Interviews de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à Europe 1 le 9 janvier 2002 et à RTL le 16, sur l'assurance maladie, et la reprise des propositions de la CFDT par le MEDEF, notamment le Pare et et les retraites.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RTL

Texte intégral

Europe 1, le 9 janvier 2002
Luc Evrard. Bonjour, Nicole Notat.
Nicole Notat. Bonjour.
L'année 2002 sera une année importante pour la CFDT. Vous avez annoncé votre intention d'en quitter le secrétariat général mais, d'ici au congrès de mai, vous êtes à la barre et les dossiers chauds ne manquent pas, à commencer par l'assurance-maladie. Les médecins généralistes demandent d'importantes revalorisations d'honoraires. Ils n'ont pas bougé, ces honoraires, depuis 1998 pour la consultation de base, depuis 1993 pour la visite à domicile. Est-ce que cette revendication est légitime ?
Écoutez, il me semble qu'on est dans un conflit. Bien évidemment, dans un conflit, les professionnels de la santé expriment leurs revendications. Vous savez, c'est, en général, la règle. Quand il y a des problèmes dans une profession, du mal être, des mutations, des évolutions qui font un peu craindre l'avenir, alors, en général, ça se traduit par des revendications salariales. On connaît ça aussi chez les salariés. Donc, que les médecins expriment des revendications dans ce domaine, dans le domaine de l'amélioration de leurs conditions de travail, je ne trouve pas ça choquant. Simplement, maintenant, une négociation va s'ouvrir, une négociation va s'ouvrir sous la responsabilité de Jean-Marie Spaeth, président de la Cnam. C'est son rôle et sa fonction. Mais, bien évidemment, une négociation, ça se passe à deux et lui, c'est en tout cas ce que je souhaite, je sais qu'il y est d'ailleurs lui aussi très attentif, va s'attacher à ce que le résultat de cette négociation qui, j'espère, sera productif, soit équilibré. Pour cela, il doit intégrer bien évidemment des éléments, des revendications des médecins dont les revendications salariales mais intégrer aussi, je dirais, l'intérêt général des assurés sociaux, des évolutions dans l'organisation du système de soin, qui appelle aussi à quelques pratiques coopératives des médecins eux-mêmes dans des évolutions qu'il faut savoir conduire.
Il faudrait que ce soit donc donnant-donnant. Je note que, peut-être pour faciliter la tâche de Jean-Marie Spaeth précisément, vous ne donnez pas, vous, d'indication de résultat à la différence de madame Guigou qui indiquait, hier, que, finalement, ces revendications avaient une certaine forme de justification après les avoir rejetées en bloc quand elle était en première ligne.
Oui, je pense que nous sommes dans un domaine où quand il y a une négociation de ce genre, il est bon que les acteurs et les responsables de la négociation soient clairement identifiés. Le gouvernement a, c'est d'ailleurs conforme en principe aux répartitions de responsabilités entre la Cnam et le gouvernement, a souhaité que la Cnam assume cette responsabilité. Ils vont le faire. Alors, je dirais qu'on les laisse assurer cette responsabilité, bien sûr dans un cadre qui est le cadre légal. C'est la responsabilité du président de la Cnam et de la Cnam. Je dirais que, pour ma part, je suis attentive aussi à autre chose, c'est l'après-négociation si, comme je le souhaite, un accord peut intervenir. C'est qu'un accord entre la Cnam et les professionnels de santé, pour être opérationnel, pour être appliqué, il doit être validé par un arrêté au Journal Officiel par le gouvernement et je ne voudrais pas qu'il arrive, sur cet éventuel accord qui pourrait venir, la même chose que ce qui arrive à un accord passé entre la Cnam et les kinésithérapeutes le 8 novembre et qui n'est toujours pas publié au Journal Officiel. Ca fait deux mois, c'est un peu long.
Ca veut dire quoi ? Le gouvernement ne joue pas le jeu ?
Je ne comprends toujours pas les raisons pour lesquelles deux mois après un accord, qui est un bon accord, qui engage les parties concernées, le gouvernement n'a pas encore permis qu'il soit appliqué. Donc, je souhaite qu'il puisse l'être parce que ce serait un signal positif de la bonne application des règles du jeu dont le gouvernement se recommande lui-même dans les responsabilités qu'il veut confier à la Cnam.
On est là au cur de l'ambiguïté qu'a si souvent dénoncée le Medef avant de claquer la porte. C'est la Cnam qui négocie mais c'est souvent le gouvernement qui donne le la. En commentant la situation hier, Ernest-Antoine Seilliere, le président du Medef, était tout content d'être sorti de la gestion de l'assurance-maladie comme d'un pétrin. Ca vous paraît admissible comme propos ?
C'est un peu facile. Evidemment, le Medef est sorti des caisses voyant la situation actuelle qui est une situation délicate mais la responsabilité, c'est aussi de traiter les problèmes au moment où ils se posent et on ne choisit pas forcément ce moment. Donc, j'ai eu, effectivement, comme vous le dites, l'impression qu'il était un peu sur la touche, qu'il se réjouissait presque à l'avance de voir les acteurs peut-être un peu en situation difficile. Sans commentaire.
Alors, il est sur la touche sur ce dossier-là mais il a un dispositif de combat sur tout un tas d'autres dossiers. Le Medef, pas plus tard qu'hier, réunissait un forum sur le thème du risque. Il a dénoncé la fonctionnarisation des salariés, enfin on sent petit à petit, de ce côté-là, se mettre en place une espèce d'argumentaire, voire même de projet de société. C'est ce que disent la plupart des observateurs. Comment les syndicats vont-ils réussir à faire entendre leur voix sur ce registre dans la perspective des campagnes électorales à venir ?
En s'exprimant bien sûr et en faisant, eux aussi, valoir leurs analyses, leurs réflexions, leurs propositions. De ce point de vue, je dois dire que, pour ma part, je ne suis pas choquée, je dirais même que je me réjouis, que, en l'occurrence il s'agit du patronat, mais que toutes les forces sociales, économiques, associatives, syndicales de ce pays puissent se faire entendre et puissent participer au débat public qui est nécessaire avant des élections comme celle qui nous attend. Ce sont des élections dont les responsables seront amenés, derrière ceux qui seront élus, à assumer des responsabilités qui conditionnent notre avenir. Il est donc tout à fait important que nous soyons en capacité de les interpeller, en capacité de faire valoir nos propositions, nos points de vue pour qu'ils s'engagent, qu'ils nous disent véritablement dans quelle voie ils souhaitent nous engager. Donc, de ce point de vue-là, j'ai plutôt envie de dire que tous ceux qui ont des choses à dire parce qu'ils représentent des intérêts dans la société, parce qu'ils représentent une certaine vision de l'avenir, se fassent entendre. Nous allons le faire nous-mêmes à chaque occasion et nous ne nous en priverons pas et c'est, je crois, de cette capacité à animer le débat public, à rendre notre démocratie plus vivante, lui donner une vitalité plus aiguë, que peut-être nous finirons par avoir aussi un intérêt renouvelé pour ces élections.
Ca veut dire que vous souscrivez à l'analyse de Jacques Chirac qui, pour le déplorer, décrivait, hier, un fossé croissant entre l'entreprise et la sphère publique ? Vous y étiez, c'était lors des vux aux forces vives de la Nation.
Le président a fait un discours qui faisait état de sa philosophie, je dirais, de la manière dont il concevait les relations entre l'État, le législateur, les partenaires sociaux, les entreprises. J'ai, pour ma part, considéré que ce propos, dont j'ai apprécié qu'il ne soit pas polémique même si, ici ou là, évidemment, on sent bien qu'il y a entre eux des petites choses qui sont des messages au gouvernement, mais enfin ça, c'est dans l'ordre des choses et je pense que ça ne va pas changer pendant les mois qui viennent. Mais ce qui me semble important, c'est que, finalement, ça puisse fournir les bases d'une vraie discussion, d'un débat public, où ce qui est souhaitable maintenant, c'est que tout le monde s'exprime sur ce sujet dont chacun convient, je crois, aujourd'hui, qu'il est au cur des choix qui sont à faire pour les futures élections, et donc que nous avons tous intérêt à ce que ce jeu s'éclaire.
(source http://www.cfdt.fr, le 10 janvier 2002)
RTL - Le 16 janvier 2002
R. Elkrief Le Medef a publié hier neuf propositions aux candidats présidentiels. Sont-elles utiles ou partisanes, politiciennes, comme certains l'ont dit ?
- "Ce sont les positions du Medef. Il va falloir qu'on découvre tous les matins quelque chose de neuf. [Il s'agit du] point d'orgue d'une série de rassemblements régionaux, à travers lesquels il a fait connaître un certain nombre d'analyses et de propositions. Hier, il n'y avait rien de neuf. J'ai l'impression qu'on donne beaucoup d'importance à cet événement qui est, me semble-t-il, la fin d'un parcours que le Medef a voulu faire en faisant connaître ses propositions. De mon point de vue, je considère qu'il est toujours utile que tous les corps intermédiaires, les forces économiques, les forces sociales, fassent connaître leurs points de vue, leurs réflexions. Il n'est pas inutile de savoir ce que pensent et veulent les patrons. C'est à partir de là qu'on peut aussi avoir une confrontation, souvent sportive avec eux. Mais au total, je souhaite que les débats s'engagent sur les questions de fond car il [doit] y avoir un débat de fond avec le Medef."
Une personnalité, un consultant, B. Brunhes, dans Libération, dit aujourd'hui que le Medef a largement pillé les idées de la CFDT, par exemple sur le Pare, sur la retraite à la carte. Vous n'êtes pas un petit peu jalouse de l'accueil qui est fait à ces idées ? Vous ne vous dites pas que cela aura pu être [vous] ?
- "On devrait dire alors que ses positions sont bonnes. Or, j'ai beaucoup de choses à dire sur certaines propositions du Medef. Sur les propositions qui concernent l'assurance-maladie, j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer. Je ne partage pas le point de vue du Medef, qui pense que c'est en installant la concurrence et en donnant à des opérateurs privés des responsabilités qu'on va trouver les solutions à la Sécurité sociale. Par contre, il dit des choses sur la Sécurité sociale qui sont fondées. C'est la même chose sur d'autres propositions qu'ils peuvent faire prévaloir : sur les retraites, par exemple, où ils sont focalisés sur la question de la durée de cotisation essentiellement. Il y a d'autres questions à mettre sur la table pour faire la réforme des retraites, on le sait. Mais là encore, il n'y a rien de neuf sous le soleil."
Un petit mot évidemment sur le feuilleton du début de la semaine : l'annulation par le Conseil constitutionnel de cet amendement sur la loi de modernisation sociale. Hier, des militants de la CGT, menée par B. Thibault, et d'autres, disaient que le Conseil constitutionnel avait donné un coup de main au patronat. Vous êtes d'accord ?
- "Ce n'est pas mon analyse. Et je crois qu'il est toujours dangereux de vouloir tirer sur des décisions qui s'appuient sur des considérations de droit du côté politique. Je crains toujours qu'à ce moment-là, la démocratie en prenne un coup, et que le fonctionnement de nos institutions en prenne un coup aussi."
Quand le PS dit que le Conseil constitutionnel est partisan, politique...
- "Je crois qu'il a tort. De toute façon, au-delà de la décision du Conseil constitutionnel, il faut regarder les questions de fond. Or, nous n'avons, en ce qui nous concerne, pas attendu les décisions du Conseil constitutionnel pour attirer l'attention du législateur et du Gouvernement, sur le fait que la vision qui avait prévalu et les équilibres qui avaient prévalu, qui sont de nature plus politique qu'économique et sociale, dans la définition du licenciement économique, allait induire des effets pervers, lourds, y compris pour les salariés eux-mêmes. C'était une réalité."
C'était un mauvais article donc ?
- "Oui. On ne fait pas entrer la réalité économique et sociale dans des visions politiques qui se forgent au gré des rapports de force et des équilibres qu'il faut trouver au Parlement."
En clair, le PS a "vendu son âme", dans ce cadre-là, au Parti communiste. C'était une erreur et il la paie...
- "Je crois."
C'est votre sentiment. Vous l'avez dit à L. Jospin, aux socialistes ?
- "On l'a dit à chaque fois que nous avons eu l'occasion, après coup, de donner un avis sur cette question, car nous n'avons pas été consultés. Et nous l'avons dit publiquement aussi."
Ce n'est pas "La liberté d'entreprendre n'est pas la liberté de licencier", comme a dit L. Jospin hier ? Vous n'êtes pas d'accord avec cette phrase ?
- "La liberté d'entreprise n'est pas que la liberté de licencier ! Je suis d'accord bien évidemment avec cette formule ! Mais l'enjeu est de ne pas laisser croire aux salariés qu'une entreprise ne pourrait ou ne devrait licencier, malheureusement - un licenciement, c'est toujours un drame, une catastrophe -, que lorsqu'elle est prête à faire faillite. Mais c'est assurer à tout coup la mort des entreprises demain, la mort de l'emploi et des salariés qui seront plus massivement licenciés ! Je regrette, ce n'est pas un argument patronal, c'est un argument de bon sens. C'est un argument de gens expérimentés qui connaissent la réalité et qui se coltinent tous les jours la réalité des entreprises et des plans sociaux, quand il y en a."
A propos des médecins, on dit ce matin qu'un accord pourrait être trouvé entre un syndicat minoritaire et la Caisse d'assurance-maladie, présidée par J.-M. Spaeth, de la CFDT. Est-ce que cela va aboutir ? Est-ce que vous appelez les autres médecins à accepter cet accord ?
- "En tout cas, il me semble que par la discussion, les choses progressent. les médecins ont été entendus. L'idée de revaloriser le niveau de la consultation est acquis d'une manière générale, avec en plus des augmentations particulières pour des actes plus longs et plus complexes."
Cela ne suffit pas pour les généralistes de l'Unof, qui est majoritaire...
- "Quand une négociation est dans un conflit, on sait bien qu'il y a le temps de l'action, le temps où on fait monter les revendications, puis il y a le temps du compromis. Les médecins jugeront. J'ai le sentiment que pas mal de salariés, qui pourraient regarder le niveau d'augmentation qui se dessine, se disent qu'ils n'ont pas toujours eu, eux, des augmentations de cette nature. Mais cette demande devait être entendue, et elle est entendue. Ce que j'entends dans la voix d'un certain nombre de médecins et d'une organisation en particulier, ce n'est pas un comportement de négociateur classique, parce que quand on a des revendications, on vient les négocier. Si on trouve [des] satisfactions lors de ces négociations, on les prend. Ils ne viennent pas à la deuxième séance de négociations et ils disent [qu'ils veulent] un autre interlocuteur. Dans ce cas, la démarche me semble devenir d'une autre nature."
Précisez...
- "Cela veut dire que s'ils ne prennent pas les résultats de leur action - que les médecins auront quand même, je l'espère, si un des syndicats signe -, s'ils continuent à dire [qu'ils veulent négocier] avec le Gouvernement, la démarche s'apparente au moins autant à une dimension politique qu'à une dimension syndicale."
D. Bouton est mis en examen. Hier, E.-A. Seillière, et L. Fabius, par exemple, l'on soutenu. Vous vous inquiétez aussi de la pénalisation de la vie de l'entreprise ?
- "La pénalisation, non. Parfois, elle est justifiée. Simplement, lorsque les responsables sont mis en examen, il faut après montrer la véracité d'un délit. Qu'il y ait à agir contre le blanchiment de l'argent sale, c'est évident. Après, il faut établir des responsabilités sur des faits avérés de délit. Ce qui reste à démontrer."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 16 janvier 2002)