rédige pratiquement à la lettre le programme du RPR et il inspire aussi malheureusement le programme de la gauche plurielle. Il a aussi imprégné le bilan de la politique du gouvernement Jospin, d'un Jospin qui était tout fier de nous expliquer il y a quelque temps que le patronat n'avait pas vraiment à se plaindre de sa politique."
Est-ce que pour vous les 35 heures sont un progrès ?
- "Cela aurait dû être un progrès. Nous avons toujours été favorables à une réduction du temps de travail qui permette de créer les emplois correspondants. Le problème de la loi Aubry, c'est que dans les grandes entreprises du public, comme du privé, il y a eu zéro création d'emploi et il y a eu souvent beaucoup plus de flexibilité à l'intérieur - c'est-à-dire qu'on demande aux salariés de s'adapter à la demande de la production. Dans certaines boites, maintenant, les gens travaillent plus de 12 heures par jour. C'est-à-dire que l'on fait un bond en arrière au lieu d'en faire deux en avant. Nous proposons donc une autre réduction du temps de travail qui créerait vraiment des emplois."
Laquelle ?
- "Une loi de 32 heures hebdomadaires, c'est-à-dire sans annualisation. Parce que dans les grandes boites du privé, l'annualisation, très concrètement, permet d'adapter les salariés à la production, en fonction de la demande patronale. Concrètement, on a sucré des temps de pauses pour le temps de manger, le temps de s'habiller. On est pour en finir avec cela et créer les emplois correspondants, parce que l'idée, c'est de travailler tous en travaillant moins."
Si J. Chirac est réélu, pour vous, ce sera la fin des 35 heures ?
- "Malheureusement, que ce soit un gouvernement de droite ou de gauche, on ne pourra que faire confiance aux mobilisations sociales pour imposer une autre loi et surtout pour imposer ce qui manque actuellement, c'est-à-dire des embauches."
Quand vous faites campagne contre les licenciements, c'est un très joli slogan, mais vous savez bien que c'est impossible...
- "C'est ce que l'on nous reproche, mais c'est vraiment un débat qui divise la gauche en deux camps. Nous proposons une loi qui interdirait les licenciements, c'est-à-dire un gouvernement qui irait imposer aux actionnaires le maintien de l'emploi et de l'activité industrielle sur une région. Selon L. Jospin - il l'avait fait savoir pendant les licenciements de Michelin -, ce serait de l'ingérence. On ne parle jamais d'ingérence quand on distribue à hauteur de 3 milliards de francs, [comme] l'année dernière, les subventions publiques, les allégements de cotisations sociales, quand on ne distribue pas directement des terrains ou des infrastructures gratuitement à ces groupes qui licencient quand même. Nous, on serait pour aller voir les actionnaires en leur disant : "Vous maintenez tout, sinon on reprend tout"."

Un de vos concurrents, D. Gluckstein, dit qu'il n'attend pas grand chose de cette élection ; qu'est-ce vous attendez ?
- "Contrairement à ce qu'on dit, beaucoup de gens ont envie de discuter politique à ces élections. On s'en rend compte dans nos meetings, où il y a beaucoup de monde, on a un public populaire, plus jeune. Les gens ont tout simplement envie que l'on discute de leurs préoccupations concrètes : les licenciements, mais aussi la marchandisation des services publics, des biens culturels ou encore de thèmes comme la mal-bouffe. Là, le problème, c'est que nous avons deux grands candidats qui s'échangent des vannes par "20 heures" interposés. Au même moment, deux entreprises publiques ont été privatisées : une au Sommet de Barcelone - il ne faut pas dire "privatiser" parce que c'est un mot grossier, mais ils ont ouvert le capital, c'est exactement la même chose -, une autre qui me tient particulièrement à coeur, c'est La Poste, sur les bancs du Parlement européen."
C'est-à-dire que La Poste, demain, va être privatisée comme dans les autres pays européens ? Vous en êtes sûr, malgré les affirmations des deux candidats ?
- "Absolument, ils commencent la libéralisation avant une libéralisation totale prévue pour 2009. Très concrètement, cela veut dire qu'il y a un peu plus de bureaux de poste qui demain fermeront dans les quartiers populaires ou dans les zones rurales."
On va peut-être en rouvrir aussi ?
- "Pour l'instant, c'est exactement le contraire de ce qui se passe. Prenez l'exemple d'un pays comme la Suède, où on a déjà tenté la libéralisation : 25 % des bureaux ont fermé et les tarifs ont augmenté de plus de 70 %. Donc, du point de vue des usagers - c'est d'abord de ce point de vue que je me place parce que c'est un choix de civilisation -, on est pour l'arrêt des privatisations et l'extension des services publiques, parce que pour nous, il y a des droits qui sont prioritaires sur la rentabilité. Se soigner, se chauffer, s'éclairer, se former, pour nous, ça devrait être prioritaire sur le profit."
Vous êtes 3 candidats d'extrême gauche à ce scrutin, et pourtant, il y en a une qui crève un peu le plafond dans les sondages et l'écran, c'est A. Laguiller. Comment expliquez-vous qu'elle ait plus de succès que vous, alors que vous prônez la même chose, vous êtes plus jeune qu'elle, vous débattez plus qu'elle ?
- "Sa popularité est une bonne chose, cela prouve qu'il y a de plus en plus de monde qui veut sanctionner à gauche la politique du Gouvernement. "
Mais elle est plus intransigeante que vous encore...
- "Je ne suis pas là pour commenter sa politique. Nous, aujourd'hui, on se propose des mesures anticapitalistes à ces élections. Je crois que même l'extrême gauche est plurielle, que ce soit au niveau électoral, mais aussi au niveau politique. A la différence d'A. Laguiller, je crois que l'extrême gauche doit participer au mouvement antimondialisation. C'est pour cela que la LCR était présente dans les rues de Barcelone, aux côtés de ces 350.000 manifestants. Et surtout, à la différence d'Arlette, je crois que l'heure est au rassemblement unitaire de tous ceux qui s'opposent au capitalisme et à la politique de la gauche gouvernementale. C'est pour cela qu'on lui avait proposé un accord unitaire autour de sa candidature, elle l'a malheureusement refusé."
Mais il a deux autres partis révolutionnaires et vous n'arrivez pas à vous entendre.
- "Nous avons proposé un accord, elle a refusé. Maintenant, pour notre part, on verra quel est l'espace..."
Il y a D. Gluckstein, de la LCI [sic].
- "Du Parti des travailleurs ? C'est un des courants politiques que je n'ai jamais côtoyés en dix ans de mobilisation unitaire. J'ai côtoyé des militants socialistes, communistes, écologistes, d'autres militants révolutionnaires, libertaires. Ce n'est pas la tradition de ce courant de participer aux initiatives unitaires. Pour tout dire, je crois que L. Jospin les connaît mieux que moi."
Vous rappelez qu'il a fait partie de ce courant... Que ferez-vous le soir du 1er tour ?
- "Dans le cas de figure où on n'ait pas un deuxième tour A. Laguiller-O. Besancenot, et que ce soit, oh ! grande surprise, J. Chirac et L. Jospin, on a décidé de ne pas donner de consignes de vote. Cela ne veut pas dire que pour nous, la gauche et la droite, c'est la même chose. On pense que Chirac "super-menteur" devrait être devant le juge Halphen aujourd'hui, pas devant les électeurs. Même au microscope, je n 'ai jamais trouvé un cortège de l'UDF ou du RPR dans les manifestations populaires. Alors que l'on retrouve le peuple de gauche dans ces manifestations. Nous disons une chose simple : c'est à L. Jospin d'aller gagner ces voix dans les couches populaires, chez les salariés de Moulinex, de Michelin, de Danone, chez les postiers ou chez les infirmières. Nous ne voterons pas Chirac, mais on n'empêche pas la gauche d'aller gagner ces élections. Très concrètement, il y en a qui voteront Besancenot au premier tour et qui voteront à gauche au deuxième, d'autres ne le feront pas. Nous, nous n'irons ni chez les uns ni chez les autres pour les forcer à faire quoi que ce soit."
C'est un appel du pied à L. Jospin ?
- "C'est une non-consigne de vote."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 avril 2002)