Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville, à RTL le 30 mai 2002, sur la politique urbaine, notamment les quartiers en difficulté, les discriminations sociales, la sécurité et l'aide aux victimes d'agression.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief On écoutait A. Duhamel, il y a un instant. Est-ce que, dans cette campagne législative, on répète déjà les mêmes erreurs qu'avant le premier tour de la présidentielle ?
- "Il ne m'en voudra pas, mais je n'ai pas entendu ce qu'il a dit ! Ce que je crois surtout, c'est que le premier tour de l'élection présidentielle, avec l'arrivée du Front national, qualifié pour le deuxième tour, va consciemment ou inconsciemment dans le pays laisser des traces, un peu comme Mai 68. Mais dans tous les aspects : les associations, les hommes politiques... Je suis convaincu que ce Gouvernement n'a pas la même tête, la même façon de travailler que si la droite avait gagné face à Jospin. Je suis convaincu que la façon dont la gauche va se remettre en cause sera beaucoup plus profonde que s'ils avaient juste perdu face à Chirac au deuxième tour. Ce n'est pas juste un problème ponctuel français. On voit bien que la Belgique, la Hollande, l'Autriche... Enfin, il y a un vrai problème général..."
Vous dites aussi que les électeurs, pendant ce premier tour, ont mis, inconsciemment ou consciemment, la question des "quartiers difficiles", donc de la politique de la Ville dont vous êtes en charge aujourd'hui, au coeur de l'élection et au coeur de la politique. Pourquoi ?
- "Ce que J.-P. Raffarin m'a confié, c'est "la vraie nouvelle bataille de France". Il y a 1.500 quartiers en difficulté ; avec les mêmes critères, il y en avait moins de 100 il y a 25 ans - rapport Dubedout. 6,5 millions de gens, qui travaillent, qui vivent dans ces quartiers, presque quatre fois plus de chômage que sur la moyenne nationale, 3,5 fois plus de RMistes, et en même temps, 31 % des moins de 20 ans sont dans ces quartiers-là. C'est à la fois un mélange d'une énergie absolument considérable, des conditions de vie dégradées de logements, d'habitat, l'ascenseur social est en panne. Donc, on ne peut pas imaginer une seconde, que dans un pays, il y ait en gros 9 % de chômage quelque part et 30 % ailleurs !"
Ce n'est pas la première fois qu'on s'en rend compte. Il y a eu des ministres de la Ville avant vous, on va y revenir, il y a déjà eu des grands discours là-dessus, et les résultats ne sont pas franchement au rendez-vous. Qu'est-ce qui peut changer et que pouvez-vous faire de différent ?
- "Il y a deux raisons. La première, c'est que le Gouvernement m'a vraiment demandé de mener cette bataille..."
Vous allez avoir les moyens ? C'est ça que vous voulez dire ? Combien, quel budget, concrètement ?
- "On n'a pas de problème budgétaire dans ce pays. Raser une barre qui est dégueulasse et mal entretenue depuis 30 ans pour construire des petits pavillons, cela coûte moins cher en rentabilité pour un office d'HLM que de faire du replâtrage. Donc, ce n'est pas un problème d'argent. En politique, vous pouvez faire des choses quand vous avez l'opinion publique avec vous. Je suis heureux d'être à cette radio pour dire à l'opinion publique française, parce qu'elle est intelligente - elle l'a prouvé dans ces élections -, qu'on a besoin de mesures particulièrement fortes pour ces quartiers-là. La République en a besoin si on veut que le modèle français, de liberté, d'égalité et de fraternité perdure. Donc, c'est vrai que J.-P. Raffarin m'a dit qu'il avait une attention absolue, à la fois, pour les gens en grande difficulté financière, pour les surendettés..."
Et J. Chirac ?
- "J. Chirac, je suis convaincu, c'est même de l'implicite. Un peu comme il fallait absolument résoudre ce problème de "fracture sociale" qui est aujourd'hui, en plus, une fracture urbaine, voire une fracture religieuse ou ethnique parfois dans nos quartiers. Donc, c'est quasiment de l'instinct. J.-P. Raffarin doit gérer les contradictions, du moins les contraintes d'un gouvernement. Et j'ai un soutien absolu pour régler, et socialement, pour le développement économique, l'habitat, l'espace de vie autour, le cadre de vie. Qu'on prenne ces vraies mesures... J'ai le sentiment d'être un peu le porte-drapeau de cette bataille et d'être soutenu par tout le monde. Donc, évidemment qu'on va la gagner !"
On va en parler dans le détail. Vous avez fait une chose assez rare en déjeunant avec vos prédécesseurs. Vous les avez invités, droite, gauche : il y avait S. Veil, C. Bartolone - le socialiste -, J.-C. Gaudin, et même B. Tapie. Comment cela se passe quand des anciens ministres de la Ville se réunissent ? Que disent-ils ? Qu'avez-vous retenu ?
- "D'abord, c'est plutôt eux qu'il faut saluer car ce sont eux qui ont accepté l'invitation. C'est la moindre des choses que je le fasse. Pourquoi ? Parce qu'il y a cette idée qu'on s'est tous un peu cassé les dents - je parle de la France - sur ce problème assez spécifique de la France, cette espèce d'impuissance dans ces endroits-là. Et je crois que tous ceux qui ont oeuvré, chacun dans son style : Tapie, avec ce talent de pouvoir donner de la fierté dans les cités ; S. Veil, sur lien social des associations, la santé ; Bartolone, qui a géré un peu, qui a cherché du pognon pour les problèmes de relogement et d'habitat ; J.-C. Gaudin, pour l'activité économique..."
(Question inaudible)
- "Il faut faire tout en même temps, plus vite, plus fort. Mais la grande différence, c'est que j'ai le sentiment d'avoir le soutien absolu de ce Gouvernement, et en fait, probablement de l'opinion publique."
On l'espère peut-être pour vous. Mais concrètement, par quoi cela va commencer ? Est-ce que vous allez remettre en question ce qui existe, bouleverser les choses ? Qu'est-ce qui va se passer ?
- "L'instabilité chronique des procédures, dans lesquelles les élus sont complètement paumés... Je ne vais rien inventer de génial ni de nouveau. Mon boulot, c'est de faire marcher ce qui existe déjà. Les gens ont mis des années à comprendre les grands projets de ville, [...] il y a des procédures très compliquées. Je suis à Chanteloup-les-Vignes cet après-midi, j'étais à Blois il y a trois-quatre jours. Mon boulot, c'est de réunir toute les forces - régions, départements, préfets, sous-préfets à la Ville, direction de l'Equipement -, cette espèce de machine, pour dire : "cette barre", pourquoi n'est-elle pas rasée ? Quels papiers manquent ? Pourquoi le contrôleur financier bloque ? Comment on fait ? Il y a rien de plus fantastique dans les quartiers que le retour des grues. Mais des vraies grues... Vous voyez ce que je veux dire..."
Est-ce que vous allez faire de la discrimination positive ?
- "Oui. La République française ne s'en sortira pas si on ne met pas "le paquet" pour ces quartiers pleins d'énergie."
Concrètement, cela veut dire quoi ? Encourager l'embauche des jeunes issus de l'immigration qui habitent ces quartiers ?
- "Comme il est hors de question de faire du gadget et des effets d'annonce, le programme que j'ai présenté au Premier ministre est un programme gouvernemental, qui engage un certain nombre de ministères de manière forte. Et ce n'est qu'après les arbitrages définitifs que vous aurez la présentation des mesures. En attendant, mon problème principal, c'est de faire fonctionner ce qui existe déjà, dans les meilleures conditions possibles."
Vous parliez aussi d'un service d'aide aux victimes d'urgence. Cela veut dire que vous allez vous occuper aussi de Sécurité, comme N. Sarkozy ?
- "Pas du tout, chacun son boulot ! On a besoin du boulot qu'il fait qui n'est pas le boulot le plus marrant. Parce que nous, dans les quartiers, on a absolument besoin qu'il y ait la paisibilité. S'il y a bien un endroit dans lequel on a besoin de cela, c'est nos quartiers. On demande l'équité républicaine et la protection. Je suis dans la logique positive de la main tendue, ce qui finalement est le plus facile et le plus valorisant. 31 % de moins de vingt ans..."
Et là, vous voulez aider les victimes d'agressions ?
- "J'étais sur l'énergie de mes quartiers, cela m'obsède. Quand vous êtes cambriolé, vous prenez un poing sur la figure, vous êtes agressé, violé, il n'y a pas de système... Il y a des bureaux d'aide aux victimes qui existent mais qui me disaient, ou qui disaient plus exactement à mon procureur à Valenciennes : "Mais comment fait-on ?". Donc, on a mis en place une voiture, avec un numéro, appelé par la police ou la justice, qui permet de venir tout de suite porter une assistance humaine, toute simple, comme pour les grands crashs d'avions. Simplement, je signale qu'il y a quand même des milliers d'agressions par jour, et donc des voitures qui viennent tout de suite épauler. La dame s'est fait cambrioler, etc...."
Comme le Samu, un service d'aide aux victimes...
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 mai 2002)