Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, dans "Le Figaro" le 30 mai 2002, sur la stratégie du MPF et celle de la droite en vue des élections législatives de juin et le refus d'un "front républicain" droite-gauche pour faire barrage aux candidats du Front national.

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Texte intégral

Le Figaro : Comment concevez-vous les rapports du MPF avec l'UMP ?
Philippe de Villiers : le MPF n'a pas vocation à se fondre dans un hypercentre. Il restera donc extérieur à l'UMP, pour des raisons de cohérence et de ligne. Car l'UMP a le corps du RPR et l'âme de l'UDF. Elle a été conçue par les responsables du RPR, mais sa ligne centriste et euro-fédérale est celle de l'UDF. L'UMP laisse donc à droite un espace important pour une droite de conviction souverainiste. Le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, l'a bien compris : quand la droite ne couvre pas tout son spectre politique, elle recule.
Le Figaro : Vous revendiquez votre indépendance politique, comme François Bayrou, le président de l'UDF
PV : C'est très différent. Il y a une justification politique à ce que le MPF garde son indépendance politique, alors qu'il n'y a pas de justification idéologique à ce que l'UDF garde la sienne. François Bayrou ne donne pas l'impression de défendre une ligne, mais de défendre une boutique !
Le Figaro : En présentant 301 candidats aux élections législatives, n'allez-vous pas alimenter encore les divisions à droite ?
PV : Au contraire, le MPF entend contribuer à la construction d'une majorité parlementaire large et forte, qui sache organiser ses différences en bonne intelligence, et qui reconnaisse la mouvance souverainiste à l'extérieur de l'UMP. Ce qui a conduit à un accord national de désistement mutuel pour que les candidatures s'organisent côte à côte, pour aboutir à des additions et non à des soustractions.
Le Figaro : Siégerez-vous dans le futur groupe unique de l'UMP à l'Assemblée ?
PV : Non, je continuerai à siéger chez les non-inscrits, car je refuse la notion de mandat impératif.
Le Figaro : Quelles conditions fixez-vous à Jacques Chirac et à Jean-Pierre Raffarin pour vous revendiquer dans la majorité présidentielle et la majorité parlementaire ?
PV : Nous sommes devant une page blanche qu'il appartient à Jacques Chirac d'écrire. Je souhaite qu'il retienne la quadruple message du premier tour : rejet d'une politique de gauche, refus de la cohabitation, protestation devant l'autisme de la classe politique et prise en compte de la détresse de la société française qui perd ses valeurs. J'attends donc du président de la République et du premier ministre une rupture en profondeur avec trente années où les socialistes ont dominé dans les urnes et dans les esprits.
Le Figaro : Comment procéder à une telle rupture ?
PV : Je serai très attentif à ce que soient ouverts les trois grands chantiers de l'urgence et du redressement : l'insécurité et l'immigration, la libération des forces du travail et de la création, en faisant notamment sauter la barrière des 35 heures obligatoires, et le coup d'arrêt au transfert des pouvoirs de Paris vers Bruxelles. Il faut traiter les problèmes de l'immigration dès les premières semaines après les élections législatives, car la France est en train de perdre son identité. Notre pays est devenu le grand courant d'air d'Europe !
Le Figaro : Faites-vous confiance à Jean-Pierre Raffarin pour ouvrir ces chantiers ?
PV : Jean-Pierre Raffarin dégage une image de bonne volonté et de volonté tout court. J'espère qu'il saura mettre en uvre cette rupture.
Le Figaro : Accepteriez-vous de rentrer au gouvernement ?
PV : Non, car un ministre doit être en accord avec l'ensemble de la ligne politique du gouvernement. Or la politique d'abandon de la souveraineté nationale ne me paraît pas compatible avec mes convictions. Un pays qui doit demander des autorisations à Bruxelles pour tenir ses promesses électorales, comme baisser la TVA et l'impôt sur le revenu, ou moduler nos aides agricoles, n'est plus un pays libre. Nous allons nous trouver en 2003-2004 devant un choix historique fondamental pour la France : ou bien l'Europe choisit la voie du super Etat fédéral, ou bien, dans le cadre d'une grande Europe, on préserve l'identité de chacun des Etats membres.
Le Figaro : Quelles leçons tirez-vous du premier tour de l'élection présidentielle ?
PV : Le 21 avril, la gauche a fait l'objet d'un triple rejet : rejet d'un bilan, d'un projet et d'une pensée archaïque. L'effondrement de la gauche est historique et sans doute durable. Mais comme la gauche sait qu'elle n'a aucune chance de gagner les élections législatives, elle a confectionné un piège redoutable, en mettant le Front national au cur du débat.
Le Figaro : Etes-vous partisan de la constitution d'un " front républicain " droite-gauche pour faire barrage aux candidats du FN ?
PV : Le seul fait d'envisager des triangulaires, c'est avoir la défaite dans la tête. Pour gagner, la droite doit être attractive. On sait très bien que le " front républicain ", ou tout autre forme de connivence apparente entre la droite et la gauche, crée la confusion et nourrit le vote protestataire. L'élection de députés de " droiche ", avec les voix de la droite et de la gauche réunies, serait mortelle pour l'UMP, et empêcherait le premier ministre de rompre définitivement avec le socialisme. Si nous refusons la cohabitation dans l'Etat, ce n'est pas pour préparer la cohabitation dans les urnes ! Ce qui manque à notre pays aujourd'hui, c'est une confrontation lisible et paisible entre la droite et la gauche. La droite doit refuser toute forme de terrorisme intellectuel. Par moment, on se dit que la gauche n'a pas besoin de gouverner le pays, car elle gouverne déjà les esprits !
Le Figaro : Comment interprétez-vous le vote Front national ?
PV : Les électeurs du FN ne sont pas des parias. Ils ont lancé un cri d'alarme. Il faut l'entendre. Au fond, les électeurs de Jean-Marie Le Pen ne sont jamais que des électeurs PS qui ont été cambriolés trois fois ! La première fois, ils sont allés à l'UDF ; la deuxième fois au RPR ; la troisième au FN ! Ce qui prouve bien que personne n'est propriétaire de ces voix.
(source http://www.mpf-villiers.org, le 4 juin 2002)